L’embryon est-il une personne humaine ?
L’embryon est-il une personne humaine ?
- Pierre-Olivier Arduin est titulaire d’un master de bioéthique et d’un doctorat canonique de philosophie (Université catholique de Lyon), il est directeur de la commission bioéthique de l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon.
- Ses livres :
- « La Bioéthique et l’Embryon » (2007), Editions de l’Emmanuel, Préface de Mgr Rey
- « Le diagnostic prénatal : un éclairage éthique pour parents et soignants » (2012), Editions de l’Emmanuel, Préface de Mgr Suaudeau
L’Église ne s’est pas formellement prononcée sur le moment précis de l’animation de l’être humain, mais elle a toujours invité à respecter la vie dès sa conception. La distinction parfois suggérée dans certains textes juridiques internationaux entre être humain et personne humaine est artificielle et sans fondement scientifique, ni philosophique.
Sommaire
- 1 1.
- 2 2.
- 2.1 L’Église est à l’écoute de la science qui a fait beaucoup avancer la réflexion
- 2.2 Les données fournies par la science du développement embryonnaire sont un acquis inestimable que la métaphysique peut regarder comme un point d’orientation dont l’importance n’est pas subalterne=
- 2.3 Mais alors, l’enseignement de saint Thomas d’Aquin sur ce point précis serait-il à rejeter ? Loin s’en faut, répond l’Académie pontificale pour la Vie
- 3 3.
- 4 commentaires
1.[modifier]
L’Église ne s’est pas expressément prononcée sur la question de l’animation de l'embryon.
La démarche scientifique n’est pas le tout de la raison humaine[modifier]
- Elle n’épuise pas à elle seule le discours que nous pouvons tenir sur l’humanité de l’embryon. Si la science possède son ordre de légitimité propre, la réflexion doit être cependant enrichie par l’apport d’un raisonnement métaphysique qui ouvre à une connaissance intégrale « de l’être humain dans sa totalité corporelle et spirituelle » (Dignitas personae (DP), n. 4). Certains en effet sont prêts à concéder que l’embryon dès sa conception est un individu humain mais pas une personne corps et âme substantiellement unis.
L’âme spirituelle est le principe de vie du corps humain tout entier[modifier]
- Elle active et informe l’organisme humain de son énergie et de sa force unificatrice, selon la terminologie de la métaphysique classique. La réflexion sur l’union de l’âme et du corps fait bien partie d’un autre champ de l’intelligence que celui des disciplines scientifiques, c’est le champ propre de la métaphysique : on ne saurait indûment affirmer que les arguments biologiques suffisent à eux seuls à révéler la présence ou non d’une âme spirituelle. « Aucune donnée expérimentale ne peut être de soi suffisante pour faire reconnaître une âme spirituelle » (DV, I, 1), constate l’instruction romaine Donum vitae (DV). Les sciences ne prouvent pas l’âme.
La question du moment de l’animation, successive ou immédiate, est cependant un sujet dont l’Église ne se désintéresse pas[modifier]
- Selon une première conception, le principe spirituel qu’est l’âme humaine s’unit après un certain nombre de jours au corps embryonnaire lorsque celui-ci est suffisamment organisé. Selon une seconde, cette union coïncide avec la fécondation biologique. L’embryon est-il apte à recevoir une âme ? À cette question, saint Thomas d’Aquin, en s’appuyant sur les connaissances biologiques d’Aristote, répond qu’il existe un délai de 40 jours avant l’infusion de l’âme rationnelle dans le corps humain. Si l’Église n’a pas souhaité « s’engager expressément dans une affirmation de nature philosophique », comme le rappelle Dignitas personae, elle n’est pas non plus restée silencieuse sur le sujet.
