La foi suppose-t-elle un saut dans l'irrationnel ?

De JFCM
Aller à : navigation, rechercher

La réponse de Pierre de Lauzun [1]

La foi suppose-t-elle un saut dans l’irrationnel ?

La foi suppose par nature un saut dans un autre ordre de connaissance qui fait entrer en relation avec une Personne infinie et aimante. Mais ce saut, bien loin d’être irrationnel, conforte la raison.


Sommaire


(1.)[modifier]

L’expérience de la foi est une expérience de vérité, mais c’est une vérité qui nous dépasse infiniment. Le passage à la foi suppose donc rationnellement le saut dans un ordre différent de connaissance et d’expérience. La foi est simultanément l’acceptation d’un message et un acte de confiance dans une Personne : il faut que Dieu se révèle pour que nous Le connaissions, et cela crée une relation entre personnes radicalement inégales.

L’expérience de la foi est une expérience de vérité, croire dans l’existence objective d’un Dieu sauveur. Expliquer la foi par autre chose qu’elle-même, c’est ne pas la comprendre.[modifier]

Pour la plupart des gens, foi et raison s’opposent diamétralement. Mais la foi religieuse est par nature une expérience qui prétend à la vérité, car elle porte sur des réalités qu’elle affirme. Ce qui rend possible l’appréhension rationnelle de son message. Encore faut-il pour cela se placer de son point de vue, de l’intérieur. Car il est incohérent de considérer une conviction sans regarder comment les choses apparaissent pour qui l’a. Si on croit au sens chrétien du terme, ce n’est pas dans une force vitale immanente, ou sur la base d’émotions pure, mais dans un Etre transcendant, dont on pense qu’il existe objectivement, et qu’Il nous aime et nous sauve. Mais qui nous dépasse infiniment ; nous ne pouvons donc l’atteindre que par un don de Sa part.

La démonstration de l’existence de Dieu et la foi en Dieu sont deux choses différentes[modifier]

Le passage à la foi suppose le saut dans un autre ordre de connaissance et d’expérience. Un saut rationnel dans son principe, parce qu’il se justifie par son objet. Nous ne parlerons pas des motifs rationnels de l’existence de Dieu, car c’est une question distincte de celle de la foi. Il est vrai, et l’Eglise l’affirme avec force à la suite des Ecritures, que la réflexion philosophique peut nous mener à Dieu. Notre raison est en effet positive mais n’a d’accès à une perspective cohérente et fondatrice de sens qu’en reconnaissant qu’il existe un Etre existant par lui-même, à l’origine de toute réalité. Et qu’Il a parlé à l’homme, par une forme de Révélation. Ce qui mène à la possibilité de la foi. Mais cela ne la donne pas.

La foi est basée sur une expérience d’un type différent, qui comme telle ne peut être démontrée[modifier]

L’idée rationnelle de Dieu ne nous met pas en relation avec Lui. La raison ne montre ou rend vraisemblable que son existence, pas le chemin conduisant à Lui. D’où la nécessité d’une autre voie, dont la source est une initiative de Dieu. Et c’est logique : Dieu est un être infini qui nous fait être à chaque instant. Admettre Son existence implique de reconnaître que nous sommes dans Sa main, au moment même où nous parlons. Et donc c’est Lui qui a fait l’essentiel de l’effort et nous appelle. Lui répondre suppose d’aller au-delà de nos possibilités naturelles, donc plus qu’une conviction : une transformation intérieure, appelée conversion. Elle dépend d’abord de Sa volonté : c’est Lui seul qui décide, quand et comment, par une aide qu’on appelle la grâce.

Il faut que Dieu se révèle pour que nous Le connaissions[modifier]

Cela crée un rapport entre Lui et nous qui est une relation entre personnes radicalement inégales. La foi comporte donc simultanément l’acceptation d’un message, et un acte de confiance dans une personne.

Pour croire en Dieu il faut en connaître quelque chose, mais notre raison atteint alors ses limites[modifier]

En effet, dans cette vie notre connaissance part des données de nos sens, ce qui ne permet pas de connaître ou de rencontrer Dieu comme tel. Quant à la vision mystique directe de Dieu ou de l’Absolu, elle concerne au mieux très peu de gens. Et donc Dieu s’est fait connaître Lui-même, par la Révélation. La Révélation est un message de Dieu, transmis par une communauté et auquel on adhère avec l’aide de Dieu, dans la foi. La foi et la révélation sont offertes à tous.

