Concept de Culture

De JFCM
Aller à : navigation, rechercher

III. Le triomphe du concept de culture
Denys Cuche

Dans La notion de culture dans les sciences sociales (2010), pages 33 à 55


Si le concept, ou du moins l'idée, de culture s'impose, la recherche systématique sur le fonctionnement de la culture en général ou des cultures en particulier ne se développe pas de façon aussi importante dans tous les pays où commence à prendre essor l'ethnologie. C'est aux États-Unis que le concept reçoit le meilleur accueil et c'est au sein de l'anthropologie nord-américaine qu'il va connaître l'approfondissement théorique le plus remarquable. Dans ce contexte scientifique particulier, la recherche sur la question de la ou des culture(s) est véritablement cumulative et ne connaîtra pas de réel déclin. Cela est tellement vrai que parler d'anthropologie américaine ou d'« anthropologie culturelle » revient pratiquement au même. La consécration scientifique de « culture » est telle aux États-Unis que le terme est adopté rapidement dans son sens anthropologique par des disciplines voisines, la psychologie et la sociologie en particulier.

Les raisons du succès[modifier]

La recherche scientifique n'est jamais totalement indépendante du contexte dans lequel elle est produite. Or, le contexte national américain est bien spécifique, comparé aux contextes nationaux européens. Les États-Unis se représentent eux-mêmes depuis toujours comme un pays d'immigrants de différentes origines culturelles. Aux États-Unis, l'immigration fonde et précède donc la nation qui se reconnaît nation pluriethnique.

Le mythe national américain, selon lequel la légitimité de la citoyenneté est quasi liée à l'immigration – l'Américain est un immigrant ou un descendant d'immigrants –, est au fondement d'un modèle d'intégration nationale original qui admet la formation de communautés ethniques particulières. L'appartenance de l'individu à la nation va souvent de pair avec la participation reconnue à une communauté particulière ; c'est pourquoi l'identité des Américains a été qualifiée par certains d'« identité à trait d'union » : on peut être en effet « italo-américain », « polono-américain », « juif-américain », etc. Il en résulte ce qu'on a pu désigner comme un « fédéralisme culturel » [Schnapper, 1974] qui permet l'expression publique des cultures particulières qui ne sont pas, cependant, la pure et simple reproduction des cultures d'origine des immigrants, mais leur adaptation et leur réinterprétation en fonction du nouvel environnement social et national. Il est à noter, cependant, que le mythe américain conduit à considérer les Indiens, qui ne sont pas, par définition, des immigrants, et les Noirs, dont la migration fut forcée, comme n'étant pas des Américains à part entière.

Pour les mêmes raisons historiques, la sociologie américaine naissante privilégie la recherche sur le phénomène de l'immigration et des relations interethniques. Les sociologues de l'université de Chicago, premier centre d'enseignement et de diffusion de la sociologie aux États-Unis, placent au cœur de leurs analyses la question des étrangers dans la ville, contribuant ainsi à promouvoir un champ d'étude essentiel pour les sociétés modernes, qui en France ne se développera et n'obtiendra une certaine reconnaissance que très tardivement, dans les années 1970. C'est qu'à la différence des États-Unis, la France ne se conçoit pas comme pays d'immigration, ce qu'elle est pourtant de façon massive et structurelle depuis la seconde moitié du XIXe siècle. La représentation unitaire de la nation, jointe à l'exaltation de la civilisation française, conçue comme modèle universel, explique en partie le faible développement de la réflexion sur la diversité culturelle dans les sciences sociales en France pendant longtemps. À l'inverse, le contexte propre aux États-Unis a favorisé une interrogation systématique sur les différences culturelles et sur les contacts entre les cultures.

L'anthropologie américaine sera souvent qualifiée, parfois avec une connotation péjorative, de « culturaliste ». Pris au singulier, le qualificatif apparaît réducteur : en effet, il n'existe pas un culturalisme américain, mais des culturalismes qui, s'ils ne sont pas sans liens les uns avec les autres, représentent cependant des approches théoriques différenciées. Il est possible de les regrouper en trois grands courants. Le premier est l'héritier direct de l'enseignement de Boas et envisage la culture sous l'angle de l'histoire culturelle. Le deuxième s'attache à élucider les rapports entre culture (collective) et personnalité (individuelle). Le troisième considère la culture comme un système de communications entre les individus.

L'héritage de Boas : l'histoire culturelle[modifier]

Parmi toutes les voies ouvertes par Boas, c'est la recherche sur la dimension historique des phénomènes culturels qui va surtout être retenue par ses successeurs immédiats. Ceux-ci, notamment Alfred Kroeber et aussi Clark Wissler, vont s'efforcer de rendre compte du processus de distribution dans l'espace des éléments culturels. Ils empruntent aux ethnologues « diffusionnistes » allemands du début du siècle une série d'outils conceptuels qu'ils vont chercher à affiner, principalement la notion d'« aire culturelle » et celle de « trait culturel ». Cette dernière notion doit permettre en principe de définir les plus petits composants d'une culture, exercice apparemment simple mais qui se révèle difficile, voire illusoire, tant il est malaisé d'isoler un élément d'un ensemble culturel, surtout dans le domaine symbolique, ne serait-ce que pour l'analyser. L'idée est d'étudier la répartition spatiale d'un ou de plusieurs traits culturels dans des cultures proches et d'analyser le processus de leur diffusion. Dans le cas où apparaît une grande convergence de traits semblables dans un espace donné, on parle alors d'« aire culturelle ». Au centre de l'aire culturelle se trouvent les caractéristiques fondamentales d'une culture ; à sa périphérie, ces caractéristiques s'entrecroisent avec des traits provenant des aires voisines.

Comme l'a montré Kroeber, le concept d'aire culturelle « fonctionne » bien dans le cas des cultures indiennes de l'Amérique du Nord, car ici aires culturelles et aires géographiques coïncident à peu près. Mais dans beaucoup d'autres régions du monde, son caractère opératoire est discutable, car les frontières sont bien moins nettes et les aires culturelles ne peuvent être définies que de façon approximative, à partir d'un nombre peu significatif de traits communs. Pourtant, employée de façon souple, la notion n'est pas complètement dépourvue d'utilité descriptive [Kroeber, 1952].

On a parfois été sévère pour les schémas théoriques et conceptuels des anthropologues qui centraient leur réflexion sur les phénomènes dits de « diffusion », la diffusion étant le résultat des contacts entre les différentes cultures et de la circulation des traits culturels. S'il est vrai que certaines reconstitutions historiques se sont révélées hasardeuses, voire aberrantes, cela a été le fait de quelques chercheurs « hyper-diffusionnistes » européens plutôt qu'américains. La plupart des disciples de Boas, formés à sa rigueur méthodologique empirique, se sont montrés prudents dans leurs interprétations.

Outre l'impressionnante accumulation d'observations empiriques qu'on lui doit, les apports théoriques de ce courant de l'anthropologie américaine pour la compréhension de la formation des cultures sont loin d'être négligeables. C'est à lui que l'on doit le concept fondamental de « modèle culturel » (cultural pattern) qui désigne l'ensemble structuré des mécanismes par lesquels une culture s'adapte à son environnement. Cette notion sera reprise et approfondie par l'école « culture et personnalité ».

