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COGNITION

Écrit par

Raymond CAMPAN : professeur honoraire à l'université Paul-Sabatier, Toulouse
Chrystel BESCHE-RICHARD : professeur de psychologie à l'université de Reims-Champagne-Ardenne

La cognition désigne le processus par lequel des systèmes naturels (humains et animaux) ou artificiels (ordinateurs) acquièrent des informations sur leur monde, en construisent des représentations, les transforment en connaissances par des opérations spécifiques, puis les mettent en œuvre dans des activités, des comportements ou des fonctionnements.



L'héritage antique[modifier]


En des termes différents, fondés sur l'observation et la réflexion, les discours des auteurs de l'Antiquité sur la pensée, la logique, la démonstration, la construction de la connaissance et de la science témoignent des premiers efforts dans ce domaine. Les hommes et les animaux ont en commun la sensation, la mémoire, le courage, l'appétit, le désir, le plaisir et la douleur, les traits de caractère (paisible, agressif, curieux, etc.) et sont capables d'intentions et de raisonnements. La mémoire combine toutes les expériences sensorielles et l'imagination les transforme en souvenirs imagés qui permettent à l'individu de se représenter des objets absents. Les exercices conservent la mémoire par la répétition. Si les animaux ont la faculté d'émettre des signaux et de chanter en articulant, seul l'homme a un langage et est capable de délibération.
À la Renaissance, la mécanique galiléenne, la pratique expérimentale et les nouvelles connaissances sur le corps humain préparent les révisions philosophiques du xviie siècle. Le mouvement mécanique mime celui des corps vivants qui sont des systèmes de rouages à l'image des automates. Le cerveau (matière) est le siège de l'esprit mais participe à la machine, comme un relais entre les sensations et les mouvements. La suite de la généalogie du concept moderne de cognition est fondée sur le dualisme esprit-matière, l'absence de conscience animale puis l'opposition entre les êtres-machines et les êtres émotifs et pensants. La philosophie continue de s'intéresser à la pensée, à la conscience et à la raison, mais les philosophes se partagent entre une conception mécaniste du cerveau – où sont inscrits des instincts rigides, innés et prédéterminés, qui dominent l'animal – et une autre qui laisse une part variable à l'apprentissage, l'expérience, l'intelligence puis à la conscience et la raison humaines. Les encyclopédies naturalistes des mœurs animales s'émerveillent de l'instinct, fait d'automatismes, poussé à la perfection dans les sociétés d'insectes. L'intelligence, surtout chez les animaux domestiques, s'exerce à des degrés divers selon les nécessités et les capacités de chaque espèce. Le système nerveux, machine à réflexes innés entre sensation et mouvement, est aussi capable de percevoir des idées, de fixer des habitudes et de nouveaux mouvements automatiques. Les progrès de la chirurgie traumatique permettent la localisation des fonctions dans le cerveau.


Théorie de l'évolution et fondation de la psychologie[modifier]


L'avènement des théories évolutionnistes au xixe siècle place l'homme dans une généalogie où les animaux l'ont précédé, le faisant descendre directement du singe. Cela justifie la fondation d'une psychologie qui compare les différents niveaux de l'évolution mentale animale jusqu'à l'homme. L'expérimentation donne un contenu plus précis aux processus en cause dans l'apprentissage et la résolution de problèmes. Lorsque la psychologie scientifique se détache de la philosophie, vers la fin du xixe siècle, l'expérimentation remplace progressivement l'introspection dans l'exploration scientifique de l'esprit et de la vie mentale, de l'apprentissage et de la mémoire. La psychophysique mesure les performances sensorielles pour établir des lois et la psychologie devient expérimentale. Toutefois, le behaviorisme, courant psychologique qui se développe au début du xxe siècle, rejette l'introspection et l'étude des processus mentaux, car un phénomène doit être expliqué par des données empiriques vérifiables et reproductibles. Il se limite à la recherche des lois reliant les stimulations et les réponses comportementales avant de réintroduire des processus non observables tels que la formation de concepts. Mais, enfermé dans son dogmatisme, le behaviorisme est progressivement abandonné au profit de théories plus mentalistes, fondées sur l'expérimentation.
Dans le premier tiers du xxe siècle, les expériences sur la discrimination des formes visuelles, l'apprentissage spatial chez les rats, les détours de locomotion ou l'emploi d'outils chez les singes ne peuvent être expliqués que par des capacités de représentation (cartes cognitives), de catégorisation d'objets, d'abstraction et de raisonnement au service de comportements intentionnels destinés à satisfaire les attentes de l'animal. L'éthologie naissante fait appel à des représentations, innées ou construites, des signaux de reconnaissance des objets fonctionnels et des congénères dans l'univers subjectif des animaux.


