La vie des signes au sein de la communication: vers une sémiotique communicationnelle

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La vie des signes au sein de la communication: vers une sémiotique communicationnelle
Dynamiques sociosémiotiques : compréhension, processus, diachronie et fractales

Martine Bocquet


Cet article tend à montrer que, partant d’un positionnement compréhensif et de la théorie des processus de communication, il est possible d’aborder la sociosémiotique par l’utilisation des approches heuristiques, mais aussi des approches fractales. L’article tend aussi à montrer que l’utilisation souhaitée des approches diachroniques - lesquelles pourraient s’intégrer dans les approches fractales - apporterait de la profondeur à la recherche du sens et de la signification, dans le cadre d’une méthode de l’hypertexte réduit.


Tous nos remerciements vont au Professeur Bruno Ollivier, Sciences de l’Information et de la Communication, Université des Antilles et de la Guyane, qui nous a suggéré ce sujet.


Le mode de connaissances en compréhension [1] est une saisie du phénomène, par l’intérieur et par l’empathie. Sans tomber dans un subjectivisme à rejeter, qui lierait le chercheur par des présupposés épistémologiques non-dits, et dont il risque de ne pas être conscient, donc de fausser sa recherche, il s’agit d’une saisie consciente et en toute connaissance des phénomènes, de l’intérieur et d’une manière « subjective » acceptable. Le positionnement compréhensif entend que la réalité humaine est une réalité de sens liée aux significations, construite de façon collective et constante par les acteurs. Il existe des réalités secondaires, coexistantes en même temps, aussi vraies les unes que les autres. Les phénomènes sont en relation avec d’autres phénomènes, avec lesquels ils forment un système de circularités et d’interactions. La réalité du sens émerge de l’ensemble de ces causalités circulaires, dans lesquelles elle a une part. Il faut aussi compter avec la causalité finale ou téléologique, dans laquelle la cause est aussi une visée.

Selon Bruno Ollivier (2000) [2] , le propre des Sciences de l’Information et de la Communication est de constituer des processus en objet de recherche. L’unité des Sciences de l’Information et de la Communication repose, d’ailleurs, sur le fait qu’elles s’attachent à décrire, à l’aide d’outils de diverses sciences humaines, des processus repérables dans tous les champs de l’activité humaine, et que ces processus fondent leur identité épistémologique même. Il ajoute qu’il s’agit là d’une réponse que le chercheur peut fournir à la complexité des situations qu’il observe, quand il refuse de se limiter à une seule approche. Plusieurs approches distinctes, si on les articule de manière cohérente, permettent de faire progresser la connaissance dans le domaine de la communication. On pourra par exemple articuler la sémiotique, les sciences historiques, le droit, l’économie, la sociologie, etc…

La théorie des processus de communication élaborée par Alex Mucchielli, Jean-Antoine Corbalan et Valérie Ferrandez (2001) [3] est aussi appelée sémio-contextuelle ou situationnelle. Céline Bryon-Portet (2011) [4] remarque que cette théorie relève, parfois, davantage d’une approche micro-sociologique que d’une approche macro-communicationnelle. Néanmoins, elle paraît utilisable au niveau macro-communicationnel, si on lui apporte quelques nuances, dès lors que la prise en compte du contexte historique et socioculturel permet de comprendre pourquoi et comment des signes font sens. La théorie des processus de communication pose que, lorsqu’un chercheur utilise les processus de communication pour rendre compte de la communication d’un phénomène, il propose un discours susceptible de rendre intelligible la réalité.

La question des apports possibles des approches diachroniques dans les champs complexes peut ici se poser. Il nous paraît que les approches diachroniques, associées aux approches interdisciplinaires, autorisent aussi, sous certaines conditions, l’utilisation d’un schème heuristique, notamment dans les recherches exploratoires. Nous pensons même qu’au-delà d’une simple linéarité diachronique, il faudrait oser adopter une démarche fractale. Nous pouvons d’ailleurs nous demander si une diachronie n’est pas, déjà dans son essence, quelque part fractale. En effet, une approche diachronique se décline, principalement, en trois temps [5] – le temps immobile du milieu, le temps cyclique, et celui de l’instant – et trois actualités [6] latente, « à venir » et de la permanence. Ces temporalités et ces actualités sont liées entre elles. Apparaît, dans la diachronie, la tiercéité que l’on trouve à la base d’une approche fractale. Ce regard fractal permet d’aborder des champs complexes. En Sciences de l’Information et de la Communication, il renvoie à la tiercéité de Charles Sanders Peirce, seule théorie fractale existante en sciences sociales [7] . Cette approche tierce ne paraît pas incompatible, dans le champ de la sémiotique, avec une approche selon le carré sémiotique, dans le cadre d’une sémiotique ouverte vers la macro-sémiotique. Puisque ce carré s’articule, en fait, autour de trois dimensions, animé par une dynamique propre.

Cette approche fractale ne nous paraît pas incompatible avec la méthode de l’hypertexte réduit, définie par Alex Mucchielli (1997) [8] , qui peut même l’alimenter et l’enrichir. La méthode de l’hypertexte réduit permet de retrouver une logique dans un tout en apparence chaotique, en rassemblant de façon heuristique, des gloses, des commentaires, afin de redécouvrir un Texte latent, selon une conception extensive de la notion de Texte.


La théorie des processus de communication[modifier]

Le postulat de la « communication généralisée » et ses trois théorèmes[modifier]

Selon Alex Mucchielli et ses co-auteurs (2001) [9] , le postulat, sur lequel repose la théorie des processus de communication, énonce que la quasi-totalité des expressions humaines – productions en tout genre, réalisations concrètes, conduites et actions, écrits, discours et paroles, attitudes et paralangages, etc… – sont des éléments communicationnels, qui peuvent se comprendre ou se lire en les rapportant à des contextes pertinents, dans lesquels ils prennent leurs sens. Ce postulat est celui de la « communication généralisée ». En somme, il faut entendre cela comme le fait d’analyser et de comprendre tout ce qui peut faire signe en communication, de reconnaître du signe dans les choses et du même coup poser la relation aux choses.

Cela permet de comprendre le fonctionnement des communications d’influence, publicitaires, de pouvoir, de manipulation, de persuasion, ainsi que les phénomènes induits par les communications et les comportements. Il s’agit de penser les phénomènes, selon les principes de la complexité proposés par Edgar Morin (1990, 1991) [10] . Cette théorie repose sur trois théorèmes.

