Le document numérique au coeur de l'action collective
Le document numérique au cœur de l’action collective
Francis BEAU
DeVisu, Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis Francis.Beau@etu.univ-valenciennes.fr
- Résumé.
- La méthode de capitalisation des connaissances à laquelle nous travaillons s’inspire d’une observation empirique de la construction du sens dans notre mémoire individuelle, dont elle calque les grandes étapes pour la mise en œuvre d’une mémoire documentaire collective. L’objectif est de concevoir les outils méthodologiques nécessaires au fonctionnement d’un système d’information opérationnel, adapté au travail collaboratif en temps réel. Le document numérique en est l’élément clé sur lequel doit reposer une méthode de travail fiable et sécurisée dont nous nous proposons de décrire les fondements.
Sommaire
1. Introduction[modifier]
Dans un environnement qualifié de « post-numérique » pour indiquer une certaine maturation des avancées technologiques, les progrès des dispositifs d’information numériques reposent plus sur l’évolution du document, des usages que l’on peut en faire, des règles de manipulation qu’on peut envisager de lui appliquer et des méthodes de travail associées, que sur les prouesses techniques des outils disponibles. En effet, malgré des progrès technologiques spectaculaires, la réalisation de dispositifs d’information performants, qui ne soient pas de simples outils informatiques, mais de véritables systèmes collaboratifs de capitalisation des connaissances et de présentation des savoirs, à la fois fiables et réactifs, demeure bien difficile. Face à ce constat, nous avons ressenti l’impérieuse nécessité d’engager un approfondissement théorique de la notion de document et de ses évolutions dans un environnement numérique qui bouscule les approches traditionnelles du traitement de l’information.
2. Considérations théoriques : de l’information à l’action[modifier]
Afin de préciser l’objet de notre travail théorique en toute cohérence avec ses objectifs pratiques, nous proposons de considérer le "système d’information" comme un "sujet apprenant" dont nous donnons la définition suivante : Un système d’information est une mémoire ayant pour fonction l’exploitation d’une information recueillie, pour produire une information utile à l’action.
2.1. Le cycle de l’information[modifier]
Le système d’information, comme la mémoire à laquelle nous l’identifions, transforme une information recueillie en information utile à l’action. Nous pouvons remarquer que cette transformation s’opère selon un processus itératif que l’on nommera « cycle de l’information ». L’observation d’un fait permet de disposer d’une donnée acquise par la mémoire pour engendrer une connaissance que le système organise puis transforme en savoir pour former une idée . Celle-ci va donner sens au travers d’un signal à une action dont un des éléments pourra être une nouvelle observation destinée à préciser le sens de la nouvelle information que le système construit pas à pas.
Chaque pas est une nouvelle itération qui se perpétue tout au long de l’action, d’où la notion de cycle dont la figure 1 ci-dessus donne le modèle qui se lit en suivant les flèches, à partir du fait pour aboutir à l’action. La partie bleue à gauche de la figure représente l’abstraction du concept d’information, dont les différentes "formes" jalonnent le cycle, tandis que la partie droite en présente les tenants et les aboutissants concrets.
- Définitions
Dans sa thèse de doctorat, Jean-Paul Pinte (2006) consacre plus de 40 pages aux différentes acceptions du concept d’information et des notions de savoir, de connaissance ou de document, puisées dans une littérature balayant l’ensemble des disciplines qui en ont l’usage. De cette somme, on ne peut que tirer le constat d’une grande diversité des approches, parfois contradictoires, due à l’immense variété des contextes scientifiques et professionnels concernés. Les définitions qui suivent n’ont donc pas d’autre prétention que celle d’apporter à nos énoncés l’intelligibilité nécessaire à leur compréhension, dans le cadre spécifique de cette modélisation empirique du fonctionnement de la mémoire individuelle que nous souhaitons appliquer à celui d’une mémoire collective.
