Analyse des discours sur la notion d'« usage » dans deux revues en sciences de l'information: Doc-SI et BBF
À travers l’analyse d’un corpus d’articles publiés dans deux périodiques spécialisés français, Documentaliste-Sciences de l’information et Bulletin des bibliothèques de France, Céline Paganelli s’intéresse à la manière dont la communauté professionnelle de la documentation et des bibliothèques aborde la question des usages et des pratiques. Comment cette communauté s’interroge-t-elle sur les individus qu’elle côtoie dans son environnement professionnel, individus pour lesquels elle est appelée à proposer un service ? De quelle manière en parle-t-elle ? Comment les notions d’usages, d’usagers et de pratiques sont-elles abordées dans les discours relevant du champ de l’information-documentation ? Cet article tente d’apporter des éléments de réponse à ces différentes interrogations.
Sommaire
- 1 1 - Cadre théorique
- 2 2 - Cadre méthodologique
- 3 3 - Résultats et tendances
- 3.1 Nombre d’articles par revue pour chaque terme recherché
- 3.2 Variété terminologique
- 3.3 Répartition des termes pour les deux revues
- 3.4 Répartition des termes pour le BBF
- 3.5 Répartition des termes pour Doc-SI
- 3.6 Diversité des types d’articles
- 3.7 Typologie des articles publiés en 2009/2010
- 3.8 Évolution de la terminologie employée
- 3.9 Dates la plus ancienne et la plus récente pour chaque mot-clé par revue
- 3.10 Nombre d’articles par décennie pour les deux revues
- 4 4 - Conclusion
- 5 Références
Une communauté professionnelle se définit notamment par une identité, des valeurs communes, une définition partagée et un langage commun [31]. Nous considérons ici que les professions de la documentation et des bibliothèques, si elles varient dans leurs intitulés, leurs contextes d’exercice, l’organisation de leurs formations, appartiennent cependant à une même communauté professionnelle, réunie autour de missions liées à la gestion de l’information et du document, avec des compétences, des objectifs et des intérêts communs [19]. Jean Michel Salaün [30] parle notamment de « familles professionnelles » pour désigner les bibliothécaires, archivistes ou documentalistes appartenant tous à la communauté des professionnels de l’information. Ces familles recouvrent toutefois une variété d’approches [22] et l’on peut se demander si ces spécificités se traduisent par des différences dans le traitement de la question des usages.
1 - Cadre théorique[modifier]
Les termes d’usagers, d’usages, de pratiques sont, nous semble-t-il, largement employés par la communauté des professionnels de l’information, les enseignants et les chercheurs en sciences de l’information. Nous supposons que ces notions sont abordées principalement via la réalisation d’enquêtes ou d’expérimentations mises en œuvre pour appréhender les usages réels ou potentiels des individus qui fréquentent les bibliothèques ou les centres de documentation, qui utilisent ou non les systèmes et les ressources mis à leur disposition. Dans ce cadre, nous faisons également l’hypothèse que les objectifs de ces travaux et les méthodologies choisies diffèrent et que, de ce fait, la notion d’usage elle-même peut varier selon les études concernées. Ainsi, nous supposons que les discours portant sur les usages reflètent une grande diversité de définitions, d’approches et de finalités données aux études présentées. Enfin, nous suggérons que les notions mobilisées font appel, selon les périodes, à des terminologies différentes.
La notion d’usage, selon les contextes d’analyse et les cadres théoriques mobilisés, renvoie à un continuum de définitions allant de l’adoption à l’appropriation en passant par l’utilisation [28]. En sociologie des usages, son acception est plus large. Ainsi, « les usages sociaux sont définis comme les patterns d’usages d’individus ou de collectifs d’individus (strates, catégories, classes) qui s’avèrent relativement stabilisés sur une période historique plus ou moins longue, à l’échelle d’ensembles sociaux plus larges (groupes, communautés, sociétés, civilisations) » [29] et l’appropriation fait référence notamment à des oppositions entre logiques de conception et logiques d’usages ou entre usages prescrits et usages effectifs [23 ; 16].