La forme de connaissance que donne la foi sera donc très particulière[modifier]

Sans nous donner à voir Dieu, elle nous communiquera quelque chose de Lui, par un don particulier de Sa part, une grâce, et une communication spécifique, la Révélation. Dont un message essentiel : l’amour de Dieu pour l’homme, et la promesse de salut éternel qu’il lui fait. On ne peut donc pas démontrer la foi directement, tout au plus récolter des éléments de vraisemblance. Seule l’autorité de Dieu se révélant Lui-même conduit à la foi, qui suppose un geste spécifique de Sa part, dépassant nos propres moyens.

La foi comporte dès lors à la fois une relation avec Dieu et un enseignement[modifier]

Certains insistent exclusivement sur l’un ou sur l’autre. Soit on voit la foi comme un assentiment à un ensemble d’affirmations ; pourtant l’adhésion aux vérités révélées entraîne aussi un engagement de tout notre être, et une relation à Dieu. Soit on met l’accent sur la relation subjective, l’expérience personnelle, mais au risque de relativiser le message, qui demande notre assentiment à une vérité objective : il faut en effet connaître quelque chose de Celui en qui on croit. Ce que dit la foi est objectivement vrai ou n’a pas de sens, et ce n’est pas un réservoir de thérapeutiques.

Le passage à la foi implique donc un saut qualitatif par rapport à toute pensée profane, une rencontre avec une autre réalité, située hors du temps, mais cela ne signifie pas que cela soit irrationnel[modifier]

Si on admet que la raison peut connaître ses limites et reconnaître qu’elle ne peut aller seule au-delà de ses possibilités propres, il est rationnel qu’elle s’incline devant Celui dont elle reconnaît l’existence et l’infinité, et qu’elle L’écoute. Certes le croyant donne son assentiment à ce qu’il ne peut démontrer, mais il juge raisonnable de le faire. Une pure émotion n’est en revanche pas une expérience de vérité.

(2.)[modifier]

La croyance et la foi sont deux réalités différentes. Les croyances sont essentielles à notre vie en général. Mais dans le cas de la foi Celui qu’on croit est Dieu, dans Sa révélation ; et cela conduit à croire en Lui comme on croit en une Personne, bien plus fermement qu’en une simple croyance ou même connaissance. La foi est dès lors une vertu et un acte de la volonté.

La croyance et la foi sont deux réalités bien différentes. Les croyances sont essentielles à notre vie en général. Mais la foi n’est pas la croyance ordinaire.[modifier]

La croyance en général joue un rôle essentiel dans nos vies. Newman l’a remarquablement décrit. Nous croyons très souvent ce que nous dit quelqu’un sans systématiquement vérifier : on croit que son père est son père sans faire de recherche en paternité ; ou que la Grande-Bretagne est une île, ou que nous mourrons un jour. Et il est rationnel de procéder ainsi. Nous donnons notre assentiment dit Newman par un jugement global sur la situation considérée, fruit d’une démarche de l’ensemble de notre personne, bien au-delà du seul raisonnement. Dans la vie réelle, la voie de la démonstration n’est pas la plus fréquente, ni la plus efficace.

Dans le cas de la foi. Celui qu’on croit est Dieu, dans Sa révélation.=[modifier]

La foi s’inscrit sur ce socle humain fondamental de croyance. Mais l’homme aspire à une vérité suprême, qui le dépasse infiniment. C’est là que la croyance ne suffit pas. En matière religieuse il n’y a par nature pas d’expérience directe. Pour que l’homme puisse connaître Dieu même faiblement, il doit dépasser ses possibilités propres de connaissance. La démarche de foi est alors seule pertinente. La croyance est une connaissance ordinaire, mais imparfaite. La foi, elle, implique une relation avec une réalité inaccessible par la science, fondée sur une exigence de vérité. Elle peut être affligée par des doutes ; mais dans sa nature, elle diffère de la simple opinion. Fondée sur la relation à Dieu, la foi a un pouvoir de certitude bien supérieur, sans être un savoir au sens scientifique.

