Eiségèse, exégèse et herméneutique : que faut-il en penser ?

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Eiségèse, exégèse et herméneutique : que faut-il en penser ?


felixcvh :

Un auteur catholique faisant autorité (Charles Perrot pour être précis) distingue les trois opérations suivantes :
  • l'eiségèse : le lecteur plonge dans le texte et a l'impression de vivre l'immédiateté des événements qu'il est entrain de lire,
  • l'exégèse : le lecteur se place hors du texte, à distance critique, et prend conscience de toutes les médiations linguistiques et communautaires des textes bibliques,
  • l'herméneutique : conversion du langage biblique dans le langage actuel avec nos représentations culturelles si spécifiques.
Que pensez-vous de cette distinction ?


Epsilon :

UNE seule est valable c'est "l'exégèse" ... lire la Bible dans son contexte, dans son époque et son environnement ... appliquer la méthode dite "historico-critique" ceci dit l'exégèse canonique s'impose aussi (notamment dans le choix des livres).


jeanbaptiste :

Ah bon ? On ne prie plus avec le texte biblique ? On ne le chante plus ? On ne pratique plus les fameux 4 sens de l'écriture ?
Vous rêvez totalement, Joseph Ratzinger, dans le texte même que vous citez !, a bien montré l'immportance et les limites de la méthode historico-critique qui doit s'accompagner d'une vie de prière et d'une lecture à la lumière de la théologie catholique traditionnelle.


Epsilon :

BON bon ... il est hors de mon propos d'exclure la "prière" et le "chant" ... mais il me semble que ceci sort du cadre initial de la question posée.
Et pour ce qui concerne "les fameux 4 sens" il y a belle lurette (disons qcq dizaines d'années) qu'ils sont dépassés ... par (ou à cause de) justement de la méthode "historico-critique" qui bien sûr a aussi ses propres limites ... mais elle est incontournable pour qui veut comprendre/approfondir l’Écriture.


jeanbaptiste :