Par " information ", nous entendons dans son sens le plus général, toute "forme" sensible d’une réalité observable, se dissociant de la manifestation concrète de cette réalité (un fait ) dont elle emporte ainsi une représentation abstraite.
Le fait est une réalité concrète (événement, phénomène ou simple état), accessible à l’observation.
Une donnée est une information qui entre dans le système (la mémoire), quelle que soit sa "forme sensible".
Une connaissance est une information conçue par transformation des données combinées entre elles dans une mémoire.
Le sens s’identifie à « l’effet produit » (Atlan, 1977) « chez le sujet » (le système) par l’ information traitée : il éclaire ou guide l’action.
Un savoir est une information qui résulte de la rencontre d’une connaissance avec un sujet et donne sens à son action en l’éclairant.
Une idée est une manifestation du savoir qui donne sens à l’action.
Le signal , nouveau « fait , produit artificiellement » (Prieto, 1968), est cette forme sensible concrète de l’ information , en sortie du système. Propriétés
La connaissance est intrinsèquement liée à l’objet connu (la réalité observée) qu’elle décrit. Elle est objective au sens de Popper (1998) : « connaissance sans connaisseur » ou « connaissance sans sujet connaissant ».
Le savoir quant à lui, qui résulte de la connaissance et donne sens à l’action, est intrinsèquement lié à un sujet apprenant. Il est par nature, subjectif. L’ idée (du latin idea et du grec idéa , « forme visible ; espèce, catégorie » dérivé de ideîn , « voir ») est entendue ici dans son sens premier que nous suggère l’étymologie et qui exprime une "vision", un produit de l’imagination. Elle est une manifestation du savoir et reflète ainsi toute la subjectivité, de l’imagination, de l’inconscient, du sentiment, de l’émotion ou de l’intuition dont celui-ci est porteur.
L’ information existe conceptuellement, indépendamment du fait qu’elle rapporte (réalité physique), dont elle est une représentation abstraite, et de sa restitution physique, le signal . Cette dualité de la notion d'information, à la fois représentation mentale abstraite et formulation intelligible concrète, fait de son exploitation une fonction intellectuelle complexe dont la réussite repose sur sa capacité à concilier l'essence immatérielle du produit avec sa restitution physique. Le lieu conceptuel de cette conciliation est la mémoire qui opère une capitalisation des connaissances après recueil des données et justifie leur pertinence par la rencontre avec un besoin de sens qu’elle organise.
La pertinence d’une information s’évalue au regard du besoin de savoir pour agir qu’elle satisfait. Une information sera dite pertinente si elle satisfait un besoin de savoir et donne ainsi sens à l’action.
2.2. Mémoire tacite, mémoire déclarative[modifier]
En sortie du cycle, l’ idée est un produit de l’imagination. Elle reflète un savoir que l’on dira "tacite" parce qu’il ne s’exprime pas encore verbalement, et donne sens à une action que l’on dira "réflexe" ou "intuitive". Cette mémoire sera dite "tacite" pour être distinguée d’une mémoire dite "déclarative" qui la prolonge et donne sens à une action réfléchie en passant par la pensée . La mémoire déclarative organise la connaissance en réalisant de nouvelles itérations dans un cycle que l’on peut représenter par un cercle concentrique à celui de la mémoire tacite. Le schéma représentant le fonctionnement de notre mémoire s’enrichit ainsi d’un deuxième cycle selon le modèle de la figure 2 ci- dessous qui se lit comme le précédent, à partir de la droite en suivant d’abord les flèches intérieures, puis extérieures, partant du fait pour aboutir à l’action.
- Définitions
Une intuition est un signal en sortie de la mémoire tacite restituant une idée accessible instantanément pour éclairer une action immédiate ou guider une parole réflexe.
Une pensée est une idée dont la restitution physique est structurée par le verbe et organisée par la langue qui l’exprime formellement au travers d’un discours . Elle donne sens à une action réfléchie.
