L’Être fini et l’être éternel

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ÊTRE FINI ET ÊTRE ÉTERNEL

Author(s): Edith Stein and L. Gelber

Source: Les Études philosophiques , Juillet/Septembre 1956, Nouvelle Série, 11e Année, No. 3 (Juillet/Septembre 1956), pp. 405-422

Published by: Presses Universitaires de France

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fiTRE FINI ET fiTRE fiTERNEL

Conformément d la mission qui lui a dtd confide par le R. P. Gdndral des Carmes Ddchaussds, /'Archivum Carmelitanum Edith Stein (i) se charge de la publication autorisee des oeuvres d'Edith Stein. Ce travail fut precddd par un examen minutieux et la classification des manuscrits qui constituent Vheritage spirituel d'Edith Stein, héritage que le R. P. Avertanus, alors Provincial, parvint d sauver des décombres du Con vent de Herkenbos (HoUande) avec Vaide eclair de du R. Vicaire Goossens. L'ddition de ces oeuvres dont le quatrième tome vient de paraitre, ainsi que Verection et I'instauration des Archives ont été placdes sous la direction du T. R. P. Romde, Provincial actuel des Carmes Ddchaussds néerlandais, et de Mme L. Gelber, conservatrice. Entre autres tâches encore assignées aux Archives, citons Vdlaboration sur une base scientifique d'une biographie d'Edith Stein, et la collaboration aux prdparatifs du procès de sa béatification, pour lequel le R. P. Avertanus a dtd nommd postulateur. La parution du premier tome des oeuvres d'Edith Stein, Kreuzeswissen schaft, a soulevd de par le monde entier un écho de sympathie et d'inter et pour la personne, la destin de et le legs spirituel de cette femme vraiment favorisde du del. A la parution du second volume Endliches und ewiges Sein. Versuch eines Aufstiegs ztun Sinn des Seins, des voix d'abord hésitantes, puis de plus en plus fortes, s'dUverent également dans les milieux philoso phiques qui affirmdrent Vimportance d'Edith Stein comme philosophe. Le troisième et le quatrième tomes, qui apportent la nouvelle édition de la traduction par Edith Stein du Des HI. Thomas von Aquino Untersuchungen iiber die Wahrheit, furent enlevds des Uur parution, indice d'une juste appréciation de cette contribution d ? la recherche de l'?tre véritable, recherche jamais apaisde de Vesprit humain ? (2). En plusieurs pays, et particulièrement en France, V inter it pour la carmélite philosophe Edith Stein est aujourd'hui si vif qu'on y exprime tout haut le voeu de voir traduire ses oeuvres. Ce voeu, /'Archivum Carmelitanum y répondra: la version française des oeuvres est en préparation (3). La traduction du 2e tome : I/?tre fini et l'être éternel a dtd confide a la compétence de traducteurs qui préfèrent conserver V anonymat. Voulant répondre d la demande que nous ont faite les Etudes philoso phiques, et Uur marquer aussi combien nous Uur sommes reconnaissants d'avoir bien voulu consacrer ce cahier a Edith Stein, nous Uur confions

(1) L'Archivum Carmelitanum Edith Stein est une fondation de la Province des Cannes Dechausses hollandais, qui a son siège : 94, rue Marie-Therese, a Eouvain (Belgique). (2) Cf. vol. II, épilogue, point 1, justification du point de vue historique et archiviste. (3) Ees ceuvres d'Edith Stein paraitront aux Editions Nauwelaerts (Eouvain-Paris).

volontiers la primeur en frangais de longs extraits d'un chapitre de Endliches und ewiges Sein. II s'agit du troisième chapitre de cet ouvrage : ? ?tre essentiel et etre reel. ?

notice biographique

Edith Stein a ete formee a I'ecole d'Edmund Husserl. Elle en jut succes sivement Veleve et Vassistante dans les années 1913-1918, ou elle travailla avec lui d'abord a Gottingen, puis a Fribourg-en-Brisgau. Elle avait dejd ecrit une série d'études importantes selon la méthode phénoménologique (i) lorsque, pour des motifs religieux, elle délaissa les cercles philosophiques pour se livrer a Vetude des idées fondamentales du catholicisme (2). Quand, en 1936, Edith Stein avoue quelle nest qu'une novice en scolas tique et regrette I'insuffisance de ses études concernant la philosophie du moyen dge (3), nous pouvons conseiller au lecteur non prévenu de considérer cela comme la façon de parler d'un chercheur qui a conscience de I'insuffisance connaturelle a la connaissance et a la pensée humaines. Dans les papiers quelle a laisses (4), des esquisses et des notes témoignent d'une étude très poussée de la pensée grecque et médiévale, qui correspond a la profondeur de sa formation scientifique. La traduction des Quaestiones disputatae de veritate marqua son retour vers les travaux de philosophie. D'une première confrontation de la pheno menologie de Husserl avec la philosophie de saint Thomas d'Aquin, en 1929 (5) et d'un essai très étendu oil elle étudie I'acte et la puissance en 1931 (6) elle tira, dans les années 1935-1936, la matière de son ouvrage sur I/être fini et Tetre éternel, dont nous avons extrait le présent chapitre. La traduction des Quaestiones et Vetude sur I/acte et la puissance ont été composées alors quelle enseignait encore a Spire. Par contre, le parache vetnent du nouvel ouvrage au centre duquel elle traite du problème de l'?tre, date du temps ou elle était dejd entrée au Car met de Cologne et ou elle avait termine sonannée de noviciat. Elle était toute jeune comme carmélite, mais en pleine maturité comme femme et comme philosophe lorsqu’elle reçut, de ses supérieurs, en 1935, Vordre d'éditer son ancien essai sur la doctrine thomiste de I'acte et de la puissance (7). Iv. Gelber.