Il vous faut commencer par lire le texte que vous citez L'interprétation de la Bible dans l'Eglise :
2.B. Sens de l’écriture inspirée
L’apport moderne des herméneutiques philosophiques et les développements récents de l’étude scientifique des littératures permettent à l’exégèse biblique d’approfondir la compréhension de sa tâche, dont la complexité est devenue plus évidente. L’exégèse ancienne, qui ne pouvait évidemment pas prendre en considération les exigences scientifiques modernes, attribuait à tout texte de l’Écriture plusieurs niveaux de sens La distinction la plus courante se faisait entre sens littéral et sens spirituel. L’exégèse médiévale distingua dans le sens spirituel trois aspects différents, qui se rapportent, respectivement, à la vérité révélée, à la conduite à tenir et à l’accomplissement final. De là le célèbre distique d’Augustin de Danemark (13e siècle) : « Littera gesta docet, quid credas allegoria, moralis quid agas, quid speres anagogia ». En réaction contre cette multiplicité de sens, l’exégèse historico-critique a adopté, plus ou moins ouvertement, la thèse de l’unicité de sens, selon laquelle un texte ne peut pas avoir simultanément plusieurs significations. Tout l’effort de l’exégèse historico-critique est de définir « le » sens précis de tel ou tel texte biblique dans les circonstances de sa production.
Mais cette thèse se heurte maintenant aux conclusions des sciences du langage et des herméneutiques philosophiques, qui affirment la polysémie des textes écrits.
Le problème n’est pas simple et il ne se pose pas de la même façon pour tous les genres de textes : récits historiques, paraboles, oracles, lois, proverbes, prières, hymnes, etc. On peut cependant donner quelques principes généraux, tout en tenant compte de la diversité des opinions.
Et qu'est-ce qui suit l'introduction à cette section ?
La présentation des sens suivants : littéral, spirituel et plénier. Et voyez ce passage :
Un des aspects possibles du sens spirituel est l’aspect typologique
Mais c'est quoi cet "aspect typologique" ?
Simplement l'un des 4 sens de l'Ecriture tels que nommés par Thomas d'Aquin (ça correspond chez lui au sens allégorique) dans S.T. I, Q.1, a.10
Et Verbum Domini qui met les choses au clair :
Ignorant, bien sûr, les ressources d’ordre philologique et historique qui sont à la disposition de l’exégèse moderne, la tradition patristique et médiévale savait reconnaître les divers sens de l’Écriture en commençant par le sens littéral, celui qui est « signifié par les paroles de l’Écriture et découvert par l’exégèse qui suit les règles de la juste interprétation »[120]. Par exemple, saint Thomas d’Aquin affirme : « tous les sens de la Sainte Écriture se basent sur le sens littéral »[121]. Il est nécessaire, cependant, de rappeler qu’au temps patristique et médiéval, toute forme d’exégèse, y compris littérale, était conduite sur la base de la foi et ne faisait pas nécessairement la distinction entre sens littéral et sens spirituel. Rappelons ici la distinction classique qui établit la relation entre les divers sens de l’Écriture :
«Littera gesta docet, quid credas allegoria,
Moralis quid agas, quo tendas anagogia.
Le sens littéral enseigne les événements, l’allégorie ce qu’il faut croire,
le sens moral ce qu’il faut faire, l’anagogie vers quoi il faut tendre »[122].
Notons ici l’unité et l’articulation entre sens littéral et sens spirituel, lequel se subdivise en trois sens, avec lesquels sont décrits les contenus de la foi, de la morale et de la tension eschatologique.
En définitive, en reconnaissant la valeur et la nécessité, même avec ses limites, de la méthode historico-critique, nous apprenons de l’exégèse patristique que « on n’est fidèle à l’intentionnalité des textes bibliques que dans la mesure où on essaie de retrouver, au cœur de leur formulation, la réalité de foi qu’ils expriment et qu’on relie cette réalité à l’expérience croyante de notre monde »[123]. C’est seulement dans cette perspective que l’on peut reconnaître que la Parole de Dieu est vivante et s’adresse à chacun dans l’actualité de sa vie. En ce sens, l’affirmation de la Commission Biblique Pontificale demeure pleinement valable, qui définit le sens spirituel selon la foi chrétienne comme « le sens exprimé par les textes bibliques lorsqu’on les lit sous l’influence de l’Esprit Saint dans le contexte du mystère pascal du Christ et de la vie nouvelle qui en résulte. Ce contexte existe effectivement. Le Nouveau Testament y reconnaît l’accomplissement des Écritures. Il est donc normal de relire les Écritures à la lumière de ce nouveau contexte, qui est celui de la vie dans l’Esprit »
Dès lors vous dites :
il est hors de mon propos d'exclure la "prière" et le "chant" ... mais il me semble que ceci sort du cadre initial de la question posée
L'Eglise nous apprend que la seule manière d'être fidèle à l'intentionalité des textes bibliques est d'essayer de retrouver, au cœur de leur formulation, la réalité de foi qu’ils expriment et qu’on relie cette réalité à l’expérience croyante de notre monde.
Je ne pense donc pas du tout que la prière sorte du cadre de la question posée.


Epsilon :