Le discours est une "forme sensible" concrète de l’ information ( signal ), structurée par le verbe et organisée par la langue ( pensée ), qui permet d’éclairer une action réfléchie.
- Propriétés
La connaissance discursive est objective et peut être conçue collectivement, tandis que le savoir discursif est subjectif et engage la responsabilité d’un sujet agissant. Pour pouvoir être partagée, la connaissance discursive doit donc passer par l’état de savoir qui correspond à une personnalisation de la connaissance par un sujet apprenant : l’ information qu’elle restitue est ainsi validée par une prise de responsabilité de son auteur à l’instant de sa restitution.
La nouvelle information produite par le système résulte d’une "lecture" de l’information recueillie. « Bien lire, (nous dit un enfant de cinq ans) c’est arranger des mots dans sa tête pour que ça raconte une histoire » (Feler, 1997). Cette nouvelle information est la rencontre entre une information recueillie et un "lecteur" qui lui donne sens. C’est un objet conceptuel qui procède de l’intégration de différentes données dans une mémoire déclarative, porté par un objet physique, un discours qui est sa restitution formelle (orale ou écrite).
La pensée , qui peut sembler rationnelle parce qu’elle s’exprime par le verbe et la langue qui l’organise, reste néanmoins indissociable de l’ idée dont elle est la restitution physique et dont elle conserve ainsi une part de subjectivité. « Qu’est- ce qu’une chose qui pense ? » s’interroge Descartes (1641), « c'est une chose qui doute, qui entend, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent ».
Le discours est un signal , c’est-à-dire un nouveau fait produit artificiellement par la mémoire. Il permet de réintroduire dans le cycle (mémoire déclarative) de nouvelles données (discursives), de les interpréter puis de capitaliser des connaissances en les organisant, pour transmettre des savoirs. La langue, qui est l’instrument privilégié de mise en œuvre de la mémoire déclarative et façonne le discours, constitue ainsi le premier système d'information utilisé par l'homme. 2.3. La mémoire documentaire : de l’individuel au collectif
Pour Saussure, la langue va au-delà de ce système d’information individuel que constitue notre mémoire déclarative. Elle est « le réceptacle privilégié des représentations collectives, le medium par lequel les connaissances humaines du monde se conservent, se transmettent et se transforment » (cité par Bronckart, 1998). En nous inspirant de cette réflexion, confortée par les observations qui précèdent, nous avons postulé que l'organisation d'une mémoire commune en réseau pouvait être conçue à partir d’une modélisation des processus à l'œuvre dans l'élaboration des savoirs par notre mémoire individuelle (tacite puis déclarative). Le document numérique, le dossier qui l’accueille et le plan qui en organise la présentation, sont les pièces centrales de cette mémoire collective : le dossier transforme l’ idée collective portée par le document en pensée officielle que le plan organise, comme, dans notre mémoire individuelle le verbe transforme l’ idée en pensée que la langue organise.
Une mémoire documentaire collective peut ainsi être réalisée sur le même modèle que nos mémoire tacite puis déclarative décrites précédemment (figure 2), dont elle va être le prolongement : le discours issu de la mémoire déclarative peut en effet être consigné dans un document numérique qui constitue une nouvelle donnée (document source) pour le système d’information collectif.
La mémoire tacite devient ici (figure 3) une mémoire documentaire accessible en consultation directe au travers d’une "publication homologuée " qui éclaire une action immédiate ou réactive comme l’ intuition guidait l’action instantanée. La mémoire déclarative devient une mémoire institutionnelle éclairant une action ciblée ou planifiée au travers d’une "édition validée" comme le discours guidait l’action réfléchie.
- Définitions
- Dans la suite, par commodité de langage, nous restreindrons le sens du mot "information" à cette restitution formelle orale ou écrite (discours) d’une réalité observable… . délivrée par la mémoire déclarative.
Un document source est le support numérique sur lequel est consignée une information destinée à être échangée ( savoir ).