Par ailleurs, en centrant leurs recherches sur les phénomènes de contact culturel, et donc d'emprunt, Boas et ses disciples ouvrent la voie aux futures recherches sur l'acculturation et les échanges culturels. Déjà leurs travaux révèlent la complexité des phénomènes d'emprunt et montrent que les modalités de l'emprunt dépendent à la fois du groupe donneur et du groupe receveur. Ces auteurs ont aussi formulé l'hypothèse, qui sera théorisée plus tard, qu'entre emprunt et innovation culturels il n'y a pas de différence essentielle, l'emprunt étant le plus souvent transformation, voire recréation, de l'élément emprunté, car il doit s'adapter au modèle culturel de la culture réceptrice. Malinowski et l'analyse fonctionnaliste de la culture

De même que les spéculations d'un certain évolutionnisme avaient entraîné la réaction empiriste d'un Boas, de même les excès interprétatifs de quelques diffusionnistes provoquèrent la réaction de Bronislaw Malinowski (1884-1942), anthropologue anglais, né sujet autrichien d'une famille polonaise. Il s'oppose à toute tentative d'écrire l'histoire des cultures à tradition orale. Selon lui, il faut s'en tenir à l'observation directe des cultures dans leur état présent, sans chercher à remonter à leurs origines, ce qui représente une démarche illusoire, car non susceptible de preuve scientifique.

Par ailleurs, Malinowski critique l'atomisation de la réalité culturelle à laquelle aboutissent certaines recherches du courant diffusionniste qui se caractérisent par une approche muséographique des faits culturels, réduits à des traits que l'on collectionne et que l'on décrit pour eux-mêmes sans être toujours capable de comprendre leur place dans un système global. Ce qui compte, ce n'est pas que tel ou tel trait soit présent ici ou là, c'est qu'il remplisse, dans la totalité d'une culture donnée, telle fonction précise. Chaque culture formant un système dont les éléments sont interdépendants, il est exclu de les étudier séparément :

[dans toute culture] chaque coutume, chaque objet, chaque idée et chaque croyance remplissent une certaine fonction vitale, ont une certaine tâche à accomplir, représentent une part irremplaçable de la totalité organique [1944].

Toute culture doit être analysée dans une perspective synchronique, à partir de la seule observation de ses données contemporaines. Contre l'évolutionnisme tourné vers le futur, contre le diffusionnisme tourné vers le passé, Malinowski propose donc le fonctionnalisme centré sur le présent, seul intervalle du temps où l'anthropologue peut étudier objectivement les sociétés humaines.

Chaque culture constituant un tout cohérent, tous les éléments d'un système culturel s'harmonisent les uns aux autres, ce qui rend tout système équilibré et fonctionnel et ce qui explique que toute culture tende à se conserver identique à elle-même. Malinowski sous-estime les tendances au changement interne propres à chaque culture. Pour lui, le changement culturel vient essentiellement de l'extérieur, par contact culturel.

Pour expliquer le caractère fonctionnel des différentes cultures, Malinowski élabore une théorie qui sera très controversée, la théorie dite des « besoins », fondement d'Une théorie scientifique de la culture (titre d'un de ses ouvrages, paru en 1944). Les éléments constitutifs d'une culture auraient pour fonction de satisfaire les besoins essentiels de l'homme. Il emprunte son modèle aux sciences de la nature, rappelant que les hommes constituent une espèce animale. L'individu éprouve un certain nombre de besoins physiologiques (se nourrir, se reproduire, se protéger, etc.), qui déterminent des impératifs fondamentaux. La culture constitue précisément la réponse fonctionnelle à ces impératifs naturels. Elle y répond en créant des « institutions », concept central chez Malinowski, qui désigne les solutions collectives (organisées) aux besoins individuels. Les institutions sont les éléments concrets de la culture, les unités de base de toute étude anthropologique, ce que ne sont pas les « traits » culturels : aucun trait n'a de signification s'il n'est rapporté à l'institution à laquelle il appartient. L'objet de l'anthropologie est l'étude, non de faits culturels arbitrairement isolés, mais des institutions (économiques, politiques, juridiques, éducatives...) et des relations entre les institutions, en rapport avec le système culturel dans lequel elles sont intégrées.

Par cette théorie des besoins qui enferme l'anthropologie dans une impasse, Malinowski sort du cadre de la réflexion sur la culture proprement dite pour revenir à l'étude de la nature humaine dont il s'efforce de déterminer, plus ou moins arbitrairement, les besoins, desquels il dresse une liste et un classement peu convaincants. Sa conception « biologiste » de la culture l'amène à n'accorder son attention qu'aux faits qui renforcent l'idée qu'il se fait de la stabilité harmonieuse de toute culture. Le fonctionnalisme montre là ses limites : il se révèle peu apte à penser les contradictions culturelles internes, les dysfonctionnements, voire les phénomènes culturels pathologiques.

Le grand mérite de Malinowski aura toutefois été de démontrer qu'on ne peut pas étudier une culture de l'extérieur, et encore moins à distance. Ne se satisfaisant pas de l'observation directe « sur le terrain », il est celui qui a systématisé l'usage de la méthode ethnographique dite « observation participante » (expression dont il est l'auteur), seul mode de connaissance en profondeur de l'altérité culturelle qui puisse échapper à l'ethnocentrisme. Au cours d'une enquête intensive et de longue durée, l'ethnologue partage l'existence d'une population dont il s'efforce de pénétrer la mentalité propre par l'apprentissage de la langue vernaculaire et à travers l'observation méticuleuse des faits de la vie quotidienne, y compris les plus anodins et les plus (apparemment) insignifiants. Il s'agit fondamentalement de comprendre le point de vue de l'autochtone. Seule cette démarche patiente peut permettre de faire apparaître progressivement les interrelations existant entre tous les faits observés et, par là même, de définir la culture du groupe étudié.

L'école « culture et personnalité »[modifier]

L'anthropologie américaine, dans son effort constant d'interprétation des différences culturelles entre les groupes humains, va progressivement, à partir des années 1930, s'orienter vers une nouvelle voie. Considérant que l'étude de la culture s'est faite jusqu'alors de façon trop abstraite et que les liens existant entre l'individu et sa culture n'ont pas été pris en compte, un certain nombre d'anthropologues vont s'attacher à comprendre comment les êtres humains incorporent et vivent leur culture. Pour eux, la culture n'existe pas comme une réalité « en soi », en dehors des individus, même si toute culture a une relative indépendance par rapport à ceux-ci. La question est donc d'élucider comment leur culture est présente en eux, comment elle les fait agir, quelles conduites elle suscite, l'hypothèse étant précisément que chaque culture détermine un certain style de comportement commun à l'ensemble des individus participant d'une culture donnée. Là résiderait ce qui fait l'unité d'une culture et ce qui la rend spécifique par rapport aux autres. La culture est donc toujours envisagée comme totalité et l'attention est toujours centrée sur les discontinuités entre les différentes cultures, mais le mode d'explication change.

Edward Sapir (1884-1939) sera un des premiers à regretter l'appauvrissement de la réalité que constituent à ses yeux les tentatives de reconstitution de la diffusion des traits culturels. Ce qui existe, selon lui, ce ne sont pas les éléments culturels, qui passeraient tels quels d'une culture à une autre et indépendamment des individus, mais des comportements concrets d'individus, propres à chaque culture et pouvant expliquer tel emprunt culturel particulier [1949].

