La culture de l'information, un débat conceptuel

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LA CULTURE DE L'INFORMATION, UN DOMAINE DE DÉBATS CONCEPTUELS

Alain Chante

Article inédit. Mis en ligne le 30 décembre 2010.

Alain Chante

Docteur en Histoire, maître de conférences en Sciences de l’Information et de la communication à l’Université Paul Valéry Montpellier 3 depuis 1989, HDR, membre du CERIC, Alain Chante est directeur du département de Documentation et responsable d’un Master enseignement de Documentation ; ses travaux sont orientés sur les approches communicationnelles de l’image, la modélisation et la culture de l’information.


Plan[modifier]

Un paradigme, des expressions, des acteurs, un public. Information au sens médiatique ou au sens documentaire ? Culture collective, genre de vie ou projet de société ? Culture partagée, individuelle ou collective ? Culture individuelle ou culture ordinaire ? Culture de l’information et mondialisation. Conclusion.



L’expression « culture de l’information », apparue dans un contexte pédagogique, recouvre des significations variées, étant utilisée et étudiée à la fois par les chercheurs en SIC, les professeurs documentalistes, d’autres enseignants, d’autres disciplines, d’autres documentalistes. Le nouveau contexte de la masteurisation des Capes impose de proposer des articulations possibles entre ces différentes approches d’une « culture de l’information » qui selon l’angle de vue choisi, peut être vue comme permettant, de s’intégrer dans la société (culture partagée), d’avoir une promotion sociale (culture cultivée), ou de s’épanouir en tant que personne (culture personnelle), de maitriser les médias, de s’adapter au numérique ou de gérer son information. On peut rêver d’une culture à facettes jouant sur la conciliation des extrêmes.

INTRODUCTION[modifier]

La notion de « culture de l’information » a eu très tôt une connotation pédagogique. Il nous semble qu’elle s’est bien formalisée vers 1995, avec le manifeste ABCD (inter association des Archivistes, Bibliothécaires, Conservateurs, Documentalistes) pour la culture de l’information (ABCD, 1996 ; Pavlidès, 1996) qui faisait suite à deux rencontres organisées le 7 Mars 1995 "Pour une culture de l’information : de la documentation à la formation", et le 31 Janvier 1996 "Pour une culture de l'information: Etre citoyen face aux enjeux de l'information. Apprendre à s'informer." Ce manifeste faisait état de la nécessité d’une sensibilisation des élèves, et on y demandait au Ministère de l’Education nationale des actes forts concernant l’éducation à l’information et à la documentation, comme un programme cohérent de la 6e à la Terminale, des formations obligatoires dans le supérieur, des actions de formation continue, et des formations pour tous les enseignants. Au même moment, le CRDP de Montpellier se lançait dans un projet de passeport documentaire pour faire « passer » cette culture (Chante, Brunel-Bacot, 1995).

Depuis cette époque, « culture de l’information » est devenue une expression très présente dans les discours, aux côtés de « société de la connaissance » qui elle-même semble prendre le pas sur « société de l’information » dans le langage courant.


UN PARADIGME , DES EXPRESSIONS , DES ACTEURS , UN PUBLIC[modifier]

Il y a là un paradigme, un ensemble d’éléments en phase, mais qui a encore besoin nous semble-t-il, d’une assise conceptuelle, car le domaine est complexe, arpenté par acteurs divers.

Les chercheurs du domaine qui cherchent, logiquement, à baliser leur champ, ont particulièrement fait apparaitre une distinction entre « culture de l’information » et « culture informationnelle ». Viviane Couzinet prend ainsi en compte les différences de contexte entre techniques documentaires et science de l’information : dans un article avec Isabelle Fabre, elle avance que « la culture de l’information peut se définir comme la connaissance de ses propres intérêts et besoins, et la capacité à trouver [...], organiser [...], communiquer. »(Fabre, Couzinet, 2008); puis dans un autre article elle situe la « culture informationnelle » à un autre niveau, ancré « dans les savoirs construits par les Sciences de l’information…, c'est-à-dire référée à des théories, insérée dans une discipline scientifique qui reconnait et qu’on reconnait » (Couzinet, 2008), selon une démarche forte des SIC, qui définissent leur spécificité par rapport aux disciplines voisines (Jeanneret, Ollivier, 2004; Laulan, 2004). Cela permet de comprendre « les enjeux sous-jacents aux processus de construction de l’information, de sa valorisation, de ses détournements, de sa mise en perspective dans le temps et dans l’espace, de permettre le passage du statut de non initié à celui d’initié » (Couzinet, 2008). On aurait ainsi d’un côté la culture des usagers formés, de l’autre celle de ceux (les experts) qui formalisent les usages et les apprentissages.