Le dossier est un support numérique donnant accès à un ensemble de documents numériques, réunis parce que leur contenu a été jugé pertinent par un expert responsable de son suivi au regard du thème du dossier, c’est-à-dire du besoin de sens qu’il vise à satisfaire ( savoir ).
Une fiche est un support numérique sur lequel la connaissance se capitalise pour engendrer un savoir documentaire.
Une note est le support numérique sur lequel s’élabore un savoir documentaire pour donner sens à l’action en faisant l’objet d’une édition validée . Une idée collective est la manifestation d’un savoir documentaire, produit d’un travail collectif qui donne sens à une action immédiate ou réactive. La pensée officielle est une idée collective dont la restitution physique est structurée par un dossier et organisée par un plan qui l’exprime formellement et émane d’une autorité collective reconnue. Propriétés
Le document est le véhicule de l’information, à la fois dans le temps et dans l’espace. Nous ne considérons ici que les « documents formels, à savoir ceux issus d’un processus d’élaboration avec l’intention de communiquer une information sur un support donné » (Duplessis et Ballarini-Santonocito, 2007).
Désormais numérique, le document s’est en quelque sorte dématérialisé. Mais cette dématérialisation n’en est pas véritablement une : un fichier numérique reste d’une certaine manière un support physique que l’on peut détruire physiquement. Elle confère néanmoins au document numérique un statut virtuel que le papier n’avait pas, qui le rapproche ainsi de l’information immatérielle qu’il porte et de sa restitution formelle (discours) dans un texte. En particulier, la notion d'appropriation que l’on peut associer à celle de donnée dans notre cycle de l’information s’applique également au document, qui sert de support au prolongement de notre mémoire individuelle dans une mémoire collective. Cette notion d’appropriation est néanmoins particulière dans le cas du document numérique. Très liée en effet à la dualité de ce support à la fois physique et virtuel, elle n’est pas de même nature que l'appropriation d'un bien matériel classique tel que le document papier par exemple, pas plus qu'elle ne peut s'assimiler à la notion juridique de propriété intellectuelle, puisque l'appropriation d'un document n'implique en rien la propriété intellectuelle de son contenu. C’est cette appropriation qui va faire pourtant toute la spécificité du travail de capitalisation des connaissances dans une mémoire documentaire et conditionnera en particulier le choix des outils.
3. Développements méthodologiques[modifier]
Le cycle de l’information peut s’aborder selon trois approches différentes : systémique, fonctionnelle ou opératoire.
3.1. Approche systémique[modifier]
La première approche systémique (figure 4) présente l’avantage de fixer les responsabilités de chacun au sein d’une collectivité souhaitant organiser son système d’information .
Ce dernier produit une " pensée officielle" dont la "direction" assume la responsabilité pleine et entière en validant l’ensemble des tâches réalisées tout au long du cycle. Mais une telle mémoire collective a pour fonction essentielle l’exploitation d’une information recueillie, pour produire une information utile à l’action. L’exploitation en est donc la fonction centrale qui, sans nier pour autant la primauté et l’importance des fonctions de direction et de diffusion ou de recherche de l’information qui l’encadrent, doit être reconnue comme telle afin d’y consacrer les développements méthodologiques qui s’imposent.
Cette première approche est en effet trompeuse car elle conduit à l’effacement du cycle au profit d’un simple organigramme. Elle permet ainsi de déterminer les grandes fonctions à mettre en place pour organiser le système, mais elle s’avère en revanche bien incapable de modéliser les processus de traitement de l’information destinés à transformer une information "à recueillir" en information "utile" à l’action.
3.2. Approche fonctionnelle[modifier]
D’où la deuxième approche fonctionnelle qui permet de préciser ce que réalise la fonction "exploitation" et d’en décrire les processus. Cette approche dont rend compte la figure 6 ci-après est essentielle pour en distinguer les grandes étapes ( orientation , veille , capitalisation , validation ) afin d’y adapter des pratiques collectives efficaces.
