EU: BOUDON Raymond

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BOUDON RAYMOND (1934-2013)

Écrit par : Claude JAVEAU : professeur à l'Université libre de Bruxelles

Né à Paris en 1934, normalien agrégé de philosophie en 1958, nommé professeur de sociologie à la Sorbonne (Paris-IV) en 1967, membre de l'Institut en 1990, Raymond Boudon a aussi enseigné régulièrement à l'université de Genève et connu une riche carrière internationale, enseignant notamment à Harvard, Chicago et Oxford.

Il a commencé par se faire le partisan d'une position « scientifique » en sociologie en théorisant l'approche quantitative, dans la foulée de Paul Lazarsfeld. Il s'est ainsi attaché à préciser la place des outils mathématiques dans l'analyse des faits sociaux. Boudon s'est ensuite éloigné de cette position assez rigide pour défendre et illustrer un paradigme d'inspiration néopositiviste qu'il appellera, à la suite de Joseph Schumpeter, l'« individualisme méthodologique ». Celui-ci repose sur l'ambition de « retrouver des structures générales à partir de l'analyse des phénomènes particuliers », au départ de ce qu'il appellera des « effets de composition » dans lesquels les individus investissent une rationalité incomplète, leur capacité d'information et de décision étant limitée par les positions qu'ils occupent par rapport à d'autres individus. L'individualisme méthodologique s'oppose au holisme durkheimien (et aussi marxiste), pour lequel la totalité sociale rend compte de et détermine les comportements des parties, en l'occurrence les individus. Cette logique du social ne peut ignorer les conséquences non intentionnelles des actions agrégées, ce que Max Weber avait appelé « paradoxe des conséquences » et que Boudon rebaptisera « effets pervers ». L'individualisme méthodologique postule que, pour les sociologues, étudier la société consiste non seulement à étudier les individus (ce qui est évident), mais aussi que l'explication des phénomènes qu'ils abordent – classes sociales, pouvoir, système éducatif, famine, etc. – réside dans des caractéristiques individuelles, notamment psychologiques. Le débat au sujet de l'individualisme méthodologique reflète une certaine tension concernant la relation entre l'individu et la société. Actuellement, cette tension est fréquemment analysée en termes de « structure » et d'« agent » (agency), à l'exemple de la théorie de la structuration chez Anthony Giddens ou d'autres versions du constructionnisme (théories de la construction sociale de la réalité). Contre le sociologisme et le culturalisme

La position théorique de Boudon, illustrée par de nombreux ouvrages, s'oppose notamment au sociologisme, illustré principalement par Pierre Bourdieu, ainsi qu'au culturalisme, dont Clifford Geertz est le représentant dominant. Boudon dénonce dans le premier de ces travers le poids exagéré accordé au « social », investi du pouvoir de déterminer toutes les actions individuelles. Les individus seraient manipulés par les institutions et les structures au profit de la classe dominante, selon une vulgate marxisante qui a été largement répandue dans les années 1970. Dans le second travers, le déterminisme est accordé aux traits culturels transmis par des traditions, ce qui entraînerait une méconnaissance des phénomènes de pouvoir. Pour Boudon, l'objet de la sociologie est d'élaborer des théories qui, par l'analyse des systèmes d'interactions, doivent permettre de rendre compte des actions, tant logiques que non logiques, des individus. Cette sociologie est, dans la lignée de Weber, de nature compréhensive et doit donc reposer sur une prise en compte des motivations des individus observés, ce qui implique la possibilité pour l'observateur de se substituer à lui dans un contexte connu de ce dernier. Une sociologie d'inspiration libérale

Boudon est considéré généralement comme occupant une position assez marginale dans la sociologie française, celle d'un théoricien d'une position libérale. Il a insisté sur la notion d'homo sociologicus, agent intentionnel doté d'une certaine autonomie, à l'opposé de la conception de l'agent social comme sujet passif. Il a combattu aussi diverses formes de relativisme, au nom de la possibilité de respecter une certaine objectivité dans les études sociologiques. Certains de ses critiques n'ont toutefois pas manqué de souligner que sa sociologie restait empreinte de déterminisme, et qu'elle était également teintée de structuralisme, ce qui le rapprocherait davantage d'un Bourdieu qu'il n'apparaît à première vue.

Bibliographie[modifier]

R. Boudon, Les Méthodes en sociologie, P.U.F., Paris, 1969 ; Les mathématiques en sociologie, ibid., 1971 ; Effets pervers et ordre social, ibid., 1977 ; La Logique du social, Hachette Littérature, Paris, 1979 ; La Place du désordre, P.U.F., 1984 ; L'Inégalité des chances, Armand Colin, Paris, 1973 ; Le Sens des valeurs, P.U.F., 1999 ; Pourquoi les intellectuels n'aiment pas le libéralisme, Odile Jacob, Paris, 2004 ; Tocqueville aujourd'hui, ibid., 2005 ; Renouveler la démocratie : éloge du sens commun, ibid., 2006 ; Essais sur la théorie générale de la rationalité : action sociale et sens commun, P.U.F., 2007 ; Le Relativisme, ibid., 2008 ; La Rationalité, ibid., 2009 ; Le Juste et le Vrai : études sur l’objectivité des valeurs et de la connaissance, Hachette Littératures, 2009 ; La Sociologie comme science, La Découverte, Paris, 2010 ; Croire et savoir : penser le politique, le moral et le religieux, P.U.F., 2012.

R. Boudon & F. Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, P.U.F., 1982.

Claude JAVEAU, « BOUDON RAYMOND - (1934-2013) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 17 octobre 2018. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/raymond-boudon/