Les fonctions de la doxa-épistémè dans les dialogues de Platon

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Yvon Lafrance / Laval théologique et philosophique, vol. 38, n° 2, 1982, p. 115-135.

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DOI: 10.7202/705925ar

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Laval théologique et philosophique, XXXVIll (juin 1982)
 


LES FONCTIONS DE LA doxa-épistémé DANS LES DIALOGUES DE PLATON

Yvon LAFRANCE


C'EST UN FAIT significatif que les études contemporaines sur la doxa et l'épistémé se retrouvent principalement dans les ouvrages consacrés à la théorie platonicienne de la connaissance [1]. Par ailleurs, les études d'ensemble portant directement sur la doxa et l'épistémé et qui proviennent toutes de la tradition allemande de platonisants considèrent, à l'exception de celle de E. Tielsch, le problème de la doxa et de l'épistémé dans un cadre strictement épistémologique [2]. Lorsque l'on regarde de près les résultats de ces travaux, on est en droit de demeurer insatisfait face aux difficultés insurmontables qu'ils soulèvent autour de la nature et du rapport entre la doxa et l'épistémé. Nous nous demanderons ici s'il n'existe pas une voie d'interprétation qui nous permettrait d'aplanir un certain nombre de ces difficultés.



Les difficultés soulevées dans ces études d'ensemble sur la doxa-épistémé sont de trois ordres. Il y a d'abord les difficultés d'ordre proprement linguistique [3]. Le terme doxa prend dans les dialogues de Platon de multiples significations. On pourrait dire que les deux sens étymologiques fondamentaux sont, d'une part, celui d'apparence et d'autre part, celui d'opinion. Mais de ces deux sens fondamentaux dérive toute une série de sens de nature plus littéraire que proprement philosophique [4]. Un deuxième ordre de difficultés surgit lorsqu'il s'agit de comprendre le concept même de doxa dans sa véritable signification philosophique. Les platonisants allemands ont appliqué ici la distinction d'origine kantienne entre la « Vorstellung » et la " Meinung" et se sont demandé si le concept de doxa désigne une" Vorstellung» ou une « Meinung,, [5]. tandis que les platonisants anglo-américains de tradition analytique ont appliqué au concept de doxa la distinction d'origine russellienne entre un «knowledge by acquaintance» et un «knowledge by description » [6]. Il est clair que si le concept de doxa désigne une simple appréhension ou représentation d'objets de connaissance (Vorsrellung) il ne joue pas le même rôle dans le cadre d'une épistémologie platonicienne que s'il désigne un jugement ou une opinion (Meinung). En effet, une simple représentation d'objets ne peut être ni vraie ni fausse tandis qu'un jugement est habituellement vrai ou faux. Si l'on soutient que la doxa est une « Vorstellung », alors on ne saurait dire qu'il existe une doxa vraie et une doxa fausse, ce qui semble être, par ailleurs, une doctrine permanente de Platon [7]. Par contre, si cette doctrine permanente nous force à considérer la doxa comme un véritable jugement, alors nous sommes aux prises avec une série de textes où la doxa apparaît comme une «Vorstellung », c'est-à-dire une simple appréhension d'objets de connaissance [8]. À cette première difficulté d'ordre conceptuel s'en ajoute une seconde. On se demande, en effet, si la doxa appartient à la sphère de la connaissance sensible ou à la sphère de la connaissance intellectuelle. En effet, certains textes montrent que Platon conçoit la doxa dans la dépendance de l'aisthêsis [9] , tandis que d'autres montrent que Platon conçoit la doxa dans la dépendance de la dianoia [10]. Si la doxa appartient à la sphère de la connaissance sensible, alors on comprend que Platon puisse l'opposer à l'épistémé dans la mesure où cette dernière appartient à la connaissance intellectuelle. Mais si la doxa appartient à la connaissance intellectuelle, alors on est en droit de se demander en quoi la doxa se distingue de l'épistémé. Une autre question connexe à celle-ci consiste à se demander si l'objet de la doxa est de nature différente de l'objet de l'épistémé. Dans le cas où la doxa appartient à la sphère de la connaissance sensible, on pourrait penser que l'objet de la doxa est de nature différente de l'objet de la science comme on peut le voir dans la République [11]. Dans le cas où la doxa appartiendrait à la sphère de la connaissance intellectuelle, on pourrait croire que l'objet de la doxa n'est pas de nature différente de l'objet de la science comme on peut le voir dans le Ménon [12].