L’ orientation s’effectue par la formulation d’une question qui exprime un besoin de sens et donne "forme" à la part immatérielle de l’information en lui reconnaissant déjà un début d’existence conceptuelle liée à un objet ( connaissance ), sur laquelle vient s’ajuster sa restitution formelle émise par un sujet ( savoir ), en réponse à la question. C’est la satisfaction de ce besoin qui donne sens à l’action et fonde la pertinence du savoir élaboré dont rend compte la validation . Cette dernière étape du cycle, qui correspond à une prise de responsabilité de l’auteur du savoir à l’instant de sa restitution, est donc essentielle.
La validation est parfaitement maîtrisée dans le cadre d’une transmission du savoir par l’intermédiaire du document papier écrit : la prise en compte rigoureuse des références au sujet (l’auteur) et à la date de restitution (édition) de l’information, suffit en effet à attester de la validation de l’information par une instance autorisée au moment de son émission. Mais l’arrivée des nouvelles technologies numériques a bouleversé la donne. Les échanges ne se limitent plus à la transmission des savoirs, mais sont désormais étendus au partage des connaissances capitalisées dans des mémoires artificielles accessibles en réseau, dont la validation s’avère plus complexe.
Le partage des connaissances par consultation directe des dossiers impose donc de revoir cette notion de validation de l’information. En effet, la connaissance présente un rapport au temps qui est multiple : elle s’inscrit dans le temps comme l’objet connu qu’elle décrit, mais se trouve également intrinsèquement liée à l’instant de sa composition, qui n’est pas forcément celui de sa consultation par un tiers. Il nous a donc fallu envisager une nouvelle forme de validation adaptée à la consultation directe de la connaissance par des tiers, que l’on a baptisé "homologation" et dont nous proposons la définition suivante : L’homologation est une opération destinée à attester de la pertinence de l’information délivrée à l’état de connaissance, au regard d’un besoin collectif et conjoncturel de savoir dont on ne maîtrise ni le public touché, ni le moment de la consultation.
Il s’agit là d’une opération délicate qui ne peut se concevoir que dans le cadre d’une discipline stricte de travail collectif fondée sur l’organisation rigoureuse d’une mémoire collective. Cette nouvelle forme de validation adaptée à la consultation directe par des tiers, dans le cadre d’un travail collectif en réseau, n’est en effet envisageable qu’à condition de bien établir les responsabilités de chacun et de se doter des moyens de les assumer individuellement et d’en contrôler l’exercice.
C’est là le rôle principal de coordination assumé par le plan des dossiers numériques présenté plus loin. Chaque dossier permet à l’expert qui en a reçu la "propriété" d’assumer ses responsabilités et à la hiérarchie dont il dépend d’exercer un contrôle par consultation directe.
Cette deuxième approche, qui replace l’exploitation au cœur du dispositif, orientant la veille pour alimenter des dossiers ( capitalisation ) et valider un savoir pertinent, reste cependant insuffisante pour élaborer de véritables méthodes de travail individuelles compatibles avec les pratiques collectives indispensables au partage des connaissances dans une mémoire partagée à la fois fiable et sécurisée.
3.3. Approche opératoire[modifier]
C’est là tout l’intérêt de la troisième approche opératoire (figure 6) qui permet de concevoir des procédures destinées à assurer la production en temps voulu d’une information utile. Cette approche est fondée sur la tenue à jour des dossiers numériques permettant la saisie des documents, l’ analyse et la synthèse de leurs contenus, puis leur indexation .
Les index attribués aux documents capitalisés caractérisent leur contenu et garantissent leur apparition dans les dossiers correspondants. Les "propriétaires" des dossiers en assument la responsabilité en termes de présentation comme en termes de saisie . Sans cette responsabilité de "saisie" exercée par des experts des thèmes traités, le système risque de passer à côté des "signaux faibles", et sera condamné en même temps à expulser des documents de manière aléatoire, ou à accumuler une documentation pléthorique devenant vite ingérable.