Selon le théorème de la signification, la communication émise par un acteur social, nécessairement signifiante pour lui, constitue une expression qui s’insère dans les systèmes de communication. L’émergence du sens participe à la production de cette communication, laquelle se fait dans un contexte et produit une boucle de récursivité, c’est-à-dire une réaction. Les contextes forment l’environnement d’un système de communication. D’où le théorème de la naissance du sens à travers la contextualisation et d’une mise en relation se faisant essentiellement à partir des contextes. Tout processus de contextualisation, forcément pluriel, est un travail de mise en relation d’un phénomène avec des éléments sélectionnés de son environnement global. S’interroger sur les processus de contextualisation revient à se demander ce qui se transforme et évolue, et permet in fine au sens de prendre corps. Selon le théorème de l’intervention des processus de communication, les processus de la communication servent à construire le sens de la communication, qui se déroule en interpellant, en modifiant ou en mettant en place des éléments contextuels.

Le schème structural et le schème herméneutique[modifier]

Jean-Michel Berthelot (1998) [11] a élaboré une typologie des différents types d'explications en sciences humaines, qu'il nomme les schèmes d'intelligibilité : le schème causal, le schème fonctionnel, le schème structural, le schème herméneutique, le schème actanciel et le schème dialectique. La théorie des processus de la communication repose, elle aussi, sur certains schèmes d’intelligibilité. Elle n’utilise pas le schème causal, ni le schème fonctionnel. Elle utilise le schème actanciel, c’est-à-dire les contextes, et le schème dialectique. Selon Alex Mucchielli (2001) [12] , elle n’utilise que de façon partielle le schème structural, du fait de son caractère réducteur, tout comme elle le fait du schème herméneutique, du fait du caractère heuristique de celui-ci. Néanmoins, nous apporterons des nuances à cette position, concernant les schèmes herméneutiques et heuristiques.

S’agissant du schème structural, celui-ci met en œuvre deux modalités qu’il faut distinguer. La première modalité est constituée par les typologies, lesquelles sont des structures de sens construites à partir d’oppositions. Pour expliquer un phénomène, par exemple l’émergence du sens d’une communication, on le compare à une grille, en tentant de le faire entrer dans une ou plusieurs cases de cette grille, à l’exclusion de son inscription dans d’autres. Le phénomène étudié doit pouvoir être expliqué par ce qu’il est, mais aussi par ce à quoi il s’oppose. Cela peut s’avérer difficile et risque d’occulter certaines particularités. Or, toute émergence de sens fait intervenir de nombreux types de processus, ensemble d’outils qu’il faut simultanément prendre en compte, sans oublier que tous les processus sont présents, même s’ils sont peu évoqués. La seconde modalité d’application du schème structural consiste à repérer une structure commune à différents objets d’étude. Il s’agit là d’une recherche d’isomorphismes. Cette modalité du schème structural peut être utilement associée à l’application des processus. La reconnaissance préalable d’une structure identique dans plusieurs situations de communication facilite la compréhension synthétique de l’ensemble et peut relayer l’analyse par les processus.

S’agissant du schème herméneutique, celui-ci implique que toute réalité a un sens, dès lors qu’elle a une structure duelle, associant un signifiant et un signifié, qui peut être mis en évidence ou caché. Il s’agit là d’une définition de type sémiotique. Le schème explicatif herméneutique est le plus ancien de tous [13] . En effet, il signifie l’art d'interpréter, et provient du nom du dieu grec Hermès, messager des dieux et interprète de leurs ordres. Il postule que les phénomènes ont une face perceptible et une face cachée, porteuse de significations. Ce schème appelle des comparaisons, des contiguïtés, des analogies.

Alex Mucchielli (2001)14 [14] limite son utilisation à la phase de collecte des données, car il permet au chercheur d’aller au-delà des premières significations qu’il lui sera donné de saisir. Il le considère comme un acte heuristique, en ce qu’il est quête de sens. Cependant, il estime que, à partir du moment où le chercheur a suffisamment de données pour les utiliser de façon synthétique, alors il ne doit plus emprunter au schème herméneutique. Ces précautions utiles étant prises, il nous semble néanmoins que la condamnation faite de l’heuristique, par Alex Mucchielli, nous paraît excessive. En effet, nous verrons, plus loin, que, dans une approche diachronique, le schème heuristique, qui est très utilisé, de nos jours, par les sciences historiques, mérite attention, dans la mesure où les Sciences de l’Information et de la Communication pourraient se pencher sur des éléments historiques. Il est vrai que le schème heuristique intéresse beaucoup la collecte des données et que l’on doit s’en méfier en ce qui concerne les conclusions à tirer. Mais, il va, cependant, un peu plus loin, car c’est aussi une méthode de résolution de problèmes. Dans le champ de la complexité, celle-ci peut s’avérer être un préalable permettant d’expliquer un raisonnement fondé complexe.

Le schème heuristique dans une recherche exploratoire[modifier]

L'heuristique, du grec ancien εŭρίσκω, eurisko, « je trouve », est un terme de didactique qui signifie l'art d'inventer, de faire des découvertes. L’heuristique indique un fonctionnement de la pensée selon un schéma arborescent, dans la logique d’esprit d’un algorithme. Ce schème reflète le fonctionnement associatif d’une pensée par arborescence. L'usage d'une heuristique est pertinent pour calculer une solution approchée d'un problème et, ainsi, accélérer le processus de résolution. Généralement, une heuristique est conçue pour un problème particulier, en s'appuyant sur sa structure propre, mais les approches peuvent contenir des principes plus généraux. Les heuristiques sont souvent tirées d'analogies, plutôt que d'une analyse scientifique trop complexe, laquelle voudrait recenser le maximum d'éléments et serait, donc, difficile, voire impossible, à mener et à exploiter. L'inconvénient est qu'une méthode trop simplifiée peut conduire à des biais cognitifs, qu’il faut s’efforcer de juguler, en restant distant par rapport au sujet. Certes, l'heuristique est l'utilisation de règles empiriques, lesquelles peuvent consister à donner l'idée d'une preuve, en faisant appel à l'intuition ou en se basant sur l'étude de cas favorables. À ce titre, elle est un préalable, permettant d'expliquer un raisonnement fondé plus complexe. Elle a sa place dans les démarches exploratoires, notamment lorsque le chercheur se trouve devant un grand nombre de cas, car elle permet de réduire leur complexité moyenne, en examinant d'abord les cas qui ont le plus de chances de donner la réponse. Le choix d'une heuristique suppose cependant de connaître déjà certaines propriétés sur l'ensemble d'instances du problème.