Intelligence artificielle et sciences cognitives[modifier]


Vers le milieu du xxe siècle, l'invention des premiers ordinateurs programmables et la cybernétique amènent à considérer ensemble le cerveau, l'esprit et la machine. L'intelligence artificielle offre des outils conceptuels, des méthodes et des machines à des disciplines très différentes. Si les neurosciences, la psychologie, la linguistique ou la philosophie participent naturellement à cette approche, l'attribution de compétences cognitives aux animaux génère encore des résistances. Les défenseurs de la cognition animale s'appuient sur les capacités des singes à raisonner, à se représenter et à concevoir des procédures pour résoudre des problèmes. Mais leur incapacité à apprendre un langage oppose les psychologues de l'animal et les linguistes qui rejettent l'idée d'une cognition qui ne serait pas associée à un véritable langage, freinant ainsi le développement d'une éthologie cognitive.
À la fin du xxe siècle, les sciences cognitives s'organisent en structures plurisciplinaires qui regroupent la philosophie (logique), la psychologie, l'anthropologie, la linguistique, l'intelligence artificielle et les neurosciences. Les recherches sur la cognition se développent de façon très importante mais l'idée de l'appliquer à l'animal reste controversée. L'accroissement des compétences et de la puissance des ordinateurs permet de modéliser et de simuler des opérations naturelles inspirées des modèles biologiques, indifféremment animaux et humains, révélés par la neurophysiologie et l'éthologie. Le succès des sciences cognitives de l'artificiel brise finalement les dernières barrières autorisant les zoopsychologues et les éthologistes à parler librement de cognition animale. Les expérimentations sur les opérations mentales des animaux profitent du développement technologique et y contribuent. On raisonne maintenant en termes de processus dont les neurosciences recherchent les mécanismes sous-jacents dans les systèmes nerveux qui traitent des informations.
La notion de cognition est aujourd'hui au carrefour entre sciences humaines, informatique et biologie. Elle réunit les neurosciences et les sciences du comportement (neuropsychologie, psychophysique, psychologie, éthologie), la sociologie et la psychologie sociale, la linguistique et les sciences de l'artificiel (intelligence artificielle, modélisation et robotique), dans le cadre coopératif des sciences cognitives.
Du latin cognitio, qui signifie l'acte d'apprendre, la cognition désigne plus spécifiquement en langage scientifique ce que nous nommons habituellement par le terme « pensée ». La cognition se compose ainsi de représentations mentales, de perceptions, de souvenirs, d'images, de croyances et intéresse un grand nombre de disciplines dont le point commun est d'en décrypter le fonctionnement. Sous le nom de sciences de la cognition ou sciences cognitives sont réunies des disciplines telles que la psychologie, les neurosciences, l'intelligence artificielle, la philosophie de l'esprit, l'anthropologie, l'éthologie, ce qui marque le caractère pluridisciplinaire de cette approche.
Rompant avec la tradition behavioriste ou comportementale, qui interprète les comportements comme de simples réponses conditionnées à des stimuli, les sciences de la cognition vont, au contraire, s'intéresser aux événements internes survenant entre le stimulus et la réponse. La nouvelle ère de la cognition a donc ouvert la « boîte noire » à laquelle la psychologie comportementale refusait de s'intéresser. Analyser les phénomènes internes de « traitement de l'information » qui opèrent entre la venue d'un stimulus et la réponse produite par l'individu n'inscrit pas pour autant l'étude de la cognition dans le champ de la subjectivité. Cette prospection consiste à décomposer, à partir de situations expérimentales standardisées, les processus cognitifs à l'œuvre. La psychologie cognitive postule que les mécanismes identifiés dans ces circonstances sont aussi ceux qui participent à notre connaissance quotidienne mise en place dans des situations écologiques. L'intérêt des situations expérimentales utilisées pour étudier la cognition est de pouvoir isoler la participation de différents processus cognitifs. C'est ainsi qu'en examinant la cognition, nous allons identifier les mécanismes mentaux à l'œuvre dans les domaines suivants : perception, attention, langage, mémoire, raisonnement, apprentissage, communication.