Un courant théorique prend forme, qui va exercer une influence considérable sur l'anthropologie américaine. On le qualifiera d'école « culture et personnalité ». Le terme est sans doute un peu excessif, car la diversité est grande dans les orientations et les méthodes des chercheurs, certains, par exemple, étant plus sensibles à l'influence de la culture sur l'individu, d'autres aux réactions de l'individu à la culture. Ils ont en commun, cependant, le souci d'une prise en compte des acquis de la psychologie scientifique et de la psychanalyse et sont très ouverts à l'interdisciplinarité. Cependant, leur problématique inverse la perspective freudienne : pour eux, ce n'est pas la libido qui explique la culture, au contraire les complexes de la libido s'expliquent par leur origine culturelle.

La question fondamentale que se posent les chercheurs de cette « école » est celle de la personnalité. Ne remettant pas en cause l'unité de l'humanité, tant sur le plan biologique que sur le plan psychique, ces auteurs se demandent par quel mécanisme de transformation, des individus, à la nature identique au départ, finissent par acquérir différents types de personnalité caractéristiques de groupes particuliers. Leur hypothèse fondamentale est qu'à la pluralité des cultures doit correspondre une pluralité de types de personnalité. Ruth Benedict et les « types culturels »

L'œuvre de Ruth Benedict (1887-1948), élève, puis assistante de Boas, est consacrée en grande partie à la définition des « types culturels » qui se caractérisent par leurs orientations générales et les sélections significatives qu'ils font parmi tous les choix possibles a priori. Benedict émet l'hypothèse de l'existence d'un « arc culturel » qui inclurait toutes les possibilités culturelles dans tous les domaines, chaque culture ne pouvant actualiser qu'un segment particulier de cet arc culturel. Les différentes cultures apparaissent donc définies par un certain « type » ou style. Ces types de cultures possibles n'existent pas en nombre illimité du fait des limites de « l'arc culturel » : il est donc possible de les classer une fois qu'ils ont été identifiés. Si Benedict est convaincue de la spécificité de chaque culture, elle n'en affirme pas moins que la variété des cultures est réductible à un certain nombre de types caractérisés.

Benedict est surtout célèbre pour l'usage systématique qu'elle a fait du concept de pattern of culture (qui fournira le titre de son ouvrage le plus connu, paru en 1934), bien qu'elle n'en soit pas à proprement parler l'auteur. L'idée se trouvait déjà chez Boas et chez Sapir. Pour elle, chaque culture se caractérise donc par son pattern, c'est-à-dire par une certaine configuration, un certain style, un certain modèle, pourrait-on dire. Le terme, sans équivalent en français, implique l'idée d'une totalité homogène et cohérente.

Toute culture est cohérente car elle est en accord avec les buts qu'elle poursuit, liés à ses choix dans la gamme des choix culturels possibles. Ces buts, elle les poursuit à l'insu des individus mais à travers eux, grâce aux institutions (notamment éducatives) qui vont façonner tous leurs comportements, en conformité avec les valeurs dominantes qui lui sont propres. Ce qui définit donc une culture, ce n'est pas la présence ou l'absence de tel trait ou de tel complexe de traits culturels, mais son orientation globale dans telle ou telle direction, « son pattern plus ou moins cohérent de pensée et d'action ». Une culture n'est pas une simple juxtaposition de traits culturels, mais une manière cohérente de les combiner tous. Chaque culture offre, en quelque sorte, aux individus un « schéma » inconscient pour toutes les activités de la vie.

En conséquence, l'unité significative d'étude à retenir doit être la « configuration culturelle » pour en saisir la logique interne. Benedict illustrera sa méthode en étudiant de façon comparative deux modèles culturels contrastés, celui des Indiens Pueblo du Nouveau-Mexique, notamment les Zuñi (conformistes, paisibles, profondément solidaires, respectueux d'autrui, mesurés dans l'expression de leurs sentiments), et celui de leurs voisins, les Indiens des Plaines, parmi lesquels les Kwakiutl, ambitieux, individualistes, agressifs et même violents, manifestant un penchant pour la démesure affective. Elle qualifiera le premier de « type apollonien » et le second de « type dionysiaque » (la référence à Nietzsche est claire), estimant qu'à ces deux types plus ou moins extrêmes se rattachaient d'autres cultures, et qu'entre les deux existaient des types intermédiaires [Benedict, 1934].

Margaret Mead et la transmission culturelle[modifier]

À la même époque que Benedict, Margaret Mead (1901-1978) choisit d'orienter ses recherches vers la façon dont un individu reçoit sa culture et les conséquences que cela entraîne sur la formation de la personnalité. C'est donc le processus de transmission culturelle et de socialisation de la personnalité qu'elle décide de placer au centre de ses réflexions et de ses enquêtes. Elle analysera en conséquence différents modèles d'éducation pour comprendre le phénomène d'inscription de la culture dans l'individu et pour expliquer les aspects dominants de sa personnalité dus à ce processus d'inscription.

Sa recherche la plus significative dans ce domaine est celle qu'elle a menée en Océanie dans trois sociétés de Nouvelle-Guinée, les Arapesh, les Mundugomor et les Chambuli [Mead, 1935]. Elle montre, à travers ces cas, que les prétendues personnalités masculine et féminine que l'on pense universelles, parce qu'on les croit d'ordre biologique, n'existent pas, telles qu'on les imagine, dans toutes les sociétés. Bien plus, certaines sociétés ont un système culturel d'éducation qui ne s'attache pas à opposer garçons et filles sur le plan de la personnalité.

Chez les Arapesh, tout semble organisé dans la petite enfance pour faire en sorte que le futur Arapesh, homme ou femme, soit un être doux, sensible, serviable. Alors que chez les Mundugomor, la conséquence du système d'éducation est plutôt d'entraîner la rivalité, voire l'agressivité, que ce soit chez les hommes, chez les femmes ou entre les sexes. Dans la première société, les enfants sont choyés sans distinction de sexe ; dans la seconde les enfants sont élevés durement car ils ne sont pas désirés, qu'ils soient garçon ou fille. Ces deux sociétés produisent, de par leurs méthodes culturelles, deux types de personnalité complètement opposés. En revanche, elles ont un point commun : ne faisant pas de distinction entre « psychologie féminine » et « psychologie masculine », elles n'engendrent pas de personnalité spécifiquement masculine ou féminine. Selon la conception ordinaire dans notre société, l'Arapesh, homme ou femme, nous semble doté d'une personnalité plutôt féminine et le ou la Mundugomor d'une personnalité plutôt masculine, mais présenter ainsi les faits serait un contresens.

À l'inverse, les Chambuli, le troisième groupe, pensent comme nous qu'hommes et femmes sont profondément différents dans leur psychologie. Mais, contrairement à nous, ils sont persuadés que la femme est, par « nature », entreprenante, dynamique, solidaire avec les membres de son sexe, extravertie ; et que l'homme est, en revanche, sensible, moins sûr de lui, très soucieux de son apparence, facilement jaloux de ses semblables. C'est que, chez les Chambuli, ce sont les femmes qui détiennent le pouvoir économique et qui assurent l'essentiel de la subsistance du groupe, alors que les hommes se consacrent principalement à des activités cérémonielles et esthétiques, qui les mettent souvent en compétition les uns avec les autres.