Les méthodes contemporaines historiques ont souvent recours à l’heuristique. Cette discipline est essentiellement développée et enseignée dans les universités en Allemagne. Elle peut prendre différents noms : heuristique, stratégie de recherche, science de la recherche… Une démarche heuristique s’applique dès qu’une recherche débute. Dans un premier temps, le chercheur doit arriver à maîtriser l’objet de l’étude. Il lui faut vérifier les concepts, le contexte à l’aide de nombreux documents et plusieurs langues de recherche, car les concepts peuvent varier d’une langue à l’autre. Après cette étape liminaire, il utilise les principales encyclopédies, les collections, les bibliographies, afin de trouver l’essentiel des travaux faisant autorité sur la question et de bien cerner la problématique qu’il étudie. Il établit ensuite le contexte historique. Il collecte les travaux repérés, à la fois antérieurs à sa propre recherche, mais plus largement relatifs à l’objet d’étude lui-même. Pour cela, il utilise les apports des autres disciplines et des sources écrites aussi bien qu’iconographies, monumentales, etc. La démarche heuristique est donc longue et complexe. Elle multiplie les sources, aucune ne devant être écartée si elle s’avère valable. Le chercheur doit être le plus neutre possible, il ne doit rien prouver. Il doit décrire et analyser. Aucune passion ne doit le troubler, ni aucun présupposé idéologique ne doit le porter.

Les trois modalités du schème actantiel, les contextes[modifier]

Dans le schème actanciel, les phénomènes sont pensés comme la résultante du comportement d’acteurs impliqués, en tant qu’êtres agissants, aussi bien êtres humains qu’institutions. L’action peut être une intention, une stratégie, un calcul plus ou moins rationnel, un projet. Les faits sont appréhendés en tant que faits humains, du fait du caractère d’imprévisibilité, d’incertain et de créativité de l’humain. Ces situations humaines ne sont pas considérées comme à sens unique. Le schème actanciel participe de l’approche compréhensive.

Il comporte trois modalités : le contexte comme système, le contexte comme situation, le contexte comme histoire. En tant que système, le contexte global est marqué par des inductions externes aux acteurs. Sont mis en valeur les contextes spatiaux, physiques, normatifs, les ressources et les contraintes. L’accent est mis sur les notions de « place », de statut et de rôle, le sens émerge par la prise en compte des ressources et contraintes situationnelles [15] . Le contexte comme situation écarte, en partie, le contexte extérieur aux acteurs, et privilégie les significations que les acteurs accordent à leurs communications en tant qu’auteurs. Ce sont les processus de qualification de la relation et de l’expression identitaire qui seront les plus explicatives de ce type de contexte. Le contexte comme histoire est un contexte global où s’exerce l’action. Ce n’est pas seulement l’histoire actuelle des acteurs, mais c’est aussi ce que nous appelons l’Histoire, c’est-à-dire le passé et le devenir des acteurs et de leurs institutions. « Ce type de recherche suppose une profondeur de temps et de données que l’on rencontre trop peu dans les recherches contemporaines. » [16] .

Le risque de ce type de recherche est qu’il n’est pas toujours évident d’exprimer des émergences lentes, des « tendances vers », des logiques à la fois structurantes et structurées, ou « logiques sociales » agissantes, dont il est plus aisé d’avoir une intuition qu’une claire conscience.

Le schème dialectique[modifier]

Le schème dialectique, utilisé depuis l’Antiquité, permet d’aller au-delà des significations immédiates, atemporelles, il en est la conséquence méthodologique du schème actanciel [17] . En effet, selon le schème dialectique, les phénomènes à expliquer sont saisis comme la résultante de systèmes contradictoires, c’est-à-dire comme un système défini fondamentalement par l’existence de deux termes, indissociables et opposés. La contradiction crée un processus dynamique dont l’intensité sera variable. Les phénomènes à expliquer seront perçus comme un moment, dans un devenir résultant d’une logique de double négation et de tentative de dépassement de la contradiction. Le phénomène pourra même être conçu comme la résultante de la composition de forces antagoniques, mais complémentaires. Le schème dialectique se présente comme celui qui permet le mieux une mise en perspective temporelle. Alex Mucchielli et ses co-auteurs le rapprochent du principe dialogique, énoncé par Edgar Morin (1990, 1991) [18] pour penser la complexité. Ils estiment que le schème dialectique est le seul à tenter d’articuler les logiques contradictoires qui existent en toute chose, et en particulier dans les phénomènes communicationnels.

Dans les approches compréhensives, on peut se référer à plusieurs mécanismes explicatifs, afin de conserver leur complexité aux phénomènes.

L’intégration de nouvelles dimensions : diachronie et complexité[modifier]

Dominique Wolton (1997) [19] estime que les recherches en communication doivent être entreprises dans l’idée d’un temps long, sur la longue durée. Ceci évite de tomber dans l’illusion des fausses prospectives, des fausses ruptures, et permet de relativiser les choses, d’échapper à la mode de l’instant. Il estime qu’il faut privilégier les travaux historiques, car ceux-ci permettent de retrouver de la profondeur.

Les limites et les risques de l’approche diachronique[modifier]

Il faut distinguer, dans les approches historiques, les études synchroniques portant sur une période donnée, lesquelles analysent des situations historiques, et les études diachroniques [20] , lesquelles analysent des évolutions historiques. Nous percevons, tout de suite, les risques que présente l’approche historique.

Une première constatation méthodologique peut être faite. L’approche diachronique ne peut se passer de la chronologie, mais ne peut se réduire à elle seule. Il s’agit seulement de points de repère. Erik Neveu (2006) [21] souligne les risques d’une méthode chronologique qui serait simplement généalogique et transformerait la lecture d’un processus en quête d’un moment fondateur absolu, ainsi que la propension pédagogique à mettre dans le réel plus d’ordre qu’il n’en recèle. Doit-on, à tout prix, mettre de l’ordre dans un désordre cohérent ? Une deuxième constatation méthodologique s’impose aussi : la difficulté de déterminer des bornes fixes à la période d’investigation. Selon Krzysztof Pomian (1978) [22] [23] , chaque époque présente une coexistence d’asynchronismes, les diverses séries de phénomènes historiques sont toujours décalées les unes par rapport aux autres. Une troisième constatation méthodologique : la difficulté, voire l’impossibilité, d’établir des moments de ruptures fixes. Par contre, il peut surgir des dynamiques de fractures. Ces dynamiques permettent de retrouver l’unité déjà présente dans les phénomènes. De même, le recours aux métaphores géologiques, telles que « sédimentation » et « strates » superposées dans un ordre impeccable a ses limites. « C’est plutôt la métaphore du récif corallien, enchevêtré, aux concrétions chaotiques, sans principe d’ordre évident, qui s’impose. » [24] . Les phénomènes communicationnels ont plutôt tendance à s’enchevêtrer.