Le terme de pratiques est également largement utilisé et Josiane Jouët [17] distingue usage et pratique, considérant que l’usage est plus restrictif et renvoie à la simple utilisation tandis que la pratique recouvre non seulement l’emploi des techniques mais également les comportements, attitudes et les représentations des individus qui se rapportent à l’outil. Par ailleurs, l’usage renverrait à la conduite d’un individu face à un objet, alors que la pratique impliquerait une dimension sociale [11]. Florence Millerand [21] ajoute que, dans la plupart des recherches, la distinction entre les deux termes n’est pas reprise et qu’usages et pratiques se confondent. Pourtant, les pratiques apparaissent comme englobantes puisqu’elles ne se limitent pas à l’usage d’une technique ou à la fréquentation d’une bibliothèque ; « elles sont en quelque sorte multisupports et sont récurrentes dans la mesure où elles s’inscrivent dans la durée et où les outils nouveaux doivent se mouler en eux ou du moins les prendre en compte, enfin elles sont sous-tendues par des normes d’action ou des valeurs » [20].
L’expression enfin de pratiques informationnelles recouvre des réalités différentes selon les approches adoptées. Suivant les communautés de chercheurs, son périmètre est plus ou moins vaste et plus ou moins clairement circonscrit [14]. Tom Wilson [33] définit ainsi les pratiques informationnelles comme des pratiques d’accès à l’information ; il les distingue des pratiques de recherche d’information qui s’intéressent aux stratégies d’information et aux différentes méthodes que les personnes utilisent pour découvrir et obtenir l’accès aux sources d’information ; et des pratiques de repérage de l’information qui concernent alors les interactions utilisateur système d’information.
La question des usages de l’information est peu abordée en France et certains déplorent un déficit des études françaises sur les usagers dans la communauté des sciences de l’information, [3 ; 24]. Pourtant, un certain nombre de travaux de recherche se réclament du « paradigme usager » [27] alors que des publications relevant du champ professionnel sont consacrées aux usagers des systèmes d’information ou des bibliothèques. Des chercheurs s’intéressent également aux pratiques informationnelles [14], faisant même de cette question un élément fondamental pour la définition de la discipline, à l’instar d’Hubert Fondin qui considère que les choix épistémologiques en sciences de l’information dépendent de la place que « l’on attribue à l’homme « rechercheur d’information », et donc de l’attitude (…) qu’on lui reconnaît comme acteur. » [10].
Le contexte maintenant posé, notre propos consiste à évaluer plus précisément, depuis la création des revues BBF [1] [1] et Doc-SI[2] [2] , la part des articles prenant en compte l’individu, la diversité de la terminologie employée, les objectifs affichés pour ces publications ainsi que l’existence ou non, dans les articles, de définitions des concepts utilisés. Nous analyserons enfin l’évolution de la part de ces articles et de la terminologie privilégiée pour évoquer la question des usages, et ce en lien avec le contexte professionnel de l’époque.
2 - Cadre méthodologique[modifier]
D’autres revues existent, bien évidemment, dans le domaine et auraient pu faire l’objet de cette analyse (Inter CDI, Bibliothèque(s) ou Archimag notamment). Mais ces deux revues phares ont la particularité d’être les seules publications lieux de convergence entre la recherche et la pratique professionnelle, lues à la fois par les professionnels, les étudiants et les chercheurs du domaine. Enfin, ces revues couvrent l’ensemble du champ des sciences de l’information et ne sont spécialisées ni dans un domaine ni dans un secteur d’activité spécifique.
Différents travaux ont déjà été consacrés à ces revues sous des angles divers [8 ; 5 ; 6 ; 10]. Notre approche est un peu différente puisqu’elle consiste à étudier les articles issus de ces deux revues, en considérant qu’ils véhiculent une partie des discours professionnels du champ de l’info-doc, et à analyser la part des articles consacrés aux usages et pratiques, la manière dont ces notions sont définies et mobilisées dans ces écrits, ainsi que l’objectif des articles abordant ces sujets.