Ces difficultés d'ordre linguistique et conceptuel engendrent un troisième ordre de difficultés qui consiste dans les contradictions que les platonisants contemporains n'ont pas manqué de soulever au niveau du texte même de Platon. En Ménon, 85c9- dl, 97e2-98aS, Platon affirme la possibilité d'un passage de l'opinion vraie à la science parce que l'une et l'autre ont les mêmes objets de connaissance, c'est-à-dire les objets mathématiques. Par contre, en République, 510a-511e ce passage de l'opinion même vraie à la science est impossible parce que les objets de l'opinion qui sont les réalités visibles sont de nature différente des objets de la science qui sont les Formes intelligibles. Le Ménon, 98a3-4 fonde la différence entre l'opinion vraie et la science sur l'aitias logismos: les opinions vraies deviennent science lorsqu'elles sont enchaînées dans un raisonnement capable d'en expliquer la raison. Pourtant dans le Théétète, 201c8-lO, la troisième définition de la science selon laquelle la science est une opinion vraie accompagnée d'un logos, c'est-à-dire d'une raison, est catégori- quement rejetée par Platon. En République, 51Oa-511 e la science consiste dans la connaissance des Formes intelligibles tandis qu'en Théérète. 200d-201c la science des témoins consiste dans la connaissance des faits d'ordre sensible. Dans la première partie du Théérère, la doxa est tantôt liée à l'aisthèsis et tantôt à la dianoia, alors que dans la seconde partie la doxa est définie comme " l'acte par lequel l'âme s'applique elle-même et par elle-même à l'étude de la réalité" (l87a4-6), ou encore comme l'achèvement de la dianoia dans l'affirmation ou la négation (190a2-6). On pourrait encore continuer la liste des contradictions relatives aux passages sur la doxa et l'épistémé. Mais pour le moment contentons-nous de constater que ces contradictions réelles ou apparentes touchent le cœur même d'une saine interprétation de la doctrine platonicienne de [a doxa-épistémé. En effet, ces contradictions portent sur la nature de la doxa et de l'épistémé, sur leurs objets respectifs, sur le critère de distinction entre l'opinion vraie et la science et finalement sur la possibilité d'un passage de l'opinion vraie à la science.

Cependant il nous apparaît difficile d'admettre qu'une doctrine philosophique aussi riche que celle de la doxa-épistémé du point du vue de la pensée de Platon puisse être remplie d'aussi nombreuses incohérences et contradictions. Certes on pourrait mettre une partie de ces difficultés au compte de l'imprécision du vocabulaire de Platon qui n'atteint pas, dans l'usage des termes doxa et épistémé, toute la précision désirée par un esprit contemporain. On pourrait aussi penser que les interprètes contemporains ne tiennent pas suffisamment compte soit d'une évolution possible de la pensée de Platon, soit de la problématique propre à chaque dialogue. Mais le reproche fondamental, semble-t-il, que l'on pourrait faire à toutes ces études contemporaines sur la doxa-épistémé, c'est d'avoir considéré le problème dans le cadre d'une théorie de la connaissance et ainsi d'avoir introduit dans le texte platonicien des distinctions inconnues de Platon et des questions auxquelles ne peut répondre qu'une pensée épistémologique plus avancée que la sienne. Notre propos consistera ici à briser ce cadre épistémologique pour revenir aux intentions premières du texte platonicien en montrant que le couple doxa-épistémé ne joue pas dans les dialogues platoniciens une seule fonction, en l'occurrence une fonction épistémologique, mais plusieurs fonctions différentes. Chacune de ces fonctions modifie la nature des questions que nous pouvons poser au texte platonicien et fixe les limites à l'intérieur desquelles doit se maintenir l'interprète dans son analyse de la doxa-épistémé. Nous appellerons fonction première la fonction épistémologique et fonctions secondaires les fonctions éthique, politique, ontologique, pédagogique et esthétique. Nous montrerons que dans de nombreux textes sur la doxa-épistémé la pensée de Platon ne travaille pas sur la fonction première de la doxa-épistémé, mais sur l'une ou l'autre de ses fonctions secondaires.