2.[modifier]
Toutefois, l’Église avance que « les conclusions scientifiques fournissent une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition de la vie humaine. »
L’Église est à l’écoute de la science qui a fait beaucoup avancer la réflexion[modifier]
- « Même si la présence d’une âme spirituelle ne peut être détectée par aucune observation de donnée expérimentale, les conclusions scientifiques elles-mêmes au sujet de l’embryon humain fournissent une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition de la vie humaine » (DP, n. 5), déclare Dignitas personae en s’appuyant sur une remarque déjà avancée par Donum vitae. L’originalité de ce passage mérite d’être soulignée. L’instruction romaine ne cache pas que les découvertes scientifiques actuelles, qu’elle présente comme des conclusions et une indication précieuse, sont en mesure de nous aider à discerner chez l’embryon humain une présence personnelle.
Les données fournies par la science du développement embryonnaire sont un acquis inestimable que la métaphysique peut regarder comme un point d’orientation dont l’importance n’est pas subalterne=[modifier]
- En s’appuyant sur les avancées de la génétique et de la biologie cellulaire, la réflexion ontologique sur le statut anthropologique de l’embryon peut se prononcer en faveur de la saisie immédiate de l’être humain par l’âme rationnelle dès le premier instant de son existence.
- Saint Jean-Paul II n’a-t-il pas déployé la portée intellectuelle de l’instruction Donum vitae quand il affirme publiquement à propos de l’embryon que « l’approfondissement anthropologique porte à reconnaître que, en vertu de l’unité substantielle du corps et de l’esprit, le génome humain n’a pas seulement une signification biologique ; il est porteur d’une dignité anthropologique qui a son fondement dans l’âme spirituelle qui l’envahit et le vivifie » (Jean-Paul II, Discours aux participants à la IVe Assemblée générale de l’Académie pontificale pour la Vie, 24 février 1998.).
Mais alors, l’enseignement de saint Thomas d’Aquin sur ce point précis serait-il à rejeter ? Loin s’en faut, répond l’Académie pontificale pour la Vie[modifier]
- « La théorie de l’animation retardée, soutenue par Aristote puis par saint Thomas, (…) dépendrait essentiellement des connaissances biologiques limitées qui étaient disponibles au temps où ces auteurs écrivaient. Une application correcte des principes aristotélico-thomistes, tenant compte des connaissances scientifiques actuelles, porterait au contraire à soutenir la théorie de l’animation immédiate et à affirmer en conséquence la pleine humanité de l’être humain nouvellement formé. » (Académie pontificale pour la Vie, L’embryon humain dans la phase préimplantatoire, aspects scientifiques et considérations bioéthiques, p. 39. On reconnaît dans ces propos les écrits novateurs du père Pascal Ide qui fut d’ailleurs invité à présenter ses travaux lors de ce Congrès et qui font de plus en plus autorité dans l’Église. Pour un plus ample développement, voir Pascal Ide, Le zygote est-il une personne ? dans Aimer et protéger la vie, Éditions de l’Emmanuel, Paris, 2003). Et l’Académie de conclure : « La théorie de l’animation immédiate, appliquée à chaque être humain qui vient à l’existence, se montre pleinement en accord avec la réalité biologique. (…) Cette perspective ne contredit pas les principes fondamentaux de la métaphysique de saint Thomas. »
3.[modifier]
L’Église rappelle qu’il est fallacieux de dissocier artificiellement les catégories d’être humain et de personne humaine.
« Comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine ? », avait demandé le cardinal Joseph Ratzinger dans l’Instruction Donum vitae
Autrement dit, les deux concepts d’individu et de personne sont tout à fait solidaires l’un de l’autre. On peut donc faire valoir que la présomption est en faveur de la réponse affirmative, la charge de la preuve revient à qui veut répondre négativement. En effet, quiconque voudrait emprunter ce faux chemin devrait montrer que la proposition « Il existe certains individus humains qui ne sont pas des personnes. » est possible. Saint Jean-Paul II avait sévèrement critiqué « la distinction qui est parfois suggérée dans certains documents internationaux entre être humain et personne humaine pour reconnaître ensuite le droit à la vie et à l’intégrité physique uniquement à la personne déjà née, (qui) est une distinction artificielle sans fondement scientifique, ni philosophique. » (Jean-Paul II, Discours aux participants à la VIIIe Assemblée générale de l’Académie pontificale pour la Vie, 27 février 2002).