Dans un premier temps, pour chaque revue ont été sélectionnés, par le biais des moteurs de recherche disponibles sur les sites du BBF et de l’ADBS, tous les articles [3] [3] dont le titre comporte au moins l’un des termes suivants : usage(s), usager(s,) pratiques. Puis nous avons analysé leur répartition dans le temps depuis la création de chacune des revues. Ensuite, chaque article a été catégorisé par année de parution et par type :
- Notes de lecture (critiques d’ouvrages ou articles)
- Comptes rendus ou annonces de journées d’étude, de colloques, de salons professionnels
- Comptes-rendus d’études, d’enquêtes, d’études statistiques, d’analyses qualitatives ainsi que témoignages de professionnels qui rapportent les usages de l’information dans un contexte donné
- Articles de fond : articles de réflexion, de type « état des lieux » ou questionnements autour des thématiques concernées
- Autres : articles n’entrant pas dans les catégories précédentes : introduction de dossier, éditoriaux, articles très courts.
Certains articles ont été classés « hors sujet ». Ils contiennent les termes recherchés mais n’entrent pas, de notre point de vue, dans le cadre de cette étude. C’est le cas par exemple lorsque le terme pratique est employé pour « guide pratique ».
Enfin, les articles les plus récents (parus en 2009 et 2010) et les articles les plus anciens ont été analysés de manière plus précise, pour chaque revue et pour chaque terme [4] [4] , à partir d’une lecture fine des articles, pour :
- repérer la terminologie utilisée pour aborder la question des usages et pratiques : au-delà des mots-clés recherchés pour cette étude, quels autres termes sont-ils employés ?
- identifier la présence de définitions et de cadres théoriques : l’auteur définit-il les termes d’usages, de pratiques ou d’usagers ? Pose-t-il un cadre théorique ?
Dans les cas d’articles qui rendent compte d’enquêtes sur les usages et pratiques dans un contexte donné, nous avons relevé les objectifs visés ainsi que le type de méthodologie mis en œuvre.
Si le repérage de la terminologie (relevé de la fréquence des occurrences et des co-occurrences des termes) a été assisté grâce aux fonctionnalités lexicométriques de Tropes [5] [5] , le reste du traitement de données ne pouvait être effectué que manuellement, par une lecture approfondie des articles.
3 - Résultats et tendances[modifier]
En interrogeant le champ titre des archives des deux revues par les termes suivants : usage, usages, usager, usagers, pratiques [6] [6] , nous trouvons 677 articles (sur un nombre total de 1.000 articles pour le BBF et de 2.635 pour Doc-SI) qui se répartissent comme suit :
Nombre d’articles par revue pour chaque terme recherché[modifier]
La proportion d’articles sur les usages et pratiques est donc assez faible pour le BBF (12,8 %) et un peu plus élevée pour Doc-SI (20,8 %). Ces résultats confirment, pour le premier cas, le constat de Claude Poissenot sur la faiblesse du nombre d’études françaises consacrées aux usages, notamment en bibliothèques [24]. Dans le cas de Doc-SI, la proportion d’articles en lien avec les usages est plus élevée que celle rapportée par Hubert Fondin dans son étude de 2001 [10] mais elle confirme néanmoins la surreprésentation d’écrits en lien avec les traitements et les outils. Il est toutefois difficile de comparer des résultats pour lesquels les méthodes de comptage diffèrent et dont la période de référence est différente [7] [7] .
Variété terminologique[modifier]
L’analyse de la part que représente chaque terme montre que c’est usage au singulier qui est le plus utilisé, suivi ensuite de pratiques. Les autres termes se répartissent de manière quasiment équivalente.
Répartition des termes pour les deux revues[modifier]
Une lecture précise des articles contenant ces deux termes révèle que usage et pratiques sont relativement polysémiques, ce qui peut expliquer leur prépondérance dans l’ensemble des résultats. Ainsi, usage se voit employé dans différents contextes : l’usage qui est fait d’un outil ou d’un dispositif [8] [8] ou dans l’expression « à l’usage de » [9] [9] . Pratiques peut également recouvrir diverses réalités ; le terme est utilisé dans le sens de commode ou opérationnel [10] [10] et peut également être combiné dans diverses expressions : pratiques culturelles, pratiques professionnelles, pratiques documentaires, de consultation, etc.