Croire quelqu’un suppose une relation à la personne qui sait, par un assentiment sans réserve[modifier]

Avoir la foi c’est croire en Dieu et croire Dieu. Même si ce message passe par des hommes, cette confiance se place en Dieu. D’où un paradoxe apparent : ce garant est le meilleur garant qu’on puisse imaginer – mais bien sûr encore faut-il croire que c’est bien Lui qui nous parle. Alors que les preuves humaines ne nous soutiennent plus assez, il s’agit d’un acte de confiance total dans la vérité de cette parole comme parole de Dieu. Ce qui à nouveau suppose la grâce, ce don de Dieu qui met une telle ‘croyance’ complétement à part des autres. De plus, dans la foi Dieu nous donne quelque chose de Lui-même. Il ne s’agit ici donc pas uniquement d’information sur la réalité, mais d’une relation à cette réalité même, quoique de façon imparfaite et voilée. La foi ainsi comprise grandit avec le temps, comme adhésion à Dieu. Et plus on adhère, plus on voit que l’objet de l’adhésion nous dépasse.

Il en résulte que l’esprit d'obéissance est essentiel à la foi et à son affirmation comme vérité[modifier]

Dans la conception actuelle, on voudrait ne se baser que sur des éléments subjectifs, instables et émotionnels. Mais la vérité ne peut être fabriquée par nous : nous devons l’accepter quand elle se révèle. En d’autres termes, le refus de l'objectivité et le refus de l'autorité sont apparentés. Contrairement à l’idée reçue, la raison suppose un certain principe d’autorité : il faut admettre de partir de ce qui vous est objectivement donné.

La foi va bien au-delà de la connaissance. C’est même une vertu. Elle comporte une perspective eschatologique et se fonde dans la charité.[modifier]

La foi, adhésion à une Personne infinie, va donc bien au-delà de la pure connaissance. Son moteur premier sera la volonté. Il en résulte que croire est un acte méritoire qui engage tout notre être. Mais la volonté ainsi comprise suppose un désir au sens large, une attirance, essentiels à notre être qui est fait pour Dieu lequel est Amour. C’est donc l’amour qui structure l’acte de foi, ce n’est pas la maîtrise conceptuelle. Mais loin de nier la dimension de vérité, cet acte la fait parvenir à un stade supérieur, au-delà du raisonnement mais sans le contredire. Dans cette voie, le principal obstacle est l’orgueil, puisque c’est le refus de notre soumission à Dieu. Dès lors, si on croit en l’homme et en son potentiel d’infini, il faut lui demander l’humilité : sa soumission à l’infini effectif de Dieu. Ce que le moderne refuse de faire, parce qu’il revendique une autonomie totale - stérile et fermée.

Pourquoi certains font-ils le saut de la foi, et d’autres non ? C’est in fine une question de liberté[modifier]

Il y a dans la foi une connaissance supplémentaire, différente d’une croyance, mais qui n’est pas reproductible à volonté. Le jeu par lequel Dieu touche une âme est affaire subtile et personnelle. Il y a bien des motifs ou prétextes pour la refuser. Parfois ce seront les insuffisances de celui qui lui propose la foi. Parfois notre cheminement personnel passé, etc. Mais à un moment nous devons choisir : dans la foi, notre volonté libre choisit de s’ouvrir à un appel de Dieu, par un don de nous-mêmes.

(3.)[modifier]

La foi étant à la fois une rencontre et un message objectif, elle est une source de connaissance qui peut être légitimement explicitée par des mots et des concepts. Il y a dès lors deux ordres de connaissance légitimes : par la raison seule, et par la foi. Cette conception est spécifiquement chrétienne : les religions d’Asie notamment ont une autre idée de la connaissance, de l’expérience et de la vérité.

La foi est source de connaissance ; c’est à la fois une rencontre et un message objectif. Elle comporte une possibilité d’explicitation conceptuelle.[modifier]

La foi ne naît pas de la discussion entre personnes ; elle suppose la reconnaissance par la conscience d’une expérience de vérité particulière. Même si une rencontre avec une personne humaine concrète est le moyen privilégié de Dieu pour Se faire connaître.

