EU: Masse
MASSE, physique
AuteursC071903
- Jean-Marc LÉVY-LEBLOND : professeur émérite à l'université de Nice
- Bernard PIRE : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau
Sommaire
Échelle des masses dans l'Univers[modifier]
La masse d'un corps est une notion théorique correspondant à l'idée intuitive de « quantité de matière » contenue dans le corps. Elle se manifeste d'abord par la force de gravitation qui s'exerce universellement entre corps massifs. Cette « masse pesante » est directement liée au poids d'un corps et mesure l'action de la pesanteur sur celui-ci. La masse, par ailleurs, caractérise la résistance d'un corps à la modification de son mouvement : c'est le coefficient d'inertie, ou « masse inertielle », du corps. Dans ces deux acceptions, la masse est additive selon la mécanique newtonienne. Einstein a montré en 1905 que cette propriété n'était qu'approximative : la masse d'un corps mesure son énergie interne (relation d'Einstein, E0 = mc2).
Masse et pesanteur[modifier]
Au départ, la notion de masse vise à caractériser la « quantité de matière » contenue dans un objet physique. Cette grandeur se révèle d'abord à nos sens par l'intermédiaire du poids de l'objet : la force de pesanteur qu'exerce la Terre est de toute évidence d'autant plus grande que l'objet contient plus de matière. La pratique courante tend ainsi à assimiler masse et poids, à mesurer la première par le second. Cependant, une étude plus attentive révèle que le poids d'un objet (la force de pesanteur qui s'exerce sur lui) n'est pas constant à la surface de la Terre et varie avec la latitude et l'altitude (0,2 p. 100 de plus à l'équateur, et 0,15 p. 100 de moins au sommet du mont Blanc qu'à Paris). La masse, par contre, pour pouvoir caractériser la quantité de matière de l'objet considéré en tant que tel, doit lui être intrinsèque et ne pas dépendre des conditions extérieures. Or, si le poids d'un objet varie de place en place, on constate que le rapport des poids de deux objets donnés est indépendant du lieu et des autres conditions extérieures. On est donc amené à définir le rapport des masses m1 et m2 de deux objets comme égal au rapport constant de leurs poids P1 et P2 : m2/m1 = P2/P1. Il suffit alors de définir, arbitrairement, une masse unité pour mesurer une masse quelconque par la comparaison des poids correspondants.
La masse unité conventionnelle est aujourd'hui le « kilogramme international », défini par un étalon en platine iridié conservé au Bureau international des poids et mesures, à Sèvres. Cette masse correspond à peu près à celle d'un litre d'eau ; c'était la définition initiale du kilogramme adoptée par la Convention en 1793, mais elle est insuffisamment précise pour la métrologie moderne. Il est probable qu'une nouvelle définition, fondée sur les masses d'objets atomiques, sera donnée dans l'avenir au kilogramme, comme cela a été le cas pour le mètre et la seconde.
La notion de masse ainsi définie est additive. Cette propriété essentielle est conforme à l'idée intuitive de quantité de matière : la masse (quantité de matière) d'un système composé de deux objets est la somme des masses (quantités de matière) de chaque objet. C'est d'ailleurs cette additivité qui permet la procédure usuelle de mesure d'une masse à la balance par comparaison avec la masse cumulée d'un ensemble choisi de poids standards.
Ainsi le poids P d'un objet est-il le produit de sa masse m, caractéristique intrinsèque de l'objet, par une grandeur g qui décrit le champ de pesanteur en chaque point : P = mg. C'est la variation du champ de pesanteur selon le lieu qui explique les variations du poids. Sur la Lune, la pesanteur est six fois moindre que sur la Terre ; les bonds télévisés des astronautes ont illustré cette diminution de poids, mais sans changement de masse (perdre du poids n'est donc pas si difficile, c'est pour perdre de la masse qu'il faut suivre un régime). Le champ de pesanteur lui-même, et c'est là encore une contribution majeure de Newton, est engendré par les masses des corps autres que celui sur lequel il agit. Ainsi, dans le cas le plus simple, deux masses ponctuelles m1 et m2 s'attirent-elles avec une force f : où d est la distance qui les sépare, la fameuse loi de l'« inverse carré », et G une constante universelle : la constante de Newton, ou constante de la gravitation. C'est la loi fondamentale de l'« attraction universelle » de Newton.