(1) Entre autres : Zum Problem der Einfuhlung, Halle, 1917. ? Beitrage zur philosophi schen Begriindung der Psychologie und der Geisteswissenschaften, dans Jahrbuch f. Philos. und phdnom. Forschung, vol. V, 1922. (2) 1922 : Bapteme ; 1922-1932 : Professeur a l'établissement des soeurs dominicaines a Spire (section moyenne et normale). (3) Cf. vol. II, Avant-propos. (4) En possession de VArchivum Carmelitanum Edith Stein. (5) E'article Husserls Phanomenologie und die Philosophic des Hi. Thomas von Aquino parut dans un numéro spécial a l'occasion du 7oe anniversaire de Husserl, dans Jahrbuch f. Philos., und phdnom. Forschung, Ergdnzungsband, 1929. Ees CEuvres complètes d'Edith Stein publieront cet article en son texte original dans un volume qui sera consacre a ses études philosophiques mineures. (6) Cf. des détails plus appropries dans Tepilogue du vol. II. (7) Mme Gelber, archiviste de VArchivum Carmelitanum Edith Stein, avait mis a notre disposition une étude importante introduisant a la pensée philosophique d'Edith Stein. Nous nous sommes trouvés contraints de différer la pubhcation d'une partie de ce texte à cause de la longueur des autres travaux que nous avons reçus pour ce numéro spécial. (N. d. I. R.J


CHAPITRE III. ? fiTRE ESSENTIEL ET ETRE RtEL

? I. Temporality, finitude, infinite, iterniti

En mfime temps que le contraste existant entre l'?tre actuel et l'être potentiel ? compris comme degré de Ffetre et comme démarche préliminaire vers Fetre suprême ? d'autres différences d'être se sont encore r6ve!6es k nous. Ce qui (en ce sens) est a la fois actuel et potentiel a besoin du temps pour passer de Fun a Fautre. L'être actuel-et-potentiel est de l'?tre temporel. L'être temporel est du

mouvement existentiel: c'est un rejaillissement perpn?tuel [d'actualité. L'etant qui est temporel ne possMe pas son être, mais il lui est redonne chaque fois. D'ofc se présente la possibilité d'un début et d'une fin dans le temps. Ainsi Tune des significations de la finitude se trouve circonscrite : ce que F6tre ne possède pas, mais ce qui a besoin du temps pour arriver k l'être, serait donc le fini. S'il était réellement conservé sans fin dans l'être, il ne serait pas- encore in fini au vrai sens du mot. Est vraiment infini ce qui ne peut pas finir, puisqu'il n'a pas re$u Fetre comme don, mais ce qui est en possession de litre,

le maitre de VMre, et, en vérité Yetre mime. Nous Fappelons Yetre éternel.

II n'a pas besoin* du temps, mais il est aussi le maitre du temps. L'être temporel est fini. L'être éternel est infini. Mais la finitude ne signifie plus que la temporalité et Feternite signifie davantage que l'impos sibilite d'une fin dans le temps. Ce qui est fini a besoin du temps pour devenir ce qu'il est. C'est quelque chose de réellement limite : ce qui est place dans l'être est place dans l'être comme quelque chose, qui n'est pas néant, mais qui n'est pas, non plus, tout. Et c'est 14 Fautre sens de la finitude : itre quelque chose et ne pas itre tout. Conformément a ce sens, Yiternite en tant que pleine possession de Fetre signifie : il n'y a Hen quelle ne soit pas, c'est-4-dire : ettc est tout. Si la temporalité comme telle est liée k la finitude comme limitation réelle, nous n'avons pas encore dit que ce qui est limite réellement doive être aussi limite temporellement. Pour élucider les rapports entre temporalité et finitude, il devient urgent de prendre en consi deration ce qui est (mis k part l'être) ? et de Fenvisager d'abord dans le domaine auquel nous avons limité provisoirement notre recherche. Nous revenons ainsi k la question qui a été déjà effleurée sans être résolue : les unités d'expérience nous apparaissent comme quelque chose qui se construit dans le flux de l'être du moi temporel, qui devient par suite un tout et se trouve conserve comme un bien n'ay ant pas la possibilité de ? se tenir et de subsister j> dans le temps. Ces relations curieuses ont besoin d'être élucidées davantage.


[Suivent les élucidations annoncées : ? 2. Essence (el$o$) et être essentiel; ? 3. Essentialite, concept et essence; ? 4. Lfessence et son objet; Vessence, U ? quid complet? et le ? gwii dyessence ? (voiles Was und Wesens-Was) ; changement d'essence et trans for mation d'essence ; ? 5. Essence particulière et essence generate; ? 6. ?tre véritable et essentiel; ? 7. Essence et noyau d'essence; essentialité et quiddicite (Washaftigkeit) (fAop<pVj); ? 8. Acte et puissance ; itre essentiel; ? 9. Uetre essentiel et Vitre riel des choses ; ? 10. Les universaux; ? 11. Refutation des fausses interpretations de ? Vetre essentiel ?.

(N. d. 1. R.)l

? 12. ?tre essentiel et etre éternel

Jetons un coup d'oeil en arrière sur le chemin parcouru. Nous sommes partis du fait indéniable de notre propre ?tre. Celui-ci s'est manifesto comme un 6tre fugitif, passant d'un instant à l'autre et, par conséquent, impensable sans un autre ?tre fond6 en lui-mfime et créateur, maitre de tout 6tre, bref l'dtre mfime. De plus, nous avons trouve quelque chose qui se pr^sente dans notre 6tre changeant et fugace et que nous pouvons embrasser et retenir comme un tout et comme d61imit6 lorsqu'il a surgi. C'est pourquoi, tout en s'étant mani feste dans le flux du temps, il apparait maintenant comme détache de ce flux, comme intemporel. Le flux temporel, Fexperience vécue oil surgit l'unité en moi et pour moi, se trouve sous des lois qui décident de son cours et qui, elles-m&nes, ne sont plus changeantes et fugaces, mais constituent quelque chose de stable et de fixe. II est une multiplicité d'unit^s intelligibles différentes par leur contenu et delimit6es les unes par les autres. Le ? monde reel ? avec sa multi plicity de figures qui deviennent et qui passent, et le monde de TStre changeant, a la fois r6el et possible, sont fond6s sur ce ? r&gne de Tlntelligence ? et possMent en ltd le fond de leur possibilité (1). Les unités intelligibles sont finies en tant qu'elles sont ? quelque chose et non la totalité ?, mais elles n'ont aucune possibilité de commen cement ou de fin dans le temps. Aussi nous trouvons-nous devant quelque chose qui n'est pas temporel, mais qui n'est pas non plus éternel au sens de I'Stre qui ? comprend tout ? ? Est-ce le ? ou bien

(i) II faut envisager le double sens de possibilité : i. I^a possibilité essentielle qui rend possible l'être reel avec ses démarches préliminaires; 2. Ses démarches préliminaires elles memes.