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  1. 1. Pour une revue de ces travaux, voir J. SPRUTE, Der BegrW'der doxa in der Platonischell Philosophie. p. 16-34.
  2. 2. Ces études sont au nombre de quatre seulement. Il s'agit de: O. IHM, Uber den Begr??? der Platonischen doxa und deren Verhiiltniss zum Wissen der ldeen, 1974, 234 p. l.eipzig, Druck von Alexander Edelmann, Universitat Buchdrucker, 1977, 55 p. ; J. SPRUTE, Der Begriff der doxa in der Plalonischen Philosphie, Giittingen. Vandenhoeck & Ruprecht, 1962, 130 p.; E. TIHSCH, Die Plalonischen Versionen der griechischen {)oxalehre, Meisenheim am Glan, Vcrlag Anton Hain, 1970, 486 p.;
  3. 3. Pour une analyse linguistique du terme doxa on pourra consulter J. SPRUTL, Der BegrifJ dcr doxa p. 34-36 et E. TIHSCII, Die Plalonùchen Versionen, p. 2-4. n. 3.
  4. 4. Les sens dérivés du terme doxa sont beaucoup plus nombreux que ceux qui apparaissent dans nos lexiques bien connus, par exemple ceux de F. Ast, de Jones-Liddell-Scot. de Des Places. Nous cn avons fait une recension exhaustive dans notre ouvrage La Théorie Plalunicnne dt' la doxa, lVlontrl'al- Paris. Bellarmin-Les Bdlcs Lettres, 1981, pp. 19-33.
  5. 5. Sur ce débat voir J. SPRUE, Der Bewijf der doxa .... p. 34-44.
  6. 6. Par exemple CROSS-WOOZLEY. Plato's Republic, p. 170-195.
  7. 7. Etllhyd 286c-287d, ,[Mér. 1 X7c4-5, Soph. 263b, Gorg. 454d5-6.
  8. 8. Par exemple, Rép. V, 478c, 477e. Théé!. 158b-c, 1 67a-b. 170b9-1O.
  9. 9. Par exemple, Tlréér. 161d2-3, 179c. A.E. Taylor nous rappelle que le terme même d'ais/hèsis est ambigu: il désigne tantôt une appréhension sensible d'objets. tantôt une appréhension non sensible (Pla/o, p. 325, n. 2). Ici nous utilisons le terme ais/hêsis comme opposé à dianoia.
  10. 10. Par exemple, .\.1én. 85c9-dl, Théét. 187a4-6. 190a4-6. 190a2-6, Soph. 264al-2.
  11. 11. Rép. VI, 50Se-d.
  12. 12. Aién. 85c9-12.


1. La fonction éthique[modifier]

La distinction et l'opposition entre la doxa et l'épistémé ne constituent pas un apport original de la pensée de Platon, mais elles sont d'origine présocratique. L'opposition entre la doxa et l'épistémé traduit chez les présocratiques un certain pessimisme à l'égard de la connaissance humaine que l'on oppose à la connaissance divine. La doxa a été le terme choisi par les présocratiques pour exprimer ce pessimisme épistémologique. Xénophane utilise le terme dokos lorsqu'il écrit: «Aucun homme n'a atteint la certitude ni ne l'atteindra jamais au sujet des dieux et de tout ce quoi je parle; même si par hasard il disait la parfaite vérité, lui-même ne s'en rendrait pas compte ... Mais l'opinion (dokos) est le lot de tous les hommes [1]. Par ailleurs, cette vérité et cette certitude que Xénophane opposait à l'opinion étaient l'apanage des dieux [2]. On retrouve ce même pessimisme épistémologique dans les fragments d'Héraclite lorsqu'il écrit: "L'homme le plus digne de foi ne connaît et ne retient que les apparences (dokéonta) [3]. En effet, continue Héraclite dans un autre fragment, "la plupart des hommes qui rencontrent de telles choses, même après les avoir étudiées, ne les comprennent pas, mais se forment des opinions (dokéousi) à leurs sujets [4]. Les propos d'Alcméon de Crotone abondent dans le même sens lorsqu'il écrit: «Au sujet des choses invisibles aussi bien que des choses visibles, seuls les dieux ont une connaissance certaine, quant aux hommes ils doivent se contenter de pures conjectures (tecmairesthai) [5]. Empédocle parle pour sa part de « l'obscure opinion" (scotoessa doxa) que les hommes malheureux ont sur les dieux [6]. Ainsi l'opposition entre la doxa et l'épistémé exprime la conscience qu'avaient les présocratiques de l'écart existant entre la connaissance humaine et la connaissance divine. On comprend dès lors pourquoi Parménide, dans le prologue de son célèbre Poème entoure la vérité d'une sorte de caractère sacré [7]. Et ceci explique aussi pourquoi dans les dialogues platoniciens la doxa, comme valeur de connaissance, conserve souvent un sens péjoratif lorsqu'elle est opposée à l'épistémé laquelle, par ailleurs, n'est plus chez Platon le lot des dieux uniquement, mais celui d'un petit nombre d'hommes capables de pratiquer la dialectique [8].