On peut la comprendre en considérant que la masse m1 engendre un champ gravitationnel qui agit sur la masse m2, et réciproquement. La similarité de la loi de Newton avec la loi de Coulomb qui décrit les forces entre charges électriques amène à penser les masses comme des « charges gravitationnelles », au sens général de la notion de charge en physique d'aujourd'hui : grandeur qui caractérise à la fois un certain champ de force engendré par un corps (rôle actif) et la réponse de ce corps aux champs de force similaires engendrés par d'autres (rôle passif).
Masse et inertie[modifier]
Il existe une autre caractérisation de la masse d'un corps à partir de son comportement dynamique. L'expérience courante l'indique aussi bien : plus la masse (quantité de matière) d'un objet est grande, plus il est difficile de le mettre en mouvement ou de l'arrêter, autrement dit, de modifier son état de mouvement. Le principe de l'inertie, ébauché par Galilée, puis par Descartes, et énoncé par Newton, indique qu'un corps sur lequel n'agit aucune force poursuit un mouvement uniforme (rectiligne, à vitesse constante). Une force donnée F modifiera la vitesse en grandeur et/ou en direction, c'est-à-dire provoquera une accélération γ du corps d'autant plus grande que la masse du corps sera plus faible. La loi fondamentale de la dynamique, due encore à Newton, s'écrit : γ = F/m. Elle traduit parfaitement le rôle de la masse comme coefficient inertiel, caractérisant la résistance du corps au changement de son état de mouvement. Dans cette nouvelle acception, la masse reste une propriété additive, comme on le déduit aisément de l'additivité des forces. Cette conception de la masse est beaucoup plus générale que la précédente ; au lieu de se présenter comme une grandeur liée à un phénomène physique particulier, la pesanteur, elle se définit par la réponse d'un corps à une force absolument quelconque, qui peut être aussi bien de nature électrique, magnétique, etc., que gravitationnelle. On peut donc légitimement distinguer a priori pour chaque corps deux masses, la masse inerte mi qui intervient dans la loi (générale) de Newton, F = miγ, et la masse pesante mp qui caractérise la force gravitationnelle (ou poids), P = mpg, agissant sur le corps dans un champ de pesanteur g.
Les observations et les expériences confirment que, pour tous les corps sans exception, le rapport mp/mi est le même, ce qui permet, moyennant un choix naturel d'unités, d'identifier mp et mi, donnant ainsi une valeur commune (la masse) à la masse inerte et à la masse pesante. Le principe de ces vérifications est simple : si la force agissant sur le corps est la pesanteur (F = P), l'équation de Newton s'écrit : γ = P/mi = (mp/mi)g. L'accélération, donc la vitesse et la trajectoire du corps dans un champ de pesanteur donné, dépend ainsi du rapport mp/mi. Or l'on constate que tous les corps ont même mouvement dans un champ de pesanteur donné. La chute des corps à la surface de la Terre en offre l'exemple élémentaire : un gravier de 10 grammes et un rocher de 10 tonnes tombent avec la même accélération g, l'« accélération de la pesanteur » ; si la force qui s'exerce sur le second est un million de fois plus forte que sur le premier, son inertie est également un million de fois supérieure (il est un million de fois plus difficile à accélérer), et il y a exacte compensation. De même, la période d'oscillation d'un pendule (de longueur donnée) est-elle indépendante de sa masse, comme la période de révolution d'un satellite (d'orbite donnée). Des mesures très précises, d'abord effectuées par le physicien hongrois Loránd Eötvös (1890) et, plus récemment, par l'Américain R. H. Dicke vers 1960, ont confirmé l'universalité du rapport mp/mi pour de très nombreux corps, avec une précision qui atteint aujourd'hui 10–11.
Cette concordance entre deux grandeurs de natures très différentes, une charge gravitationnelle et un coefficient inertiel, n'a pas d'explication naturelle dans le cadre de la physique classique. Sa conséquence essentielle, l'identité des mouvements de différents corps sous l'action d'un champ gravitationnel, a servi de point de départ à Einstein pour construire sa théorie de la gravitation, dite relativité générale, sous forme géométrique : c'est en effet l'indépendance du mouvement gravitationnel d'un corps par rapport à sa propre masse qui permet de considérer ce mouvement comme dû à la seule structure de l'espace-temps.
Dans la théorie d'Einstein, la masse inerte et la masse pesante (passive), identifiées a priori, disparaissent en quelque sorte : les équations de mouvement déterminent des trajectoires dans un espace-temps courbe en vertu de critères purement géométriques – ce sont les « géodésiques » de l'espace-temps. Il reste que la structure même de cet espace-temps courbe est déterminée par les masses pesantes (actives) des corps physiques.