Les deux figures suivantes montrent que la répartition des termes n’est pas la même pour les deux revues étudiées.
Répartition des termes pour le BBF[modifier]
Ainsi, dans la revue BBF, c’est le terme pratiques, au pluriel, qui est le plus utilisé, souvent combiné à « documentaires » ou « culturelles » [11] [11] . Mais l’on retrouve aussi les expressions pratiques de lecture, pratiques des bibliothèques, ou pratiques d’information. Le terme pratiques apparaît effectivement ici comme englobant. Ainsi, les pratiques documentaires recouvrent les usages des ressources numériques, de la documentation disponible dans les bibliothèques ; les pratiques culturelles renvoient aux usages des ordinateurs, de la TV, ou à la fréquentation des bibliothèques. Ici, la terminologie employée fait donc écho au vocabulaire du discours scientifique.
Viennent ensuite, toujours pour le BBF, les termes usages et usagers dans environ 25 % des cas pour chacun d’eux. Les articles concernent alors la fréquentation des bibliothèques, l’accès à des ressources documentaires et notamment aux catalogues ou l’utilisation d’un type de documents. Ainsi, les auteurs focalisent sur un lieu précis (les BU, BM ou une bibliothèque en particulier), sur des usagers clairement identifiés (étudiants, chercheurs, déficients intellectuels, etc.), ou sur des outils envisagés de manière générique (les catalogues informatisés, multimédia) ou très précise (le catalogue Gallica par exemple) [12] [12] .
La figure ci-dessous montre que, pour la revue Doc-SI, c’est le terme usage, au singulier, qui est le plus utilisé (36,2 %), suivi de pratiques (18,4 %) et usager (17,2 %).
Répartition des termes pour Doc-SI[modifier]
Ici, le terme usage, employé indifféremment au singulier ou au pluriel, fait référence à l’utilisation de ressources documentaires, de documents ou de systèmes d’information [13] [13] . Enfin, les articles indexés par pratiques sont consacrés parfois aux pratiques informationnelles, intitulées également pratiques informatives ou de consultation, ou bien aux pratiques professionnelles des documentalistes [14] [14] .
Cette première analyse met en évidence la diversité des termes employés pour s’intéresser à l’individu dans l’activité informationnelle, certes dans des proportions diverses, mais toujours avec cette même préoccupation de la prise en compte du facteur humain. Le terme pratiques est majoritairement utilisé comme englobant les usages mais les mots usage(s) ou usagers recouvrent parfois, selon les articles, des réalités diverses : l’usager peut désigner l’individu qui fréquente une bibliothèque (le lecteur) comme celui qui se sert d’un outil informatique (l’utilisateur). Le terme usagers peut également désigner des catégories plus ou moins précises : les chercheurs, les journalistes ou bien les individus qui fréquentent une bibliothèque municipale bien identifiée. Enfin, l’usage peut faire référence à l’utilisation (de ressources documentaires par exemple), à la fréquentation d’un lieu, mais peut également recouvrir, de manière plus large, les comportements ou besoins d’information.
Cette diversité terminologique permet, dans un premier temps, de préciser les notions abordées. Les catégories d’usagers sont notamment dénommées de manière précise dans les articles étudiés : usager d’un espace documentaire, usager du net, usager de bibliothèque, usager nomade, emprunteurs, public, étudiants, chercheurs, enseignants, etc. Elle permet également d’ancrer les propos des auteurs dans un cadre disciplinaire. Même si celui-ci n’est pas toujours explicitement présenté, le vocabulaire employé par l’auteur permet de situer implicitement ses propos dans une approche disciplinaire identifiée. Ainsi, on trouve les termes de clients, segmentation, dans les articles relevant plutôt d’une approche marketing, les termes comportements, représentation, besoin, utilisateur, pour les approches en lien avec la psychologie ; appropriation ou logique d’usages sont utilisés en référence à la sociologie des usages. La terminologie employée est globalement similaire entre les deux revues. Cependant, quelques différences apparaissent : des termes comme publics, lecteurs, médiation ou fréquentation sont employés fréquemment dans le BBF, et moins dans Doc-SI. L’utilisation de ces termes permet d’inscrire les articles dans le champ de la sociologie de la lecture, des politiques culturelles et de lecture publique, ou encore de la médiation culturelle.