Réaction réfléchie et automatique[modifier]


Sommes-nous toujours conscients des « raisons » qui nous conduisent à produire telle réponse à une situation ou, à l'inverse, notre système cognitif ne peut-il pas, à certains moments, décider à notre insu de répondre aux sollicitations extérieures sur la base du stock de connaissances acquis et des expériences antérieures ? La question qui concerne ici la nature consciente et inconsciente de notre cognition fut rapidement posée par les pionniers des sciences cognitives plus souvent sous la forme d'une opposition fonctionnelle entre deux types de processus : automatiques et contrôlés, permettant ainsi de mieux différencier la conception cognitive de la conception psychanalytique. Au sein des théories de la cognition, les processus automatiques sont définis comme des mécanismes intervenant très précocement lors du traitement de l'information ; ils sont peu exigeants sur le plan de l'énergie cognitive et s'établissent sans intention ni conscience de la part de l'individu qui ne peut pas les réprimer. À l'inverse, les processus contrôlés interviennent dans des délais plus longs, ils sont dispendieux en énergie cognitive et leur contenu accède généralement à la conscience du sujet. Cette dichotomie, bien que rudimentaire, dessine à grands traits le fonctionnement de la pensée. Les phénomènes de perception subliminale ou de mémoire implicite rendent bien compte du caractère non intentionnel, inconscient ou automatique de notre cognition. En effet, très tôt, des études ont mis en évidence que nous étions capables de percevoir ou d'utiliser notre mémoire sans avoir conscience de réaliser un acte mental de cette nature. Notre cognition, et notamment notre mémoire, est capable, à notre insu, d'utiliser des informations préalablement engrangées dans notre stock de connaissances et qui vont ultérieurement biaiser notre traitement de l'information sans que nous en prenions conscience. C'est ce qui a été démontré expérimentalement en 1985 par P. Graf et D. Schacter sur des patients amnésiques : ceux-ci ont, malgré la nature de leurs troubles, une forme de mémoire performante que l'on nomme « mémoire implicite ». En effet, de nombreuses études ont montré que ces patients augmentaient leurs performances mnésiques au cours de tests ne sollicitant pas explicitement l'utilisation de leur mémoire, durant lesquels les individus sains et amnésiques ont implicitement et automatiquement utilisé les informations que les expérimentateurs leur avaient préalablement présentées au cours de la période d'apprentissage. Si, au moment de cette phase d'étude ou d'apprentissage, on propose à l'individu les mots « myrtille » et « figue », la probabilité pour que, dans une seconde étape du test, ils produisent ces mêmes termes en réponse à l'indice « fruits » est très élevée alors que ces mots ne sont pourtant pas des exemplaires prototypiques de cette catégorie sémantique, contrairement aux vocables « pomme » ou « poire ». C'est le phénomène de mémoire implicite, dont on a montré la résistance aux pathologies neuropsychologiques et psychiatriques (amnésies, schizophrénies, troubles dépressifs), alors que la mémoire explicite, c'est-à-dire la mémoire consciente nécessitant la mise en place de stratégies de recherche active en mémoire et la survenue d'un souvenir, est altérée par ces mêmes troubles.


Le cerveau au travail[modifier]


L'autre question essentielle posée avec de plus en plus d'acuité par l'étude de la cognition concerne la connaissance des mécanismes cérébraux qui sous-tendent les activités cognitives. Les avancées technologiques dans le domaine de l'imagerie cérébrale participent activement à ce champ d'étude. Inscrivant alors l'observation de la cognition au sein des neurosciences cognitives, les recherches ont pour but d'améliorer les connaissances sur le fonctionnement du cerveau. Le moyen le plus direct d'étudier le « cerveau au travail » est d'utiliser des procédés plus ou moins invasifs nous montrant les modifications de l'activité cérébrale en fonction des activités cognitives réalisées. Ces techniques se composent de l'imagerie par résonance magnétique (I.R.M.), la tomographie par émission de positons (T.E.P.) pour ce qui concerne celles permettant une visualisation des différentes structures cérébrales, et l'électroencéphalographie (E.E.G.) sous la forme plus particulière des potentiels évoqués cognitifs (P.E.C.) pour ce qui concerne le recueil de l'activité électrique cérébrale. L'utilisation de ces techniques en parallèle de la réalisation de mouvements cognitifs spécifiques permet de contribuer à mieux connaître les circuits neuraux impliqués dans des activités cognitives aussi complexes que la compréhension du langage, la reconnaissance des émotions ou encore celle des règles sociales.
Les sciences de la cognition trouvent, depuis plusieurs années, des applications dans le champ de la psychopathologie et concernent ainsi l'étude des désordres cognitifs chez des patients souffrant de troubles tels que les états schizophréniques, les troubles dépressifs ou l'autisme, ce qui en constitue une voie d'étude et d'application importante.


Bibliographie[modifier]


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Raymond CAMPAN, Chrystel BESCHE-RICHARD, « COGNITION », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 19 octobre 2018. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/cognition/