François et Edgar Morin
'Vatican et Edgar Morin
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Les vœux d’anniversaire de François pour le centenaire d’Edgar Morin[modifier]
Dans un télégramme signé du cardinal secrétaire d’État, Pietro Parolin, le Pape François adresse ses compliments au sociologue et philosophe français, Edgar Morin, qui fêtera ses 100 ans le 8 juillet.
Les vœux de François ont été lus par Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’Unesco durant la conférence organisée au siège de l'organisation à Paris et en ligne pour fêter le centenaire du sociologue et philosophe français, Edgar Morin.
Dans ce télégramme, le Pape adresse au défenseur de la «pensée complexe», qu’il a reçu en audience le 27 juin 2019, ses «meilleurs vœux de bonheur et de santé». «Cette longue vie riche d’évènements et de rencontres, que la providence vous a accordée, vous a permis d’être un témoin privilégié des profonds et rapides changements qu’ont connu, et connaissent encore, notre monde et nos sociétés», écrit le Pape François.
Né le 8 juillet 1921 dans une famille juive, l’auteur de La Rumeur d’Orléans a perdu sa mère à l’age de 10 ans. Il fut résistant, journaliste, militant politique, chercheur… jusqu’à devenir l’un des plus grands intellectuels français du XXe siècle.
Conscience du destin fragile de l'humanité[modifier]
Le Saint-Père salue également les capacités d’analyse du futur centenaire. «Vous avez souligné la nécessité d’accomplir un progrès moral et intellectuel afin d’éviter les catastrophes», la «conscience d’un destin commun de l’humanité, destin fragile et menacé, a retenu toute votre attention, promouvant la nécessité d’une politique de civilisation visant à remettre l’homme au centre et non le pouvoir de l’argent».
Edgar Morin, qui se définit comme un «humaniste», est adepte de la «pensée complexe», un concept philosophique qu’il définit en 1982 dans son ouvrage Science avec conscience. «Je parle de la collaboration du monde extérieur et de notre esprit pour construire la réalité», vulgarise l’intellectuel, qui s’est également engagé dans des combats pour la protection dans l’environnement, comme en 2013 avec le chef indien Raoni contre le barrage de Belo Monte au Brésil.
«Il est impossible d’évoquer en quelques mots l’étendue de vos travaux», continue le Pape dans son télégramme. Il souligne la volonté d’Edgar Morin de «promouvoir la coopération entre les peuples, d’édifier une société plus juste et plus humaine, de renouveler la démocratie», et pour ce, il est nécessaire de «retrouver, entre nous et nos cités, un esprit de solidarité, de convivialité, de fraternité, privilégiant les attitudes d’accueil et d’ouverture».
Enfin, le Souverain Pontife revient sur leur rencontre en juin 2019, à travers laquelle les deux hommes ont pu partager leur «convergence», un «heureux souvenir».
Un dernier ouvrage en guise de testament[modifier]
Dans son dernier ouvrage Leçons d'un siècle de vie, paru en juin 2021 aux éditions Denoël, le philosophe livre un testament de cent ans de vie, «Une des grandes leçons de ma vie est de cesser de croire en la pérennité du présent, en la continuité du devenir, en la prévisibilité du futur», écrit-il. «Les catastrophes (et la pandémie du Covid en est une) suscitent deux comportements contraires, l'altruisme et l'égoïsme», détaille également Edgar Morin, rejoignant ici la pensée de François.
«Cette crise nous place face à deux options», disait ce dernier devant une délégation du Patriarcat œcuménique de Constantinople le 28 juin dernier, «celle du repli sur soi, à la recherche de sa propre sécurité et de ses propres opportunités, ou celle de l'ouverture aux autres».
Face à la pandémie, Edgar Morin invite à changer de vie et de voie[modifier]
Sociologue, philosophe, ancien résistant, chercheur et écrivain, Edgar Morin est l’un des plus grands intellectuels français du XXe siècle. Il estime nécessaire une réforme de la pensée pour construire un nouveau monde, et invite à ne pas perdre notre capacité d'émerveillement. Entretien réalisé par Hélène Destombes - Cité du Vatican
Internationalement reconnu pour ses travaux sur la «pensée complexe», Edgar Morin est né le 8 juillet 1921 dans une famille juive. Cet amoureux de la poésie, qui s’est engagé ces dernières décennies dans les événements les plus marquants de notre Histoire, a connu le deuil -il a perdu sa mère à l’âge de 10 ans-, la guerre, et de nombreuses crises politiques, économiques et sociétales.