Dans les articles, nous avons recherché, sans succès, la présence de définitions des usages ou pratiques. Deux raisons peuvent être invoquées pour cela : soit les auteurs présupposent que ces notions sont connues et partagées par tous ; soit ils choisissent de les préciser à travers le contexte de l’article. Ces résultats tendraient à montrer, quoi qu’il en soit, que les auteurs considèrent que, sur la question des usages et pratiques, il y a consensus dans la communauté professionnelle sur les définitions des concepts utilisés.
Diversité des types d’articles[modifier]
Nous avons analysé plus spécifiquement les articles parus en 2009 et 2010 dans chacune des revues. Pour ces années-là, 26 articles de Doc-SI et 22 articles du BBF ont été identifiés, qui se répartissent de la manière suivante :
Typologie des articles publiés en 2009/2010[modifier]
Il ressort de cette analyse que près de la moitié des articles sont des études empiriques (11) ou des réflexions de fond (10) sur le sujet, et que 18 autres articles (les notes de lecture et les CR de journées ou colloques) témoignent indirectement de l’intérêt de la profession pour ces questions.
Les 11 études empiriques présentent en général les objectifs de l’étude, la méthodologie mise en œuvre ainsi que les résultats obtenus. Toutes les études cherchent à décrire le profil des usagers et non usagers, à analyser leurs pratiques (ou non) des lieux, leurs connaissances des ressources documentaires disponibles, leur satisfaction par rapport à la structure documentaire et à son fonctionnement. Les études permettent alors de pallier une connaissance insuffisante des usagers, de leurs attentes, de leurs problèmes éventuels. Cet objectif peut être couplé soit à une intention descriptive - dresser un état des lieux des usages -, soit à une visée d’évaluation et d’amélioration des services aux usagers, en considérant que « les enquêtes ont pour but de mieux connaître ses usagers, mais l’enjeu est surtout d’aider à la prise de décision » [15] [15] .
La plupart du temps, les auteurs combinent différentes approches méthodologiques organisées de la manière suivante : en premier lieu, analyse quantitative à l’aide d’enquêtes par questionnaires ou d’analyse des logs, puis analyse qualitative sur des points plus précis. Toutefois, 5 articles parmi les 11 étudiés ne mettent pas en œuvre de méthodologie d’enquête mais analysent les usages ou pratiques sous l’angle des représentations que s’en font les professionnels. Ce sont ici leurs témoignages, sous la forme de retours d’expériences, qui servent à dresser un état des usages. Cette analyse confirme que le champ des études d’usages recouvre ainsi une large variété de travaux et impliquent des méthodologies diverses [33] en lien avec les perspectives disciplinaires privilégiées : psychologie, sociologie, management et marketing, notamment [4]. Les situations étudiées lors de ces enquêtes sont également très variées et analysées aussi bien dans le BBF que Doc-SI.
Les 10 articles catégorisés comme « article de fond », tous parus dans la revue Doc-SI et rédigés par des chercheurs ou des professionnels, font le point sur des questionnements tels que le web2 et l’info-doc, l’usager comme objet frontière ou encore la relation client. En 2010, le BBF a consacré deux dossiers à cette thématique [16] [16] .
Enfin, les notes de lecture, annonces ou comptes rendus de colloques témoignent également de l’intérêt des professions pour la question des usages. Parmi les 48 articles analysés, 9 articles du BBF rendent compte ou annoncent des journées d’études ou colloques en lien avec cette thématique, et mettent en évidence l’importance de la production éditoriale et l’intérêt qu’y porte la presse professionnelle.
Évolution de la terminologie employée[modifier]
Les termes recherchés pour notre étude apparaissent à des dates différentes (entre 1967 et 1989) dans les deux revues et il est intéressant de constater le lien entre l’apparition de ces termes et le contexte historique des professions.