Parallèlement à cette opposition entre la connaissance humaine et la connaissance divine, entre la doxa et l'épistémé, s'articule dans la pensée présocratique une distinction ou une opposition entre l'apparence et la réalité. La doxa n'atteint que l'apparence des choses tandis que l'épistémé atteint la réalité. Dans le fragment 97, Démocrite utilise le verbe dokein en opposition au verbe einai pour distinguer entre les amis réels et les amis apparents [9] tandis que Xénophane établit une nette distinction entre les images (eikota) et la réalité (tois etumoisi) [10]. Dans le Poème de Parménide les dokounta demeurent la voie de ·recherche de la doxa tandis que les onta constituent la voie de recherche propre à l'alèthéia [11]. Parménide pousse encore plus loin le pessimisme épistémologique des présocratiques en identifiant les dokounta à des oukonta, signifiant par là que les apparences s'opposent à la réalité comme le non-être à l'être [12]. À cette première caractéristique de la doxa et de l'épistémé qui consiste pour la doxa à être liée à l'apparence et pour l'épistémé à la réalité, s'ajoutent les deux caractéristiques suivantes. Parce que la doxa ne porte que sur les apparences toujours changeantes, le savoir qu'elle engendre est instable et faillible tandis que l'épistémé portant sur la réalité engendre un savoir stable et infaillible [13].

Nous retrouvons dans les dialogues de jeunesse de Platon les trois caractéristiques de la doxa-épistémé des présocratiques exprimées dans les oppositions entre l'apparence et la réalité, l'instabilité et la stabilité, la faillibilité et l'infaillibilité. Mais l'apport proprement platonicien consistera à donner à ces caractéristiques épistémo- logiques une dimension proprement éthique. L'Alcibiade l'utilise notre distinction entre la doxa et l'épistémé [14] en situant la doxa, comme le fera plus tard la République [15], entre l'ignorance et la science. L'opinion se distingue de la science parce que celui qui sait possède un savoir stable [16], elle se distingue de l'ignorance parce que l'homme qui ignore n'a pas d'opinion [17]. Il reste que l'opinion est l'état d'esprit de celui qui croit savoir, mais ne sait pas [18]. Ainsi tandis que l'épistémé est un savoir stable, la doxa est un savoir instable et faillible [19]. A ces traits présocratiques de la doxa-épistémé Platon ajoute cependant que ce genre particulier d'ignorance que constitue la doxa, c'est-à-dire une ignorance qui s'ignore, est la cause d'erreurs dans la conduite humaine [20], surtout lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui est juste et injuste, beau et laid, bon et mauvais [21]. La même dimension éthique apparaît dans un passage du Criton relatif à la doxa-épistémé [22]. Ici l'opposition entre la doxa et l'épistémé apparaît sous la figure d'une opposition entre l'opinion du grand nombre qui varie constamment et celle du savant qui est toujours stable [23]. En effet, l'opinion de l'homme compétent est fondée sur la raison (logos) tandis que celle du grand nombre est fondée sur la peur et les circonstances [24]. Or cette opinion du grand nombre est à rejeter lorsqu'il s'agit de déterminer dans la conduite humaine ce qui est juste et injuste, beau et laid, bon et mauvais. En toutes ces matières il faut s'en remettre au jugement d'un seul, c'est-à-dire de celui qui sait, au risque d'aboutir à la ruine de son corps et de son âme [25]. Mais c'est dans le Gorgias que la fonction éthique de la doxa- épistémé est la plus développée parce qu'elle s'intègre à toute une conception platonicienne de l'existence humaine [26].