D’une diachronie linéaire à l’approche fractale : les fractales du sens[modifier]

Il faudrait, peut-être, aller chercher cet ordre dans la géométrie des fractales [25] . L’approche fractale est différente de l’approche diachronique, mais on peut se demander si elle ne l’englobe pas. C’est une question à la fois mathématique et philosophique, à laquelle nous ne saurons répondre objectivement. Cependant, comme exemple, nous évoquerons les images fractales obtenues par l’informatique. Elles évoluent dans le temps, de façon circulaire, non linéaire. La géométrie fractale se penche sur les objets d’aspect rugueux, où tout n’est qu’aspérités et fractures. Un objet est dit fractal si ses parties contiennent le tout ; autrement dit, si, à n’importe quelle échelle, un zoom fait apparaître la forme globale de l’objet initial. Dans l’image de type fractal, on retrouve à l'infini, dans chaque élément, la structure générale du tout. Cette géométrie arrive à modéliser et à décrire la discontinuité apparente des choses, en retrouvant une unité déjà présente dans les phénomènes. Bertrand Richet (2011) [26] a appliqué l’approche fractale à la linguistique, en utilisant le concept de « fractales du sens ». Il estime que, « si les fractales renvoient d’abord au monde des mathématiques […], elles dépassent largement par leur dimension symbolique ce cadre restreint pour permettre de rendre compte de l’organisation du monde, du jeu spiralaire de l’existence, infiniment pareille et infiniment différente, entre emboîtements et décalages, récursivité et création, réel et représentation. ». Cette notion de fractales, très abstraite, peut apparaître comme une clef, tout aussi abstraite [27] . Les fractales désignent des courbes ou des surfaces – pour en rester à ce qui est aisément représentable – irrégulières, produites de manière déterministe – c’est-à-dire selon une formule – ou aléatoire et fondée sur une homothétie interne, une autosimilarité. En outre, l’objet fractal se caractérise par une dimension non entière, c’est-à-dire par sa capacité à couvrir une zone de dimension supérieure à sa dimension d’origine [28] . Dans la mesure où, en vertu de leur homothétie interne, les fractales se caractérisent par leur ressemblance formelle, à quelque échelle de leur développement que ce soit, l’exploration fine d’un fragment permet de rendre compte, avec une fidélité suffisante, de l’architecture de l’ensemble et des tensions à l’œuvre au sein de l’objet fractal [29] .

Le regard fractal semble autoriser la mise en place de synthèses moins anguleuses qu’une approche mécaniste ou normative, en conférant à la représentation des organisations la souplesse nécessaire à son épanouissement [30] . La question peut se poser de savoir s’il existe une preuve de la réalité d’un sens fractal. Ne court-on pas le risque, en ayant recours à un outil à la fois aussi lointain et aussi général, non pas tant de travestir la réalité que de ne rien apporter de véritablement nouveau et tangible ? À la première question, Bertrand Richet répond par un raisonnement a contrario : bien que cela paraisse provocant, il n’y a guère de raison que les fractales ne puissent permettre, avec, certes, des limites, de rendre compte de pans entiers de l’expérience, et ne puissent donc être productrices de connaissances. À la seconde question, qui est celle de l’utilité du concept, et la plus délicate, car elle remet en cause l’idée même de la recherche d’un invariant, il répond de la manière suivante. La perspective d’obtenir une image de l’ensemble s’éloigne, en général, au fur et à mesure que les analyses sont plus restreintes, limitées à un opérateur, à une configuration, à une situation d’emploi. L’étude microscopique d’une facette se retrouve, presque chaque fois, face à une multitude de faits plus petits encore. Mais, par un retournement des paramètres, chacune des approches utilisées peut, aussi, mettre à jour le fonctionnement fractal du discours, depuis les détails infimes de l’objet, d’une façon à même de nous renseigner sur l’économie de l’ensemble dont cet objet est extrait [31] .

Il s’agit d’un travail d’appréhension et de compréhension. Il consiste à percevoir des contiguïtés, à reconstruire des schémas, mais aussi à les percevoir au-delà et en deçà de l’immédiatement visible, en les incluant dans de larges mouvements, tout autant que dans les recoins anodins. Ce n’est pas un relativisme généralisé, affirmant que tout est dans tout et faisant disparaître le sens en l’inscrivant en toute chose. La posture consiste à considérer l’objet étudié comme un fruit de l’homothétie interne et de la récursivité fondatrice de la construction. Sachant que cet objet est toujours aussi un objet en devenir, produit de réélaborations permanentes du sens et de jeu d’échos, souvent inconsciemment mis en œuvre par les énonciateurs [32] . Le sens suppose une mise en relation. Or, dans les fractales, que trouve-t-on ? Tout une nébuleuse de points, apparemment sans lien entre eux, si ce n’est leur appartenance à un groupe. Ces points, par une opération de lissage, de contiguïtés, de ressemblance, de filigrane, se forment en segments, en lignes, en direction. Le point est donc le jalon intermédiaire d’un cheminement logique. Ensuite, ces lignes s’enroulent en boucle. Alors que la ligne est constituée d’une suite ordonnée de points, la boucle est un point rayonnant, démesuré, se déroulant comme s’enfle une rhétorique. Ensuite, la boucle revient à l’état de ligne, se diffuse un moment dans la linéarité, se ponctualise même. Ces trois éléments fondateurs du sens s’organisent et se réorganisent ainsi continuellement, reproduisant les schémas qui leur ont donné naissance, et déploient ainsi dans le discours « les fractales du sens » [33] .