Dates la plus ancienne et la plus récente pour chaque mot-clé par revue[modifier]
Les premiers articles consacrés à la thématique des usages et pratiques comportent le terme usage dans leur titre. Ils sont publiés en 1967 dans Doc-SI et l’année suivante dans le BBF. Il s’agit, dans les deux cas, de comptes-rendus de colloques, l’un consacré à la diffusion de l’information en contexte industriel [17] [17] et le second sur le thème de l’utilisation de l’informatique dans les centres spécialisés [18] [18] . L’auteur y insiste sur la caractère novateur de cette initiative dans les termes suivants : « Pour la première fois, sans doute, en France, en novembre 1968, un colloque […] a réuni […] des documentalistes consommateurs d’informatique, et des informaticiens soucieux de connaître les besoins des documentalistes en mal d’automatisation : c’est tout de même un événement ! ». En effet, les années 60 en France voient, sous l’impulsion du plan calcul (1966), le développement de l’informatique comme industrie et la constitution de la discipline informatique avec notamment la création de l’IRIA en 1967 [19] [19] . Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que ces deux premiers articles abordent les usages des professionnels sous l’angle de l’utilisation de l’information et des outils informatiques.
Dans les années 70, trois articles font état d’études d’usages. Les auteurs d’un article [20] [20] , le premier indexé par usagers qui apparaît dans le BBF, soulignent qu’il existe peu de données empiriques sur les besoins documentaires des chercheurs scientifiques français en sciences humaines et mettent en place une enquête par entretiens pour « combler cette lacune ».
En 1978, on trouve les premiers articles indexés par usager et usagers dans la revue Doc-SI. Le premier [21] [21] vise à donner les résultats d’une étude d’usages, mais à montrer également l’intérêt de ce type d’études qui permet d’obtenir « une vue objective de la situation » et des indications chiffrées que ne donnent pas les impressions de terrain. Dans le second [22] [22] , l’usager est envisagé du côté du système informatique puisque l’article concerne la mise en place d’une base de données commune à plusieurs universités qui s’appuie sur la prise en compte des besoins des usagers ; pour autant, aucune information n’est donnée sur la manière dont ces besoins sont appréhendés.
De tels articles sont encore assez rares à cette époque ; ils interviennent tous les trois dans les années 70, décennie marquée par l’intérêt que portent les professionnels comme les chercheurs à la technique, au système d’information [26] : informatisation des centres de documentation ou bibliothèques, recherches sur l’indexation automatique ou sur les langages d’interrogation avec la multiplication des bases documentaires dans les organismes de recherche et les grandes entreprises [7]. Mais à côté de ces préoccupations techniques, les années soixante-dix sont marquées par le développement en France des bibliothèques de lecture publique, de l’accès libre aux collections, et surtout de la prise en compte des lecteurs dans leur diversité : adultes, enfants, citadins, ruraux, malades, délinquants, etc. Ainsi, le premier article indexé avec pratiques est publié en 1975 dans le BBF [23] [23] . Il rend compte de la première enquête menée par le ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français.
Ceci étant, c’est surtout à partir des années 80 que les articles commencent à rendre compte d’enquêtes ou d’études sur les usages et pratiques avec notamment le travail de Y. F Le Coadic qui cherche à identifier les pratiques adoptées par les chercheurs en chimie pour informer et s’informer [24] [24] . Le terme usages apparaît dans la revue Doc-SI en 1988 pour la publication d’un compte rendu d’enquête [25] [25] . L’article fait état de l’évaluation de la mise en place d’une banque de données en texte intégral à destination des journalistes de La Croix-L’évènement et dresse un bilan de son utilisation en en distinguant différentes catégories. Ces différents articles confirment qu’à partir des années 80 la place de l’usager prend une importance plus grande avec le début des OPAC et des systèmes documentaires directement interrogeables par l’utilisateur final. La nécessité de mieux connaître les utilisateurs se fait alors sentir et donne lieu à un certain nombre d’enquêtes ainsi qu’à des travaux de recherche appartenant au courant des users studies [26].
