Brilloin Léon
La biographie de Léon Brillouin vient combler un vide dans l'historiographie des sciences. Sauf rares exceptions, ce savant qui a apporté des contributions marquantes à la science du XXe siècle demeure méconnu, en particulier en France. Rémy Mosseri répare cette lacune et on espère que d'autres travaux viendront développer les pistes esquissées dans ce premier travail.
La biographie est articulée en deux parties.
- La première couvre la période qui va jusqu'à la nomination de Léon Brillouin à la tête de la radio. *
- La seconde traite de son départ pour les États-Unis, de son retour à la Libération et de sa déception, qui le conduit à demander la nationalité américaine et à s'installer définitivement outre-Atlantique.
La première partie est plus centrée sur sa biographie scientifique et intellectuelle, alors que la seconde traite plus en détail la question du savant dans la cité. Fils d'un physicien de renom, Marcel, professeur au Collège de France, Léon Brillouin a pu côtoyer les grands savants français et étrangers dès son jeune âge. Curieux, il est l'un des rares scientifiques à se rendre souvent à l'étranger. L'auteur rappelle l'importance de la contribution des Brillouin à la structure de l'atome, preuve qu'il y a un débat en France. Ce qui fait de De Broglie un représentant du débat : il se serait inspiré de ces travaux plutôt que de parvenir tout seul à sa contribution célèbre. Entre science et technique, Léon Brillouin essaie de cultiver et la physique du solide et la radioélectricité. Dommage que ce dernier intérêt ait trouvé peu de place dans cette biographie. La bibliographie complète, en fin d'ouvrage, comble partiellement ce manque en donnant des indications à ceux qui voudraient l'étudier.
Avec sa nomination à la tête de la radio française commence une seconde phase : celle de l'homme aux prises avec des responsabilités publiques. Les événements de la guerre et la prise de direction de la radio jusqu'au départ pour les États-Unis, l'engagement dans la recherche de guerre et parmi les Français en exil -sont décrits avec beaucoup de détails. Ce qui rend plus absurde l'accusation de collaboration portée contre Léon Brillouin à la Libération.
Sans doute, les divisions au sein de l'École libre des hautes études de New York ont joué contre lui, de même que l'attitude bornée de fonctionnaires zélés qui ont construit une accusation sur des bases faibles - il serait intéressant de comprendre les raisons de la disparition du dossier Brillouin des archives -, mais il ne faut pas oublier l'attitude antiaméricaine dominante dans certains milieux scientifiques français. Ce point aurait mérité d'être développé, car son importance dépasse le seul cas Léon Brillouin. Or, Rémy Mosseri montre bien que Léon Brillouin était partisan de l'établissement de liens étroits avec le monde scientifique américain. D'autant plus qu'il y a de nombreux Européens qui restent dans les universités américaines. À l'antiaméricanisme s'ajoutait le débat entre ceux qui voyaient avec horreur le « capitalisme américain » envahir la science et ceux qui craignaient l'importance que prenait le modèle de la science prolétarienne soviétique. Léon Brillouin n'avait pas de place dans ce combat idéologique. Il a probablement compris que désormais, en raison de l'organisation complexe de la recherche, il fallait se ranger dans l'un ou l'autre camp pour avoir droit à une reconnaissance universitaire. C'est ce que venait de lui prouver l'attribution du prix Nobel à Bardeen, Brattain et Schokley, puissamment soutenus par les Laboratoires Bell.
Alors, il était préférable d'être solitaire qu'embrigadé, d'où l'article de 1956 qui porte ce titre. Sur ce point, mon interprétation est différente de celle de l'auteur. Pour un homme qui avait travaillé avec l'industrie, avant et après la guerre, qui connaissait bien les questions de puissance commerciale et militaire, l'important était de garder son indépendance, même quand on collaborait avec l'industrie. Cela lui paraît presque impossible, étant donné l'attitude des collègues et le débat idéologique dominant en ces années de guerre froide. Il commence alors une nouvelle phase de son travail de savant avec l'exploration de la théorie de l'information.