Forte de ces analyses, Margaret Mead peut affirmer que :

les traits de caractère que nous qualifions de masculins ou de féminins sont pour bon nombre d'entre eux, sinon en totalité, déterminés par le sexe d'une façon aussi superficielle que le sont les vêtements, les manières et la coiffure qu'une époque assigne à l'un ou l'autre sexe [(1935) 1963, p. 252].

Ainsi, la personnalité individuelle ne s'explique pas par des caractères biologiques (par exemple, ici, le sexe), mais par le « modèle » culturel particulier à une société donnée qui détermine l'éducation de l'enfant. Dès les premiers instants de la vie, l'individu est imprégné de ce modèle, par tout un système de stimulations et d'interdits formulés explicitement ou non, qui l'amène, une fois adulte, à se conformer de façon inconsciente aux principes fondamentaux de la culture. C'est ce processus que les anthropologues ont appelé « enculturation ». La structure de la personnalité adulte, résultante de la transmission de la culture par l'éducation, sera en principe adaptée au modèle de cette culture. L'anormalité psychologique, présente et stigmatisée dans toute société, s'explique de la même manière, non pas d'une façon absolue (universelle) mais de façon relative comme étant la conséquence d'une inadaptation de l'individu dit « anormal » à l'orientation fondamentale de sa culture (par exemple, l'Arapesh égocentrique et agressif ou le Mundugomor doux et altruiste). Il y a donc un lien étroit entre modèle culturel, méthode d'éducation et type de personnalité dominant.

Linton, Kardiner et la « personnalité de base »[modifier]

Pour les anthropologues qui se rattachent à l'école « culture et personnalité », la culture ne peut donc se définir qu'à travers les hommes qui la vivent. L'individu et la culture sont conçus comme deux réalités distinctes mais indissociables qui agissent l'une sur l'autre : on ne peut comprendre l'une que dans son rapport à l'autre.

Mais de l'individu, l'anthropologue ne retient que ce qui dans sa psychologie est commun à tous les membres d'un même groupe ; l'aspect strictement individuel de la personnalité relève en effet d'une autre discipline, la psychologie. Cet aspect commun de la personnalité, Ralph Linton (1893-1953) l'appelle « personnalité de base ». Pour lui, elle est déterminée directement par la culture à laquelle appartient un individu. Linton n'ignore pas la variété des psychologies individuelles. Il pense même que la gamme des différentes psychologies se retrouve dans chaque culture. Ce qui varie d'une culture à une autre, c'est la prédominance de tel ou tel type de personnalité. Ce qui l'intéresse en tant qu'anthropologue, ce ne sont pas les variations psychologiques individuelles, mais ce que partagent les membres d'un même groupe sur le plan du comportement et de la personnalité.

Prolongeant les recherches théoriques de Benedict et de Mead, Linton cherche à démontrer, à partir d'enquêtes de terrain aux îles Marquises et à Madagascar, que chaque culture privilégie parmi tous les types possibles un type de personnalité, qui devient alors le type « normal » (conforme à la norme culturelle et par là même socialement reconnu comme normal). Ce type normal, c'est la « personnalité de base », autrement dit le « fondement culturel de la personnalité » (selon l'expression qui deviendra en 1945 le titre d'un de ses ouvrages). Chaque individu l'acquiert par le biais du système d'éducation propre à sa société.

Cet aspect-là de la question – l'acquisition par l'éducation de la personnalité de base – fera l'objet de recherches spécifiques de la part d'Abram Kardiner (1891-1981), psychanalyste de formation, qui travaille en coopération étroite avec Linton. Il étudiera comment se forme la personnalité de base chez l'individu, à travers ce qu'il désignera comme les « institutions primaires » propres à chaque société (en premier lieu, la famille et le système éducatif) ; et comment en retour cette personnalité de base réagit sur la culture du groupe en produisant, par une sorte de mécanisme de projection, des « institutions secondaires » (systèmes de valeurs et de croyances, en particulier) qui compensent les frustrations suscitées par les institutions primaires et qui amènent la culture à évoluer insensiblement [Kar diner, 1939].

Linton, quant à lui, s'efforcera de dépasser une conception trop figée de la personnalité de base. Il reprochait d'ailleurs à Benedict la réduction qu'elle opérait en rattachant chaque culture à un type culturel et un seul, correspondant à un type dominant de comportement. Il admet que, dans une même culture, peuvent exister simultanément plusieurs types « normaux » de personnalité, parce que dans bon nombre de cultures plusieurs systèmes de valeurs coexistent.

Par ailleurs, explique Linton, il faut tenir compte de la diversité des statuts au sein d'une même société. Aucun individu ne peut synthétiser en lui l'ensemble de sa culture d'appartenance. Aucun individu n'a une connaissance complète de sa culture. Chaque individu ne connaît de sa culture que ce qui lui est nécessaire pour se conformer à ses divers statuts (de sexe, d'âge, de condition sociale, etc.) pour jouer les rôles sociaux qui en découlent. L'existence de statuts différents conduit donc à ces modulations plus ou moins significatives d'une même personnalité de base que sont les « personnalités statutaires » [Linton, 1945].

Par ailleurs, poursuivant leur réflexion sur l'interaction entre culture et individu, Linton et Kardiner préciseront que l'individu n'est pas le dépositaire passif de sa culture. Kardiner définit ainsi la personnalité de base :

Une configuration psychologique particulière propre aux membres d'une société donnée et qui se manifeste par un certain style de comportement sur lequel les individus brodent leurs variantes singulières [1939].

N'importe quel individu, par le fait même qu'il est un individu singulier, avec des traits de caractère singuliers (même si sa psychologie intègre dans une large mesure la personnalité de base) et avec une aptitude fondamentale, en tant qu'être humain, à la création, à l'innovation, va contribuer à modifier sa culture, de façon le plus souvent imperceptible, et par là même la personnalité de base. Autrement dit, chaque individu a sa propre façon d'intérioriser et de vivre sa culture, tout en étant profondément marqué par elle. L'accumulation des variations individuelles (d'intériorisation et de vécu) à partir du thème commun que constitue la personnalité de base permet d'expliquer l'évolution interne d'une culture qui se fait le plus souvent à un rythme lent.

Les différentes considérations qui précèdent montrent qu'on ne peut pas confondre les conclusions de Linton et Kardiner sur la personnalité de base avec les théories romantiques sur l'« âme » et le « génie » des peuples. Que les anthropologues américains soient partis d'une même interrogation que certains écrivains ou philosophes, allemands principalement, sur le caractère original de chaque peuple ne signifie pas pour autant qu'ils y apportent les mêmes réponses. Linton et Kardiner ont une conception souple de la transmission culturelle qui fait place à des variations individuelles et ne néglige pas la question du changement culturel. Leur approche de la culture et de la personnalité est donc plus dynamique que statique.

Les leçons de l'anthropologie culturelle[modifier]

Les travaux de l'anthropologie culturelle américaine ont fait l'objet de nombreuses critiques, ce qui en soi est parfaitement légitime dans la discussion scientifique. Mais, ce qui est moins légitime, c'est la présentation souvent réductrice, parfois presque caricaturale que l'on a pu faire, en France notamment, des thèses des culturalistes.