Selon Jean-Jacques Boutaud et Eliseo Verón (2007) [34] , la seule théorie fractale en sciences sociales est celle de Charles Sanders Peirce. Cette théorie fractale est utilisée dans les recherches de sémiotique « appliquée » ou « concrète ». Elle est la seule où l’on retrouve, à tous les niveaux de son application, les mêmes trois dimensions, priméité, secondéité, tiercéité, ainsi que les mêmes trois composantes, representamen [35] , objet et interprétant. Il s’agit de dimensions, car les trois concepts peuvent se combiner pour construire différents modèles. On interprète les trois dimensions, comme les trois composantes fondamentales de tout signe, et leur combinaison permet d’obtenir des typologies de signes. Il s’agit d’une théorie dynamique, le signe étant compris comme un processus, et la sémiotique comprise comme une théorie de la production de sens [36] .

La puissance de cette approche fractale découle de son niveau d’abstraction. Selon Jean-Jacques Boutaud et Eliseo Verón, cette approche peut, par exemple, être appliquée à un spot publicitaire et à la marque ou à la communication d’une entreprise. Dans cette approche, les niveaux d’analyse macroscopique et microscopique se retrouvent en cohérence. Les problèmes communicationnels auxquels se trouve confronté le positionnement d’une marque ou d’une institution [37] sont redoutables, complexes, fractals.

L’approche tierce peut être associée à une approche au carré, celle du carré logique des oppositions, appelé aussi carré sémiotique lorsqu’il est utilisé dans ce champ [38] . On a reproché au carré sémiotique d’être statique, comparé notamment aux structures tensives [39] . Néanmoins, le carré sémiotique possède une dynamique intrinsèque, entre les relations qu’il pose et leurs combinaisons. Le carré comporte, lui aussi, trois types de relations se déclinant en trois types de dimensions [40] : la première relie, par contradiction, les deux axes des contraires (horizontaux), la seconde met en relation les deux schémas de contradiction (les deux diagonales), la tierce oppose entre elles deux deixis (verticales), une deixis positive et une deixis négative. Le carré sémiotique ne nous paraît pas contradictoire avec une approche fractale [41] . Il se combine en quatre combinaisons au carré (4²), mais des combinaisons plus complexes peuvent être établies à partir de lui. Le carré peut aussi se décliner en perspective, formant des volumes. Jean-Nöel Kapferer (2003) [42] construit un prisme de l’identité de la marque à six facettes. Thierry Libaert (2000) [43] enrichit le carré sémiotique de l’image sous la forme d’un cube, dans lequel apparaissent huit entrées.

Les trois temps et les trois actualités de la diachronie[modifier]

Convoquer la temporalité, c’est, de ce fait, convoquer l’historicité. Fernand Braudel (1949) [44] a mis en exergue trois registres de temporalité discontinus : le temps quasi immobile du milieu, soit une temporalité structurelle, le temps séculaire et cyclique des destins collectifs qui s’inscrit dans la durée, le temps bref, insaisissable, de l’événement qui s’inscrit dans le désordre apparent. Ce dernier élément, l’événement, est le récit d’un désordre qui n’est, au mieux, susceptible de s’ordonner que par rapport aux deux autres. Il ne peut s’expliquer que par les deux premiers schèmes organisateurs du temps. Ces trois registres de temporalité sont en permanence interdépendants. [45]

Alain de Libéra (1991) reconnaît dans l’histoire de la pensée trois types d’actualité, mais cela paraît applicable à d’autres domaines, notamment aux phénomènes communicationnels. Il relève une actualité latente, celle des questions qui, inaperçues ou non reconnues comme telles, continuent de gouverner secrètement nos problématiques, une actualité « à venir », celle qui n’ayant pas été essayée à fond, inaboutie ou abandonnée, peut contribuer à casser ou à dépasser les impasses ou les alternatives contemporaines, une troisième forme d’actualité, procédant des deux premières, celle où la reconnaissance d’une continuité ou d’une permanence permet de séparer ce qui est propre à l’homme contemporain de ce qu’il continue, sans le savoir, à pratiquer.

Du modèle du Texte à la macro-sémiotique[modifier]

Aborder un objet de recherche, en recherchant le sens à travers la contextualisation et les processus de communication, de façon dialectique et diachronique, selon trois types d’actualités, conduit à utiliser une méthode qui est celle de l’approche par le Texte, au sens global du terme.

De la méthode de l’hypertexte réduit au modèle du Texte[modifier]

Définie par Alex Mucchielli (1997) [46] , la méthode de l’hypertexte réduit envisage la communication comme un débat, c’est-à-dire un texte, plus ou moins latent et caché, qui a lieu entre des acteurs sociaux [47] . Il s’agit d’une herméneutique et d’une heuristique. Le débat ou texte latent, caché, a lieu entre des acteurs liés dans une structure sociale. Le sens du débat découlera de la lecture d’un certain nombre d’interprétations [48] . Cette méthode permet de faire émerger le débat implicite qu’il faudra ensuite envisager, selon les approches décrites par la théorie des processus, situationnelle ou sémio-contextuelle.

La méthode de l’hypertexte paraît utilisable au niveau macro-communicationnel, en prenant en considération le contexte historique et socioculturel. Elle permet de retrouver une logique dans un tout en apparence chaotique. Chaque partie, une fois le « bruit » éliminé, devrait dans l’idéal renvoyer au tout, un peu comme dans une géométrie fractale. Selon cette méthode [49] , le chercheur n’accède, dans un premier temps qui est celui du recueil des données, qu’aux « commentaires », ou gloses, faits sur le « texte » ou la situation. Dans un deuxième temps, qui est celui de l’analyse par la contextualisation, il se sert de l’ensemble des commentaires recueillis, comme d’un contexte, lequel va révéler la teneur du texte inconnu. Cette méthode donne accès à une sorte de « débat », qui a lieu entre des acteurs liés dans la structure sociale, au sujet d’un problème que l’on ne connaît pas directement. Le chercheur dispose alors d’un ensemble de « commentaires » faits.

Il faut ensuite réduire l’ensemble de ces gloses, qui peuvent être importantes, et ne pas toujours se rapporter directement au sujet, en regroupant celles qui renvoient au même débat. Les éléments que l’on recueille, dans la première étape de la méthode, sont de toutes sortes : des communications traditionnelles – c’est-à-dire des écrits, des paroles, des images, des logos, des publicités –, des constructions matérielles – comme les agencements spatiaux–, des éléments organisationnels, voire normatifs ou réglementaires, des éléments psychosociaux – comme des normes collectives habituelles –, des représentations partagées, des façons de faire, des conduites…

La deuxième phase de la méthode consiste dans l’analyse et la recherche des significations par la contextualisation. Le sens naît alors d’une mise en relation, il émerge de la confrontation du phénomène avec son contexte. Se dessine un système de communications, qui va servir de toile de fond, de contexte au « débat » dont on veut faire surgir le sens. Il est rare, cependant, que l’on puisse prétendre avoir relevé tous les commentaires. Le système de communication ainsi émergeant a des trous, il est incomplet. Mais cela n’est pas trop important. C’est le dessin, ou dessein, global de l’ensemble des communications qui importe. Il doit, cependant, être suffisamment dense pour que l’interprétation puisse se faire, malgré cette incomplétude.