Dans « L’éducation à la culture informationnelle », Françoise Chapron, MCF en Sciences de l’éducation, utilise aussi les deux expressions, mais pour faire cette fois, une distinction entre les pratiques d’une société et l’objectif éducatif: avec Sylvie Chevillotte, conservateur, elle envisage de fractionner le domaine recouvert par « culture informationnelle : il y a « deux façons symétriques d’envisager la culture informationnelle. La première voit la culture informationnelle dans les sujets, à travers leurs modes de saisie d’objets informationnels » (Chapron et Chevillotte, 2010) en fonction de leurs capacités et de leurs intérêts (Mollenkopk, 1992), et en se plaçant dans une approche « usages » prétendant opérer un changement de paradigme, le concept social pull remplaçant celui de technological push (Du Castel, Chambat, Musso, 1989). « La seconde étudie la rationalité, le système cognitif qui organise ces pratiques » (Chapron et Chevillotte, 2010). Puis, avec Eric Delamotte, professeur en SIC, elle avance la possibilité de « distinguer le concept de culture informationnelle au sens des pratiques de la société de l’information du concept de culture de l’information pensé comme une finalité et en termes d’objectif d’apprentissage. Le débat n’est pas tranché » (Chapron, Delamotte, 2010). La culture de l’information serait alors plutôt axée sur l’utilité, sur la technique permettant de dominer la nature par les objets, et la culture informationnelle sur la connaissance permettant de dominer la nature par la pensée, l’information étant un objet technico-scientifique relevant d’une production sociale.

Mais il ne faut pas oublier que « culture de l’information » entre aussi dans les discours des pédagogues, des politiques, des entrepreneurs, des vulgarisateurs et que les différences de projet sont fortes : vouloir dégager les pratiques ou proposer des recettes pragmatiques, se servir de « mots-valises » selon l’expression de Jean Caune (Caune, 1995) pour véhiculer un discours idéologique utopiste dénoncé par Ellul (1988) mais revendiqué par Pierre Lévy (Lévy,1992), ou encore une approche sociale «néo- machiavélienne », qualificatif revendiqué par Michel Callon et Bruno Latour (Callon, Latour, 1990), et expliqué par André Vitalis : « le prince d’aujourd’hui qui poursuit [une]stratégie de pouvoir, a à sa disposition des hommes, mais aussi toutes les ressources offertes par la technoscience », il y a « machination » (terme référé à « machine ») qui « permet […] d’occuper une position de manière irréversible et de se rendre indispensable à un grand nombre de gens dont le comportement sera rendu prévisible » (Vitalis, 1992).

Dans le contexte de l’enseignement du second degré, en France, les centres de Documentation et d’Information (CDI) sont gérés par un professeur-documentaliste, et non un professeur de documentation. Pour assumer ces deux fonctions associées, des liaisons originales (un enseignant à part entière, mais sans classe et sans programme strict combiné à un professionnel de la documentation qui doit éduquer ses usagers) ont dû se construire. Mais cela n’est pas sans conséquence. On l’a vu quand les documentalistes n’ont pas obtenu la place qui leur semblait être la leur dans le cadre des TPE, comme l’a constaté Viviane Couzinet : « ceux [les professeurs-documentalistes] qui sont désignés dans leurs missions pour ce type de travail sont absents, en tant que formateurs, des discours tenus par les enseignants de disciplines [qui] apparaissent comme les seuls aptes à former les élèves, même si enseigner des méthodes ne leur paraît pas évident » (Couzinet, 2002)(Couzinet, Gardiès, 2009). Ce documentaliste ne peut oublier qu’il est là pour former des citoyens usagers de l’information et non des futurs documentalistes. De plus, jusqu’à présent, les étudiants s’orientant vers le Capes Documentation venaient de disciplines diverses (majoritairement Histoire et Lettres) et possédaient des « cultures conceptuelles » différentes dont on ne peut pas faire table rase. Les étudiants vont se retrouver, sur certains domaines, avec des concepts, ou même simplement des habitudes de langage venant à la fois de la recherche, orientée vers l’Information ou vers la Communication, du monde professionnel de l’enseignement, et de celui de la documentation, où Olivier Le Deuff distingue culture de l’information des professeurs-documentalistes, culture de l’information selon l’ADBS (Association des professionnels de l’information et de la documentation), culture de l’information orientée « bibliothèque » (Le Deuff, 2010), et de l’extérieur de la discipline, c'est-à-dire de domaines revendiquant des frontières disciplinaires (Walter, 2003). Il faut donc affirmer que la frontière est un médiateur (Chante, 2009).