ou bien ? precoce prononc6 par Hedwig Conrad-Martius comme résultat principal de ses recherches concernant le temps : ? Ou bien l'étant existe dans une commensurabilité essentielle avec le néant et alors il

est eo ipso une Personne éternelle ? Ou bien il existe en tant qu'oppo sition de fait en face du néant; et alors il est ? pris en lui-m&ne ontiquement ? livre eo ipso a Topposition entre 6tre et non-?tre et a Texistence d'attouchement (Beruhrungsexistenz), purement poncti forme, infini au sens specifique (i) ? ? La ? commensurabilite avec le néant ? signifie que tout ? abime possible du n?ant ? est ? occupe ? par retre éternel eo ipso. ? Mais cela indique la souveraineté de T^tre immédiat sur tout non-fitre possible. Le fait de créer est Texpression naturelle de cette souveraineté dans son enicacite ? (2). L'^tre ? fugace ? n'est pas en possession de l'étant qui est fugace : celui-ci doit sans cesse lui fitre redonne. Toutefois, seul celui qui possède réellement l'Stre et qui est 1'Stre suprême peut le lui donner. Mais l'être souverain est nécessairement une personne. Cette personne ne serait pas l'?tre souverain si quelque chose se soustrayait k sa puissance d'être, a savoir s'il y avait de l'?tre ou du non-?tre indépendamment d'elle. Ainsi l'&tre des unités intelligibles, lui aussi, ne peut pas ?tre inde pendant de Dieu; tombe-t-il sous le flux du temps ? Cela non plus n'est pas possible. L'Intelligence s'est montrée comme la loi reposant en elle-meme et dominant ce flux. Mais les unités intelligibles existent elles vraiment ? en soi ? ? L'6tre que nous leur attribuons est-il leur Stre ? Si une unité d'expérience devient réelle en moi, alors je suis celui a qui on donne l'?tre et cette unité devient réelle par l'?tre qui m'est donné. Cependant, ce n'est pas l'intelligence qui la forme ou celui qui me donne mon ?tre; cette intelligence m'est donnee en mgrne temps que l'être et je suis formé par elle. Ce qui me donne retre et comble en m?me temps cet ?tre d'intelligence ne doit pas ?tre seulement l'?tre souverain, mais aussi Tintelligence souveraine : retre éternel possède la plénitude de l'intelligence, mais il ne peut puiser qu'en lui-m?me 1'intelligence dont chaque créature est remplie lorsqu'elle est appelée k l'?tre. Ainsi l'?tre des essentialités et des quiddités ne doit pas ?tre pense indépendamment de l'fetre éternel. C'est Tetre éternel lui-m?me qui façonne les formes éternelles (non pas dans un devenir temporel) et, d'après elles, il créer le monde dans le temps et avec le temps. Ce mot a une résonance mystérieuse et pourtant elle nous est familière depuis longtemps : ? 'Ev apxf) h Aoyoq ? ainsi répond la Sagesse éternelle a la

(1) Die Zeti, p. 373. (2) Ibid., p. 372.


question du philosophe. Les théologiens traduisent : ? Au commen cement était le Verbe ? ; par ce terme, ils entendent le Verbe éternel, la deuxième personne du Dieu trine. Mais nous ne violentons pas les paroles de saint Jean si, d'après les considérations qui nous ont conduits jusqu'ici, nous essayons de dire avec Faust : ? Au commen cement était VIntelligence. ? On a 1'habitude de comparer la Parole éternelle a la parole intérieure du langage humain et de comparer seulement le Verbe devenu homme a la parole extérieure et parlée (i). Nous ajoutons encore ce que dit la Sagesse éternelle par la bouche

de Fapotre Paul : ? ... ocuto<; scttiv izpb 7t<xvtg)v, xai toc 7wcvtoc sv ocutg> crovecrrrjxev. ? ? II est, lui, avant toutes choses, et toutes choses subsistent en lui ? (2). Ces deux textes de TEcriture nous transportent bien au-delà de ce que nous a indique Tintelligence qui cherche. Mais peut-?tre le sens philosophique du Logos, dans lequel nous avons pénétré, pourra t-il nous aider a comprendre son sens théologique et, d'autre part, la vérité révélée pourra-t-elle nous aider dans nos difficultés philoso phiques (3). Nous essaierons d'abord d'expliquer le sens de ces deux passages de FEcriture. Par Intelligence, FEvangile de Jean désigne une personne divine, donc non pas quelque chosirréele d', mais au contraire d'essentiellement reel. II ajoute aussi imm6diatement : ? 7ravTpc 81 auTou ?YeveT0 )}> <{ ^ar Lui toutes les choses ont été faites ? (4). II convient de rapprocher de ce passage le texte de saint Paul que nous avons cité plus haut : ? Toutes choses possèdent en lui la subsistance et la cohérence ? (5). Ainsi, nous devons comprendre par le Xoyoc, divin un être reel, e'est-a-dire Tetre divin de la doctrine de la Trinité.

Son appellation d'Intelligence s'explique, puisqu'il est Tetre divin en tant que ? compris ?, a savoir comme contenu de la connaissance divine, comme son ? sens spirituel ?. II peut être appelé également Verbe, puisqu'il est le contenu de la Parole de Dieu, le contenu de la revela tion, done l'expression de Tintelligence. Ou encore plus simplement : le Pere s'exprime et le Verbe est le produit de sa parole. Cependant, cette intelligence est réelle et il est impossible de séparer son être essentiel de son être reel, puisque l'être éternel est essentiellement reel et qu'en tant qu'?tre premier il est Fauteur de tout être. Nous

(1) Cf. Thomas d'Aqutn, De veritate, q. 4, a 1 ad 5 /6. (2) Col. I, 17. (3) Suivant les principes de saint Anselme : Fidens quaerens intellectum et Credo ut intelli gam. Voir aussi 1'introduction d'Alexandre Koyre dans son édition latine et française du Proslogion d'Anselme paru sous le titre : Fides quaerens intellectum (Paris, 1930). (4) ? Toutes choses ? signifie : tout ce qui a été créé. (5) Ainsi j'essaye de traduire duveoTTjxev par constant.