Pour Alex Mucchielli, cette méthode, déjà utilisée en sociologie, en psychologie sociale et en histoire, apparaît comme utile à toutes les sciences humaines qui veulent faire surgir le sens d’un phénomène humain. C’est une méthode sémiologique « c’est-à-dire faite pour appréhender le sens des phénomènes. ». On pourrait la désigner comme méthode sémiologique d’analyse contextuelle.

Cette méthode pourrait être mise en regard avec celle utilisée par l’historien du Droit et psychanalyste Pierre Legendre (2001, 2005, 2009) [50] . Celui-ci considère la société comme un Texte, entendu comme traduction de la vie de la représentation à l’échelle sociale, l’unité des mécanismes institutionnels étant basée sur « l’usinage » du même matériau humain, résumé par la trilogie de l’image, du corps et du mot. Cela ressemble beaucoup aux matériaux des communications traditionnelles – images, écrits, paroles – que la méthode de l’hypertexte se propose de rassembler dans un premier temps. La méthode de Pierre Legendre (2005) [51] s’attache aux montages de représentation par lesquels toute société fonctionne, à l’instar du sujet humain. Cela nous oblige à réviser, dans le sens de la complexité, notre mode d’interrogation, jusqu’à percevoir le concept central. Pour cela, il faut partir de l’idée du puzzle et reconstituer pièce à pièce celui-ci, car, à l’échelle d’une société, la construction institutionnelle se présente comme un amoncellement de pièces aux formes les plus diverses, lesquelles forment cependant un tout. Peu à peu, en triant et classant, même si le chercheur est obligé d’accepter certains trous, par manque d’informations, il finit par voir apparaître quelque chose qui se trouve mis en scène et détient, dans ses éléments figuratifs ainsi réunis, le secret d’un ordre.

De la sémiotique à la macro-sémiotique[modifier]

Comme le constate et l’encourage Jean-Jacques Boutaud (1998) [52] , la sémiotique a changé l’échelle de son approche. Elle s’est tournée vers une conception ouverte des systèmes de signification, c’est-à-dire vers la compréhension d’un phénomène global de communication. Dans cet esprit, ses analyses portent donc, aussi, sur un terrain macro-sémiotique, entendu comme un ensemble cohérent de messages ou un domaine de communication tout entier, tels que la publicité commerciale, l’entreprise, la communication d’entreprise, la communication institutionnelle ou la communication politique, etc…

Bruno Ollivier (2000) [53] résume la situation de la communication et de la sémiotique, en les situant « dans le politique », c’est-à-dire dans la polis : « […] bien avant tout processus de communication, des phénomènes d’ordre politique et d’ordre sémiotique structurent le terrain sur lequel cette communication a lieu. ». Il ajoute : « La communication se développe à partir de ces deux logiques qu’elle contribue, en retour, à faire vivre. ». Il précise que les activités humaines ont à voir avec l’organisation sociale qu’est la polis, comme avec les rapports de pouvoir, qui régissent les relations entre les hommes et l’exercice de ce pouvoir. De fait :

« Les Sciences de l’Information et de la Communication sont fondamentalement impliquées dans cette problématique sociopolitique. ».[modifier]

Andrea Semprini (2007) [54] adopte une posture qui est, à la fois, épistémique, mais aussi méthodologique. Celle-ci ne paraît pas contradictoire avec l’approche sociopolitique de Bruno Ollivier. Cette sociosémiotique n’est pas considérée comme une branche de la sociologie, mais comme une branche de la sémiotique, dont l’objet est la discursivité sociale ou la dimension sociale de la discursivité. Les termes discours, discursif, discursivité sont « compris, ici, selon leur acception technique d’objets de sens énoncés, ou bien pris en charge par un dispositif énonciatif, ou encore pris en charge, en simplifiant, par les sujets sociaux. ». Il s’agit d’une analyse centrée sur le discours et les pratiques discursives – et non sur le texte seul (entendu au sens micro du terme, lequel peut servir à désigner une publicité, mais aussi, dans un sens plus large, pouvant désigner l’ensemble de la communication d’une entreprise ou d’une institution publique, etc…) – où le discours est le texte énoncé et/ou bien les procédures qui gouvernent sa production. Par ailleurs, Andrea Semprini (2007) [55] considère que le texte et le contexte ne sont pas deux entités prédéterminées. Ils émergent simultanément, se différencient progressivement, au cours d’un processus qui peut durer et qui peut être fortement conflictuel [56] . Ce processus peut connaître des moments de stabilisation, mais il n’est jamais conclu.

Un autre aspect du regard sociosémiotique est l’attention portée, non seulement aux contenus et aux formes, mais aussi aux conditions de manifestation des discours [57] . L’approche sociosémiotique s’oriente vers des problématiques générales, lesquelles concernent les raisons de l’apparition d’un certain discours, ou d’un type de discours, sa position dans le cadre de la discursivité sociale et des mécanismes de circulation et de réception, qui permettent de comprendre la trajectoire de ce discours, son succès, ou son insuccès, sa prise en charge ou sa marginalisation de la part des acteurs sociaux. Nous trouvons, dans ces problématiques, des phénomènes méta-discursifs [58] . Il s’agit, alors, de questionner la légitimité, pour l’énoncé, de se transformer en discours, de circuler dans l’espace social et dans la sémiosphère.

Andrea Semprini (2007) [59] observe que chaque énoncé « fonctionne » dans un univers de référence, lequel contribue grandement à modeler son signifié, et « circule » dans des structures de réception, lesquelles l’interprètent, en fonction d’informations déjà disponibles et d’horizons d’attente. Le regard sociosémiotique est fixé sur l’inscription sociale du sens, sur la construction des signifiés comme objets de conflit social, de pouvoir, de constitution et de dissolution de groupes et de positions. Ce regard étudie la bataille permanente d’assomption, de légitimation et de véridiction des positions discursives, ainsi que la relation entre formations discursives et systèmes de croyances, de valeurs, d’idéologie. Il a ainsi pour vocation l’analyse critique de la société actuelle. L’objet principal de son analyse ne se trouve pas dans les stratégies traditionnelles historicistes, politologiques ou sociologiques, mais – même s’il utilise leurs apports – dans l’univers communicationnel60.