La récente masteurisation des préparations au Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement du Second Degré (Capes) impose de façon urgente à notre avis, de proposer des articulations possibles entre les diverses approches. La mise en place de cours communs entre Master Recherche et Master Enseignement sur l’épistémologie de l’Information-Communication, l’histoire et les enjeux de l’Information-Documentation invite à envisager une totalité qui est comme chacun sait, plus que le total des parties, et donc de « cadrer large » en reprenant les significations des éléments de base et de noter les combinaisons, les coopérations, les glissements, les fusions, les assemblages de ces termes polysémiques que sont « culture » et « information »).

Le cadre restreint de cet article ne permet pas de prétendre aboutir dans cette démarche, mais vise à positionner un point de vue et indiquer les lignes de force qui nous paraissent structurer les dimensions d’un concept toujours en débat.


INFORMATION AU SENS MEDIATIQUE OU AU SENS DOCUMENTAIRE ?[modifier]

Il nous semble que généralement, on joue, ou on subit la très forte polysémie des deux termes, que « information » recouvre selon les cas « information documentaire », « information médiatique », « information numérique », et que culture oscille entre « civilisation », état des connaissances d’une collectivité ou d’une personne, voire « action de cultiver », se retrouvant comme un intermédiaire entre le sujet et la société, ou ayant besoin d’un intermédiaire (l’éducation) entre elle et le sujet.

Les spécialistes de l’information voient dans la culture de l’information ce qui traite de l’information documentaire, composée d’informations fonctionnelles, d'informations stratégiques et de connaissances (Jakobiak, 1995). Mais le professeur-documentaliste participe depuis longtemps à l’apprentissage aux médias, presse et TV, d’abord pour développer un intérêt, une envie « d’entretenir des relations suivies et amicales » ce qui renvoie à une autre définition du mot culture (Chante, 1996) puis pour apprendre à décoder la publicité et la propagande, à saisir le sens d’un article, à développer un discours critique, à prendre du recul avec une culture outrageusement médiatique. Le documentaliste devrait s’arrêter aux aspects de vérification de l’authenticité, et conserver une certaine neutralité dans ses actes, mais l’enseignant, lui, doit apprendre à décoder et à interpréter, à entrer dans les significations, à donner une valeur et à avoir un avis.

S’agit-il là de « culture de l’information » ? Oui selon les actes du colloque Education à la culture informationnelle (Chapron, Delamotte, 2010). Deux des cinq communications du premier chapitre « Les cultures informationnelles : définitions, approches, enjeux », touchent à l’éducation aux médias : « l’éducation aux médias, une éducation technique ? » d’Olivier Dhilly (Dhilly, 2010) et « Education aux médias, à l’information et aux TIC : ce qui nous unit et ce qui nous sépare » d’Alexandre Serres , ce dernier posant clairement le problème : « une culture informationnelle peut-elle englober ces trois éducations [… et constituer…] « un socle commun » (Serres, 2010) , et y répondant positivement. Sur cet axe, l’actualité conduit à parler d’une éducation nécessaire à Facebook , qui expliquerait aux élèves ce qui est autorisé et interdit dans le domaine des critiques personnelles diffusées sur les réseaux sociaux. On est là dans un domaine qui à notre sens quitte les règles de la législation, la distinction éthique du « bon et du mauvais » permettant une vie heureuse pour passer au niveau de la distinction entre « le bien et le mal », valeurs absolues relevant cette fois de la morale (Deleuze, 1981 ; Chante, Vaisman, 2010).