La foi est adhésion à Dieu mais elle ne suppose pas l'élimination de toutes les objections qu'on peut lui faire[modifier]

Sinon elle serait impossible, comme d'ailleurs tout savoir ou toute croyance. Il faut donc tenir à sa foi même si on n’a pas résolu toutes les objections qu’elle soulève, du moment que nous considérons qu’elle est fondée sur un socle large, auquel nous pensons devoir un assentiment. C’est l’assentiment d’ensemble à la foi qui produit les assentiments particuliers à chacun des éléments de l’enseignement révélé. La foi n’implique pas non plus la permanence d’un sentiment d’effusion affective. C’est une démarche de volonté raisonnée ; ce qui fait que pour le croyant la foi est une vertu théologale. Car il s’agit de s’en tenir à des convictions une fois acquises, quels que soient les désirs qui nous poussent dans une autre direction.

Qui dit assentiment dit motifs de suffisante crédibilité de la foi[modifier]

La foi engage tout notre être et doit s’appuyer sur des éléments de fait, rationnellement analysés, permettant de s’assurer qu’on ne fait pas un saut irrationnel. Les étudier est le rôle de ce qu’on appelle apologétique. Il s’agit notamment de regarder si le christianisme présente effectivement des caractéristiques témoignant d’une origine divine, même s’ils cohabitent avec des éléments secondaires discutables - comme le comportement de tel ou tel chrétien.

La foi est un ordre de connaissance spécifique ; il y a donc deux ordres de connaissance légitime.[modifier]

Vatican I tire de tout ceci une conséquence importante : « il existe deux ordres de connaissances, distincts non seulement dans leur principe, mais aussi par leur objet. Par leur principe, puisque dans l’un c’est par la raison naturelle et dans l’autre dans la foi divine que nous connaissons. Par leur objet, parce que, outre les vérités que la raison naturelle peut atteindre, nous sont proposés à croire les mystères cachés en Dieu, qui ne peuvent être connus s’ils ne sont divinement révélés ». Même si ces mystères divins, par nature, dépassent l’intelligence créée, de sorte que « même transmis par la Révélation et reçus par la foi, ils demeurent encore recouverts du voile de la foi, et comme enveloppés dans une certaine obscurité, aussi longtemps que, dans cette vie mortelle, nous cheminons loin du Seigneur, c’est dans la foi que nous marchons et non dans la vision ». Une autre idée essentielle est la conformité à la raison de ce qui est ainsi révélé : « bien que la foi soit au-dessus de la raison, il ne peut jamais y avoir de vrai désaccord entre la foi et la raison, étant donné que c’est le même Dieu qui révèle les mystères et communique la foi, et qui fait descendre dans l’esprit humain la lumière de la raison : Dieu ne pourrait se nier lui-même, ni jamais contredire le vrai. » Dès lors « non seulement la foi et la raison ne peuvent jamais être en désaccord, mais encore elles s’aident mutuellement. »

L’importance simultanée du message révélé objectif et de la relation à Dieu.[modifier]

Il résulte de ce qui précède que la foi porte sur des énoncés non évidents, se référant à des réalités non visibles directement. Ils ne nous sont donc pas connus directement. Ce n’est d’ailleurs le cas d’aucune réalité humaine, car l’homme est informé par le regard et l’acquis de la société dans laquelle il vit ; il n’a aucune expérience qui ne soit informée par sa culture. Dieu révèle son message à quelques-uns, et ce témoignage est transmis ensuite.

Le lien est indissoluble entre le vécu subjectif et le contenu objectif de la foi : la relation à Dieu et l’enseignement révélé[modifier]

A notre époque bien des personnes se déclarent croyantes, mais bricolent leur propre conception sur Dieu. Pourtant hors un tout petit nombre, l’écrasante majorité n’a pas reçu de révélation. Or le message objectif est essentiel à la foi : savoir par exemple, que Dieu s’est incarné, est mort sur la croix puis ressuscité. Il est vital de le savoir (par les Evangiles) pour rencontrer Jésus-Christ, Le ‘connaître’, et avoir foi en Lui comme personne. Ce message nous vient de l’extérieur : on le croit sans qu’il soit possible de le vérifier directement. Bien entendu cela n’empêche pas de le confronter avec tout ce que la raison peut en dire. A nouveau, si on a la foi, procéder autrement est irrationnel. D’une part (au-delà du champ philosophique) tout ce qu’on dira sur Dieu hors du fait de la Révélation sera arbitraire, et le reflet d’une impression affective. Or on peut projeter n’importe quel phantasme sur des entités surnaturelles dont on ne sait rien directement. En outre on n’a plus envers Dieu la seule attitude cohérente avec ce qu’Il a demandé par la Révélation, qui est de fidélité, et cela conduit à s’écarter de Lui.