L'aspect le plus contestable de cette présentation, c'est son caractère globalisant. On présente le culturalisme comme un système théorique unifié, alors qu'il serait plus juste de parler « des » culturalismes. On énumère toute une série de critiques au culturalisme, sans préciser que bon nombre de ces critiques ont d'abord été formulées par des culturalistes à l'encontre d'autres culturalistes. Il a toujours existé une critique interne dans l'anthropologie culturelle. Les propositions théoriques du culturalisme ont été avancées progressivement et en corrigeant certaines propositions antérieures. Et, chez la plupart des chercheurs pris individuellement, on note des évolutions sensibles de la pensée tout au long de leur carrière.

L'essentialisme ou substantialisme, qui consiste à concevoir la culture comme une réalité en soi – reproche si souvent adressé aux culturalistes –, est une critique qui ne s'applique vraiment qu'à Kroeber, qui considérait la culture comme relevant du domaine du « super-organique », défini comme un niveau autonome du réel, obéissant à des lois propres, et qui lui attribuait en conséquence une existence propre, indépendante de l'action des individus et échappant à leur contrôle [Kroeber, 1917]. Un certain essentialisme est encore perceptible chez Benedict qui pensait que toute culture poursuit un but, en rapport avec l'orientation de son pattern, à l'insu des individus. Mais la plupart des anthropologues de l'école « culture et personnalité » ont réagi contre le risque de réification de la culture. Margaret Mead affirme clairement que la culture est une abstraction (ce qui ne veut pas dire une illusion). Ce qui existe, dit-elle, ce sont des individus qui créent la culture, qui la transmettent, qui la transforment. L'anthropologue ne peut pas observer une culture sur le terrain ; ce qu'il observe, ce ne sont que des comportements individuels. Tout l'effort des culturalistes proches de Mead sera donc de comprendre les cultures à partir des conduites des individus qui « sont la culture », selon une expression de Mead.

« Le » culturalisme a aussi été accusé de présenter une conception statique, figée, de la culture. Il a déjà été montré plus haut que cette critique est peu fondée. Les culturalistes ne croient pas à la stabilité des cultures et sont attentifs aux évolutions culturelles. Ils cherchent à les expliquer par le jeu des variations individuelles dans l'acquisition de la culture. L'individu, en fonction de son histoire personnelle, qui produit une psychologie singulière, « réinterprète » sa culture d'une façon particulière. La somme et l'interaction de toutes les réinterprétations individuelles font évoluer la culture. Margaret Mead insiste beaucoup sur le fait que la culture n'est pas un « donné » que l'individu recevrait comme un tout, une fois pour toutes, au cours de l'éducation. La culture ne se transmet pas comme les gènes. L'individu « s'approprie » sa culture progressivement tout au long de sa vie et, de toute façon, il ne peut jamais acquérir toute la culture de son groupe.

Le débat le plus crucial autour de l'anthropologie culturelle est celui qui concerne l'approche relativiste des cultures, qui met l'accent sur la pluralité des cultures plutôt que sur l'unité de la culture. Selon cette approche, les cultures sont traitées comme des totalités spécifiques, autonomes les unes par rapport aux autres, et par conséquent chacune doit être étudiée pour elle-même, dans sa logique interne propre. Toute la question est de savoir si ce relativisme culturel est seulement une exigence méthodologique ou également une conception théorique.

Les anthropologues culturalistes sont parfois assez ambigus par rapport à cette question. Au départ, avec Boas, le relativisme culturel est une réaction méthodologique contre l'évolutionnisme. Il ne s'agit pas de prétendre que les différentes cultures sont absolument incomparables entre elles, mais qu'on ne pourra envisager de les comparer qu'après les avoir étudiées chacune pour elle-même de façon exhaustive. Sans doute y a-t-il une certaine illusion à croire qu'on puisse identifier aisément une culture particulière, préciser ses limites et l'analyser comme une entité irréductible à une autre. Il n'en demeure pas moins que, sur un plan méthodologique, il est parfois utile et même nécessaire de faire « comme si » une culture particulière existait comme entité séparée avec une réelle autonomie, même si, dans les faits, cette autonomie n'est que relative par rapport aux autres cultures voisines.

Les culturalistes, certes, n'ont pas réussi à définir une fois pour toutes la « nature de la culture », pour reprendre l'expression de Kroeber [1952]. La discussion reste ouverte. L'anthropologie culturelle américaine n'a cessé d'y contribuer en poursuivant les recherches de façon souvent très novatrice. Les leçons du (des) culturalisme(s) sont pourtant déjà riches d'enseignements. Il n'est plus possible aujourd'hui d'ignorer qu'il existe d'autres façons de vivre et de penser et qu'elles ne sont pas la manifestation d'un archaïsme quelconque, encore moins de la « sauvagerie » ou de la « barbarie ». On leur doit d'avoir mis en évidence la relative cohérence de tous les systèmes culturels : chacun est une expression particulière, mais aussi authentique que tous les autres, d'une humanité unique.

Les chercheurs culturalistes ont beaucoup contribué à éliminer les confusions entre ce qui relève de la nature (chez l'homme) et ce qui relève de la culture. Ils ont été très attentifs aux phénomènes d'incorporation de la culture, au sens propre du terme, montrant que le corps lui-même est travaillé par la culture. La culture, expliquaient-ils, « interprète » la nature et la transforme. Même les fonctions vitales sont « informées » par la culture : manger, dormir, copuler, accoucher, mais aussi déféquer, uriner, et encore marcher, courir, nager, etc. Toutes ces pratiques du corps, absolument, semble-t-il, naturelles, sont profondément déterminées par chaque culture particulière, ce que Marcel Mauss, de son côté, démontrera en 1936 dans son étude sur les « techniques du corps » : on ne s'assoit pas, on ne se couche pas, on ne marche pas de la même manière d'une culture à une autre. Chez l'être humain, on ne peut observer la nature que transformée par la culture.

On doit à l'école « culture et personnalité » d'avoir mis en lumière l'importance de l'éducation dans les processus de différenciation culturelle. L'éducation est nécessaire et déterminante chez l'homme, car l'être humain n'a pratiquement pas de programme génétique qui guide son comportement. Les biologistes disent eux-mêmes que le seul programme (génétique) de l'homme est celui d'imiter et d'apprendre. Les différences culturelles entre les groupes humains sont donc explicables en grande partie par des systèmes d'éducation différents qui incluent les méthodes d'élevage des nourrissons (allaitement, soins du corps, mode de couchage, sevrage, etc.), si variables d'un groupe à un autre.

Trois chercheurs américains se sont efforcés d'expliquer la présence, dans certaines sociétés, de rites d'initiation des jeunes gens au moment de leur puberté et leur absence dans d'autres. Ils ont pensé pouvoir établir une corrélation entre une dépendance étroite à l'égard de la mère au cours de la petite enfance et l'institutionnalisation de ces rites. Là où l'organisation du couchage prévoit que mère et enfant dorment ensemble et que le père est écarté pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, de la couche commune, les rites d'initiation, véritable sommet de la formation pédagogique, sont particulièrement rigoureux. Tout se passe, dans ce cas, comme si les pères, au moment de la maturité physiologique de leurs fils, décidaient de les éloigner de l'influence de leur mère et d'affirmer leur autorité sur eux pour prévenir toute révolte, tout en les intégrant dans le monde masculin [Whiting, Kluckhohn et Anthony, 1958].

