Edith Stein

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Edith Stein: une élève de Husserl

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Édith Stein arrive à l’école du maître Edmond Husserl en 1913, à 21 ans. Elle a pour projet d’étudier le mystère de la personne humaine et se tourne vers la philosophie. En partenariat avec la Croix, un entretien avec Jean-François Lavigne, professeur à l'université de Nice.

Edith Stein: une élève de Husserl

Edith progresse très vite, puisqu’en 1916 Husserl la choisit comme assistante pour ses propres recherches. D'abord intéressée par la psychologie, le travail philosophique va accompagner Edith Stein toute sa vie, même après son entrée au Carmel en 1933, sous le nom de Soeur Thérèse Bénédicte de la Croix.

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Elle y écrira son grand ouvrage de philosophie, L’Être fini et l’être éternel, dans les années 1935-1936. Et son dernier ouvrage important, La science de la croix, laissé inachevé, est un commentaire à la fois spirituel et philosophique de saint Jean de la Croix. On peut ainsi dire qu’elle n’a jamais cessé d’être philosophe. Il n’y a pas chez elle une phase philosophique puis une phase mystique. Les deux sont toujours allés de pair.

Jean-François Lavigne, philosophe, professeur à l’université de Nice

-En quoi Edith Stein peut-elle intéresser les philosophes d’aujourd’hui?

Elle nous intéresse, nous philosophes, parce qu’elle occupe une place à part dans le mouvement phénoménologique initié par Husserl. Celui-ci a été marqué par une très forte tendance idéaliste, c’est-à-dire une tendance à interpréter la réalité en fonction de la subjectivité humaine. D’autres élèves de Husserl – dont Édith Stein – ont, eux, abordé la phénoménologie d’une manière réaliste, affirmant qu’il existe des objets qui ne sont pas nécessairement des objets visibles ou sensibles, mais qui déterminent notre existence (comme les valeurs ou les réalités de la raison).

Ces deux traditions – l’une idéaliste et l’autre réaliste – sont assez vite entrées en conflit. L’originalité d’Édith Stein est d’avoir tenté de les accorder, d’une manière plus profonde et harmonieuse. Après sa conversion au catholicisme, elle a cherché à faire converger deux pensées, celles de Husserl et de Thomas d’Aquin qui, à première vue, sont irréconciliables.

Elle a ainsi cherché à faire dialoguer la grande pensée de l’Église et la philosophie de son temps. Il y a là un exemple remarquable de fidélité intégrale à la tradition chrétienne et de fidélité intégrale à l’évolution contemporaine de la pensée, à l’homme moderne et à ses questions.

-Quels thèmes philosophiques a-t-elle plus particulièrement travaillés?

Son œuvre est très variée, mais on peut malgré tout regrouper ses textes en quatre grands axes. D’abord l’analyse de la personne humaine, telle qu’elle est vécue de l’intérieur. La première question à laquelle Édith Stein a voulu répondre est : « Que suis-je ? » : à quel genre d’objet renvoie le mot « je » ? quelle est la façon dont nous devons nous représenter ? Quelle est l’articulation, en nous, de tout ce qui nous constitue : le corps, la chair, les facultés intellectuelles – la sensation, la sensibilité, l’affectivité –, l’esprit ? Édith Stein cherche une conception synthétique et intégrale de l’être humain.

Le deuxième grand volet de son œuvre est marqué par un souci éducatif. Édith Stein a longtemps été elle-même une éducatrice. Son idée est que, pour éduquer une personne humaine, il faut partir de ce qu’elle est, de sa connaissance intérieure.

Le troisième grand domaine, c’est sa métaphysique : sa relecture de Thomas d’Aquin à la lumière de la phénoménologie contemporaine. Lorsque Heidegger publieÊtre et Temps, en 1937, Édith Stein est encore enseignante et conférencière.

Elle prend connaissance de l’ouvrage magistral de son ancien compagnon d’étude et elle sent très vite sa pointe nihiliste. Elle cherche alors à élaborer une réponse, une pensée « qui monte vers l’Être ». Son objectif n’est pas de fonder la foi en raison, mais de montrer qu’il y a une perspective d’éternité en germe dans la personne humaine.

-Où en est-on dans la réception et l’édition de son œuvre en France?

Les Allemands, les Italiens, les Anglo-Saxons ont reçu plus librement et plus spontanément que nous aussi bien son œuvre intellectuelle que son parcours chrétien.

En France, Édith Stein a longtemps été cantonnée soit dans le rôle de la jeune assistante brillante, soit dans celui de la carmélite à l’itinéraire sublime, mais que l’on tient à distance quand on est dans une posture philosophique. La situation est en train de changer.

Aujourd’hui, les temps sont mûrs pour que les jeunes générations découvrent, dans sa vie, un mystère d’unité profonde entre la prise de conscience philosophique et la prise de conscience religieuse.

Pour ce qui est de l’édition, beaucoup de choses sont à signaler. Une traduction en français de son œuvre intégrale – édition critique, annotée, fiable, préparée par les spécialistes allemands – est actuellement en chantier dans le cadre d’un projet de coédition impliquant les éditions du Cerf, les éditions du Carmel et la maison Ad Solem.

Pour ceux qui ne sont pas philosophes et s’intéressent à Édith Stein, il faut mentionner la publication récente des deux volumes de sa correspondance (les ouvrages mentionnés sont coédités par Le Cerf, les éditions du Carmel et Ad Solem) qui la font connaître de l’intérieur, ainsi que la traduction de saVie d’une famille juive, son autobiographie partielle. Enfin, pour ceux qui veulent commencer à découvrir sa philosophie sous un angle abordable, vient de paraître en français. Le problème de l’empathie, sa thèse de philosophie qui est aussi la porte d’entrée de son travail philosophique.