L’Instruction Donum vitae postule cette interdépendance totale entre les deux notions[modifier]
- Elle rappelle un principe moral fameux, ancêtre de notre moderne principe de précaution : il n’est jamais permis d’agir avec une conscience douteuse lorsque la vie d’un innocent est en jeu.
- L’Académie pontificale pour la vie ne dit pas autre chose : « Si l’on doute, devant un embryon humain, de se trouver devant une personne humaine, il est nécessaire de respecter l’embryon comme s’il l’était ; autrement, on accepterait le risque de commettre un homicide. Du point de vue moral, donc, le simple fait d’être en présence d’un être humain exige à son égard le plein respect de son intégrité et de sa dignité : tout comportement qui, d’une façon ou d’une autre, pourrait représenter une menace ou une offense vis-à-vis de ses droits fondamentaux, en premier lieu le droit à la vie, doit être considéré comme gravement immoral. » (Académie pontificale pour la vie, L’embryon humain dans la phase préimplantatoire, aspects scientifiques et considérations bioéthiques, Libreria editrice vaticana, 8 juin 2006, p. 43). « L’enjeu est si important, avait solennellement écrit sa sainteté Jean-Paul II, que du point de vue de l’obligation morale, la seule probabilité de se trouver en face d’une personne suffirait à justifier la plus nette interdiction de toute intervention conduisant à supprimer l’embryon humain » (Evangelium vitae, n. 60).
- Il faut entrer dans une démarche de contemplation devant l’embryon humain pour y découvrir l’empreinte du Créateur
- Au-delà de ce discours scientifique, métaphysique et éthique qui nous permet de penser adéquatement le statut de l’embryon, l’Église nous invite à porter loin notre regard et à cultiver un émerveillement humble devant la réalité de l’être humain dans sa plus extrême jeunesse. N’est-ce pas ce à quoi nous convie le pape Benoît XVI lorsqu’il demande aux scientifiques eux-mêmes d’entrer dans une démarche de contemplation devant l’embryon humain pour y découvrir l’empreinte du Créateur : « En réalité, celui qui aime la vérité, comme vous, chers chercheurs, devrait percevoir que la recherche sur un thème aussi profond nous met en condition de voir, et presque même de toucher, la main de Dieu. (…) L’amour de Dieu ne fait pas de différence entre celui qui vient d’être conçu et se trouve encore dans le sein de sa mère, et l’enfant, ou le jeune, ou bien encore l’homme mûr ou âgé, car en chacun d’eux il voit l’empreinte de sa propre image et ressemblance » ? (Benoît XVI, Discours aux participants du Congrès international organisé par l’Académie pontificale pour la Vie sur le thème « L’embryon humain dans sa phase préimplantatoire », 27 février 2006.)
commentaires[modifier]
Mic[modifier]
- jusqu'à ce jour, je n'ai pas saisi ce qui constituait le point ( biologique, philosophique... ) de discontinuité entre l'embryon sans âme et celui avec une âme. Car la Vie fonctionne ' à plein' dès la conception, sans aucune vraie rupture, simplement des étapes d'évolution.
Balthasar 25/03/2017 20:37[modifier]
- Bonjour, J'aimerai attirer votre attention sur un passage de l'Evangile selon st Luc (ci dessous), l'Annonciation (ça tombe bien nous sommes le 25 mars:), qui est suivi de la Visitation. Probablement peu de jour après la conception de Jésus, Marie arrive chez sa cousine Elisabeth. Et là, Jean Baptiste (6ème mois de grossesse) tressaille de joie à la présence de Jésus dans le sein de Marie (quelques jours de grossesse au plus). Cela n'est il pas une preuve scripturaire de l'intégrité âme corps dès la conception? Bien fraternellement dans le Christ, Balthasar St Luc au chapitre 1 (Version AELF) : 38 Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » Alors l’ange la quitta. 39 En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. 40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. 41 Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, 42 et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. 43 D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? 44 Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. 45 Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
Etienne 06/05/2016 13:54[modifier]
- Merci pour cet article fouillé. Il ne m'apparaît pas clairement cependant si vous rejetez ou non la position de St François d'Aquin quand vous dites " les conclusions scientifiques elles-mêmes au sujet de l’embryon humain fournissent une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition de la vie humaine". Comme vous le savez le nombre d'individus jumeaux homozygotes qui seront issus d'un ovule fécondé est indéterminé, et peut varier à la hausse comme à la baisse pendant une dizaine de jours après fécondation. A quel moment selon vous faut-il alors situer la "première apparition de la vie humaine" si cette notion est indissociable de celle d'individu ? Je vous remercie beaucoup par avance de votre éclairage sur ce point.
