Covid-19 : le serpent dans le jardin d’Eden de la globalisation
Covid-19 : le serpent dans le jardin d’Eden de la globalisation
On a longtemps considéré que la globalisation était un processus inexorable. Les nations entraient en nombre croissant dans l’orbite de l’économie mondialisée, construite sur le libre-échange. Mais les crises ont tendance à casser les trajectoires dessinées par l’homme.
Harrison Pitt, dans le magazine en ligne Areo (voir en lien ci-dessous), rappelle que la période de la « Belle Epoque » était, elle aussi, pleine de certitudes sur le progrès scientifique et le commerce mondial. En 1919, l ’économiste John Maynard Keynes décrivait comment les riches Londoniens pouvaient, avant la guerre, commander de chez eux les mets les plus exotiques… Amazon et Deliveroo ont donc des ancêtres ! En 1913, la part de l’exportation de biens dans la richesse mondiale atteignait un record historique avec 13,9%.
Le cataclysme de la Première Guerre Mondiale et l’épidémie de grippe « espagnole » n’ont pas seulement cassé une dynamique de croissance. Le contrôle des états autarciques sur l’économie est devenu la norme. Même le Royaume-Uni a tourné le dos au libre-échange ! Les taux d’imposition ont entamé une croissance sans précédent dans les pays industrialisés. En France, le poids des impôts dans le revenu national est passé de 10% avant-guerre à 20% après-guerre. La grande dépression de 1929 et la 2ème guerre mondiale ont suivi. En 1945, le commerce international ne représentait que 4,16% de la richesse mondiale et il n’atteindra pas le niveau de 1913 avant 1974.
L’épidémie de la Covid-19 pourrait-elle entraîner des conséquences similaires à long terme ? La gravité de la crise sanitaire actuelle n’est pas comparable à celle de la grippe « espagnole » (estimée entre 5 et 10 fois plus mortelle que le virus du SARS-Cov2). Pourtant, les réponses économiques à la crise sanitaire indiquent depuis décembre 2019 un revirement brutal qui rappelle la réaction des politiques étatiques à partir de 1919.
Des décennies de globalisation et de libre-échange, avec « la fin de l’Histoire », semblaient devoir durer 1 000 ans… La pandémie a transformé le monde en une mêlée féroce pour acquérir des masques, des tests, puis des vaccins. En temps de crise, l’auto-suffisance prend le pas sur l’interdépendance. Pitt Harrison cite l’exemple britannique : 67% des masques sont actuellement fabriqués au Royaume-Uni contre 1% avant 2020. De tels revirements ne sont pas déraisonnables face à une crise car on attend des gouvernements des réponses rapides et pragmatiques. Remettre en cause le fonctionnement du commerce international pourrait aussi aider à mieux respecter les ressources de la planète, gage d’une croissance plus solide à long-terme.
Cependant, ce qui s’est passé il y a près d’un siècle devrait nous alerter sur les risques d’un virage trop brusque. Les gouvernements des pays industrialisés semblent déjà vouloir conserver des mesures d’urgence, même après que les populations auront appris à vivre avec le virus : maintien de restrictions sur la circulation des personnes et subventions massives pour soutenir l’économie locale. Par exemple, le gouvernement britannique envisage la création d’une firme de télécommunications à même de concurrencer le géant chinois Huawei. La facture sera lourde pour le contribuable outre-Manche. D’autres secteurs pourraient suivre les domaines privilégiés de la santé et de la défense… Aux États-Unis, la crise n’a fait que renforcer la volonté de réduire l’influence de la Chine sur l’économie. L’administration Biden va encore plus loin que ce qui avait été initié sous la présidence Trump. En juin dernier, le Sénat a largement voté la promulgation de deux lois. La première débloque un budget de 250 milliards de dollars pour soutenir la recherche et le développement dans le domaine de l’intelligence artificielle. La seconde interdit tout investissement américain dans pas moins de 59 sociétés chinoises. On allie donc soutien à l’économique domestique à une stratégie de tension.
La lutte contre l’épidémie de la Covid-19 a mécaniquement accru le pouvoir étatique alors que les libertés de mouvement ont été réduites. Keynes notait en 1919 que la prospérité et la paix qu’offrait le libre-échange étaient fragiles, à la merci de « politiques militaristes et impérialistes ». Un autre économiste, Friedrich Hayek a prévenu en 1944 (dans « La route de la servitude ») que la prise de contrôle des États sur l’économie, naturelle en temps de crise, avait tendance à se prolonger. Il s’est prononcé alors, en vain, contre l’augmentation des taxes et la création de monopoles nationalisés. Les investissements consentis devaient être, selon lui, dévolus à la création et à l’innovation, non pas limités à des mesures défensives.
La crise sanitaire a permis d’ouvrir les yeux sur les excès de la globalisation. Un autre écueil menace, conclut Harrison Pitt. Le contrôle des États sur l’économie, à coups de subventions et de déficits massifs, combiné à l’installation sur la durée de passes sanitaires, pourrait paver une autre « route de la servitude ».
Ludovic Lavaucelle