Agora : tentatives de définition
De JFCM
Agora – tentative de définition[modifier]
https://nowakowski.hypotheses.org/76 par Samuel Nowakowski
- Une définition d’Agora ? Quel serait le premier réflexe d’un individu issu de la génération Petite Poucette si bien décrite par Michel Serres (M. Serres, 2014) pour obtenir cette définition ? Rien de plus simple ! Il suffit de sortir sa poche son smartphone et, de ses deux pouces, faire appel à son moteur de recherche favori, quelques manipulations et voici qu’apparaît cette indiscutable première page que nous appellerons de(s)finition – nous choisissons d’introduire ce mot visant à rendre compte, par le « de(s) », que la définition unique n’existe plus, que l’ère du savoir unique a fini. À partir de maintenant, nous écrirons de(s)finition avec un « s ».
- Ma de(s)finition … obtenues de l’évaluation d’une formule mathématique prenant en compte quelques centaines de paramètres, paramètres qui sont extraits de mes usages, de leur historique par l’analyse de toutes les données collectées et stockées. Ces formules mathématiques font de l’univers de cette nouvelle agora quelque chose qu’il est possible de rapprocher de la théorie de la poussière élaborée par Max Tegmark (Tegmark, 2014) – selon lui, l’univers est mathématique, et l’être en cet univers est lui aussi mathématique. Donc, dans cet univers, chaque affichage calculé, pondéré et personnalisé proposera un ensemble de résultats, différents pour chaque individu. La de(s)finition obtenue par le calcul (calcul effectué le 9 mars 2015 – la date est importante puisque la de(s)finition varie également dans le temps) donne alors dans l’ordre,
- un environnement numérique de travail d’une université,
- un espace commun de collèges du département des Alpes maritimes,
- un lieu de loisirs,
- un film,
- la page wikipédia
- et à nouveau un espace numérique de travail d’une université !
- Nous voilà donc bien loin de la définition traditionnelle que wikipédia montre timidement sur cette page de résultats : dans la Grèce antique, grande place publique qui constituait le centre de la vie économique et politique de la cité. Un lieu matérialisant la civilisation et sa modernité. Même qu’Aristote qualifiait de barbares tous les peuples ne disposant pas de ce genre de lieu ! Bien sûr, de retour en notre monde présent, une deuxième définition suit immédiatement celle de l’antiquité, c’est celle qui se rapporte à notre époque :
- agora, un espace piétonnier.
- Que nous est-il arrivé pour ramener à un espace piétonnier, un lieu qui était la manifestation même de la culture, de la civilisation ? Difficile à dire parce que si nous regardons de plus près ces espaces piétonniers de la plupart de nos villes n’ont rien de l’agora grecque – espaces piétonniers aménagés pour accueillir dans un environnement formaté les flux de consommateurs, promeneurs. De plus, un attribut moderne vient orner ces agoras, c’est la vidéosurveillance. Et là, nous nous retrouvons avec un espace qui n’est plus un espace public. Comme G. Agamben (Agamben, 2014 et 2015), nous pouvons alors affirmer qu’un espace surveillé n’est plus une agora, parce qu‘il n’a plus aucun caractère public ; c’est une zone grise entre le public et le privé, entre la prison et le forum. Après s’être transformée une première fois, l’agora se dissout dans une zone grise, une zone surveillée, une non-zone. Fausse route !
- Pour retrouver notre de(s)finition, nous allons donc devoir abandonner le monde analogique pour autre chose.
- Pour cela, revenons sur la de(s)finition donnée par notre moteur de recherche favori – plus de la moitié des résultats proposés concerne des espaces numériques de travail, collaboratifs pour certains, mais tous visant à regrouper, relier des individus, des structures, des dispositifs, …. Retrouvons-nous là une part de cet espace originel ?
- Lieu public ? Non, tous ces espaces sont privés et demandent à leurs usagers des sésames pour y accéder.
- Un centre ? Non, tous ces espaces sont distribués, sans centre, répartis, accessibles de partout, ubiquitaires.
- Un lieu de vie économique ? Politique ? Encore une fois non, rien de ce qui constitue ces espaces relèvent de cela !
- Mais alors qu’est donc cette agora dont l’occurrence emplit les pages des moteurs de recherche ? Dans ce cas, l’agora, dans cet univers calculé, peuplé de formules mathématiques, n’aurait-elle pas quelque chose de ce monde peuplé d’idées pures de Platon, une manifestation de l’hyperyranios ? Privée de centre, ubiquitaire et accessible à tout moment, immatérielle, espace d’expression, de rencontres, l’agora disparaît du monde pour investir cet ailleurs, objet de la quête des pionniers du web, des utopies (le mot grec changeant d’ailleurs de sens sur un simple accent peut passer ainsi de la signification « un lieu qui est nulle part », u-topie, à « un bon lieu », eu-topie) pensées par des hommes comme Steward Brand, tels que les décrit Fred Turner, dans (Turner, 2012).
- En résumé, l’agora à la fois un non lieu et un bon lieu, c’est l’ailleurs des idées, une zone en perpétuel devenir, essence de l’internet. Mais, comme dans le cas des espaces vidéo-surveillés, quel avenir pour une agora quantifiée, tracée, stockée ?
Références[modifier]
- Giorgio Agamben, 2014 http://www.monde-diplomatique.fr/2014/01/AGAMBEN/49997
- Giorgio Agamben, 2015, http://www.telerama.fr/medias/les-francais-doivent-se-battre-contre-le-projet-d-une-enieme-loi-contre-le-terrorisme-giorgio-agamben,121729.php
- Michel Serres, 2014, Petite Poucette. Manifestes . Le Pommier
- Max Tegmark, 2014, Notre univers mathématique. Dunod
- Fred Turner, 2012, Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la .cyberculture, Stewart Brand, un homme d’influence. CF Éditions