Ce rapide survol des thèmes traités dans ce livre montre l'intérêt de cette biographie d'un savant français méconnu. À sa lecture, c'est une partie de l'histoire de la physique et du débat science-société que l'on parcourt.
Léon Brillouin, né à Sèvres en 1889, "intègre" l’Ecole
Normale Supérieure en 1908.
Fait très exceptionnel pour un jeune physicien français de l’époque, il poursuit sa formation (1912) à l’Institut de Physique Théorique de Munich alors dirigé par A. Sommerfeld : là s’était déroulée quelques mois auparavant l’expérience de Von Laue sur la « diffraction des rayons de Roentgen » (rayons X) par un cristal.
De retour en France (1913), il entreprend une thèse sur la théorie des solides ; il propose une équation d’état bâtie sur les vibrations atomiques (phonons) qui parcourent le solide.
Il étudie également la propagation d’une onde lumineuse monochromatique et son interaction avec les ondes acoustiques : il montre que le rayon diffusé est constitué par la somme de trois composantes (effet Brillouin) : une à la fréquence de l’onde incidente (ωo), les deux autres à des fréquences qui l’encadrent symétriquement (ωo ± ∆ω) (Doublet Brillouin) ; l’écart dépend de l’angle de diffusion.
Cette prédiction théorique ne sera observée expérimentalement qu’une dizaine d’années plus tard.
Interrompu dans son travail par la guerre de 1914-1918, il soutient sa thèse en 1920 (Jury : Marie Curie, Paul Langevin, Jean Perrin !).
Débute alors une période de grande fécondité dans la production scientifique de Léon Brillouin au cours de laquelle il contribue à la « révolution quantique » dans divers domaines de la physique :
• Il propose une méthode de résolution approchée de l’équation de Schrödinger (méthode B.K.W. : Brillouin, Kramers, Wentzel) appliquée aux électrons.
• Il reprend la théorie du paramagnétisme dont Langevin a donné 20 ans auparavant un modèle "classique" en y introduisant la quantification du moment orbital (1927).
• Au cours d’un travail sur la propagation d’une onde électronique dans un réseau cristallin, il est amené à introduire un concept qui s’avèrera particulièrement utile dans la théorie des solides cristallins : Les Zones de Brillouin (1930).
• Il publie une série d’articles dans lesquels il traite des méthodes d’étude des systèmes à plusieurs électrons (formule de Brillouin-Wigner).
Parallèlement à ses activités de recherche il enseigne, d’abord à la Sorbonne où il accède en 1928 à la chaire de Physique Théorique, puis au Collège de France où il est élu en 1932.
En Août 1939, un mois avant la déclaration de guerre à l’Allemagne, Léon Brillouin est nommé, en tant que spécialiste de la propagation des ondes, directeur de la Radiodiffusion Nationale.
Mai 1940, la débâcle ; le gouvernement et la haute administration dont il fait partie se replient à Vichy. Il y reste six mois puis démissionne et part aux Etats-Unis où il adhère au groupe de la France Libre ; il participe à l’effort de guerre en travaillant dans le domaine des radars à l’Université de Columbia (New-York).
A la fin de la guerre il décide de rester aux Etats-Unis où il enseigne à Harvard et Columbia ; il est élu membre de la National Academy of Sciences en 1953. Loin d’abandonner la recherche, il se passionne pour un domaine qui vient de naître : « La Théorie de l’Information ». Il invente le concept de « Néguentropie » (entropie négative) pour démontrer l’équivalence entre entropie et information, et pour qu’ainsi, le « Démon de Maxwell » ne viole pas le principe de Carnot. Il meurt en 1969 à New-York.
Bibliographie :
- Les Tenseurs en Mécanique et en Elasticité, Paris 1937, 1949. Quantenstatistik, Berlin 1931.
- Propagation des Ondes dans les Milieux Périodiques, Paris 1956.
- La Science et la Théorie de l’Information, Paris 1959.
Pour en savoir plus : « Léon Brillouin, A la Croisée des Ondes », R. Mosseri, Belin (1998).