saisissons que l'être essentiel n'a pu avoir de commencement en considérant l'être essentiel et Intelligence en tant que tels. Mais nous pouvons le comprendre également en partant de Y esprit divin. L'être reel (= actuel) de l'esprit est : vie et compréhension vivante. Dieu en tant qu' ? acte pur ? est vie immuable. Cependant toute vie spirituelle, toute compréhension est impossible sans un contenu, sans une ? intel ligence spirituelle ?. Et cette intelligence doit être éternelle et immuable comme l'esprit divin lui-même. Bref, est-il possible de s?parer, ne serait-ce que par la pensée, l'être essentiel du A6foq de son être reel comme il est possible de le faire dans le cas de l'être fini? La Trinité en tant que telle semble signifier une semblable séparation. Le Fils est design^ comme coéternel (coaeternus) au Pere (i) et ? l'engendre ? par le Pere : ce qui signifie qu'il re?oit son être éternel du Pere. U essence divine est une et pour cette raison elle ne peut pas être désignée comme engendrée. Ce qui est engendre, c'est la deuxième personne et l'être qu'elle re9oit ne peut être l'être essentiel de l'essence divine, mais seulement son être reel dans une deuxième personne. Puisque la personne du Fils et son être reel est quelque chose de ? nouveau ? par rapport k la personne du Pere, on peut aussi dire d'elle qu'elle re9oit l'être. Mais l'essence (Wesen) ne re?oit pas son être (Sein) essentiel. Même le ?v apxfj Jjv 6 A6yo<; admet une telle interprétation si nous pensons k la signification que possède Yipxh dans la philo sophic grecque. Certes, ce terme ne signifie pas ? commencement ? dans le sens de ? Début du temps ?, mais le ? premier etant ?, ? l'etant primitif ?. D'oii la phrase mystérieuse a le sens suivant : Dans le premier fitant était le Logos (FIntelligence ou l'Essence divine) ? dans le Pere était le Fils, ^Intelligence du Reel primitif (Ur-Wirklichen) (2). U engendrement du Fils signifie la présence de l'essence dans la nouvelle Realite personnelle du Fils, qui ne dépasse pas, cependant, la Realite première du Pere (3). Les expressions imagées employées pour expliciter les relations entre les personnes divines ont souvent une résonance telle qu'on pourrait supposer une divisibilite, non seulement dans la pensée, mais aussi réelle entre l'être essentiel et l'être reel. (En réalité, il ne peut en être question puisque dans les deux cas il s'agit d'être éternel.) D'autre part, la conception de l'fitant premier en tant que l'fitant dont Xessence est Yetre ne parait pas admettre une séparation c^ans

(1) Voir le Symbole de saint Atnanase. (2) IfiL même interprétation se trouve dans j. Dillersberger, Das Wort vom Logos (La parole du Logos), Salzbourg, 1935, avec des textes d'Augustin et d'Origene. (3) I/ tre divin n'est pas un universal*, mais un ?tre commune. Voir le ? 10 de ee chapitre.


Fordre de la pensée. Saint Thomas a mis a part rinseparabilite du premier ?tant en raison de rinseparabilite entre Tessence et l'ytre reel. Tout ce qui est fini reçoit son fitre (selon nos conceptions actuelles, il faut dire : son 6tre rdel) comme quelque chose qui s'ajoute a son essence. On exprime ainsi une séparabilité reeUe entre Tessence et l'ytre reel. L'fitre essentiel nous paraissait séparable de la quiddité (Wesenswas), non pas réellement, mais dans l'ordre de la pensée. Toutefois, si le premier fitant a son essence dans r?tre, alors il est impossible de le penser sans Tfitre. Rien ne subsisterait si Ton abolissait

l'ytre. II n'y aurait pas de quid qui permettrait de penser le non-ytant. Quid, essence et fitre ne peuvent pas ?tre distingues ici. S'il était possible de saisir cette pensée en toute clarté, ce serait le fondement d'une ? preuve ontologique ? encore plus profonde et plus évidente que la pensée de Yens quo nihil majus cogiiari possit, k savoir de Tfitre le plus parfait qui puisse 6tre pense et qui est le point de départ de saint Anselme (i). Certes, on ne pourrait pas Tappeler une preuve proprement dite. Si Ton dit : Tfitre de Dieu est son essence ; Dieu est impensable sans Texistence ; Dieu est nécessaire..., nous n'y trouvons pas une conclusion proprement dite, mais seulement une transfor mation de la mfime idye premiyre. La justesse de cette transformation n'est pas contestée par saint Thomas qui, on le sait, a refusé la preuve ontologique d'Anselme (2). II admet que la proposition : ? II existe nn Dieu ? est évidente en soi, puisque Dieu est son ?tre. ? Cependant, ne sachant pas ce qu'est Dieu, la proposition de Texistence de Dieu n'est pas immédiatement évidente pour nous, on compréhensible par elle-même (selbst-verstdndlich) (3), mais elle doit plutôt ytre prouvée par les effets de Dieu qui, selon Tordre de la nature, sont donnés apr^s la cause et qui sont donc moins évidents en soi; mais ces effets, au point de vue de notre connaissance, nous sont donnys avant la cause et nous sont donc plus accessibles ? (4). Sans doute n'est-il pas naturel pour nous de penser Dieu comme a Tfitant ? ou encore comme ? celui dont Tessence est l'ytre ?. C'est la voie de la preuve allant des effets a la cause qui conduit Thomas vers cette pensée. Lorsqu'on a saisi cette pensée, la nécessité de Tfitre divin s'ensuit inévitable ment (5). Mais pouvons-nous vraiment saisir cette pensée ? Si com

(i) Proslogion, chap. II (?d. Koyr6, p. 12). (a) 5. th., I, q. 2, a- 1 ad 2. (3) C'est ainsi que l'édition allemande de la Somme du Kath. Ah. Verband traduit le per se notum (t. I, p. 38). (4) S. th., I, q. 2, a. 1 corp. (5) C'est pourquoi la réfutation traditionnelle de la preuve ontologique (6d. de la Summa du Kath.'Ak. Verband,!, 446, n. 3) n'est pas convaincante. n s'agit du passage de ressence a l'être et si ce passage est inadmissible pour tous les être finis, on ne peut en tirer aucune


prehendis, non est Deus, dit Augustin. ? Si tu comprends, Dieu n'est pas ?. Et ? ... par quelle force d'intelligence rhomme saisit-il Dieu puisqu'il ne saisit pas encore cette force d'intellection m6me par laquelle il veut Le saisir ? (1) ? Si nous disons : l'être de Dieu est son essence, nous pouvons attribuer un certain sens k cette idée. Mais nous ne parvenons pas a ? embrasser ? complètement ce que nous voulons dire (2). Nous ne pouvons pas saisir une essence qui n'est rien d'autre que de l'être. Nous ne nous y arrStons pas, puisque notre esprit tend au delk de tout fini vers quelque chose qui comprend en soi tout le fini sans s'y epuiser; par le fini m&ne, l'esprit est incite d'ailleurs a le dépasser. Aucun fini ne peut le satisfaire, mSme pas la totahte du fini. Mais ce qui pourrait le combler dépasse ses capacités m?mes. II se soustrait k sa vision. La foi nous promet la vision future dans la lumi&re de la gloire. Toutes les fois que nous essayons sur terre de saisir 1'infini, nous saisissons seulement une parabole finie, a savoir un fini dans lequel le quid, l'essence et l'fitre reel divergent. La destinée curieuse de la preuve ontologique me parait reposer sur la tension entre la finitude et l'infinité : aussi trouvera-t-elle toujours des défenseurs et des adversaires nouveaux (3). Celui qui a p?netre jusqu'a la pens?e de l'être divin, k savoir de Tfitre Premier, de l'fiternel, de l'lnfini, de YActe pur, ne peut pas se soustraire k la nécessité de Tetre qui s'y trouve incluse. Cependant, lorsqu'il cher chera k saisir l'être divin comme on cherche habituellement k saisir