De nouvelles règles doivent en outre être conçues en matière de protection du secret. Les moyens classiques de protection des documents reposent sur le droit d’en connaître et sont liés à la notion d'habilitation qui considère que les personnes habilitées à un niveau de confidentialité donné ont accès à toute la documentation protégée par le niveau de confidentialité considéré. Ce type de protection est parfaitement adapté au document papier dont le partage n'est envisageable que par duplication et échange physique. Il l’est moins au document numérique dont le partage lié à des droits d’accès en réseau doit être envisagé de manière différente.
Nous introduisons pour cela la notion de " qualification " qui repose non plus sur le droit, mais sur le besoin d’en connaître. Appliqué à chaque document numérique, ce mode de restriction d’accès revient à déterminer l'ampleur de la communauté avec laquelle le "créateur" de la connaissance documentaire considérée (l’expert qui devient "propriétaire" du document lorsqu’il décide d’en effectuer la saisie ) estime utile de le partager. Les différents ensembles de lecteurs autorisés, déterminés par le besoin d’en connaître associé à chaque groupe, prennent alors la forme de cercles concentriques dont le centre est le créateur de l'enregistrement du document numérique (qualification la plus restrictive) et peut être élargie par exemple à un premier cercle de proches collaborateurs, ou à un cercle plus vaste d'associés, voire à un cercle beaucoup plus large de partenaires.
4. Applications pratiques[modifier]
La connaissance capitalisée est donc contenue dans des documents numériques indexés conformément à un plan de classement, dans des dossiers dont la "propriété" est attribuée à un expert qui assume la responsabilité d’admission, de suppression, de présentation, d’accessibilité, et de tenue à jour des documents pour assurer la pertinence de l’information délivrée.
4.1. Le plan des dossiers numériques[modifier]
En application de l’approche systémique décrite précédemment, le schéma de la figure 7 indique la logique de structuration hiérarchique du plan que l’on peut mettre en place.
Les titres permettent un inventaire du besoin manifesté par la direction et une présentation des savoirs à diffuser (quoi). Ils donnent accès à des chapitres qui permettent une observation par domaines des données à rechercher (où) et donnent accès eux-mêmes aux dossiers qui permettent la compréhension ou l’ étude des connaissances exploitées (comment).
Seuls les dossiers donnent accès aux documents.
4.2. Le dossier numérique[modifier]
En application de l’approche fonctionnelle décrite précédemment le schéma de la figure 8 indique la logique de structuration des dossiers. Les documents permettent le suivi dans le temps (quand) des données issues de la veille pour en recenser (qui) les connaissances à capitaliser qui peuvent faire l’objet de fiches . Ces dernières permettront l’ évaluation (combien) des savoirs pour fixer les idées et orienter à nouveau la veille ou valider un savoir au moyen d’une note . La modélisation cyclique est ici clairement justifiée.
Le dossier permet ainsi l’ homologation de fiches , sous la responsabilité d’un expert "propriétaire" du dossier et la production de notes faisant autorité pour la communauté de travail concernée par l’utilisation des connaissances et des savoirs ainsi organisés.
4.3. Le classement des dossiers[modifier]
Le thème commun à tout ou partie du contenu de chaque document présenté dans le dossier ( documentation source, fiches, notes ) constitue l’intitulé du dossier auquel est affecté un index (numéro du plan de classement). La même logique (quoi, où, comment, quand, qui, combien), qui hiérarchise le plan et structure le contenu des dossiers (titres, chapitres, dossiers et documents, fiches, notes), peut être utilisée pour indexer les documents, grâce à une numérotation allant de 0 à 5 à chaque étage de la structure hiérarchique (figure 9).