Culture, langue et langage[modifier]

Le lien étroit entre langue et culture a toujours nourri de nombreux commentaires. Herder, un des premiers à faire un usage systématique du mot « culture », fondait son interprétation de la pluralité des cultures sur une analyse de la diversité des langues [Herder, 1774]. Sapir s'efforcera d'élaborer une théorie des rapports entre culture et langage. Le chercheur doit non seulement considérer la langue comme un objet privilégié de l'anthropologie, car c'est un fait culturel à part entière, mais il doit aussi étudier la culture comme une langue. En opposition avec les conceptions substantialistes de la culture, il définissait celle-ci comme un ensemble de significations mises en œuvre dans les interactions individuelles. La culture est fondamentalement, selon lui, un système de communication [Sapir, 1921]. L'hypothèse dite « Sapir-Whorf » (le langage comme classificateur et organisateur de l'expérience sensible), que Sapir a nuancée en niant qu'il y ait une corrélation directe entre un modèle culturel et une structure linguistique, a orienté toute une série de recherches sur l'influence qu'exerce la langue sur le système de représentations d'un peuple. Langue et culture sont dans un rapport étroit d'interdépendance : la langue a, entre autres fonctions, celle de transmettre la culture, mais elle est elle-même marquée par la culture.

Lévi-Strauss, dont l'anthropologie structurale doit beaucoup à la méthode de l'analyse structurale en linguistique, a lui aussi souligné la complexité des rapports entre langage et culture :

« Le problème des rapports entre langage et culture est l'un des plus compliqués qui soit. On peut d'abord traiter le langage comme un produit de la culture : une langue en usage dans une société reflète la culture générale de la population. Mais, en un autre sens, le langage est une partie de la culture ; il constitue un de ses éléments, parmi d'autres [...]. Mais ce n'est pas tout : on peut aussi traiter le langage comme condition de la culture, et à un double titre ; diachronique, puisque c'est surtout au moyen du langage que l'individu acquiert la culture de son groupe ; on instruit, on éduque l'enfant par la parole ; on le gronde, on le flatte avec des mots. En se plaçant à un point de vue plus théorique, le langage apparaît aussi comme condition de la culture, dans la mesure où cette dernière possède une architecture similaire à celle du langage. L'une et l'autre s'édifient au moyen d'oppositions et de corrélations, autrement dit, de relations logiques. Si bien qu'on peut considérer le langage comme une fondation, destinée à recevoir les structures plus complexes parfois, mais de même type que les siennes, qui correspondent à la culture envisagée sous différents aspects » [1958, p. 78-79].

Bon nombre de recherches postérieures, bien que ne se réclamant pas du culturalisme et ne pouvant être confondues avec lui, se sont inspirées des travaux des anthropologues américains sur l'éducation. Jacqueline Rabain a montré, quant à elle, que l'éducation du jeune enfant wolof (Sénégal) privilégie le rapport à l'autre. Contrairement à ce qu'on observe dans les sociétés occidentales contemporaines, la pédagogie wolof s'efforce d'éviter la singularisation de l'enfant afin de favoriser son intégration sociale. C'est pourquoi on ne fait pas de compliments aux enfants, ni aux parents à propos de leurs enfants, ou on ne le fera que sous une forme inversée. Pour les Wolof, le compliment pourrait porter malheur, car il particularise, donc il marginalise. Les seules remarques admises à propos des enfants sont celles qui soulignent ce qui, dans leurs conduites, peut être « interprété comme des signes d'une intégration sociale en voie de réalisation » [Rabain, 1979, p. 141]. La pédagogie wolof est essentiellement une pédagogie de la communication. L'apprentissage de l'usage social, très codifié, de la parole est tout à la fois l'« apprentissage d'une grammaire des relations sociales » [ibid., p. 142]. En définitive, les acquisitions sociales comptent plus que les acquisitions techniques, dont l'apprentissage n'est pas systématisé, et que l'épanouissement « personnel » de l'enfant.

Avec les différents culturalismes, le concept de culture s'est considérablement enrichi. La culture n'apparaît plus comme un simple assemblage de traits dispersés, mais comme un ensemble organisé d'éléments interdépendants. Son organisation importe autant, sinon plus, que son contenu. Lévi-Strauss et l'analyse structurale de la culture

En France, l'anthropologie culturelle américaine n'a pas fait beaucoup d'adeptes. Cependant le thème de la totalité culturelle a été repris, quoique dans une perspective nouvelle, par Claude Lévi-Strauss, qui définit ainsi la culture :

Toute culture peut être considérée comme un ensemble de systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l'art, la science, la religion. Tous ces systèmes visent à exprimer certains aspects de la réalité physique et de la réalité sociale, et plus encore, les relations que ces deux types de réalité entretiennent entre eux et que les systèmes symboliques eux-mêmes entretiennent les uns avec les autres [1950, p. XIX].

Ce dernier connaissait bien les travaux de ses confrères américains. Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, de 1941 à 1947, il avait séjourné longuement aux États-Unis et s'était nourri des œuvres de l'anthropologie culturelle, notamment de celles de Boas, Kroeber et Benedict.

Lévi-Strauss va emprunter quatre idées essentielles à Ruth Benedict. Premièrement, les différentes cultures sont définies par un certain modèle (pattern). Deuxièmement, les types de cultures possibles existent en nombre limité. Troisièmement, l'étude des sociétés « primitives » est la meilleure méthode pour déterminer les combinaisons possibles entre les éléments culturels. Enfin, ces combinaisons peuvent être étudiées en elles-mêmes, indépendamment des individus appartenant au groupe pour qui elles demeurent inconscientes.

L'héritage de Benedict apparaît clairement dans les lignes qui suivent, extraites de Tristes tropiques :

L'ensemble des coutumes d'un peuple est toujours marqué par un style ; elles forment des systèmes. Je suis persuadé que ces systèmes n'existent pas en nombre illimité, et que les sociétés humaines comme les individus – dans leurs jeux, leurs rêves ou leurs délires – ne créent jamais de façon absolue, mais se bornent à choisir certaines combinaisons dans un répertoire idéal qu'il serait possible de reconstituer. En faisant l'inventaire de toutes les coutumes observées, de toutes celles imaginées dans les mythes, celles aussi évoquées dans les jeux des enfants et des adultes, les rêves des individus sains ou malades et les conduites psychopathologiques, on parviendrait à dresser une sorte de tableau périodique comme celui des éléments chimiques, où toutes les coutumes réelles ou simplement possibles apparaîtraient groupées en familles, et où nous n'aurions plus qu'à reconnaître celles que les sociétés ont effectivement adoptées [1955, p. 203].

Cependant, si la pensée de Lévi-Strauss hérite de celle des anthropologues culturels américains, elle s'en démarque en cherchant à dépasser l'approche particulariste des cultures. Lévi-Strauss, par-delà l'étude des variations culturelles, entend analyser l'invariabilité de la Culture. Pour lui, les cultures particulières ne peuvent être comprises sans référence à la Culture, « ce capital commun » de l'humanité dans lequel elles puisent pour élaborer leurs modèles spécifiques. Ce qu'il cherche à découvrir dans la variété des productions humaines, ce sont les catégories et les structures inconscientes de l'esprit humain.