Les religions d’Asie : une autre conception de la connaissance, de l’expérience et de la vérité[modifier]

Certes il y a d’autres religions avec d’autres bases. Si on a la foi chrétienne, on reconnaîtra ce qui en elles est bon, mêlé à des éléments humains contingents. Le fidèle de ces religions peut avoir un sentiment de l’existence de son dieu, ou une perception de ce que peut être l’Absolu ; un tel vécu a un fondement malgré son erreur : il repose sur le fait que la recherche est fondée, même si ses instruments intellectuels ne le sont pas ; l’homme est fait pour avoir une relation au vrai Dieu, même si l’objet qu’il poursuit n’est pas le bon. Mais bien sûr le rapport à une entité irréelle sera différent de ce qu’il est dans la vraie religion ; les prières pourront être légitimes dans leur intention, les notions partiellement vraies, mais on ne parle pas au bon interlocuteur et on peut poser des actes erronés. D’où l’importance de la recherche de la vraie religion.
Ajoutons que le christianisme se différencie des autres religions, notamment issues de l’Inde (brahmanisme et bouddhisme) qui n’ont pas intégré et accueilli comme lui le processus de recherche de l’éternité manifestée dans le temps et dans la réalité matérielle, laquelle n’est pas une illusion transitoire ; il accueille en outre la raison comme don de Dieu. Il est aussi seul à reconnaître une histoire véritable, pourvue d’un sens. Les religions issues de l’Inde ne font pas à la raison la même place : elles tendent à la situer à un niveau de déblayage préparatoire, et elles relativisent la matière, le temps et l’histoire. Pour le christianisme l’absolu divin est une personne avec qui est une relation est possible, sans qu’il absorbe ses créatures, et cela au cours d’une histoire. L’Islam de son côté fait moins de place à la raison et à l’histoire.

(4.)[modifier]

Foi et raison ayant leur fondement dans la vérité ne sont jamais contradictoires. Mais la raison laissée à elle-même tend à se détruire, comme on le voit aujourd’hui. La foi chrétienne en revanche soutient la raison. Il faut donc choisir : ou le doublet relativisme - scepticisme, ou la foi et la raison ensemble.

Foi et raison ayant toutes leur fondement dans la vérité ne peuvent être contradictoires.[modifier]

Reste une question légitime : si foi et raison sont deux sources possibles de savoir, que dire du cas où, au moins apparemment, leurs conclusions divergent ? Par méthode, la raison philosophique ne peut pas prendre un message révélé comme point de départ de ses raisonnements. Mais inversement on ne peut pas comparer l’objet de la foi avec celui d’un raisonnement. D’où la tentation de ceux qui parlent de deux niveaux de vérités incommunicables. Mais c’est logiquement intenable puisqu’on parle de questions largement communes ; en pratique on finit par donner à l’un la prédominance, et on refoule l’autre dans un rôle subalterne. La foi est jugée irrationnelle, et la philosophie bornée. Mais une philosophie qui récuse sa possibilité de convergence avec la foi est une philosophie faible, peu confiante en elle-même et exagérément critique (l’inverse est bien sûr vrai).

La position catholique est que la vérité est une, cohérente et conforme à la raison (même si notre raison ne peut la saisir dans sa totalité)[modifier]

Une contradiction effective est alors un vrai problème, à reconnaître comme tel. Mais en même temps il faut prendre en compte la différence des deux disciplines. La raison s’empare de tous les sujets mais ne peut tout traiter ni tout savoir ; ses conclusions sont le fait de l’homme seul, sans certitude intrinsèque. En revanche pour le croyant la Révélation provient de Dieu, même si elle s’exprime à travers des auteurs humains. S’il est sûr que sur le point considéré le message de la foi est clair, mais semble être contredit par une conclusion philosophique particulière, le croyant philosophe en déduit qu’il y a sans doute erreur dans celle-ci. Car toutes les affirmations de type philosophique ne sont pas compatibles avec la foi. Des exemples évidents sont l’idée que Dieu n’existe pas, qu’il n’y a pas de vie après la mort ou que l’homme et la vie se réduisent à des processus physico-chimiques. Le chrétien confronté à de telles thèses ne peut pas les accepter. Ou il perd la foi, ou il en déduit que le raisonnement est faux.