L'opposition entre la doxa et l'épistémé se présente dans le Gorgias sous la forme d'une opposition entre la pistis et la mathêsis [27], ou encore entre la pisreutikè et la didaskalikè [28] et qui sont identifiées respectivement à la rhétorique ct à la philosophie [29]. Mais on notera que sous des formulations différentes les traits présocratiques de la doxa-épistémé n'ont pas changé. La doxa et l'épistémé s'opposent entre elles comme l'apparence à la réalité [30], l'instabilité à la stabilité [31] la faillibilité à [32]. C'est dire que Platon ne travaille pas dans le Gorgias sur la doxa- l'infaillibilité épistémé, mais il ne fait qu'utiliser la notion présocratique de doxa-épistémé à des fins éthiques sans lui ajouter aucune détermination de nature épistémologique. En somme, le noyau proprement épistémologique de la doxa-épistémé demeure inchangé et il est utilisé comme tel en vue de promouvoir une conception de la paideia grecque et de l'existence humaine. En effet, le thème central du Gorgias est celui du choix d'un genre de vie: «Car, tu le vois maintenant, dit Socrate à Calliclès, quel sujet plus grave, plus capable de faire réf1échir même le moins raisonnable, que celui dont nous disputons? Il s'agit de savoir quel genre de vie nous devons adopter: celui auquel tu m'exhortes, faire œuvre d'homme, dis-tu, en parlant au peuple, en étudiant la rhétorique, en pratiquant la politique comme vous la pratiquez aujourd'hui; ou bien s'il faut, comme moi, se consacrer à la philosophie, et en quoi ceci peut bien l'emporter sur cela [33]. Ce choix de vie discuté par Platon est foncièrement un choix entre deux systèmes de valeurs représentés dans le cadre de la paide.ja grecque par deux disciplines d'enseignement: la rhétorique, d'une part, qui trouve ses défenseurs dans l'école d'Isocrate [34] et chez les sophistes [35], la philosophie, d'autre part, qui trouve ses partisans dans la tradition socratique de l'Académie. Dans cette controverse contre les sophistes Platon utilise l'opposition entre la daxa et l'épistémé non pas dans le but d'en éclairer le contenu épistémologique, mais simplement pOUf montrer la supériorité des valeurs véhiculées par la philosophie sur celles véhiculées par la rhétorique. C'est ainsi que la rhétorique, définie par Socrate comme un empirisme et une routine [36], reçoit les trois caractéristiques de la doxa des présocratiques: la rhétorique ne porte que sur les apparences des choses [37], elle ne procure qu'un savoir instable [38] et ne fournit à l'esprit que des conjectures contre, la philosophie, définie comme un art véritable parce qu'ellc cherche la nature et la cause des choses [39], reçoit toutes les caractéristiques de l'épistémé présocratique: elle porte sur la réalité et non sur l'apparence [40], elle dit toujours la même chose et fournit à l'esprit des certitudes [41]. A partir de cette opposition entre la rhétorique et la philosophie, la doxa-épistémé va recevoir des déterminations proprement éthiques. La doxa sera caractérisée par l'injustice, la recherche du plaisir et finalement par la vie malheureuse tandis que l'épistémé se caractérisera par la justice, la recherche du bien et par la vie heureuse. En effet, la rhétorique en tant que véhicule de la doxa est un instrument de l'injustice dans la mesure où elle emp~che le coupable de recevoir le juste châtiment de ses fautes [42]. De plus, l'art du rhéteur consiste à natter les foules et à lem procurer du plaisir plutôt qu'à les informer sur leur véritable bien [43]. Enfin, cette recherche de l'injustice et du plaisir ne peut mener qu'à une vie malheureuse comme le prouve l'exemple du tyran Archélaos [44]. Par contre, la philosophie en tant que véhicule de l'épistémé est un instrument de la justice dans la mesure où elle pousse le coupable devant les tribunaux pour lui permettre d'expier ses fautes [45], elle ne cherche pas le plaisir, mais le bien de l'âme [46] et de cette façon conduit l'homme à une vie heureuse [47].

Les deux systèmes de valeurs véhiculés par la rhétorique et la philosophie n'ont pas seulement, aux yeux de Platon, une incidence individuelle, mais aussi une incidence collective. Et c'est ici que se présente la fonction politique de la doxa- épistémé.