Chaque plan s’attache à décrire un "sujet", considéré comme un acteur d’un théâtre d’activités donné, au sein duquel il joue un rôle, ou exerce une fonction spécifique qui intéresse plus particulièrement la collectivité mettant en œuvre le système d’information. L’indexation utilisée répond à une logique que l’on dira fonctionnelle pour exprimer le fait qu’elle se focalise sur cette fonction spécifique qui présente un intérêt particulier pour la collectivité.
Les titres présentent- le "sujet" (0),
- son contexte (1),
- sa fonction objet de l’intérêt qu’on lui porte (2),
- sa dynamique (3),
- ses éléments (4)
- et son dimensionnement fonctionnels (5).
Ils donnent accès aux chapitres, qui observent ses domaines fonctionnels
- de manière générale (0),
- contextuelle (1),
- fonctionnelle (2),
- dynamique (3),
- élémentaire (4)
- puis dimensionnante (5),
et donnent accès aux dossiers.
Ces derniers étudient pour chaque domaine
- ses traits généraux (0),
- son environnement (1),
- son fonctionnement (2),
- sa dynamique (3),
- ses éléments individuels (4)
- puis ses moyens (5),
- et donnent accès aux documents.
5. Conclusion[modifier]
À l’heure où le numérique s’impose dans toutes nos activités, il semble désormais nécessaire de faire porter nos efforts sur l’organisation du jeu collectif et le travail d’équipe en réseau, plutôt que sur le développement d’algorithmes toujours plus performants. Le système d’information doit selon nous s’émanciper du primat technologique imposé par l’informatique, et faire appel aux sciences de l’information qui s’intéressent selon Meyriat (1983) aux « processus de mise en forme des idées, de prise de décision et d'édition de documents, ainsi que de diffusion et de mise à disposition de ces documents ». C’est là tout le sens de nos travaux actuels qui souhaitent démontrer le bien- fondé d’applications reposant sur des méthodes d’organisation des connaissances, certes peu attrayantes, mais seules capables selon nous de permettre la mise en œuvre efficace d’une mémoire collective fiable, réactive et sécurisée.
6. Bibliographie[modifier]
- Accart, J.P., Réthy, M.P. (2008). Le métier de documentaliste . Ed. du Cercle de la Librairie, 3ème éd., Paris.
- Bronckart, J.P. (1998), Langage et représentations, Sciences Humaines , hors série n° 21, 304
- Descartes, R. (1641). Méditations sur la philosophie première. In Œuvres de Descartes , tome I, par Victor Cousin, Levrault, Paris (1824).
- Duplessis, P., Ballarini-Santonocito, I. (2007). Petit dictionnaire des concepts info- documentaires . Web, Disponible à : http://www.cndp.fr/savoirscdi/index.php?id=432 [consulté le (03 avril 2015)].
- Feler, G.W. (1997), Penser avec la langue , Zelos, Paris.
- Leleu-Merviel, S. (2010). Le sens aux interstices, émergence de reliances complexes. In Colloque international francophone Complexité 2010 , Lille, Octobre.
- Leleu-Merviel, S., Useille, P. (2008). Quelques révisions du concept d’information. In F. Papy (dir.) Problématiques émergentes dans les sciences de l’information , Science Publications, Hermès, 25-56.
- Leleu-Merviel, S. (2004). Effets de la numérisation et de la mise en réseau sur le concept de document. Information-Interaction-Intelligence , vol. 4, num. 1, 121-140.
- Meyriat, J. (1983). De la science de l'information aux métiers de l'information. Schéma et Schématisation , N° 19, pp. 69 à 70.
- Pedauque, R.T. (2003). Document : forme, signe et médium, les reformulations du numérique. STIC-CNRS .
- Popper K. 1998. La connaissance objective . Flammarion, Paris.
- Prieto L.J. (1968). Sémiologie. In Le langage , La Pléïade, Gallimard, Paris, 96 Pinte, J.P. (2006) La veille informationnelle en éducation pour répondre au défi de la société de la connaissance au XXIème siècle , Thèse de l’ Université ́ de Marne - La - Valle ́ e, Décembre.