Masse et énergie[modifier]
Au début du siècle, Einstein a montré la nécessité de modifier les conceptions de la mécanique newtonienne en remplaçant les notions classiques d'espace et de temps par des notions plus élaborées et plus intriquées. On sait qu'un aspect majeur de ces nouvelles notions est l'existence pour tous les corps matériels d'une vitesse limite c, qui coïncide avec la vitesse de la lumière. Cela implique une modification de la dynamique newtonienne : à une force constante ne peut plus correspondre une accélération constante qui conduirait, sur un temps suffisant, à une vitesse supérieure à la limite c. Il faut donc nécessairement que l'inertie d'un corps augmente avec sa vitesse, et s'accroisse même indéfiniment lorsque cette vitesse approche la limite c, de façon qu'il soit de plus en plus difficile d'accélérer le corps et que sa vitesse ne puisse tendre qu'asymptotiquement vers c.
De fait, l'étude détaillée de la théorie amène à définir un coefficient d'inertie dépendant de la vitesse : qui présente bien ces caractéristiques, m étant la masse du corps. Pour des vitesses v faibles devant c, qui sont celles de l'expérience commune et de la physique newtonienne, on peut négliger le terme v2/c2 devant l'unité et écrire I ≃ m, retrouvant ainsi la masse comme coefficient inertiel. Insistons sur le fait que la masse m reste une constante caractéristique du corps, de sa quantité de matière. Il est incorrect et trompeur d'inclure la variation avec la vitesse dans la notion de masse comme on le fait parfois : mieux vaut définir l'inertie (variable) I(v) et la relier à la masse (constante) m.
Exerçant une force sur un corps, on accroît, en même temps que son inertie, son énergie en lui communiquant de l'énergie cinétique. La relativité einsteinienne fait apparaître une relation simple entre l'énergie totale d'un corps E et son inertie I ; c'est la relation fondamentale E = Ic2 (où c est toujours la vitesse limite). Utilisant l'expression de l'inertie en fonction de la vitesse, on peut écrire cette relation sous la forme :
Le premier terme, dépendant de la vitesse et s'annulant pour v = 0, est tout simplement l'énergie cinétique Ecin du corps ; de fait, pour les faibles vitesses v, ce terme se réduit à l'expression newtonienne classique Ecin ≃ mv2/2. Le second terme, E0 = mc2, est l'énergie du corps au repos (v = 0) ; c'est donc son énergie interne, dite encore énergie de masse.
L'identification qui apparaît ainsi entre masse et énergie interne (au coefficient c2 près) est l'une des conséquences les plus célèbres et les plus marquantes de la relativité d'Einstein. C'est ce qu'on appelle, un peu rapidement sans doute, l'« équivalence masse-énergie ». Elle implique une modification conceptuelle profonde de la notion même de masse et, en particulier, la perte de sa propriété d'additivité.
En effet, considérons plusieurs corps qui s'unissent en un autre plus stable, par exemple la réaction de combustion des atomes de carbone et d'atomes d'oxygène donnant naissance aux molécules de gaz carbonique, ou le cycle des réactions de fusion thermonucléaire conduisant de quatre noyaux d'hydrogène au noyau d'hélium (source de l'énergie stellaire). Il y a dégagement d'énergie (c'est le sens même de la stabilité) et donc diminution de l'énergie interne du corps final par rapport à la somme des énergies internes des composants. Il en va de même pour les masses, proportionnelles à ces énergies internes. Il n'y a plus additivité : la masse finale présente un « défaut » par rapport à la somme des masses initiales. Le dégagement d'énergie s'est fait aux dépens de la masse totale, ce qui permet d'exprimer le défaut de masse Δm en terme de la perte d'énergie interne ΔE0 :
Cependant, ce défaut de masse est infime dans la pratique quotidienne, car la valeur du coefficient de conversion 1/c2 est faible. Pour les assemblages mécaniques courants, le défaut de masse relatif Δm/m ne dépasse guère 10–15 ; pour un système gravitationnellement lié, tel le couple Terre-Lune, il est de l'ordre de 10–12 ; pour les composés chimiques liés par des forces électriques, il atteint à peine 10–7. Enfin, dans le cas des forces nucléaires, par exemple pour la réaction de fusion thermonucléaire précitée, il devient de l'ordre du millième et peut approcher l'unité pour les liaisons entre particules fondamentales.