Depuis le début de la pandémie de coronavirus, il propose une réflexion sur les leçons de cette récente crise, qui a plongé le monde dans l’incertitude, et sur les changements nécessaires pour l’édification d’une société plus juste et fraternelle. Rencontre, à Rome, avec un centenaire toujours passionné par l’humain et ses vicissitudes, qui a conservé une capacité d'émerveillement et d'enchantement.
Entretien avec le philosophe et sociologue Edgar Morin[modifier]
- Quel regard portez-vous sur la crise actuelle liée à la pandémie de Covid-19, qui touche le monde entier?
- Cette pandémie, à caractère viral, a suscité un phénomène mondial multidimensionnel qui ne concerne pas seulement la santé, mais aussi la vie quotidienne avec les confinements qui ont posé le problème de la relation au travail et changé le mode de vie que nous avions précédemment. Il y a également le problème de la crise économique et d’une crise de la mondialisation, qui a montré qu’elle n’avait pas créée de solidarité internationale.
- Cette crise oblige à ce que j'appelle “une pensée complexe”, capable de relier les aspects divers et à ne pas séparer le sanitaire de l'économique, du psychologique, voire même du religieux. Tous les aspects de la vie humaine sont concernés. Cela nécessite donc une pensée très ample, qui ne soit pas unilatérale, c’est un point capital.
- Il faut également quitter un mode de pensée linéaire qui consistait à avoir l’impression que l’Histoire progressait et que l'on pouvait prévoir dès maintenant l’année 2030 ou 2050 sans tenir compte des énormes incertitudes. Il y avait le règne d'une pensée linéaire, d'une pensée purement quantitative qui ne voyait les problèmes humains qu’à travers le calcul, alors que le calcul ne comprend rien de nos émotions et de notre vraie vie. Le mode de pensée dont nous disposons n'est donc pas adéquat à penser non seulement le monde et nous-mêmes, mais également la pandémie.
- Quel doit-être le changement de paradigme?
- Une réforme de la connaissance est nécessaire. Il ne faut pas seulement changer de vie, il faut changer de voie. Il faut non seulement renoncer à une consommation d'objets futiles, à valeur purement imaginaire, mais revenir à l'essentiel, à ce qui est humain, c'est-à-dire les relations, la convivialité. Il y a une réforme de vie qui devrait sortir, qui, malheureusement, ne sort pas encore.
- Une réforme politique est nécessaire. Il faut introduire le gigantesque problème écologique dans la politique: la lutte contre les pollutions, contre la dégradation des sols, la destruction de la biodiversité et contre le changement climatique. Tout ceci peut donner du travail, mobiliser des forces et créer une économie qui, par ailleurs, aurait un caractère social et ferait régresser le pouvoir énorme du profit sur le monde aujourd'hui. Nous avons d’énormes problèmes et la pandémie doit nous réveiller. Malheureusement, elle n'y arrive pas encore.
- Vous avez observé l’être humain pendant des décennies, ses ombres et ses lumières. Croyez-vous en sa capacité à repenser notre manière de vivre, de consommer, mais également d'interagir?
- Une certaine manière de consommer émerge très lentement au sein d’une petite fraction de la population, avec un abandon de tout ce qui pollue, mais cela commence de façon dispersée. Il n'y a pas une force politique cohérente qui permettrait de donner une telle perspective et d’entraîner largement les populations. Nous sommes dans les débuts balbutiants de ce qui pourrait être une reforme de vie.
- Le Pape François dans ses vœux, à l’occasion de votre centenaire, a salué votre volonté d'édifier une société plus juste et plus humaine. Quelles sont les clés pour y parvenir?
- Les préliminaires résident dans la prise de conscience de la communauté de destin de tous les êtres humains à l’époque de la mondialisation, c’est-à-dire des périls nucléaires, des périls de la folie fanatique, des périls de la domination du profit. L'humanité est dans une phase de son histoire pleine de périls et en même temps pleine de promesses techniques ou scientifiques. Mais même ses promesses ont un double visage. Elles favorisent l’idée, très mauvaise à mon avis, qui a dominé la civilisation occidentale de maîtriser la nature et maîtriser le monde. Et le transhumanisme reprend les concepts actuels de la technique, de l'informatique, de l'intelligence artificielle pour créer un homme soi-disant immortel qui va dominer le monde et les planètes. C'est une folie!