L'ambition de l'anthropologie structurale de Lévi-Strauss est de repérer et de répertorier les « invariants », c'est-à-dire ces matériaux culturels toujours identiques d'une culture à une autre, forcément en nombre limité du fait de l'unité du psychisme humain. Au point précis où la Culture relaie la Nature, c'est-à-dire au niveau des conditions très générales de fonctionnement de la vie sociale, il est possible de trouver des règles universelles qui sont autant de principes indispensables de la vie en société. Il est dans la nature de l'homme de vivre en société, mais l'organisation de la vie en société relève de la Culture et implique l'élaboration de règles sociales. L'exemple le plus caractéristique de ces règles universelles qu'analyse le structuralisme est la prohibition de l'inceste qui a pour fondement la nécessité des échanges sociaux.

L'anthropologie structurale se donne pour tâche de retrouver ce qui est nécessaire à toute vie sociale, c'est-à-dire les universaux culturels, ou, pour dire les choses autrement, les a priori de toute société humaine. À partir de là, elle établit les structurations possibles, en nombre limité, des matériaux culturels, c'est-à-dire ce qui crée la diversité culturelle apparente, par-delà l'invariabilité des principes culturels fondamentaux. Pour présenter ce rapport entre l'universalité de « la » Culture et la particularité « des » cultures, Lévi-Strauss utilise la métaphore du jeu de cartes :

L'homme est pareil au joueur prenant en main, quand il s'attable, ces cartes que l'on n'a pas inventées, puisque le jeu de cartes est un donné de l'histoire et de la civilisation [...]. Chaque répartition des cartes résulte d'une distinction contingente entre les joueurs, et elle se fait à leur insu. Il y a des donnes qui sont subies, mais que chaque société comme chaque joueur interprète dans les termes de plusieurs systèmes, qui peuvent être communs ou particuliers : règles d'un jeu ou règles d'une tactique. Et l'on sait bien qu'avec la même donne, des joueurs différents ne fourniront pas la même partie, bien qu'ils ne puissent, contraints aussi par les règles, avec une donne quelconque, fournir n'importe quelle partie [1958].

L'anthropologie aura terminé sa mission quand elle aura réussi à décrire toutes les parties possibles, après avoir identifié les cartes et énoncé les règles en jeu. Ainsi, l'anthropologie structurale prétend remonter aux fondements universels de la Culture, là où s'opère la rupture avec la Nature. Culturalisme et sociologie : les notions de « sous-culture » et de « socialisation »

L'anthropologie culturelle va exercer une grande influence sur la sociologie américaine. La notion de culture sera très utilisée par bon nombre de sociologues américains qui s'appuieront sur les définitions qu'en donnent les anthropologues.

Avant même l'apparition du culturalisme proprement dit, les sociologues fondateurs de ce qu'on a appelé l'« école de Chicago » étaient très sensibles à la dimension culturelle des rapports sociaux, ce qui se comprend facilement quand on sait que leurs recherches portaient principalement sur les relations interethniques. Ils s'intéressaient déjà, comme William I. Thomas avec son étude fameuse sur Le Paysan polonais en Europe et en Amérique, publiée entre 1918 et 1920, à l'influence de la culture d'origine des immigrants sur l'insertion de ces derniers dans la société d'accueil. Ou, comme Robert E. Park, à la question de la confrontation simultanée de l'individu étranger à deux systèmes culturels parfois rivaux, celui de sa communauté d'appartenance et celui de la société d'accueil ; de cette confrontation naît l'« homme marginal » qui, selon la définition de Park, participe plus ou moins des deux systèmes [Cuche, 2009].

Le remarquable développement de l'anthropologie culturelle américaine dans les années 1930 aura un grand impact sur une partie de la sociologie. Le rapprochement entre sociologie et anthropologie amène la première à emprunter ses méthodes à la seconde et la seconde à emprunter ses terrains à la première. C'est ainsi que vont se multiplier aux États-Unis les études de « communautés » urbaines. Ces communautés, en général des villes petites ou moyennes, ou des quartiers, vont être abordées par les chercheurs de la même façon qu'un anthropologue aborde une communauté villageoise indigène. L'hypothèse étant que la communauté forme un microcosme représentatif de la société tout entière à laquelle elle appartient, qui permet d'appréhender la totalité de la culture de cette société [Herpin, 1973].

Les études de communautés avaient pour ambition, au départ, notamment chez Robert Lynd, de permettre de définir la culture américaine dans sa globalité, comme Ruth Benedict pouvait définir la culture des Indiens Pueblo, ou Margaret Mead celle des Arapesh. Mais les successeurs de Lynd s'attachèrent davantage à reconnaître et à étudier la diversité culturelle américaine qu'à rechercher les preuves de l'unité de la culture des États-Unis.

Ces travaux ont abouti à la création d'un concept qui va connaître un grand succès : le concept de « sous-culture » (le terme de « subculture » lui est parfois préféré pour éviter le contresens qui pourrait résulter de la confusion entre sous-culture et culture inférieure). La société américaine étant socialement très diversifiée, chaque groupe social participe d'une sous-culture particulière. On retrouve ici une idée déjà esquissée par Linton à travers la notion de « personnalité statutaire ». Les sociologues distinguent donc des sous-cultures selon les classes sociales, mais aussi selon les groupes ethniques. Certains auteurs parlent même de la sous-culture des délinquants, des homosexuels, des pauvres, des jeunes, etc. Dans les sociétés complexes, les différents groupes peuvent avoir des modes de penser et d'agir caractéristiques, tout en partageant la culture globale de la société qui, de toute façon, du fait même de l'hétérogénéité de la société, impose aux individus des modèles plus souples et moins contraignants que ceux des sociétés « primitives ».

Sur un autre plan, les phénomènes dits de « contre-culture » dans les sociétés modernes, comme par exemple le mouvement « hippie » dans les années 1960 et 1970, ne sont en fait qu'une forme de manipulation de la culture globale de référence à laquelle ils prétendent s'opposer : ils jouent sur son caractère problématique et hétérogène. Loin d'affaiblir le système culturel, ils contribuent à le renouveler et à développer sa dynamique propre. Un mouvement de « contre-culture » ne produit pas une culture alternative à la culture qu'il dénonce. Une contre-culture n'est jamais, en définitive, qu'une sous-culture.

Les sociologues se sont aussi interrogés sur la question de la continuité, à travers les générations, des cultures ou des sous-cultures spécifiques aux différents groupes sociaux. Pour répondre à cette question, certains ont recouru à la notion de « socialisation », entendue comme étant le processus d'intégration d'un individu à une société donnée ou à un groupe particulier par l'intériorisation des modes de penser, de sentir et d'agir, autrement dit des modèles culturels propres à cette société ou à ce groupe. Les recherches sur la socialisation, qui se font le plus souvent dans une perspective comparative (entre nations, entre classes sociales, entre sexes, etc.), portent sur les différents types d'apprentissage auxquels est soumis l'individu, par lesquels s'opère cette intériorisation, ainsi que sur les effets qu'ils entraînent sur le comportement.