quelque chose par la voie de la connaissance, alors celui-ci s'éloigne et n'apparait plus comme un fondement suffisant pour édifier une preuve. II parait tellement impossible au croyant, certain de sa foi, de penser Dieu comme inexistant qu'il entreprend avec confiance de convaincre même Yinsipiens (4) de l'existence de Dieu. Le penseur, qui s'en tient k la connaissance naturelle, recule chaque fois devant le saut qui franchirait l'abime. Mais les preuves de Dieu a posteriori, dont les conclusions partent des effets crees pour remonter vers une cause incréée, ont-elles eu une meilleure destinée ? Combien d'in croyants ont trouve la foi par les preuves thomistes ? Ces derni^res, elles aussi, sont un saut par-del& l'abime : le croyant le saute facile ment, l'incroyant s'arr?te devant.

conclusion au sujet de l'être éternel, puisque précisément la différence entre essence et être le distingue de tout flni d'une manière fondamentale. (1) De TrinUaiey V, i, 2 (Przywara, Augustinus, p. 231). (2) Ea relation entre l'intention et raccomplissement a été traitée ezplidtement par E. Husserl dans le VI* livre de ses Logische Untersuchungen (dans la 2e édition, III4 livre). (3) Cf. A. Koyr6, op. cit. (4) Insense', dans le langage de r?criture Sainte, signifie impie. Voir Anselme, Proslogion, chap. III-IV.


Mais revenons a notre sujet : sans doute Identification de l'?tre divin et de l'essence divine exprime Tinseparabilite idéale de l'?tre divin et de son essence, et par Ik en m6me temps Vinseparabilite de litre essentiel et de litre reel en Dieu. Litre essentiel de Dieu est litre

reel et mime Vetre le plus reel: c'est YActe pur. Mais puisque Dieu n'est pas saisissable pour nous, ni en tant qu'?tre ni en tant qu'essence (i), nous nous approchons de lui toujours seulement au moyen &'images finies dans lesquelles Tetre et l'essence sont s6parees ; d'ou ce rappro chement se fait tantôt du côté de l'essence, tantôt du côté de l'ytre et c'est pourquoi nous parlons pour ainsi dire de quelque chose de separe qui, en soi, n'est pas séparable. Or, comment cette inseparability est-elle compatible avec la séparabilité qui nous paraissait suggerye par la doctrine de la Trinity ? Puis-je séparer les personnes et leur different itre-personne (Per sonsein) de l'essence divine si l'Essence et l'?tre sont inséparable ? Je ne vois pas d'autre solution que de considérer l'?tre en trois personnes comme essentiel. Ainsi la séparabilité de l'essence et de l'fitre, de T^tre essentiel et de l'fitre ryel ne devient dans le cas du Logos qu'une simple expression de langage en parabole. Mais pouvons-nous parler autre ment qu'en paraboles lorsqu'il s'agit du plus grand de tous les mystères de la foi ?

Ces expressions paraboliques nous conduisent maintenant aux rapports existant entre le Logos divin et le sens des ?tres finis. Nous avons constaty que le nom de Logos employé pour la deuxième personne divine exprimait T^tre divin comme un ?tre connu et englobe par Tesprit divin. Ce sont la des paraboles puisées dans la faculté humaine de connaitre et de nommer des choses finies. Nous assignons au Logos dans la divinity Tyquivalent du sens en tant que contenu réel des choses; ce contenu lui correspond aussi en tant que contenu de notre connaissance et de notre langage dans le domaine de ce que nous pouvons saisir. C'est Ik Yanalogia : la concordance et la non concordance (2) entre A6y<n; et X6yo<;, entre la Parole fiternelle et la parole humaine. Cependant les citations de l'ficriture que nous men tionnons n'affirment pas seulement une comparaison qui nous rend capables de ? contempler l'essence invisible de Dieu... par ce qui a étécréé  ? (3), mais elles confirment que les choses ont étéz faites créées

(1) Puisqu'en Dieu Quid et Essence ne se distinguent pas, nous pouvons parler d'Essence (Wesen) en ce qui Ee concerne, tandis qu'il nous fallait employer quiddité (Wesenswas) lorsqu'il s'agissait d'êtres finis. (2) E'édition des oeuvres de saint Thomas du Kaih. Ak.-Verband emploie le terme Verhdlt nisgleichheit. (3) Romains, I, 20.


par le Logos et qu'elles poss&dent en Lui la cohérence ( Zusammenhang) et la subsistance (Bestand). Ce dont il s'agit s'explique aussi par le texte de Jean I, 3-4, familier au moyen âge. Aujourd'hui nous lisons : ?... sine ipso factum est nihil, quod factum est... sans Lui (le Logos) rien n'a été fait de ce qui a 6t6 fait ?. Autrefois, on lisait: ? Quod factum estt in ipso vita erat ?. ? Ce qui a ete fait, était la vie en Lui ?. De cette fagon, il semble que les choses cr6ees possèdent leur ?tre dans le Logos divin, a savoir leur être reel. Dans le passage de l'ficriture interprète ainsi, est prefiguree de toute évidence la conception augus tinienne des Idees en tant qu' ? essentialites créatrices dans l'esprit divin ?.

