Catholicisme, la fin d'un monde

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« Catholicisme, la fin d'un monde »

Publié le 5 février 2011 par G&S

« Catholicisme, la fin d'un monde » Danièle Hervieu-Léger, sociologue, directrice du Centre interdisciplinaire des faits religieux à l'École des hautes études en sciences sociales intitule son dernier livre : « Catholicisme, la fin d'un monde » et non, bien sûr, la fin de la croyance en Jésus-Christ.

L'auteur analyse l'évolution de la place de l'Église dans la société : il fut un temps où le catholicisme exerçait une attirance sur la scène sociale et intellectuelle. Ce poids d'une puissance passée reste dans la mémoire collective et préserve l'avenir pour le catholicisme. Cette Église est digne d'estime. Mais que deviendra notre culture qui a été façonnée par plus de quinze siècles de christianisme et qui a promu les idées centrales concernant l'unité du genre humain et la transcendance des personnes ?

L'auteur souligne que le catholicisme français sort d'une crise qui est relatée dans le chapitre intitulé : « De France, pays de mission à Vers une France païenne ». L'auteur souligne qu'au vu des tensions qui ont traversé le catholicisme, on peut se poser aujourd'hui la question : « Si on ne se bat plus guère au sein du catholicisme français, n'est-ce pas, en un sens, parce qu'il n'y a plus de cause à gagner, de modèle ecclésiologique à promouvoir, de "rapport au monde" à défendre ou à redéfinir ? » (p. 28).

L'auteur analyse ensuite les rapports de l'Église avec l'État et la société qui peuvent se résumer en trois étapes : le temps de la laïcisation qui marque la fin du monopole catholique de la transcendance, le temps de la sécularisation avec l'attraction que la modernité exerce sur le catholicisme, enfin, l'incorporation du catholicisme dans la culture contemporaine.

Aujourd'hui, on peut dire que le catholicisme, après avoir vécu une longue période d'inculturation, vit une période « d'exculturation ». Cette exculturation est due à la culture postmoderne marquée par la recherche de la réalisation de soi. Cette quête ne se vit pas sans mal car beaucoup ont conscience de la précarité du monde, de vivre dans une société du risque. On assiste au croisement d'une culture du soi et d'une culture du risque. Autre signe d'exculturation : l'Église est lâchée par la famille. Auparavant, la famille était un des grands points d'appui pour l'Église : c'est dans ce terreau que naissaient les vocations, c'était là que l'Église trouvait ses ressources économiques, c'était un des points forts de l'examen de conscience dû à la place du sexe dans la morale et les femmes placées au plus près de ce monde de la chair qui s'oppose au monde de l'esprit. Aujourd'hui, la famille est affaire de relations ou chacune des parties est égale et libre. Chacun est libre de disposer de lui-même. On n'est plus dépendant de l'autre et d'un « Autre ». Cette véritable révolution touche aussi la référence à l'ordre naturel.

D. Hervieu-Léger résume ainsi son hypothèse : « Si l'Église est devenue largement impuissante à promouvoir cette culture alternative qu'elle a longuement prétendu offrir à un monde qui revendiquait pourtant de se passer d'elle, c'est qu'elle a cessé de constituer, dans la France d'aujourd'hui, la référence implicite et la matrice de notre paysage institution global… Dans le temps de l'ultramodernité, la société "sortie de la religion" élimine jusqu'aux empreintes que celle-ci avait laissées dans la culture » (p. 288). L'Église « exculturée » voit mourir tout ce dont elle était fière : paroisses, mouvements, patronages sont dans un état catastrophique, les lieux institutionnels administrés par l'Église sont désertés, les catholiques sont devenus des pèlerins avec un contenu de croyances très fluide. L'Église a aussi perdu la gestion religieuse du temps. On est passé d'une religion du temps ordinaire à une religion des « temps forts, une religion des hauts lieux ».

L'Église d'aujourd'hui présente un « catholicisme fragile ». Mais il faudrait donner sens à cette fragilité même. Proposer la foi, comme le demande les évêques de France, ne devra pas être contrecarré par ceux qui cherchent avant tout à manifester une identité catholique ferme face à la complexité du monde. Les autorités religieuses devront être vigilantes envers ceux qui cherchent un refuge sécurisant dans la piété pure. L'auteur conclut son analyse par ces mots : « opter pour ce "catholicisme fragile" - en anticipant l'évolution en cours et non la subir - n'est pas faire "profil bas" ; c'est sans doute la seule réponse réaliste et rationnelle au mouvement irréversible de l'exculturation » (p. 332).

Danièle Hervieu-Lèger analyse l'évolution actuelle de l'Église qui est en France. Cette analyse d'une sociologue est sans concession. Ce livre provoque à regarder en face cette évolution qui en déconcerte plus d'un et qui suscite plus d'une réflexion. Mais une analyse sociologique de l'Église, aussi intéressante soit-elle, ne dit pas tout de l'Église, loin de là. Les quelques remarques qui suivent se veulent en être une illustration.

D'abord, une question à propos du titre : Catholicisme, la fin d'un monde. L'histoire du catholicisme ne se limite pas à ce qui se passe en France. Or l'auteur ne parle que de la France. On sait combien un Concile ou des synodes permettent des rencontres, des échanges qui stimulent, interrogent, remettent en place certaines visions hexagonales…

Autre remarque d'importance : l'auteur parle pour l'Église d'exculturation. Mais l'Église n'est jamais « exculturée ». Elle ne peut s'exprimer par ses gestes et ses paroles que nourrie par une culture. Peut-être que certains en France vivent dans une culture qui disparaît… Il est certain que la façon dont certains, dans l'Église, parlent aujourd'hui de la famille pose bien des questions car ils passent complètement à côté d'une nouvelle façon de concevoir les relations familiales. Leur discours ont un goût du passé. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut bénir la mentalité actuelle, qu'il suffit d'employer les mots d'aujourd'hui pour inculturer l'Évangile dans la réalité familiale. Rien ne permet d'employer l'expression « exculturation » pour l'opposer à « inculturation ». D'ailleurs, toute l'Église de France est-elle « exculturée » ? Au temps de l'individualisme, les rassemblements des jeunes ne sont-ils pas une démarche qui respecte la mentalité de certains jeunes d'aujourd'hui ? Bien sûr, combien de pasteurs se demandent quel chemin prendre pour fidéliser les jeunes présents uniquement dans l'Église au temps des rassemblements ? Cette démarche n'est-elle pas une recherche d'inculturation ?

Une autre remarque importante s'impose : si un sociologue avait analysé une histoire des débuts de l'Église avant que Barnabé aille chercher Paul afin de résoudre la crise qui traversait l'Église de Corinthe, il aurait décrit une situation bloquée. Mais que pouvait-il dire de l'avenir façonné par l'Esprit, par Barnabé et Paul, avenir qui fut plein de surprises ? De même, analyser l'état des lieux à la mort du pape Pie XII ne laissait pas prévoir la tempête provoquée par le concile Vatican II. Le travail de l'Esprit Saint dans le cœur des hommes et de l'Église donne souvent des résultats imprévisibles.

Si ce livre intéressant ne dit pas tout de la vie du catholicisme, il aide à ne pas se bercer d'illusions.

P. Robert Pousseur

Recension de l’ouvrage de Danièle Hervieu-Léger
Paris, Bayard Éd., 2003. - 336 p., 23,00 €.
in Esprit et Vie n°94 - novembre 2003 - 2e quinzaine, p. 27-2
http://www.garriguesetsentiers.org/article-catholicisme-la-fin-d-un-monde-66506857.html