CULTURE COLLECTIVE , GENRE DE VIE OU PROJET DE SOCIETE ?[modifier]

La culture est, entre autres, un genre de vie marqué par un objet, correspondant à une époque, ou un lieu structurant : on parle ainsi de culture antique ou moderne, de culture rurale ou urbaine, de culture (au sens de civilisation) du bronze ou du fer. On est alors dans une approche d’anthropologie culturelle qui donne une interprétation aux faits de culture (objets sacrés, coutumes, pratiques, produits) en définissant les caractéristiques communes de la vie de groupe, approche qui s’est constituée à la fin du XIXe siècle. « Culture », dit Alain Rey, reçoit alors « sa définition ethnologique et anthropologique d’ensemble des formes acquises de comportement dans les sociétés humaines » (Rey, 1998).

On peut concevoir la « société de l’information » et la culture qui la définit en faisant, comme Jean Michel, professionnel de la documentation, le simple constat que «l’avènement du multimédia et surtout le développement prodigieux des réseaux électroniques conduisent à parler d’une véritable société de l’information ». Cet auteur remarque en effet que « jamais, dans toute l’histoire de l’humanité, l’information n’a été aussi présente dans toutes les activités des individus et des groupes, jamais elle n’a été aussi abondante et aussi aisément accessible. Et jamais l’information n’a été à ce point facteur de transformation en profondeur de nos mentalités et de nos pratiques » (Michel, 1997). Il s’agirait alors pour le documentaliste de « lutter » contre, une tendance des élèves à réduire la culture de l’information à une cyberculture ou une culture du numérique dont on a signalé les relations complexes (Devauchelle, Platteaux, Cerisier, 2009) et leur besoin commun de dépasser les aspects utilitaires (Simonot, 2009). Se servir du numérique, c’est posséder ou acquérir un ensemble de savoir-faire (se connecter, accéder, savoir se repérer dans un dédale de procédures), c'est à dire un ensemble de compétences techniques. « L’environnement de lecture a bien changé, avec le livre il suffisait de savoir lire; avec l’ordinateur il faut multiplier les savoirs et savoirs- faire » (Juanals, 2003) On serait là au même niveau qu’une culture de l’écrit réduite à savoir techniquement lire un livre, un journal ou un dictionnaire. Quand Colombain avance que « la cyberculture c’est : l’ordinateur, le numérique, le CD Rom, le DVD, le multimédia, Internet, la télévision numérique interactive, la prise de vue numérique » (Colombain, 1997), la déclinaison de « cyber » montre bien son aspect généraliste et quotidien : Cyber-jeux, cyber-économie, cyber-société, cyber-journée, cyber-café. On est ainsi dans un genre de vie marqué par des outils et qui concernerait une façon de vivre d’un groupe qui s’étire à la dimension « monde ».

On peut aussi envisager « société de l’information » sur un plan plus politique et plus social, comme dans le Rapport de Nicolas Curien et Pierre Alain Muet la société de l’information (Curien, Muet, 2004) qui met en avant le droit à l’information et à la connaissance, la promotion d’un accès universel à un coût abordable, […] le renforcement de la sécurité des réseaux de communication et d’information , l’amélioration des accès au marché et la prise en compte des défis mondiaux ». On est là dans une démarche volontariste demandant une culture au sens d’action et non dans une intégration à une culture réduite à un simple contexte.


CULTURE PARTAGEE , INDIVIDUELLE OU COLLECTIVE ?[modifier]

La culture peut être perçue comme l’ensemble des connaissances ou des compétences dont une personne fait l’acquisition, qui lui permet, en tant que culture partagée, de s’intégrer dans la société, en tant que culture cultivée d’obtenir une promotion sociale, ou encore, en tant que culture individuelle (Dollot, 1974), de s’épanouir au titre d’une personne.

La culture partagée est comprise comme conscience de la culture (collective) dont on dépend, et la culture de l’information serait ainsi, un moyen d’intégration comme le précise Annette Béguin-Verbrugge , qui parle de « l’aptitude d’un individu à construire du sens par mise en relation, élimination, structuration de données, …fonction des capacités cognitives et des procédures qu’une personne mobilise…en vue de s’intégrer efficacement et harmonieusement à son environnement matériel et social » (Béguin-Verbrugge, 2010). On notera ici qu’on est bien dans l’information-signification, totalement distincte de l’information-signal « L’information qui est acquise en lisant … dépend du rapport qui existe entre ce qui est déjà enregistré dans le cerveau et la matière nouvelle qui y est introduite. Cette information, toute subjective et comme immatérielle, est entièrement différente de celle de Shannon,… liée au concept statistique d’entropie et de mesure. » (Meetham, 1971).