Ce qu'il ne faut pas entendre par Yetre des choses dans le Logos est exprimé dans une décision du magister? de Tfiglise (1) : les choses créées ne sont pas en Dieu comme des parties dans le tout et l'6tre r6el des choses n'est pas T?tre divin, mais leur propre ^tre, différent

de retre divin. Que peut signifier alors leur subsistance et leur cohérence dans le Logos ? Essayons d'abord de comprendre le con-stare, Fensemble des choses dans le Logos. Ce mot indique sans doute Tunite de tout etant. Notre expérience nous montre les choses en tant qu'unités finies en soi et separees les unes des autres ; toutefois, elles ont entre elles des relations de dépendance rSciproque qui nous conduisent a la pensée d'une cause generate cohérente de toutes les choses réelles. Cependant, la cohérence causale nous apparait comme quelque chose d'exterieur. Si nous essayons d'explorer la structure du monde des choses, alors nous y trouvons certainement une cause dans Tessence des choses qui est a Torigine de leurs cohérences causales possibles ; d'autre part ce sont les cohérences causales qui nous dévoilent quelque chose de l'essence (2). Ces deux aspects nous démontrent pourtant que l'essence est quelque chose de plus profond que les cohérences causales. Ainsi la cohérence causale générale ne signifie pas encore une cohérence intelligible universelle de toutes les choses. A cela s'ajoute encore le fait que la totalité de toutes les choses réelles n'embrasse pas encore tout etant fini qui existe. De la totalité de tout étant fait partie également beaucoup de ? non-reel ? : les nombres, les figures géométriques, les notions, etc. Tout cela est inclus dans l'unité du Logos. La cohérence qui lie le tout dans le

(1) I^a condamnation de VOntologisme, A. Gunthers : Dz, 1659-1665 (Dz = Denzinger Bannwart, Enchiridion Symbolorum, ed. n, Fribourg-en-Brisgau, 1910). (2) Saint Thomas dit que les différences essentielles des choses nous sont inconnues; d'aprds lui nous ne pouvons les designer qu'au moyen des différences accidentelles résultant des différences essentielles {De ente et essentia, chap. V). Voir ce qui est dit, ? n de ce chapitre, au sujet de l'essence et de la connaissance de l'essence.


Logos doit 6tre pens?e comme Tunity d'un ensemble-intelligible. La cohérence de notre propre vie est peut-?tre ce qui peut le mieux illustrer notre pens?e. Dans le langage courant on distingue d'une part a ce qui suit un plan ? (Planvolles) ? ce qui équivaut aussi k ? ce qui a un sens ?, ? ce qui est intelligible ? ? et d'autre part le ? fortuit ?, ce qui, en soi, semble d6pourvu de sens et incom prehensible. Je me propose de faire certaines études et dans ce but je choisis une université répondant k ma spécialité. Ceci est une cohérence pleine de sens et intelligible. Le fait de faire la connaissance ? par hasard ? dans cette ville d'un homme qui y fait également ses études et de nouer conversation avec lui un jour ? par hasard ? au sujet de questions sur la représentation du monde (Weltanschauung), cela ne me semble pas au premier abord manifester une cohérence intelligible. Mais, lorsque je repense ma vie apres des années, alors je comprends que cette conversation fut d'une importance capitale pour moi, peut-être ? plus essentielle ? encore que toutes mes études et je con$ois la pens?e qu'il me ? fallait aller ? peut-?tre ? expres pour cela ? dans telle ville. Ce qui n'a pas été dans mes pro jets s'est trouvé dans les projets de Dieu. Et, plus souvent, se présentent a moi de tels 6v6nements, plus vivante devient en moi la conviction de foi qu'il n'existe pas de hasard ? vu de la part de Dieu ?, que toute ma vie jusqu'& ses détails est prévue dans le plan de la provi dence divine et qu'elle est, devant les yeux de Dieu qui voient tout, une cohérence intelligible parfaite. Alors je commence a me réjouir a Tavance de la lumière de gloire oil me sera dévoilé cette cohérence intelligible. Toutefois, cette considération ne vaut pas seulement pour la vie humaine individuelle, mais aussi pour la vie de l'humanité tout entière et, encore au-delà, pour la totalité de tout Etant. ? La cohérence ? dans le Logos est celle d'un ensemble intelligible, d'une oeuvre d'art finie et chaque trait particulier s'insère k sa place dans l'harmonie d'ensemble du tableau, selon une loi très pure et très stricte. Ce que nous saisissons du ? sens des choses ?, ce qui ? entre dans notre intelUgence ?, se comporte par rapport k cet ensemble intelligible comme quelques sons perdus d'une symphonie lointaine apportes par le vent. Dans le langage des théologiens, la cohérence intelligible de tout etant dans le Logos s'appelle le plan divin de la création (ars divina) (i). Sa réalisation est le devenir dans le monde

des le commencement. Derrière ce ? plan ? pourtant, derrière le ? projet artificiel ? de la création se trouve (sans en ?tre separee dans l'ordre

(i) Thomas d'Aquin, De veritate, q. 2, a. 5 corp.


de Tetre) la plénitude éternelle de Tetre et de la vie de Dieu. Ainsi nous avons d?j& la reponse k la question suivante : comment le con-stare des choses, leur subsistance ou vie dans le Logos doit-il être con?u ? Nous avons déjà mentionné qu'il ne fallait pas voir dans cette subsistance leur être reel, car dans ce cas parler d'un ? plan ? et de sa ? realisation ? n'aurait pas de sens. Le nom de Logos indique qu'il pourrait s'agir de leur être essentiel et que le sens des choses dont nous devrions dire qu'il était ? non-devenu ? avait son origine dans le Logos divin. Ce qui a sa subsistance dans le plan de la création divine de toute éternité comme etant Fun de ses chainons est ? commu

nique ? aux choses ainsi que leur sens, pour être realise en elles. II appartient bien a Tetre essentiel de communiquer et de realiser dans une multitude de choses particulières tout ce qui est de cette manière. Mais Tetre essentiel, tel que nous T avons trouvé dans les choses,

n'epuise pas Tetre des choses dans le Logos. Autrement il ne mériterait pas d'être appelé vie et il serait impossible de parler cY essentialités créatrices. En outre, souvenons-nous qu'en Dieu Tetre essentiel et Tetre reel ne sont pas séparables et enfin que Vfivangile de Jean dit du Logos que par Lui tout a été fait. Ce qui devient réel dans les choses n'est pas seulement préconçu dans le Logos comme un ? non-reel ?, mais il est reel et efficace en Lui : la réalisation (Wirklichwerden) des choses est Teffet de cette efficacité. Telle est aussi la signification des Idees en tant qu'images originelles créatrices dans Fesprit divin. Mais toutes les énigmes ne sont pas résolues pour autant. D'après la désignation de T^tre essentiel indiquée ci-dessus, il nous faudrait dire : II est ? le même ?, lui qui, de toute éternité, était en Dieu dans la ? realite de l'image originelle ? (urbildliche Wirklichkeit) et qui, dans le temps, devient reel dans les choses. Or, dans les choses la séparation du quid et de Yessence par rapport a la réalisation, la séparation de Tetre essentiel et de Tetre reel sont possibles. Mais en Dieu elle s'était montree comme impossible. Cette difficulté est liée a une autre que nous avons signalée également ci-dessus : a savoir Tunite de Tetre divin et la multiplicité des Idees. Nous avons compare la cohérence de tout étant dans le Logos a une oeuvre d'art bien ordonnée, a une multiplicité organisée dans Tunite et la perfection du tout. Comment cela est-il compatible avec la simplicité de Tessence divine qui n'est rien d'autre que Tetre divin ? Thomas cherche la solution de la difficulté en disant que Tetre divin un et simple est la cause des choses et que la multitude se produit par suite de la multiplicité des choses : ? ... Tintelligence de Dieu qui fait tout produit tout selon Timage de son essence. En effet, son essence est Tldee des