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  1. 1. Pour une revue de ces travaux, voir J. SPRUTE, Der BegrW'der doxa in der Platonischell Philosophie. p. 16-34.
  2. 2. Ces études sont au nombre de quatre seulement. Il s'agit de: O. IHM, Uber den Begr??? der Platonischen doxa und deren Verhiiltniss zum Wissen der ldeen, 1974, 234 p. l.eipzig, Druck von Alexander Edelmann, Universitat Buchdrucker, 1977, 55 p. ; J. SPRUTE, Der Begriff der doxa in der Plalonischen Philosphie, Giittingen. Vandenhoeck & Ruprecht, 1962, 130 p.; E. TIHSCH, Die Plalonischen Versionen der griechischen {)oxalehre, Meisenheim am Glan, Vcrlag Anton Hain, 1970, 486 p.;
  3. 3. Pour une analyse linguistique du terme doxa on pourra consulter J. SPRUTL, Der BegrifJ dcr doxa p. 34-36 et E. TIHSCII, Die Plalonùchen Versionen, p. 2-4. n. 3.
  4. 4. Les sens dérivés du terme doxa sont beaucoup plus nombreux que ceux qui apparaissent dans nos lexiques bien connus, par exemple ceux de F. Ast, de Jones-Liddell-Scot. de Des Places. Nous cn avons fait une recension exhaustive dans notre ouvrage La Théorie Plalunicnne dt' la doxa, lVlontrl'al- Paris. Bellarmin-Les Bdlcs Lettres, 1981, pp. 19-33.
  5. 5. Sur ce débat voir J. SPRUE, Der Bewijf der doxa .... p. 34-44.
  6. 6. Par exemple CROSS-WOOZLEY. Plato's Republic, p. 170-195.
  7. 7. Etllhyd 286c-287d, ,[Mér. 1 X7c4-5, Soph. 263b, Gorg. 454d5-6.
  8. 8. Par exemple, Rép. V, 478c, 477e. Théé!. 158b-c, 1 67a-b. 170b9-1O.
  9. 9. Par exemple, Tlréér. 161d2-3, 179c. A.E. Taylor nous rappelle que le terme même d'ais/hèsis est ambigu: il désigne tantôt une appréhension sensible d'objets. tantôt une appréhension non sensible (Pla/o, p. 325, n. 2). Ici nous utilisons le terme ais/hêsis comme opposé à dianoia.
  10. 10. Par exemple, .\.1én. 85c9-dl, Théét. 187a4-6. 190a4-6. 190a2-6, Soph. 264al-2.
  11. 11. Rép. VI, 50Se-d.
  12. 12. Aién. 85c9-12.


2. La fonction politique[modifier]

Dans la théorie des arts de flatterie du Gorgias [48], la doxa-épistémé prend la figure d'une opposition entre l'empeiria et la technè. L'empirisme est l'équivalent de la doxa parce qu'une pratique empirique est celle qui procède sans raison (a/agas) [49]. qui s'attache seulement à l'apparence des choses et ne se soucie ni de leur véri- table nature ni de leur vraie cause [50] et de la sorte engendre dans l'esprit de simples conjectures [51]. Par ailleurs, la technè est un art véritable parce qu'elle s'attache non pas à l'apparence des choses mais à leur réalité [52] en se souciant toujours de leur nature et de leur cause [53] de telle sorte qu'elle fournit à l'esprit une connaissance véri- table [54]. Dans cette description l'opposition platonicienne entre l'empeiria et la technè est fondée sur les caractéristiques de la doxa-épistémé des présocratiques. Or les arts empiriques sont appelés des flatteries parce qu'ils ne visent que le plaisir du corps ou celui de l'âme, tandis que les arts véritables visent le bien de l'âme ou celui du corps [55]. Cette opposition entre l' empeiria et la technè permet dès lors à Socrate de classifier des activités humaines. L'art qui s'occupe du bien de l'âme est la politique tandis que celui qui s'occupe du bien du corps demeure anonyme. La politique se divise elle-même en deux parties: l'une est la législation qui vraisemblablement s'occupe du bien de l'âme individuelle et l'autre est la justice qui s'occupe du bien de l'âme collective. L'art qui s'occupe du bien du corps et qui ne reçoit pas de nom précis se divise également en deux parties: la gymnastique et la médecine. Par ailleurs, les arts empiriques prenant le masque des arts véritables [56] essaient de se substituer à eux en gagnant la considération de tous par la recherche du plaisir et par la flatterie. Les arts empiriques qui recherchent et procurent le plaisir de l'âme sont la sophistique et la rhétorique tandis que ceux qui recherchent le plaisir du corps sont la toilette et la cuisine.