- Aujourd'hui, il ne faut pas faire l’homme augmenté mais l’homme amélioré à partir des sources bonnes qui sont en lui. Nous n'en sommes pas là. La conscience de la communauté de destin serait un élément fondamental pour aller vers un autre monde parce qu'à ce moment-là, les nations pourraient se fédérer et l’on pourrait arriver à ce qui est un rêve mais possible qu'est la paix sur terre. Il y a donc un ensemble de conditions qui permettraient ce chemin. Il faut continuer à cheminer avec toujours des problèmes, des conflits mais où ce que j’appelle les forces d’Eros prendraient de plus en plus de place sur les forces de Polemos et Thanatos. Il faut renforcer l’Eros par rapport à Polemos et Thanatos.
- Vous avez parsemé votre vie de poésie. Est-ce la poésie qui vous a aidé à surmonter les nombreuses épreuves que vous avez connues?
- La poésie, ce n’est pas seulement les poèmes que j'aime et que je continue à réciter, qui me soutiennent et qui sont importants. Il y a la poésie de la vie. Ce qu'avaient dit les surréalistes de la poésie, elle n'est pas seulement une chose écrite mais une chose vécue, j’en ressens la vérité profonde. Dans ma conception de l'humain, je trouve que notre vie est bipolarisée entre prose et poésie. La prose, ce sont les choses que nous faisons par contrainte, qui ne nous plaisent pas, que nous faisons par obligation pour survivre, alors que que la poésie c'est vraiment vivre et vivre c'est s'épanouir, c'est communier, c'est admirer, c'est s'émerveiller et c'est jouir du plaisir aussi bien d'une belle musique, que du plaisir de la relation amoureuse, que du plaisir d'un beau paysage ou d'un match de football.
- La poésie de la vie permet toujours la communion avec autrui ou la communion avec le monde, avec les choses. Et l’on oublie qu’il y a tellement de gens qui sont condamnés à la prose et qui mériteraient de pouvoir accéder à la poésie. Je n’ai jamais recherché le bonheur. Le bonheur est arrivé par chance, par un ensemble de conditions que je n'avais pas soupçonnées au départ. Et ce bonheur a pu durer quelques mois ou quelques années mais finalement il s’est dissout avec la mort de proches. Le bonheur, représenté par ces périodes merveilleuses, n’est pas durable. Mais la poésie est une chose que l’on peut entretenir toute la vie et elle donne un sentiment de bonheur.
- La beauté sauvera le monde, suggère Dostoïevski. Pensez-vous que la poésie puisse sauver le monde?
- Elle sauvera le monde si elle est vraiment appliquée parce qu'elle porte en elle le mot de beauté.
- À quelles sources pouvons-nous aujourd'hui puiser pour réenchanter nos vies?: Les sources sont multiples parce que le réenchantement vient du fait de vivre poétiquement. Cela peut se vivre aussi bien à travers des relations avec autrui quand elles sont intenses, ouvertes, pleine de fraternité et d’amour. Je crois qu'il faut se nourrir aussi de culture: de littérature, de musique, de poésie, de beaux-arts. Les sources sont donc dans notre potentialité d’être humain qui se manifeste dès l’enfance, l’émerveillement.
- Le grand problème est que la vie présente des cruautés, des horreurs. Quand on regarde, par exemple, ce qui se passe en Afghanistan aujourd’hui on ne peut s’émerveiller, au contraire on a un sentiment terrible. En ce moment en France, se tient le procès des terroristes qui ont fait un massacre dans la salle du Bataclan (ndlr, et sur des terrasses à Paris, ainsi qu’à Saint-Denis). C'est une chose horrible qui vous marque, même si vous n'avez pas du tout le désir de vengeance, que je n'ai jamais eue, vous avez un sentiment atroce. Mais si on est capable de s'émerveiller, on puise la force de se révolter contre ces cruautés, ces horreurs. Il ne faut donc pas perdre la capacité d'émerveillement et d'enchantement