Au sens collectif, on peut rester sur l’idée d’un ensemble de connaissances, « ensemble modélisant de représentations et de conduites qui pour une société donnée définissent le rapport à l’information le plus rentable…ensemble défini d’une manière normative avec pour point de référence essentiel les savoirs experts » (Béguin-Verbrugge, 2010).

La culture de l’information permettrait le passage de l’individuel au collectif, et représenterait les valeurs d’une société, c'est-à-dire « les normes, positives ou négatives, qui s’attachent dans une société à des manières d’agir, de vivre, ou de penser ; les unes étant proscrites, les autres prescrites (Godelier, 1998).Ces normes peuvent devenir sélectives, leur connaissance permettant alors la promotion sociale. Il s’agirait alors d’une culture technique « élitiste » constituant ce qu’on pourrait appeler une « technoculture », en suivant le principe qui a conduit au concept de « technoscience » (Chante, De Lavergne, 2008), et qui aurait la même fonction qu’a eu la culture cultivée (Arendt, 1972, Bourdieu, 1979, Caune 1995), permettant comme elle de « se situer et progresser dans l’échelle sociale » (Caune, 1995, p. 44) mais dans un registre moins symbolique et plus pragmatique. Si l’on cherche à maintenir le parallèle, on pourrait alors voir dans la politique de l’Etat en faveur de la culture informationnelle une démarche de « démocratisation culturelle », à condition de réduire ce concept à son sens littéral en le dégageant de sa contextualisation « politique culturelle de la Ve République », politique « actualisant les œuvres du passé par leur mise à disposition du plus grand nombre » (Caune, 1995, p. 118), et dont l’efficacité semble s’épuiser (Caune, 2006).


CULTURE INDIVIDUELLE OU CULTURE ORDINAIRE ?[modifier]

Mais la notion de culture individuelle demande d’évoquer l’approche presque inverse au niveau de la démarche, de la culture ordinaire

La formulation est de Michel de Certeau (Certeau, 1993). C'est la culture comme vécu et manifestation singulière de l'individu, qui relève de l'expérience existentielle, une culture vécue de la vie quotidienne, où l’on prend en compte l'activité propre de l'individu. Pour de Certeau, ce qui compte ce sont les « manières de faire », les pratiques sociales qui ont une signification pour celui qui les effectue. On approche la culture par la notion de personnalité. Par une opération tactique, l'individu s'approprie des éléments hétérogènes de la culture en jouant de la spontanéité, de l'affectivité, de la créativité. On peut penser que les jeunes possèdent une culture de l’information qu’ils se sont créés hors des circuits éducatifs, par expériences personnelles sur le web (Tabary-Bolka, 2009), une culture mosaïque (Chante, 1996). Il y a alors hiatus entre pratiques personnelles et pratiques prescrites. Le documentaliste aura à lutter contre l’aspect anarchique de cette culture, mais ne peut faire l’impasse de la connaissance de cette culture.

On pourrait préciser les relations, et aux coté de culture de l’information envisager :

  • « culture par l’information » dégageant le rôle de l’information, au sens de nouveauté dans l’acquisition d’une culture, ou en prenant information dans son sens premier de mise en forme comme l’utilisait Henri Guitton dans un ouvrage un peu oublié qui annonçait les approches du concept d’’information stratégique ou utile. « Le mot le dit bien: il faut donner une forme à ce qui a été recueilli. Donner une forme, c’est la fonction de l’esprit, qui doit poursuivre une création simplement commencée. Les choses n’ont pas d’âme tant que nous ne leur en avons pas donné » (Guitton, 1967). Ce sens a été développé par Varela dans son concept de l’in-formation « ce qui forme en dedans », démarche intellectuelle personnelle, (Varela, 1979).
  • « culture à l’information », qui viendrait de l’éducation à l’information, sur le modèle de l’éducation aux médias. C’est l’acquisition d’un savoir critique, en phase avec les programmes d’Histoire et de Lettres, dans le droit fil des revendications d’une culture humaniste fondée sur l’analyse, le raisonnement; on forme un citoyen cultivé et informé.
  • « culture pour l’information » qui serait basée sur les aspects techniques permettant d’obtenir une info abondante et fiable ; pour permettre de nuancer les approches, la culture de l’information peut être vue comme une culture pour l’information, permettant d’accéder à l’information vue comme une connaissance communiquée (Meyriat, 1985).