On voit donc que l'additivité de la masse reste valable avec une excellente approximation dans le domaine des sciences et techniques courantes (mécanique, chimie) ; elle ne doit être sérieusement remise en cause que pour les phénomènes nucléaires et subnucléaires, où l'importance du défaut de masse relatif est un indice de l'intensité considérable des forces mises en jeu.
On a vu combien la relativité einsteinienne amenait à modifier la notion newtonienne de masse. En fait, le point de vue le plus systématique et le plus cohérent avec le principe de relativité consiste à définir la masse comme un « invariant relativiste » lié à l'énergie et à la quantité de mouvement d'un corps. Cela signifie que, si l'énergie E d'un corps et sa quantité de mouvement p sont variables avec sa vitesse et dépendent donc du système de référence utilisé, il existe une combinaison de ces grandeurs qui est invariante et prend la même valeur dans tous les référentiels. C'est justement la masse m, donnée par la relation :
À vitesse nulle, dans le référentiel où le corps est au repos, on a p = 0 et l'on retrouve mc2 = E0, donnant l'énergie interne. À titre de comparaison, la relation de Galilée correspondante entre E, p et m s'écrit :
- où l'énergie interne E0 est indépendante de m. L'intérêt de ces considérations est de faire apparaître une possibilité nouvelle qu'offre la théorie d'Einstein par rapport à la théorie de Newton, à savoir la possibilité de corps de masse nulle, m = 0. Pour ces corps, on a E = pc ; on peut voir, à partir de l'expression générale :
- que l'on doit toujours avoir v = c. Autrement dit, de tels corps se déplacent toujours à la vitesse limite c, qui est donc nécessairement invariante (indépendante du référentiel ; c'est l'une des bases de la relativité einsteinienne) : accroître ou diminuer leur énergie ne change pas leur vitesse. Il n'existe évidemment pas de référentiel où ces corps soient au repos. Ces corps sont très éloignés des objets de l'expérience courante. À l'heure actuelle, on connaît comme particule de masse nulle le photon et les gluons, messagers respectivement de l'interaction électromagnétique et de l'interaction nucléaire forte.
— Jean-Marc LÉVY-LEBLOND
Masse et interactions[modifier]
Nous savons que la matière est composée d'atomes, eux-mêmes composés d'électrons et d'un noyau constitué de particules plus fondamentales : les quarks et gluons, qui forment les nucléons, regroupés dans le noyau.
L'affirmation que la masse d'un corps quelconque est fournie par celle de ses constituants, même en tenant compte pour être plus précis du défaut de masse évoqué plus haut, semble complètement contredite au niveau le plus élémentaire. Comprendre les masses des particules est un des grands défis de la physique du xxie siècle.
En effet, dans la physique quantique des particules et des interactions fondamentales, la notion de masse présente plusieurs aspects des plus intéressants. Rappelons tout d'abord qu'une interaction entre deux particules est comprise, dans le formalisme de la théorie quantique des champs, comme l'échange entre elles de particules médiatrices. Par exemple, deux électrons peuvent « rebondir » l'un sur l'autre en échangeant un ou plusieurs photons. Les particules médiatrices de l'interaction électromagnétique sont ici les photons (cf. physique quantique). S'ils sont animés de grande énergie et s'approchent très près l'un de l'autre, les deux électrons peuvent aussi échanger des bosons Z0, messagers de l'interaction nucléaire faible, dont l'intensité est inférieure et la portée moindre que l'interaction électromagnétique. Ces particules intermédiaires sont dites « virtuelles » ; leur existence éphémère, entre leur émission et leur absorption, ne peut dépasser, sous peine de violer la loi de conservation de l'énergie, une durée Δt liée, par l'inégalité de Heisenberg, à la dispersion en énergie DE ⪆ mc2 nécessaire pour assurer leur apparition :
où ℏ est la constante de Planck. Une action physique ne pouvant se propager à une vitesse supérieure à la vitesse limite c, l'interaction médiatisée par ces particules virtuelles le quanton ne saurait agir à une distance supérieure à cΔt. En conséquence, la portée a d'une interaction est liée à la masse m du quanton qui la transmet par :
Ce raisonnement explique pourquoi la portée de l'interaction nucléaire faible est minuscule : le boson Z0 a une masse élevée (près de 200 000 fois supérieure à celle de l'électron), tandis que la portée de l'électromagnétisme est infinie puisque la masse du photon est nulle. En appliquant ce raisonnement aux réactions entre nucléons (protons et neutrons), le physicien japonais Hideki Yukawa put prévoir en 1935 l'existence et la masse des mésons π, responsables présumés des interactions nucléaires fortes. Cette explication simple ne survit cependant pas à la vision moderne des interactions fortes, dans laquelle quarks et gluons sont les champs élémentaires (cf. interactions [physique]). Or les gluons ont une masse nulle et les quarks une masse très faible, et la portée de l'interaction forte est pourtant très courte, de l'ordre de la taille du proton, soit un femtomètre. Des effets subtils interdisent en effet qu'on lie de façon simple la masse d'une particule à la portée de l'interaction qu'elle peut véhiculer.