choses ... Les choses créées pourtant ne sont pas l'image parfaite de l'essence divine; c'est pourquoi l'essence n'est pas prise par intelli gence divine d'une manière absolue comme Idee des choses, mais par rapport a la chose qui doit ?tre creee selon l'essence divine m?me, soit qu'elle reste derriere ou qu'elle imite cette essence divine. Cepen dant différentes choses l'imitent de manière différente et chacune a

sa fa?on, puisqu'il est propre k chaque chose d'être différente de l'autre ; et ainsi l'essence divine même est l'ldee de chaque chose lorsque les différents rapports des choses lui sont attribues. Or, puisque les rapports sont différents, il doit y avoir nécessairement une pluralité d'Idees. Certes, en considérant l'Essence, celle-ci est une pour tous; mais la multiplicité se trouve du côté des différents rapports des créatures k son égard ? (i). Le fait que l'esprit divin embrasse la multiplicité de tout étant en tant que multiplicité, ne porte guere de préjudice a Tunite et a la simplicité de Tfitre divin : puisque cela se fait uno intuitu d'un seul regard depuis l'éternité, sans changement. Ce regard englobe tout ? ce qui a été, ce qui est et ce qui sera ? (2) : k savoir le quid et Vessence réalises dans les choses, mais aussi tout possible qui ne se réalise jamais ? c'est-i-dire tout possible et tout reel en dépit de son Stre, que celui-ci soit seulement possible ou reel, qu'il soit le quid pur ou Intelligence en tant que multiplicité intelligible (Sinn-Mannigfal ii gkeit) qui comprend tout. Dans cette multiplicité intelligible, tout etant a sa place ; le fini en tant qu'unité" intelligible enfermée en lui, et le reel en tant que ? pensee de Dieu pensee a 1'avance ?. Ainsi nous parvenons k une double" signification de Tetre des choses finies dans Teternel : c'est-a-dire k une saisie de tout sens par

Tesprit divin, ainsi qa'k un Stre-fonde-de-maniere-causale et precon9u de tout étant dans Tessence divine (3). Arrives a ce point, nous avons la possibilité de resoudre une difficulté qui a été abordée occasionnellement : c'est la possibilité de considérer les choses qui ne sont pas réelles ni devenues, mais qui ne sont pas non plus des pensées pures, comme les choses creees. Nous avons souvent parlé de choses idéales et nous les avons incluses dans le domaine de Yetre essentiel. Des formes géométriques ? le point, la ligne, le triangle, le cercle et de m?me leurs individualisations, le tron$on d'une ligne détermine par sa longueur, un triangle ayant des

(1) De veritate, q. 3, a. 2 corp. (2) C'est l'expression préférée par Thomas pour résumer tout ce qui devient réalité a un certain temps. (3) Voir chap. VI, ? 5.


cotes (Tune certaine longueur et des angles d'une certaine gran deur (1), tout cela n'est pas reel : leur ? realisation ?, les coins, les arêtes et les surfaces de volumes reels ne sont pas des réalisations proprement dites, mais des ? images imparfaites ?, des approches des figures géométriques pures. Considérer ces figures comme quelque chose de ? purement pense ? n'est pas possible si je comprends par la une pensée créatrice arbitraire. Je peux former le concept de ? cercle triangulaire ?. Mais c'est un concept contradictoire que je ne puis pas transposer en une représentation complète. Pourtant il possède un ? Être dans l'intellect ?. Mais je ne peux pas ? m'imaginer ? un cercle a trois angles (c'est-&-dire je ne peux pas me le représenter mentale ment), puisqu'une ? telle chose n'existe pas ?. Et cela ne signifie pas seulement qu'il ne se trouve pas dans la réalité, mais aussi qu'il est impossible en soi, car il ne possède pas cet ?tre qui est propre aux formes géométriques en tant que telles. Mais cet &tre n'est pas non plus l'être de {'essence au sens détermine d'essence de quelque chose. L'essence a besoin d'un objet dans lequel elle puisse être ; son ?tre n'est pas autonome. Le triangle, par contre (c'est-a-dire un triangle particulier définitif), est un objet lui-m?me, il n'a pas besoin d'un autre pour constituer son propre être. Chaque triangle a son ^essence qui, en lui-m?me, n'a pas été ? realisee ?, mais qui est arrivée a son ? existence géométrique ?. Le fait d' ? arriver ? n'est pas un devenir dans le temps. L'existence géométrique n'a pas de commencement temporel. Si nous ? construisons ? un triangle, cela ne signifie pas que nous 1' ? engen drons ? ou que nous le ? creons ?. Nous cherchons plutôt la forme dont nous connaissons certaines parties. (Cela se fait dans Yanalyse). La construction est une imitation aussi fidele que possible dans un matériel réel, de la forme géométrique trouv?e ou une interprétation (Hinein deuten) de la forme dans l'espace. En effet, nous sommes ? libres ? de la ? transposer ?, puisque la forme en question peut prendre une position quelconque. Ainsi la position a un endroit precis est quelque chose qui peut commencer ou se terminer pour cette forme géométrique en question. Nous avons la possibilité de la ? mouvoir dans l'espace ?, de changer sa position ; pour elle, c'est quelque chose qui peut être fait avec elle et qu'elle admet. Mais ce n'est pas un mouvement reel ni un fait reel. Ce que nous faisons avec le triangle est un ? acte ? intellectuel. Cela nous sugg&re l'idée que la position ne revient pas a

(i) A toute forme particulière appartient également une position dans Tespace par laquelle elle se distingue de toute autre forme semblable. I^a position n'en fait pas partie de la mime façon que la grandeur. ? I*e m&ne ? peut etre pense dans différentes positions.