Cependant, malgré ces différents exemples, le tableau ci-dessous montre que la majeure partie des écrits sur ces thématiques est publiée à partir des années 1990/2000. En effet, plus de 50 % des articles sont postérieurs à 2000 (plus précisément 2002 pour le BBF et 2006 pour Doc-SI), ce qui tendrait à montrer que la préoccupation des professionnels pour les usages de l’information est relativement récente. On note également une évolution régulière, dans les deux revues, du nombre d’articles depuis les années 60 avec une importance accrue à partir des années 80 et toujours plus grande dans la décennie 90 puis 2000, évolution qui met en évidence un intérêt croissant pour les activités et la place de l’individu en info-doc et les préoccupations similaires des métiers de la documentation et des bibliothèques pour leurs usagers.
Nombre d’articles par décennie pour les deux revues[modifier]
Le même phénomène est constaté pour les écrits scientifiques puisque le nombre de thèses consacrées aux usages et pratiques dans le champ des sciences de l’information augmente régulièrement depuis les années 80.
Aujourd’hui, les termes usages et pratiques coexistent, sans qu’il y ait de glissement terminologique de l’un vers l’autre, comme il semble que ce soit le cas dans les discours scientifiques [11].
4 - Conclusion[modifier]
Cette étude exploratoire porte uniquement sur deux revues françaises. Il serait sans doute pertinent de l’élargir à d’autres revues, au Canada ou en Suisse par exemple, pour avoir une vision plus exhaustive de la situation. Cependant, certaines tendances sur la manière dont la communauté professionnelle envisage la question des usages et pratiques, émergent.
Si la proportion globale des articles sur les thématiques usages, usagers, pratiques, est assez faible (environ 18 %), il apparaît toutefois que la presse spécialisée leur fait de plus en plus de place. Nous supposons que cela révèle certainement un intérêt de plus en plus grand de la part du monde professionnel mais aussi scientifique pour ces sujets, comme le montrent également le nombre de thèses soutenues, les ouvrages édités ou encore les colloques ou journées d’étude. Ainsi, les congrès de l’ABF [26] [26] des dernières années ont proposé des communications sur le thème des usages : « Les pratiques culturelles ou les usages en bibliothèques universitaires » en 2008, « L’adaptation de la communication des bibliothèques aux publics visés » en 2011. Les congrès I-Expo, organisés par le GFII [27] [27] , sont également l’occasion de conférences consacrées notamment aux usages et aux pratiques professionnelles.
Les articles consacrés aux usages sont divers d’abord dans la terminologie utilisée, qui semble varier selon l’ancrage disciplinaire privilégié, mais également dans les types d’articles (article de fond, compte rendu d’enquêtes ou d’études, analyse d’ouvrages ou de manifestations scientifiques ou professionnelles). Lorsqu’il s’agit d’études de terrain, on remarque enfin une diversité des objectifs, des méthodologies mises en œuvre, et plus largement des approches choisies.
On ne note pas de différences significatives entre les deux revues dans la manière dont cette question est traitée. L’analyse de la terminologie tendrait à montrer que les usages sont abordés de manière similaire dans les mondes des bibliothèques et de la documentation. D’autres auteurs ont déjà mis en évidence cet intérêt commun pour le rôle central de l’utilisateur dans leurs missions [1 ; 32] et nos résultats confirment que la question des usages constitue un point de convergence entre les familles professionnelles et renforce ainsi l’idée d’une communauté de métiers englobant les professions de la documentation et des bibliothèques.
Mais la question des usages est également un élément de convergence entre le monde professionnel et la sphère scientifique. En effet, l’analyse de la part des thèses en sciences de l’information consacrées aux usages indique un intérêt croissant pour ces questionnements depuis l’institutionnalisation des sciences de l’information et de la communication en 1974. Depuis cette date, environ 18 % des thèses portent sur ces thématiques ; part qui atteint près de 30 % entre 2006 et 2010.