C’est la foi qui soutient la raison. Il faut choisir : relativisme et scepticisme, ou foi et raison.[modifier]

Au-delà de ces conflits réels ou apparents, le rapport entre foi et philosophie s’avère fécond, et l’histoire le confirme. Joseph Ratzinger rappelait dans Foi, vérité, tolérance le rôle historique essentiel de la philosophie dès les origines du christianisme : « durant les premiers siècles, la foi chrétienne a cherché ses préparations historiques dans la rationalité, dans le mouvement de la raison contre une religion inclinant vers le ritualisme. Les textes des Pères sur la ‘semence du Verbe’ … ne se référaient pas à l’origine aux religions, mais à la philosophie, à une rationalité ‘pieuse’ que représente Socrate, à la fois chercheur de Dieu et esprit rationnel. » « Ce qui caractérise la foi chrétienne, est le fait qu’elle ne sépare pas la rationalité de la religion, …mais qu’elle les a unies dans une structure où toutes deux doivent mutuellement se purifier et s’approfondir sans cesse. »

La foi est essentiellement reçue[modifier]

La foi suppose cette conversion vers ce qui n’est pas visible, mais essentiel pour notre existence ; c’est un saut par-dessus un abîme ; mais ce saut est fondateur du reste. Car fondamentalement la question reste : est que la raison (le Logos) est au commencement de tout ? Ou est-ce le hasard et la nécessité, un processus évolutif ou quelque chose d’analogue ? Car dans ce cas la rationalité serait un sous-produit paradoxal de l’irrationalité. Le christianisme lui pose le primat de la rationalité, celle du Verbe. Ce qui est d’ailleurs la seule position cohérente, car le fait même de vouloir penser, met la rationalité comme point de départ. Et en définitive, c’est désormais la foi chrétienne qui défend les prétentions de la raison. Sans Dieu disparaît l’intelligibilité du monde et la réalité devient problématique : affirmer une réalité, c’est affirmer une vérité, comme telle éternelle. Mais inversement, poser l’idée de vérité est déjà une forme de foi ; la confiance dans la raison est un acte de foi - à notre époque relativiste plus encore, où la raison tend à se détruire elle-même.

La foi dépasse la raison et la soutient ultimement[modifier]

Un être qui se sait créé à l’image de Dieu ne peut fondamentalement douter de lui-même, parce que ce faisant il douterait de Dieu – même si bien sûr il doit douter de chacune de ses conclusions. Qui croit dans le Dieu révélé par la Bible reçoit par là un surcroît de confiance dans la raison, et il est rationnel de le faire. De façon apparemment paradoxale, la raison est donc plus confortée par la foi que l’inverse. La raison critique ne parvient pas à se fonder elle-même de façon indiscutable, et la modernité finissante, postmoderne surtout, en souffre particulièrement. La raison peut découvrir alors que la foi chrétienne, qu’elle a voulu soumettre à une critique radicale, est son soutien ultime.

commentaires[modifier]

Eric Intemporel 11/12/2017 10:20[modifier]

La foi : un saut dans l'irrationnel, oui, cela s'entend, mais pas seulement, car tous ces "signes" dans la vie de tous les jours sont autant de confrontations à la vie réelle ... L'irrationnel et le rationnel se côtoient continuellement, et même s'entrelacent dans une même action ! Observez les coïncidences qui jalonnent votre vie, et vous sentirez que tout est connecté au tout, que rien n'échappe à la perfection aux multiples dimensions et directions de son œuvre... Je le vois très souvent en ce qui me concerne. L'irrationnel est comme "la beauté", il est là pour nous enchanter ! Là où l'amour guide vos pas, tout prend une configuration "surnaturel", et la moindre des choses qui pour les autres pourraient être insignifiantes peut prendre un relief inattendu, et oh combien sublime ... Comme ces rêves prémonitoires qui "deviennent" réalité ... Et qui vous font poser la question suivante : Comment est-ce possible ?