la forme géométrique, mais qu'elle est seulement ? ajoutee ? par notre pensée. Nous avons déjà dit qu'elle lui appartient d'une autre manière que sa figure et sa grandeur. Mais puisque la position est uniquement ce qui distingue deux triangles semblables, surgit la question de savoir si l'être individuel, lui aussi, n'est pas seulement ? surajoute ? aux formes geometriques-Le dernier objet défini auquel appartiendrait une existence géométrique serait alors le triangle avec des cotes et des angles definis ; son être individuel dans telle ou telle autre position ou bien dans différentes positions simultanément serait ? seulement pense ?. Mais cela n'est pourtant pas exact d'une façon évidente. En effet, les 6 carres egaux qui limitent un cube sont six el chaque carre a sa propre existence géométrique; nous ne pouvons pas dire qu'il s'agit en réalité cYun seul carre pense six fois ; par contre, il est juste de dire que ?le même carre ? (selon son être essentiel) se trouve six fois dans le cube. Cependant, on peut se demander si le fait de ? se trouver ? doit être déjà considere comme un véritable être indi viduel. Le cube avec ses six surfaces peut etre ? pense ? maintes fois dans l'espace. Dans la construction d'un corps aux surfaces latérales intervient une certaine position, comme il en existe une pour les lignes <la délimitation quand il s'agit d'une forme a deux dimensions. Mais les corps ? et aussi les autres formes considérées comme inde pendantes et non pas comme parties constituantes des corps ? n'exigent pas une position définie dans l'espace, mais une position ? quelconque ?. Au corps appartient la possibilité de se trouver dans une certaine position. Si cette position est seulement ? surajoutee par la pensée ?, son être individuel est aussi ? purement pense ?. Par contre, si un objet naturel se trouve dans l'espace dans lequel sa forme géométrique est ? realisee ?, alors il s'agit d'une individuali sation authentique et non seulement d'une individualisation ? pensee ?. Mais de plus, l'^tre individuel de la forme géométrique doit être encore distingue de l'être reel de la chose sur laquelle il s'appuie. Les objets sont seulement des réalisations imparfaites des formes géométriques et les formes pures doivent être considérées en elles-mêmes selon une manière de voir spéciale. Nous n'avons pas besoin de poursuivre ici la question de l'être individuel des formes géométriques. Ce qui importe, c'est de saisir comment l'être particulier des objets idéaux ? a l'instar des formes géométriques ? differe a la fois de l'être réel et de l'être seulement pense. Ces formes peuvent être ? realisees ? ou ? pensees ? dans le temps, mais en outre, elles possèdent un être en dehors du temps et elles-mêmes, en tant que figures définies en soi, ne deviennent pas.


Serait-il encore possible de les designer comme ? creees ?, comme des ? realisations de pensées créatrices de Dieu ? ? Afin de répondre à cette question, nous devons considérer le double sens de l'être des Idees en Dieu. Les Idees sont le quid de tout étant tel qu'il est englobe par l'esprit divin comme une multiplicité intelligible organisée. La, les Idees aussi ont leur place assignée. Leur propre ?tre n'est pas quelque chose postérieur et déduit par rapport a cet ?tre dans le Logos ; avec leur propre ?tre qui est en dehors du temps et du chan gement ? contrairement a l'?tre reel des choses qui commence et coule ? elles sont englobées par le Logos. Les Idees en tant que cause de tout étant fini (1) sont l'essence divine unique et simple par rapport a laquelle tout fini se trouve dans une relation d'image (Abbildverhaltnis) ; cette relation d'image doit être acceptee pour tout étant fini, pour l'intemporel et pour le temporel. En tant que T ? image originelle ? (Urbild) est la première et en tant que les ? images postérieures ? (Abbilder) sont déduites et regoivent le sens de leur existence en vertu de la relation d'image ( Abbild-V erhaltnis), tout fini place dans son existence particulière par l'Originel et par le Simple doit être considere comme cree (2) en ce sens-la. Ici le lien étroit entre le Logos et la création redevient apparent. Le Logos occupe une position curieuse de milieu ; il a pour ainsi dire une face double dont l'une réfléchit l'être divin un et simple et l'autre, la multiplicité de l'étant fini. II est l'essence divine en tant qu'elle est connue et il est aussi la multiplicité intelligible du cree, englobée par l'esprit divin et réfléchissant l'essence divine. De la s'ouvre la voie a une double révélation visible du Logos : dans le Verbe devenu homme et dans le monde cree. Une recherche ultérieure nous conduirait

a réfléchir sur la totalité inséparable du Logos devenu homme et ? devenu monde ? dans l'unité de la ?tete et du corps d'un seul Christ? que nous rencontrons dans la théologie de Tapotre Paul et dans la doctrine de la royauté du Christ chez Duns Scot (3). Mais ce sont déjà des questions purement théologiques qui dépassent notre cadre. Les vérités de la foi que nous avons citées ? la Trinité et la

(1) Par la il ne faut pas comprendre le commençant, mais le limite. (2) Voir ce que dit H. Conrad-Martius sur le Createur et sur la création : ? On pourrait... distinguer le sens de la création ou un sens qui représenterait en un déploiement fini ce que Dieu est lui-même. Ea divinité s'exprime dans la création par son aspect total et personnel. Dieu ne peut pas créer du vide, pas plus qu'il ne peut conserver du vide et dans le vide. II cree et il conserve nécessairement ce qu'il a créé grâce a la plénitude éternelle de son Être éternellement forme ? {Die Zeit, p. 377). (3) Voir P. E. Eongpre, O. F. M., Duns Scot, le théologien du Verbe incarne, dans Wis senschaft und Weisheit, I (1934), p. 243 sv.


creation de tout ytant fini par le Logos divin (i) ? devraient éclaircir la difficulté suscitée par la recherche purement philosophique de la question de T?tre : d'une part, en partant de F étant fini et de son être, nous avons abouti a un premier Etant qui doit être Un et Simple : quid, essence et ?tre ne faisant qu'un ; d'autre part, en partant du quid de l'étant fini, nous arrivons & une multiplicité des derniers éléments essentiels. II est impossible de parvenir d'une manière pure ment philosophique k la compréhension de ce double visage du premier ?tant, puisque nous ne possédons pas une vision totale du premier étant. Les réflexions théologiques ne peuvent pas conduire a une solution purement philosophique de la difficulté philosophique, c'est-a dire a une ? Intellection ? necessaire et contraignante, mais elles ouvrent les perspectives d'une solution possible au delà des bornes philosophiques qui délimitent ce qui est encore philosophiquement saisissable, mais d'autre part la recherche philosophique de l'?tre ouvre le sens des vérités de foi.

(i) Per quern omnia facta sunt (Symbolum Nicaenum).