La théorie des processus de communication, qui se situe dans un positionnement compréhensif, permet, par l’utilisation des approches heuristiques, voire fractales, d’aborder la sociosémiotique. Elle le peut aussi par l’utilisation souhaitée des approches diachroniques, lesquelles apportent de la profondeur à la recherche du sens et de la signification. [60]

Référence électronique[modifier]

Martine Bocquet, « Dynamiques sociosémiotiques : compréhension, processus, diachronie et fractales », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 3 | 2013, mis en ligne le 31 juillet 2013, consulté le 17 octobre 2018. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/449 ; DOI : 10.4000/rfsic.449

Martine Bocquet est docteur en Sciences de l'Information et de la Communication. Elle est membre du CRPLC-UMR CNRS 8053, Université des Antilles et de la Guyane. Courriel : mm.bocquet@orange.fr

Articles du même auteur[modifier]

Alain Supiot, La gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014) [Texte intégral]Coll. « Poids et Mesures du Monde », Fayard, 2015, 512 p.


  1. 1 Cf. Alex Mucchielli, La nouvelle communication, Armand Colin, 2000, p. 42.
  2. 2 Bruno Ollivier, Observer la communication : Naissance d’une interdiscipline, CNRS Edition, 2000, p. 27.
  3. 3 Alex Mucchielli, Jean-Antoine Corbalan, Valérie Ferrandez, Théorie des processus de la communication, Armand Colin, 2001.
  4. 4 Céline Bryon-Portet, « L’approche sémio-herméneutique : Une nécessité pour étudier les dispositifs symboliques des organisations et leurs enjeux communicationnels », in Les applications sémiotiques à la communication des organisation, Communication et organisation, n° 39, 2011, p. 159.
  5. 5 Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, 1949, Armand Colin, 2 vol. , 1966.
  6. 6 Alain de Libéra, Penser au Moyen Âge, Seuil, Collection Points Essais, 1991, pp. 68 et suiv.
  7. 7 Jean-Jacques Boutaud, Eliseo Verón, Sémiotique ouverte : Itinéraires sémiotiques et communication, Hermès Science Lavoisier, Collection Forme et sens, 2007, pp. 110 et suiv.
  8. 8 Alex Mucchielli, « Une méthode des sciences de la communication pour saisir les débats implicites aux organisations : L’analyse des commentaires selon la méthode de l’hypertexte réduit », in Communication et Organisation, n° 11, 1er semestre 1997, GREC/O, ISIC, Université Michel de Montaigne, pp. 243-265.
  9. 9 Alex Mucchielli, Jean-Antoine Corbalan, Valérie Ferrandez, 2001, Ibidem, pp. 7-8.
  10. 10 Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, ESF, 1991 ; Edgar Morin, Arguments pour une méthode, Seuil, 1990.
  11. 11 Jean-Michel Berthelot, L'intelligence du social : Le pluralisme explicatif en sciences sociales, P.U.F, 1998.
  12. 12 Alex Mucchielli, Jean-Antoine Corbalan, Valérie Ferrandez, 2001, Op. cit, p. 158.
  13. 13 Jean-Michel Berthelot (Dir.), Epistémologie des sciences sociales, P.U.F, 2001, p. 64.
  14. 14 Alex Mucchielli, Jean-Antoine Corbalan, Valérie Ferrandez, 2001, Op. cit, p. 158.
  15. 15 Alex Mucchielli, Jean-Antoine Corbalan, Valérie Ferrandez, 2001, Ibidem, p. 160.
  16. 16 Alex Mucchielli, Jean-Antoine Corbalan, Valérie Ferrandez, 2001, Ibidem, p. 160.
  17. 17 Alex Mucchielli, Jean-Antoine Corbalan, Valérie Ferrandez, 2001, Ibidem, p. 161.
  18. 18 Edgar Morin, 1991, Op. cit ; 1990, Op. cit.
  19. 19 Dominique Wolton, 1997, Op. cit, p. 82.
  20. 20 Du grec dia-, à travers, et χρόνος chronos, temps, ce qui est relatif à l’évolution de faits dans le temps par opposition à la synchronie qui s’intéresse à la description de faits à un moment précis de leur histoire.
  21. 21 Erik Neveu, Une société de communication ?, Montchrestien, Collection Politique Clefs, 2006, p. 16. Professeur de Sciences Politiques.
  22. 22 Krzysztof Pomian, « Périodisation », in Jacques Le Goff, Roger Chartier, Jacques Revel (Dir.), La Nouvelle Histoire, Paris, Retz, 1978, pp. 455-457.
  23. 23 Erik Neveu, 2006, Op. cit, p. 16.
  24. 24 Erik Neveu, 2006, Ibidem, p. 17.
  25. 25 Benoît Mandelbrot, Les objets fractales, suivi de Survol du langage fractal [1975], Flammarion, Collection Nouvelle Bibliothèque Scientifique, 1989. Mathématicien français (1924-2010).
  26. 26 Bertrand Richet, Les fractales du sens : Synthèse de recherche : Réflexions sur la représentation, vol. 1, Thèse en vue de l’obtention de l’habilitation à diriger les recherches, Université Paris Ouest Nanterre-La Défense, 2011, p. 7.
  27. 27 Bertrand Richet, 2011, Ibidem, p. 8.
  28. 28 Bertrand Richet, comparant les fragments aux fractales, déclare : « Il faut en revenir à la définition initiale du fragment : la partie d’un tout. Le tout accessible par la partie. La nécessité de l’existence du tout, puisqu’il y a langue, discours, communication, construction intellectuelle et sociale. La fractale nous fascine, non pas seulement par l’infinité inquiétante de ses ramifications, mais par la beauté de son ensemble, la perfection ambiguë de son chaos. ». Bertrand Richet, 2011, Ibidem, p. 125.
  29. 29 Bertrand Richet, 2011, Ibidem, p. 10.
  30. 30 Ibidem, p. 11.
  31. 31 Ibidem, p. 122.
  32. 32 Ibidem, pp. 126-127.
  33. 33 Ibidem, pp. 128-129.
  34. 34 Jean-Jacques Boutaud, Eliseo Verón, 2007, Op. cit, pp. 110 et suiv.
  35. 35 Representamen : signifiant, objet qui tient lieu d’un autre objet selon Charles Sanders Peirce. Cf. Bruno Ollivier, Les sciences de la communication : Théorie et acquis, pp. 41-42, p. 268. Charles Sanders Peirce, Collected Papers 2.303.