Jean Goyard 01/07/2017 22:27[modifier]

Cher Monsieur et ami, Mille fois oui, et merci pour ces réflexions qui aident à penser ! Je vois d’ici l’objection que pourrait présenter une mentalité teintée de laïcisme. « Comme catholique, vous avez la foi en Dieu, c’est très bien pour vous. Mais vous ne connaissez ni toutes les implications doctrinales de votre foi (le corpus de l’enseignement de l’Église est vaste), ni ce que votre raison pourra vous suggérer demain et après-demain. Comment allez-vous résoudre des contradictions que vous ne connaissez pas à l’avance ? Ou affirmez-vous qu’il n’y aura jamais de contradiction et que tout est toujours rose ici bas, au royaume des fidèles ?
Donc :
  • « Ou vous vous fiez à votre religion (mais pourquoi à celle-ci plutôt qu’à une autre ?) que vous avez décidé de suivre une fois pour toutes ou par habitude, ou par tradition familiale (une traduction triviale de ce principe d’action pourrait être : penser c’est déjà commencer à désobéir, ce qu’ on disait autrefois dans certaines casernes…) et ce n’est pas une ode à la gloire de la créature raisonnable de Dieu que vous prétendez être.
  • « Ou bien vous faites confiance à votre raison et en suivrez les méandres, et vous jugez au fur et à mesure en discutant les arguments au moyen de vos critères, et le choc ne tardera guère à apparaître entre vos positions et les enseignements de l’Église, ne serait-ce que sur des questions d’actualité.
« En présentant la foi et la raison comme s’embrassant toujours, n’avez-vous donc pas abdiqué de votre raison au profit d’un système de pensée qui vous assurerait un état d’esprit confortable ? » Il me semble, et je le soumets à votre critique, que plusieurs arguments nous seraient favorables.
1- Le corpus catholique est immense : qui pourrait prétendre en avoir fait le tour ? Il est donc probable que certaines implications doctrinales non seulement ne « cadreront » pas toujours avec les pensées ou réflexions des fidèles mais aussi heurtera nombre d’entre eux.
2- Cependant le chrétien aura eu deux types d’expérience :
- la connaissance par sa raison
a) des Évangiles et
b) de la Tradition (qui par exemple a désigné les Évangiles et fait la distinction entre eux et les apocryphes) ;
- la connaissance à travers une expérience sensible (la grâce passant
a) par les Évangiles
b) par les enseignements de l’Église et
c) à travers la Présence réelle du Christ reçu au cours de la messe dans la Communion). Ces moyens donnent au catholique une connaissance suffisante de la foi, en particulier de la cohérence extraordinaire de tous les points de l’enseignement catholique entre eux, de telle sorte qu’il y a une sorte de mariage entre l’Église et les fidèles, et que chacun de ceux-ci dépose en elle une profonde confiance qui se solidifie de plus en plus au long de sa vie (d’ailleurs ne sommes-nous pas tous des membres de l’Église dont le Christ est la tête ?). Le catholique n’est donc pas un idiot utile qui a réfléchi une fois pour toutes et aura abdiqué de sa raison. C’est un être raisonnable qui fait usage de sa raison et approfondit sa foi et sa connaissance de l’homme et de la Création dans la mesure où il les appréhende, ce qui l’aide dans sa connaissance de Dieu. Le catholique connaît donc ce dont il parle et sa confiance est le fruit de la foi, donnée gratuitement par Dieu, ainsi que des autres grâces reçues, et aussi de sa réflexion (de façon analogue à ce que dit Notre Seigneur Jésus-Christ en finissant son dialogue avec la Samaritaine : « Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons (…) ». La formule « penser c’est déjà commencer à désobéir » peut donc s’appliquer à de nombreuses croyances mais s’il y a une religion à laquelle elle ne correspond en rien, c’est bien la religion catholique.
3- Le fidèle ayant éprouvé la vérité, la bonté et la beauté de l’enseignement comme de l’Histoire de l’Église sait qu’il peut compter sur la grâce pour comprendre dans le futur ce qu’il pourrait ne pas comprendre dans le corpus doctrinal catholique qu’il ne connaît pas encore, et que, si un jour il se sent heurté par quelque vérité, au lieu de se révolter il mettra une pierre blanche sur ce qui le gêne et gardera la question dans un coin de l’esprit ; et il sait d’avance que Dieu lui donnera tôt ou tard la réponse.
4- En mettant sa confiance dans sa propre raison sans la foi l’homme est justement sujet aux méandres de la complication et de l'erreur, issues du péché originel ; depuis ce dernier l’homme étant sujet à l’erreur, il avait besoin de qui serait maître de la foi et de la morale. Dans l’Ancien Testament c’est la religion des Juifs, avec l’adoration dans le Temple, et depuis la venue du Christ c’est l’Église catholique. Pourquoi l'Église catholique et non une autre religion ? D'abord parce que c'est la seule qui a été fondée par Dieu Lui-même. Ensuite c'est la seule qui affirme d'elle-même qu'elle est la seule religion de l'unique vrai Dieu. Cela se suffit à soi-même... Merci encore. Bien à vous.