Bien que le mot « socialisation » soit d'usage relativement récent – il n'est couramment utilisé qu'à partir de la fin des années 1930 –, il renvoie à une question fondamentale en sociologie : comment l'individu devient-il membre de sa société et comment est produite son identification à celle-ci ? Cette question est centrale dans l'œuvre de Durkheim, même s'il n'utilise pas le mot. Pour ce dernier, par l'éducation, chaque société transmet aux individus qui la composent l'ensemble des normes sociales et culturelles qui assurent la solidarité entre tous les membres de cette même société et qu'ils sont plus ou moins contraints de faire leurs.

Le sociologue américain Talcott Parsons s'est efforcé, pour sa part, de concilier les analyses de Durkheim et celles de Freud. Selon lui, dans le processus de socialisation, la famille, premier agent socialisateur, joue un rôle prépondérant. Mais le rôle de l'école et du groupe des pairs (camarades de classe et de jeu) n'est pas négligeable non plus. Il pense que la socialisation s'achève avec l'adolescence. Ou cette socialisation a été réussie, et l'individu sera bien adapté à la société ; ou elle a été un échec, et l'individu glissera vraisemblablement vers la délinquance. Plus la conformité aux normes et aux valeurs de la société intervient tôt dans son existence, plus elle conduit à une adaptation adéquate au « système social » [Parsons, 1954].

Ces conceptions de la socialisation postulent la primauté de la société sur l'individu. Elles supposent que la socialisation résulte d'une contrainte qu'exerce la société sur l'individu. Chez Parsons, la socialisation peut être comprise comme un véritable conditionnement. L'individu apparaît comme un être dépendant dont le comportement n'est que la reproduction des modèles acquis au cours de l'enfance. À la limite, comme l'ont fait remarquer certains commentateurs, la socialisation est conçue par Parsons comme une sorte de dressage.

En rupture avec ces analyses, d'autres sociologues mettent l'accent sur la relative autonomie de l'individu qui n'est pas déterminé une fois pour toutes par la socialisation vécue au cours de son enfance. Il a la capacité de tirer parti de situations nouvelles pour éventuellement modifier ses attitudes. Et, de toute façon, dans les sociétés contemporaines, les modèles culturels évoluent constamment et amènent les individus à réviser le modèle intériorisé dans l'enfance.

Peter L. Berger et Thomas Luckmann [(1966) 1986] distinguent « socialisation primaire » (au cours de l'enfance) et « socialisation secondaire », celle à laquelle l'individu est exposé toute sa vie adulte et qui n'est pas la simple reproduction des mécanismes de la première. Pour ces deux auteurs, la socialisation n'est jamais ni parfaitement réussie ni achevée. La socialisation secondaire peut être, dans certains cas, le prolongement de la première socialisation. Dans d'autres cas, au contraire, à la suite, par exemple, de divers « chocs biographiques », la socialisation secondaire opère une rupture avec la socialisation primaire. La socialisation professionnelle, évoquée directement par les deux chercheurs, est un des principaux aspects de cette socialisation secondaire. La socialisation apparaît donc comme un processus sans fin dans la vie d'un individu, qui peut connaître des phases de « désocialisation » (rupture avec le modèle d'intégration normative) et de « resocialisation » (sur la base d'un autre modèle intériorisé).

Par une autre approche, mais qui aboutit à des conclusions assez semblables, Robert K. Merton, à partir de la distinction qu'il faisait entre « groupe d'appartenance » et « groupe de référence », avait conçu la notion de « socialisation anticipatrice » pour désigner le processus par lequel un individu s'approprie et intériorise, par avance, les normes et les valeurs d'un groupe de référence auquel il n'appartient pas encore et souhaite s'intégrer [Merton, 1950]. Dominique Schnapper en fournira une illustration en montrant que les transformations profondes des pratiques culturelles des immigrés italiens en France ne peuvent s'expliquer pleinement qu'en tenant compte d'une socialisation anticipatrice en Italie, associée à d'autres facteurs de changement [Schnapper, 1974].

L'approche interactionniste de la culture[modifier]

Sapir fut sans doute un des premiers à avoir considéré la culture comme un système de communication interindividuelle, quand il précisait : « Le véritable lieu de la culture, ce sont les interactions individuelles. » Pour lui, une culture est un ensemble de significations que se communiquent les individus d'un groupe donné à travers ces interactions. Par là même, il prenait le contre-pied des conceptions substantialistes de la culture. Plutôt que de définir la culture par une essence supposée, il préconisait de s'attacher à analyser les processus d'élaboration de la culture [Sapir, 1949].

Plus tard, d'autres auteurs parfois qualifiés d'« interactionnistes », reprenant l'intuition de Sapir mais en la systématisant, insisteront sur la production de sens qu'engendrent les interactions entre individus.

Dans les années 1950 se développe aux États-Unis, en particulier autour de Gregory Bateson et de l'école de Palo Alto, un courant, dit « anthropologie de la communication », qui prend en compte aussi bien la communication non verbale que la communication verbale entre les individus. La communication n'est pas conçue comme une relation d'émetteur à récepteur, mais selon un modèle orchestral, autrement dit comme résultant d'un ensemble d'individus réunis pour jouer ensemble et se trouvant en situation d'interaction durable. Tous participent solidairement, mais chacun à sa manière, à l'exécution d'une partition invisible. La partition, c'est-à-dire la culture, n'existe que par le jeu interactif des individus. Tout l'effort des anthropologues de la communication consiste à analyser les processus d'interaction qui produisent des systèmes culturels d'échange.

Il ne suffit pas cependant de décrire ces interactions et leurs effets. Il faut aussi tenir compte du « contexte » des interactions. Chaque contexte impose ses règles et ses conventions, suppose des attentes particulières chez les individus. La pluralité des contextes d'interaction explique le caractère pluriel et instable de toute culture et aussi les comportements apparemment contradictoires d'un même individu, qui n'est pas nécessairement en contradiction (psychologique) avec lui-même pour autant. Par cette approche, il devient possible de penser l'hétérogénéité d'une culture au lieu de s'évertuer à trouver une homogénéité illusoire.

L'approche interactionniste conduit à remettre en question la valeur heuristique du concept de « sous-culture », ou plus exactement de la distinction « culture »/« sous-culture ». Si la culture naît des interactions entre individus et entre groupes d'individus, il est erroné d'envisager la sous-culture comme une variante dérivée de la culture globale qui lui préexisterait. Les concepts de culture et de sous-culture ont été élaborés selon une logique de la subdivision hiérarchisée de l'univers culturel à la façon dont les biologistes pensent l'évolution du monde vivant en espèces et en sous-espèces. Or, dans la construction culturelle, ce qui est premier, c'est la culture du groupe, la culture locale, la culture qui lie des individus en interaction immédiate les uns avec les autres, et non la culture globale de la collectivité la plus large. Ce qu'on appelle « culture globale » est ce qui résulte de la relation des groupes sociaux qui sont au contact les uns des autres et donc de la mise en relation de leurs cultures propres. Dans cette perspective, la culture globale se situe en quelque sorte à l'intersection des prétendues « sous-cultures » d'un même ensemble social, qui fonctionnent elles-mêmes comme des cultures à part entière, c'est-à-dire comme des systèmes de valeurs, de représentations et de comportements qui permettent à chaque groupe de s'identifier, de se repérer et d'agir dans l'espace social environnant. Pour les interactionnistes, le terme de « sous-culture » est donc inapproprié.