CULTURE DE L’INFORMATION ET MONDIALISATION[modifier]

« Culture » a souvent été rapprochée d’une dimension nationale. Mais dans le dépassement de cette dimension par la mondialisation, la culture de l’information peut devenir le soubassement « universel » de cette mondialisation. On évoque souvent une « culture de l’information » qui renvoie à ce que Gérard Leclerc appelle la mondialité culturelle et qui pour lui « représente à certains égards une révolution des communications » (Leclerc, 2000). Elle suppose des contacts humains et des « instruments intellectuels de compréhension entre les groupes ainsi mis en contact de façon plus ou moins brutale ». Adoptant la démarche suivie par Malraux pour le domaine de l’art, cet auteur met en avant, pour la culture textuelle, l’image de la bibliothèque de Babel, permise par le décloisonnement des cultures, les contacts généralisés et les moyens de reproduction illimités: « La bibliothèque de l’homme du XXIe siècle sera – pourra être – non plus nécessairement celle d’une civilisation, mais la Bibliothèque de Babel, où se mêlent toutes les langues, toutes les croyances, tous les livres, tous les textes…» (Leclerc, 2000). Elle permettrait une acculturation à l’échelle mondiale, une « interculturalité » à l’échelle globale. Selon Gilles Verbunt, « l’interculturel est déjà un fait, qui ne fera que s’amplifier demain. » (Verbunt, 2001). L’interculturalité est vue comme effort pour créer un type de lien social susceptible de concilier la globalisation avec le besoin de communautés à taille humaine et s’intègre dans la notion de « culture de l’information » : « La diversité culturelle (reconnue par l’UNESCO) devient un des enjeux de la culture informationnelle, (avec) deux philosophies : soit l’interconnexion de tous avec tous résout la question des rapports entre les hommes et les sociétés , soit (il faut) prendre en compte l’altérité, d’où cohabitation des différences et obligation de négocier avec autrui » (Chapron, Chevillotte, 2010). Dans son premier article, la Déclaration de principe du Sommet mondial sur la Société de l’information de Genève (décembre 2003), qui révèle d’ailleurs une certaine confusion terminologique et conceptuelle (Arboit, Frau-Meigs, Mathien, 2005), donne en effet comme objectif à la société de l’information de respecter la diversité des cultures locales, pour devenir une société « dans laquelle les individus, les communautés et les peuples puissent ainsi mettre en œuvre toutes leurs potentialités », tout en les intégrant dans une globalité. Il serait licite d’estimer que la culture de l’information serait alors l’élément de l’identité culturelle de tous ceux qui croient en la valeur universelle, mais respectueuse des différences de la société de l’information.


CONCLUSION[modifier]

Pour conclure provisoirement, on peut donc avancer que la culture de l’information permet de savoir trouver l’information et de savoir la critiquer, d’apprendre les médias, et d’ apprendre par les médias , d’apprendre à être un Homme, et d’ apprendre à être un citoyen. Elle est essentielle dans le cadre pédagogique puisqu’elle permet l’intégration dans la société et ne doit pas se réduire à une sélection de nouvelles élites. On notera que le risque est ancien, et se répète chaque fois qu’il y a extension brutale des documents accessibles. Face à la progression du nombre des livres, l’idéologue Cabanis, au temps du Consulat, ne proposait- t-il pas un « Projet de bibliothèque universelle » pour « faire du lecteur bibliothécaire un citoyen bien formé et informé, apte à se repérer, sélectionner, découvrir et donc élire » (Damien, 1996, p. 455), contre le risque d’une nouvelle aristocratie fondée sur la capacité à maitriser « la confusion de l’abondance […], la profusion et la complexité» (Damien, 1996, p. 451) ».

Dans le cadre du CDI la culture de l’information nous semble devoir se relier plus à la notion de société de la connaissance (connaissance qui met en œuvre des compétences cognitives) qu’à celle de la société de l’information, (qui renvoie plus à l’accessibilité à un bien que l’on cherche à maintenir public).

C’est une notion complexe qui demande de construire les facettes d’une vraie définition encyclopédique, comme dans le modèle d’analyse componentielle tenant compte des sélections contextuelles et circonstancielles évoquées par Umberto Eco (Eco, 1998) permettant une saisie globale et donc objective. Aron n’a –t-il pas affirmé : « Objectivité ne signifie pas impartialité, mais universalité » (Aron, 1948) ?


REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES[modifier]

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