Sagnole Marie-aimée 01/07/2017 16:48[modifier]

Bonsoir, Votre exposé sur les moyens de parvenir à Dieu sont très réfléchis et magnifiques. Je dois cependant vous dire que ce commentaire s'adresse à de grandes intelligences. Pour moi c'est un peu compliquée à lire cependant je partage votre exposé. On demande dans le petit carré orange de réagir. Alors toute petite j'ose vous dire qu'il faudrait donner des commentaires écrits plus simples (pour les personnes moins érudites) Pour moi c'est un point de vue mais ce n'est que le mien.Je crois que la Foi s'obtient par la tranquillité, le calme, et le repos, Pour ma part j'ai du mal à obtenir ces temps de repos étant un peu dans le tourbillon de ce siècle malgré mes 68 années Pourtant je pense sincèrement que le Seigneur donne le don la Foi dans la quiétude où tout simplement dans son écoute.. Le Seigneur nous aime nous sommes si précieux à ses yeux, Il est là agissant même dans les souffrances de cette vie si fragile. Au cœur des guerres Il hausse l'homme au rang de rédempteur pour ses frères à son image. IL est plein d'amour pour son peuple et nous ne comprenons pas. Tour cela vous le commentez avec brio et je vous en remercie. Mais adressez vous aussi aux plus petits en leur donnant les mêmes moyens avec des phrases différentes. Merci et pardon peut-être de vous faire un peu de peine par ma réaction et de trop écrire ce que vous savez déjà .


delecluse 01/07/2017 13:37[modifier]

Il est possible est vrai que notre foi nous recommande d'être multi conformiste dans l'amour du Christ en conformité avec la Sainte Trinité dans l'avancement et l'entêtement des sollicitées des Saints dans la compréhension de Dieu


  1. Né en 1949, Polytechnicien, Pierre de Lauzun est actuellement Délégué général de l’Association Française des Marchés Financiers - AMAFI, qui regroupe les professionnels et entreprises de la Bourse et de la Finance. Il a fait sa carrière dans la banque et la finance et mène une réflexion personnelle sur des sujets philosophiques, économiques, politiques ou religieux. Il est membre de l'Académie catholique de France. Ses livres
    • Le Ciel et la Forêt. Tome I: Au-delà du pluralisme ; Tome II: Le christianisme et les autres religions (Dominique Martin Morin, 2000)
    • Chrétienté et Démocratie (Pierre Téqui, 2003)
    • L’Evangile, le Chrétien et l’Argent (Editions du Cerf, 2004)
    • Les Nations et leur Destin (F.-X. de Guibert, 2005)
    • Temps, Histoire, Eternité (Parole et Silence, 2006)
    • Christianisme et Croissance Economique (Parole et Silence, 2008)
    • L’économie et le Christianisme (F.-X. de Guibert, 2010)
    • L’Avenir de la Démocratie (F.-X. de Guibert, 2011)
    • Finance : Un regard chrétien (Embrasure, 2013)
    • La finance peut-elle être au service de l’homme ? DDB Desclée de Brouwer 2015
    • Philosophie de la foi Arjalas Editions 2015.
    • Guide de survie dans un monde instable, hétérogène, non régulé, TerraMare 2017
    • L’euro : vers la fin de la monnaie unique ? TerraMare 2017
    Ses liens : http://www.pierredelauzun.com/