  36. 36 Par exemple, dans tout acte de communication, nous allons trouver des opérateurs premiers, des qualités, des opérateurs seconds, des faits, et des opérateurs tierces, des règles. Les opérandes sont composées, elles-mêmes, de ces trois types. En communiquant, nous qualifions, nous factualisons et nous légiférons, à propos de qualités, de faits, de règles, toutes les combinaisons étant possibles. Jean-Jacques Boutaud, Eliseo Verón, 2007, Op. cit, pp. 110 et suiv.
  37. 37 Jean-Jacques Boutaud, Eliseo Verón, 2007, Ibidem, p. 125.
  38. 38 Cette approche, qui est celle utilisée par Jean-Marie Floch (1947-2001), disciple d’Algirdas Julien Greimas (1917-1992), permet, par exemple, de définir des stratégies de communication se déclinant sur quatre niveaux : de retrait, d’accompagnement en parallèle, d’accompagnement incorporé au récit, d’interpellation. Cf. Jean-Jacques Boutaud, Eliseo Verón, 2007, Ibidem, p. 113.
  39. 39 Comme d’autres dispositifs, tels que le carré sémiotique, le schéma tensif est à la fois un réseau, une structure conceptuelle et une représentation visuelle de cette structure. Mais il utilise deux concepts, celui d’intensité et celui d’extensité, lesquels peuvent être placés, dans une représentation visuelle, en abscisse et en ordonnée.
  40. 40 Soit trois types de relations de contradiction, de contrariété et de complémentarité se déclinant en trois dimensions. Cf. Joseph Courtés, Algirdas Julien Greimas, Sémiotique : Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Hachette, Collection HU, Paris, 1993, p. 31. Cf. également Mauricio Beuchot, « Le carré de Saint Anselme et le carré de Greimas », in Éric Landowski (Dir.), Lire Greimas, Presses Universitaires de Limoges, Collection Nouveaux Actes Sémiotiques, Limoges, 1997, p. 20.
  41. 41 « Anselme vise à construire un modèle général d’analyse, tel que n’importe quelle proposition puisse être obtenue par génération et par transformation à partir des structures élémentaires de son modèle. ». Mauricio Beuchot, « Le carré de Saint Anselme et le carré de Greimas », 1997, Ibidem, pp. 15-16.
  42. 42 Les six facettes du prisme sont : physique, personnalité, culture, mentalisation, relation, reflet. Jean-Noël Kapferer, Les marques : Capital de l’entreprise [1998], Organisations, Collection Les Références, 2003, p. 108.
  43. 43 Thierry Libaert, Le plan de communication : Définir et organiser votre stratégie de communication, Dunod, 2000, pp. 108-113.
  44. 44 Fernand Braudel, 1966, Op. cit.
  45. 45 Alain de Libéra, 1991, Op. cit, pp. 68 et suiv.
  46. 46 Alex Mucchielli, 1997, Op. cit, pp. 243-265.
  47. 47 Ce modèle repose sur une métaphore. Celle-ci renvoie aux méthodes de cheminement par hypertexte, habituelles sur l’Internet. En cliquant sur un mot, une expression, un concept, une notion, on atteint un autre texte ou un commentaire, dans lequel ceux-ci sont développés ou précisés. Il s’agit d’un système d’organisation et de transmission d’informations, fondé sur la mise en place d’interconnexions. Ainsi, un réseau d’explications et de commentaires est rattaché au texte initial et permet d’en définir le sens final. Le sens n’est pas donné au départ, mais découlera de la lecture d’un certain nombre d’interprétations, qui auront lieu lors de l’échange, un peu comme une navigation sur l’Internet se fait, au fur et à mesure des liens sélectionnés à partir de la page initiale. Dans cette optique, tout au long des lectures ou interprétations successives, le sens de la communication émerge, sachant que ces lectures ou interprétations ont pu prendre des directions totalement inattendues, lors des premiers instants de l’interaction. Cf. Alex Mucchielli, 1997, Ibidem, pp. 243-265.
  48. 48 Alex Mucchielli, « L’approche communicationnelle », in Pierre Corbin (Coord.) La communication : Etat des savoirs, Sciences Humaines, 2005 ; Etudes des communications : Approche par la contextualisation, Armand Colin, 2005.
  49. 49 Alex Mucchielli, 2000, Op. cit, pp. 60 et suiv.
  50. 50 Pierre Legendre, De la société comme texte : Linéaments d'une anthropologie dogmatique, Fayard, 2001 ; Pierre Legendre, Leçons VII : Le désir politique de Dieu : Etudes sur les montages de l’Etat du Droit, Fayard, 2005, p.XII et p. 33 ; Pierre Legendre, Leçons IX : L’autre Bible de l’Occident : Le monument romano-canonique : Etude sur l’architecture dogmatique des sociétés, Fayard, 2009.
  51. 51 Pierre Legendre, Leçons VII, 2005, Op. cit, pp. 27-28.
  52. 52 Jean-Jacques Boutaud, Sémiotique et communication : Du signe au sens, Collection Champs Visuels, L’Harmattan, 1998, p. 70 et pp. 79 et suiv.
  53. 53 Bruno Ollivier, 2000, Op. cit, pp. 19 et suiv.
  54. 54 Andrea Semprini (Dir.), Analyser la communication 2 : Comment analyser la communication dans son contexte socioculturel, L’Harmattan, Collection Champs Visuels, 2007, pp. 13 et suiv.
  55. 55 Andrea Semprini, 2007, Ibidem, pp. 15 et suiv.
  56. 56 Il cite en exemple l’affaire des caricatures de Mahomet publiées en 2006, par plusieurs médias occidentaux - nous précisons rééditées en 2012 -, laquelle affaire pose un problème de lecture sociosémiotique, au sein de deux univers culturels différents dans leurs principes édificateurs.
  57. 57 On pourrait citer le cas du discours écologique, lequel, parti d’une position marginale dans un univers socioculturel donné, a fini par occuper le devant de la scène, tout en restant contesté, cet univers socioculturel ayant évolué.
  58. 58 Andrea Semprini, 2007, Ibidem, pp. 17 et suiv.
  59. 59 Ibidem, pp. 18 et suiv.
  60. 60 Ibidem, pp. 20 et suiv .