Dans cette classification des arts on aura noté que la rhétorique apparaît comme une flatterie, comme un masque ou un simulacre de la politique véritable, et plus précisément, comme le simulacre d'une partie de la politique qui est la justice [57]. Et c'est ici que la doxa-épistémé, sous la figure de l'empeiria-technè, prend une dimension proprement politique. En effet, c'est à la lumière de cette classification des arts que Platon jugera dans le Gorgias de la valeur de l'activité des hommes politiques d'Athènes, qui, selon lui, n'a été fondée que sur l'empirisme et la doxa et à laquelle il opposera l'activité de Socrate, le seul politicien véritable qu'Athènes ait connu et dont l'activité auprès de ses concitoyens était fondée sur la science [58]. En effet, les hommes politiques d'Athènes, ceux du passé comme ceux du présent, demeurent, aux yeux de Platon, la personnification même de la doxa et de l'empirisme qui flattent les foules. Ils se sont attachés uniquement à l'apparence de la cité en faisant construire des murs, des navires, des arsenaux et d'autres choses du même genre sans penser que la réalité de la cité, son ordre et son harmonie consistent dans la vertu de ses citoyens [59]. Leur activité étant fondée sur la doxa et non pas sur l' épistémé. on comprend dès lors pourquoi les Périclès, les Cimon, les Miltiade et les Thémistocle n'ont pas réussi à rendre leurs concitoyens meilleurs. Au contraire, les peines dont ils ont été accablés à la fin de leur carrière montrent qu'ils les ont laissés moins vertueux qu'au début [60]. Leur rhétorique fondée sur la doxa et l'empirisme n'a cherché qu'à satisfaire les désirs et les passions de la cité sans chercher son bien véritable qui consistait dans la sagesse et la justice de tous ses citoyens [61]. Ainsi, par contraste avec les hommes politiques d'Athènes, Socrate est-il présenté comme le seul politicien authentique qu'Athènes ait connu. En effet, la rhétorique de Socrate ne s'attachait pas à l'apparence, mais à la réalité, elle ne cherchait pas à plaire, mais à rendre ses concitoyens meilleurs en créant dans leur âme l'ordre et l'harmonie à travers la discipline et la loi, bref la rhétorique de Socrate, fondée sur la science, procurait aux citoyens la justice et la sagesse [62]. Dans le Ménon où Platon jette un regard plus favorable sur les politiciens nommés dans le Gorgias, ceux-ci sont assimilés aux prophètes et aux devins et leur savoir ne dépasse pas le niveau de l'opinion vraie [63]. La fonction éthique et politique de la doxa-épistémé est passée complètement inaperçue par les principaux commentateurs contemporains de ce problème, à l'exception de E. Tielsch. La raison profonde de cet oubli réside, à notre avis, dans l'écart considérable qui existe entre notre mentalité moderne et l'esprit qui anime le texte platonicien. On n'imagine pas un épistémologue moderne tenter d'établir des relations entre les concepts d'opinion et de science et les concepts de plaisir et de bien, de justice et d'injustice, de vie heureuse et de vie malheureuse. Notre mentalité moderne arrive difficilement à pénétrer le sens d'un discours global où les frontières entre l'épistémologie, l'éthique et la politique ne sont pas délimitées avec une relative précision. Par ailleurs, on aura observé au cours de cet exposé sur la fonction éthique et politique de la doxa-épistémé que le contenu épistémologique est demeuré inchangé autour des trois caractéristiques déjà formulées dans la pensée présocratique, à savoir: l'apparence et la réalité, l'instabilité et stabilité, la conjecture et la certitude. En réalité la lecture de ces textes montre que Platon n'a pas en vue de développer le contenu épistémologique du couple doxa-épistémé, mais de promouvoir un système de valeurs éthiques et politiques auquel il adhère profondément. C'est pourquoi l'opposition entre la doxa ct l'épistémé ne reçoit aucune détermination épistémologique nouvelle, mais seulement des déterminations éthiques et politiques.

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  1. 1. Pour une revue de ces travaux, voir J. SPRUTE, Der BegrW'der doxa in der Platonischell Philosophie. p. 16-34.
  2. 2. Ces études sont au nombre de quatre seulement. Il s'agit de: O. IHM, Uber den Begr??? der Platonischen doxa und deren Verhiiltniss zum Wissen der ldeen, 1974, 234 p. l.eipzig, Druck von Alexander Edelmann, Universitat Buchdrucker, 1977, 55 p. ; J. SPRUTE, Der Begriff der doxa in der Plalonischen Philosphie, Giittingen. Vandenhoeck & Ruprecht, 1962, 130 p.; E. TIHSCH, Die Plalonischen Versionen der griechischen {)oxalehre, Meisenheim am Glan, Vcrlag Anton Hain, 1970, 486 p.;
  3. 3. Pour une analyse linguistique du terme doxa on pourra consulter J. SPRUTL, Der BegrifJ dcr doxa p. 34-36 et E. TIHSCII, Die Plalonùchen Versionen, p. 2-4. n. 3.
  4. 4. Les sens dérivés du terme doxa sont beaucoup plus nombreux que ceux qui apparaissent dans nos lexiques bien connus, par exemple ceux de F. Ast, de Jones-Liddell-Scot. de Des Places. Nous cn avons fait une recension exhaustive dans notre ouvrage La Théorie Plalunicnne dt' la doxa, lVlontrl'al- Paris. Bellarmin-Les Bdlcs Lettres, 1981, pp. 19-33.
  5. 5. Sur ce débat voir J. SPRUE, Der Bewijf der doxa .... p. 34-44.
  6. 6. Par exemple CROSS-WOOZLEY. Plato's Republic, p. 170-195.
  7. 7. Etllhyd 286c-287d, ,[Mér. 1 X7c4-5, Soph. 263b, Gorg. 454d5-6.
  8. 8. Par exemple, Rép. V, 478c, 477e. Théé!. 158b-c, 1 67a-b. 170b9-1O.
  9. 9. Par exemple, Tlréér. 161d2-3, 179c. A.E. Taylor nous rappelle que le terme même d'ais/hèsis est ambigu: il désigne tantôt une appréhension sensible d'objets. tantôt une appréhension non sensible (Pla/o, p. 325, n. 2). Ici nous utilisons le terme ais/hêsis comme opposé à dianoia.
  10. 10. Par exemple, .\.1én. 85c9-dl, Théét. 187a4-6. 190a4-6. 190a2-6, Soph. 264al-2.
  11. 11. Rép. VI, 50Se-d.
  12. 12. Aién. 85c9-12.