reCAPTCHA 04/05/2016 07:18[modifier]
- ENSEIGNEMENTS DU MAGISTERE
- 1° DONUM VITAE, Jean-Paul II, 1987 SUR LE RESPECT DE LA VIE HUMAINE NAISSANTE ET LA DIGNITÉ DE LA PROCRÉATION.
- RÉPONSES A QUELQUES QUESTIONS D'ACTUALITÉ http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19870222_respect-for-human-life_fr.html [...]
- Dès le moment de sa conception, la vie de tout être humain doit être absolument respectée, car l'homme est sur terre l'unique créature que Dieu a « voulue pour lui-même » [16] et l'âme spirituelle de tout homme est « immédiatement créée » par Dieu [17]; tout son être porte l'image du Créateur.
- I LE RESPECT DES EMBRYONS HUMAINS [...]
- 1. Quel respect doit-on à l'embryon humain, compte tenu de sa nature et de son identité? L'être humain doit être respecté — comme une personne — dès le premier instant de son existence. C'est pourquoi le fruit de la génération humaine dès le premier instant de son existence, c'est-à-dire à partir de la constitution du zygote, exige le respect inconditionnel moralement dû à l'être humain dans sa totalité corporelle et spirituelle. L'être humain doit être respecté et traité comme une personne dès sa conception, et donc dès ce moment on doit lui reconnaître les droits de la personne, parmi lesquels en premier lieu le droit inviolable de tout être humain innocent à la vie.\"
- 2° COMMENTAIRE DE LA CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI INSTRUCTION DIGNITAS PERSONAE SUR CERTAINES QUESTIONS DE BIOETHIQUE, N°1.
- A ce titre, il est important de rappeler le critère fondamental d’éthique formulé par l’Instruction Donum vitae pour juger toutes les questions morales qui concernent les interventions sur l’embryon humain : « Le fruit de la génération humaine dès le premier instant de son existence, c’est-à-dire à partir de la constitution du zygote, exige le respect inconditionnel moralement dû à l’être humain dans sa totalité corporelle et spirituelle. L’être humain doit être respecté et traité comme une personne dès sa conception, et donc dès ce moment, on doit lui reconnaître les droits de la personne, parmi
- 3° EVANGELIUM VITAE, Jean-Paul II, 25 mars 1995
- "60. Certains tentent de justifier l'avortement en soutenant que le fruit de la conception, au moins jusqu'à un certain nombre de jours, ne peut pas être encore considéré comme une vie humaine personnelle. En réalité, « dès que l'ovule est fécondé, se trouve inaugurée une vie qui n'est celle ni du père ni de la mère, mais d'un nouvel être humain qui se développe pour lui-même. Il ne sera jamais rendu humain s'il ne l'est pas dès lors. A cette évidence de toujours, ...la science génétique moderne apporte de précieuses confirmations. Elle a montré que dès le premier instant se trouve fixé le programme de ce que sera ce vivant: une personne, cette personne individuelle avec ses notes caractéristiques déjà bien déterminées. Dès la fécondation, est commencée l'aventure d'une vie humaine dont chacune des grandes capacités demande du temps pour se mettre en place et se trouver prête à agir ». Même si la présence d'une âme spirituelle ne peut être constatée par aucun moyen expérimental, les conclusions de la science sur l'embryon humain fournissent « une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition d'une vie humaine : comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine ? ».\"