Pour cerner les difficultés rencontrées dans la compréhension de la masse, présentons brièvement les problèmes cruciaux qui attirent actuellement l'attention des physiciens.
On sait que les particules élémentaires se partagent en deux classes aux propriétés très distinctes : les bosons et les fermions. Les bosons ont un spin entier, c'est-à-dire multiple de la quantité fondamentale h/2π où h est la constante de Planck, tandis que le spin des fermions est égal à la moitié de cette valeur. Le boson le mieux connu est le photon, dont la masse est nulle avec une très grande précision expérimentale ; son rapport à la masse de l'électron a été mesuré inférieur à 10–22. On comprend cette nullité comme la conséquence d'une loi de symétrie essentielle de l'interaction électromagnétique : la symétrie de jauge. L'extension de cette propriété de symétrie aux autres interactions impose que d'autres bosons devraient avoir une masse nulle : les gluons médiateurs de l'interaction nucléaire forte et les bosons W et Z médiateurs de l'interaction nucléaire faible. Ce fait n'est pas incompatible avec les mesures dans le cas des gluons, mais la masse des bosons W et Z est notoirement différente de zéro, puisque ces particules sont chacune près de cent fois plus lourdes que le proton. Le mécanisme théorique qui pourrait expliquer « comment la masse vient aux bosons W et Z » invoque une brisure spontanée de la symétrie sous-jacente et l'action d'un champ fondamental appelé champ de Higgs, du nom d'un des physiciens ayant proposé ce mécanisme. L'interaction de ce champ omniprésent avec les particules leur fournirait leurs masses, à la manière dont un fluide visqueux augmente l'inertie des corps qui y sont plongés. L'adéquation de ce formalisme à la réalité physique n'est pas encore prouvée mais un important programme de recherches expérimentales y est consacré (cf. particules élémentaires).
Les masses des fermions sont aussi sujettes à interrogations. Le mécanisme évoqué plus haut pourrait aussi être à leur origine, mais il n'expliquerait nullement l'étonnante diversité de leurs valeurs. On a longtemps cru que les neutrinos avaient une masse nulle tant celle-ci est faible, en tous cas deux cent mille fois moindre que celle de l'électron. Des effets indirects ont prouvé que leurs masses sont minuscules, mais non nulles. L'autre cas extrême de fermion est le quark « top » dont la masse est plus de trois cent mille fois supérieure à celle de l'électron. Cette hiérarchie de masses semble maintenant largement indépendante de la nature des interactions auxquelles sont soumises les particules ; ainsi, le lepton lourd « tau » contredit l'étymologie (leptos = mince, léger) du nom donné à la famille des particules insensibles à l'interaction nucléaire forte, puisque sa masse est supérieure à celles des quarks u, d et s, et même supérieure à celle du proton. L'étude des masses des particules nucléaires composites – proton, neutron, mésons... – est aussi encore incapable de proposer une explication cohérente de leurs valeurs, très diverses.
Signalons enfin l'épineux problème de la masse cachée de l'Univers, c'est-à-dire le constat de diverses anomalies dans les observations astrophysiques, qui semblent indiquer l'existence d'une « matière sombre ». Composée de particules inconnues, cette matière aurait une masse totale largement supérieure à la masse des corps observés et des particules cosmiques connues (cf cosmologie).
— Bernard PIRE
Pour citer l’article[modifier]
Jean-Marc LÉVY-LEBLOND, Bernard PIRE, « MASSE, physique », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 23 octobre 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/masse-physique/
Bibliographie[modifier]
J. P. Pharabod & B. Pire, Le Rêve des physiciens, Odile Jacob, Paris, 1993
L. Lederman & D. Teresi, Une sacrée particule, ibid., 1996
E. Augé, Voyage au cœur de la matière, Belin, Paris, 2002
M. Boratav & R. Kerner, Relativité, Ellipses, Paris, 1991
A. Einstein, Œuvres choisies, Relativités I et II, Seuil-C.N.R.S., Paris, 1993