Si l’intérêt de ces études est réel, on ne peut que remarquer la diversité des résultats publiés et la difficulté à établir des comparaisons entre eux [3]. On peut également considérer, comme le faisait Bernard Miège en 2006 sur les usages des TIC [20], qu’une des difficultés vient de ce que la majorité des travaux disponibles, qu’ils soient issus du monde professionnel ou scientifique, ont soit des visées opérationnelles, soit portent généralement sur des populations spécifiques et des objets partiels, et que l’établissement, à partir de ces travaux, « de connaissances validées scientifiquement (…) suppose au moins une opération de ré- interprétation ». Quoi qu’il en soit, le dénominateur commun à tous ces articles est la prise en compte du facteur humain ; c’est « l’individu qui est mis au cœur des investigations et non l’appareil » [23]. De ce point de vue-là, l’ensemble de ces études apporte effectivement des descriptions réalistes et variées sur la manière dont les individus recherchent de l’information, s’approprient les ressources qui leur sont proposées, et également sur les difficultés qu’ils rencontrent.
Du côté des chercheurs de la discipline, il nous semble qu’il est aujourd’hui temps de réfléchir à la manière de dépasser et transcender ces différents travaux pour se poser clairement, au-delà de l’intérêt immédiat et réel de ces études, la question de leurs objectifs, de notre capacité à dégager des tendances sur les usages et pratiques de l’information, à en tirer des enseignements concernant l’articulation des méthodologies, à réinvestir et comparer les résultats, à mettre au point finalement des connaissances moins partielles sur les usages et pratiques d’information.
Céline Paganelli
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- ↑ Le Buletin des bibliothèques de France a été créé en 1956. Depuis 1991, la rédaction et l’administration de la revue dépendent de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (ENSSIB).
- ↑ Publiée par l’ADBS, la revue Documen taliste-Sciences de l’information paraît pour la première fois en 1964.
- ↑ Du premier numéro de chaque titre à décembre 2010.
- ↑ Les recherches ont été faites entre janvier et mars 2011.
- ↑ Tropes est un logiciel gratuit d’analyse sémantique de textes (http://www.tropes.fr/).
- ↑ Nous avions envisagé d’interroger avec le terme non-usagers mais cette interrogation ne nous a pas semblé pertinente dans la mesure où elle ne ramène qu’un seul article dans le BBF et aucun dans Doc-SI. Nous avions également recherché avec pratique, au singulier. Cette requête donne un grand nombre de résultats mais qui sont, dans la grande majorité des cas, loin de nos préoccupations puisque le terme est essentiellement utilisé associé à guide ou manuel.
- ↑ Hubert Fondin a étudié la rubrique Recherche de la revue pour les années 1997, 98 et 99.
- ↑ « Du bon usage du BBF » (BBF, 1984, t. 29, n° 2) « Veille technologique et information documentaire : de l’usage de la bibliométrie dans les services de documentation » (Doc-SI, 1990, vol. 27, n° 3)
- ↑ « Bibliolexique à l’usage des amateurs de livres » (BBF, 2009, t. 54, n° 1) « Formation à l’usage de l’information dans le supérieur » (Doc-SI, 1992, vol. 29, n° 4-5).
- ↑ « Rédiger pour être publié ! Conseils pratiques pour les scientifiques » (BBF, 2009, t. 54, n° 6)
- ↑ « Diversité des pratiques documentaires numériques dans les champs scientifiques : une approche internationale » (BBF, 2009, t. 54, n° 6) « L’évolution des pratiques documentaires des chercheurs » (BBF, 1995, t. 40, n° 2) « Les pratiques culturelles des personnes âgées » (BBF, 1994, t. 39, n° 1)
- ↑ « Usages et usagers d’une bibliothèque universitaire » (BBF, 1989, t. 34, n° 6) « Les besoins et comportements documentaires des usagers d’un service de documentation de recherche spécialisé en psychologie sociale » (BBF, 1970, t. 15, n° 6) « Livre numérique : offres et usages » (BBF, 2010, t. 55, n° 2) « Les usages de Gallica » (BBF, 2003, t. 48, n° 4)
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- ↑ Qui deviendra l’INRIA en 1979.
- ↑ « Les besoins et comportements documentaires des usagers d’un service de documentation de recherche spécialisé en psychologie sociale » (BBF, 1970, t. 15, n° 6)
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Références[modifier]
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