Cher jeanbaptiste.
Oui vous avez « globalement » raison … mais nous ne parlons pas de la même chose … du moins dans le même but.
La Bible dans son aspect « théologique » au sens large reste la Bible … qcq soit la méthode d’interprétation que l’on puisse lui appliquer pour comprendre/approfondir tel ou tel verset.
Toutefois nous trouvons de tout dans l’AT notamment … de la cosmologie, de la géographie, de l’histoire, des généalogies, des peuples « acteurs » de ce récit etc etc … c’est cela qu’il faut placer dans son « contexte/décors » par la méthode historico-critique … est-ce que le message « théologique » initial en est-il pour autant modifié … je dirais en qcq sorte que notre meilleure compréhension de la « réalité » dans laquelle tel ou tel récit a été relaté … doit effectivement avoir une incidence (plus ou moins importante) sur le message « théologique » initial induit par ce récit.
Qu’apporte à la Foi le « planning » de la Création en lui-même … seul le 7ième jours est « intéressant » permettant d’imposer le sabbat en le faisant « remonter » à un « Sabbat divin » … ce que les Mésopotamiens n’avaient pas alors qu’ils sont bien à l’origine du découpage de la semaine en 7 jours.
Il en est de même pour Adam/Eve notre regard « théologique » sur ce thème ne doit-il pas changer au fil de notre savoir sur la genèse de l’Humain … il en est de même du Déluge Biblique par rapport à la re-découverte des tablettes Suméro-akkadiennes … et que penser des les généalogies conduisant à une date de la Création du monde vers 3761 av JC etc etc
Le but donc de la méthode historico-critique (qui a globalement une quarantaine d’années) est de « planter un décors » … elle ne prend pas la place de la théologie mais (dans certains cas) nous amène a avoir un autre regard.
Du lien que j’ai donné … nous pouvons aussi en extraire :
« Le respect véritable pour l’écriture inspirée exige que soient accomplis tous les efforts nécessaires pour qu’on puisse bien saisir son sens » ... et ... « La Bible, en effet, ne se présente pas comme une révélation directe de vérités intemporelles, mais bien comme l’attestation écrite d’une série d’interventions par lesquelles Dieu se révèle dans l’histoire humaine. A la différence de doctrines sacrées d’autres religions, le message biblique est solidement enraciné dans l’histoire. Il s’ensuit que les écrits bibliques ne peuvent être correctement compris sans un examen de leur conditionnement historique ».
Maldamé o.p. nous l’explique très bien ICI … dont je résume qcq extraits :
a) « la redécouverte de la culture du Moyen Orient ancien. Des mondes ensevelis ont été exhumés ; des cultures disparues ont été retrouvées » … « L'étude littéraire et la comparaison des textes ont permis de situer les textes dans leur contexte culturel et littéraire. L'originalité de la Bible a été mieux comprise ».
b) « Les récits qui ouvrent la Bible sont donc une manière d'introduire à une histoire » … « Le récit du commencement est écrit à la lumière de l'expérience de l'écrivain. Les premières pages de la Bible ne sont pas le compte rendu de ce qui s'est passé jadis,- et qui aurait été miraculeusement vu par l'écrivain - mais le fruit de sa réflexion sur son expérience que l'on connaît par ailleurs. Ainsi Adam n'a pas été pensé par l'auteur du livre de la Genèse à partir d'un inimaginable et inaccessible premier homme, mais à partir de ce dont il a eu connaissance ».
c) « L'erreur est de placer Dieu au même plan que les créatures et son action comme une force parmi d'autres. Le terme d'intervention qui le connote doit donc être évité. Ainsi dans l'histoire de la vie : tout est l'oeuvre des forces de la nature et tout est l'oeuvre du créateur, parce qu'ils ne sont pas au même plan ontologique. Rien sans l'un, rien sans l'autre. Ainsi la conduite de Dieu est-elle présente à tous les moments dans la continuité du temps comme une orientation et une présence et non comme une intervention qui viendrait brusquer ou fausser le jeu naturel des événements aléatoires »
Concernant saint Thomas d’Aquin et le sens littéral … Maldamé en donne la signification : « Le sens littéral est défini comme le sens que l'auteur a voulu exprimer en utilisant les connaissance disponibles de son temps et les ressources littéraires de sa langue. ».
Il dit aussi qu’il est nécessaire de : « sortir de l'usage intempestif de la notion de véracité divine impliquée par l'inspiration ».
Cordialement, Epsilon


jeanbaptiste :

Ah mais nous sommes d'accord, mais alors pourquoi avoir dit :
UNE seule est valable c'est "l'exégèse" ... lire la Bible dans son contexte, dans son époque et son environnement ... appliquer la méthode dite "historico-critique" ceci dit l'exégèse canonique s'impose aussi
Vous ne preniez en compte que la dimension du "sens littéral" c'est cela ?
Alors oui, il est certains que la méthode historico-critique (ainsi que nombre d'autre sciences telles que l'archéologie) a apporté beaucoup de bonnes choses sur la "description du décord", le nettoyage de ce qui est historique de ce qui ne l'est pas etc.
Dans ce cas je comprends votre propos, mais je crois que vous avez un peu raté la question posée initialement qui ne porte pas uniquement sur le sens "littéral", mais sur les différentes manières d'aborder le texte biblique. D'où, me semble-t-il, notre incompréhension initiale.


felixcvh :

Bonjour,
Tous les développements précédents sont indiscutablement intéressants, mais mon interrogation initiale portait sur la distinction entre eiségèse, exégèse et herméneutique.
Il ne peut pas y avoir d'exégèse sans un passage obligé par l'eiségèse, qui est une plongée dans l'immédiateté du texte.
Salutations,