3. La fonction ontologique[modifier]

En République, V, 475-480 l'opposition entre la doxa et l'épistémé [64] prend la figure d'une opposition entre le philodoxe et le philosophe [65]. Mais les déterminations de cette opposition sont surtout d'ordre ontologique. Le philodoxe est décrit comme un amateur de spectacles et d'auditions [66], ou encore comme un ami des arts et un homme d'action [67] qui se délecte de belles voix, de belles couleurs et de belles formes [68], mais qui est incapable d'aimer la nature du beau en soi [69]. Cet homme vit dans le rêve parce qu'il prend l'image pour la réalité [70]. Or l'image est une sorte d'intermédiaire entre le non-être pur et l'être pur puisqu'à la fois elle est et elle n'est pas [71]. Cette réalité intermédiaire est aussi décrite comme un doxaston, c'est-à-dire comme l'objet de l'opinion [72] pour être finalement identifiée au monde visible ou sensible [73]. En opposition au philodoxe, le philosophe est décrit comme un homme capable de connaître le beau en soi, de bien distinguer entre l'image et la réalité, de sorte que toute sa vie se passe dans la réalité et non dans le rêve [74]. Cette réalité identifiée à l'être absolument pur et absolument connaissable, c'est-à-dire qu'elle est un gnôston [75] qui se confond avec le monde intelligible [76]. En bref, ce texte de République, V, 475-480 montre que l'opposition entre le philodoxe et le philosophe se trouve fondée sur des déterminations empruntées ou dérivées des propriétés ontologiques respectives du monde sensible ct du monde intelligible.

Cette description du philodoxe et du philosophe montre bien les limites épisté- mologiques de l'analyse platonicienne de la doxa-épistémé. En réalité, il est facile d'observer que Platon donne ici à une opposition de nature épistémologique des déterminations proprement ontologiques. La doxa s'oppose à l'épistémé comme le rêve à la réalité, le metaxu à l'être pur, le monde sensible au monde intelligible. Pour un épistémologue moderne soucieux d'arriver à une conception claire sur la nature de la différence entre la doxa et l'épistémé, le texte de Platon, avouons-le, demeure décevant. En effet, les déterminations proprement épistémologiques sont rares et ne permettent pas de pousser très loin l'analyse épistémologique de la doxa-épistémé. On y dit que la doxa et l'épistémé sont des dunameis, à l'exemple de la vue et de l'ouïe [77], que ces pouvoirs de connaissance se distinguent par leurs objets et leurs effets [78], que la doxa est un pouvoir de connaissance plus obscur et plus faible que l'épistémé [79]. Ces déterminations n'ont pas de quoi satisfaire une épistémologie rigoureuse et cela justement parce que Platon justifie les déterminations épistémo- logiques de la doxa-épistémé des présocratiques en recourant à sa propre ontologie, c'est-à-dire à sa théorie des Formes intelligibles. Après avoir identifié l'apparence des présocratiques au monde sensible et la réalité au monde intelligible [80], Platon justifie l'instabilité et la faillibilité de l'opinion en recourant au caractère changeant du [81] tandis qu'il justifie la stabilité et l'infaillibilité de la science en monde sensible recourant au caractère immuable du monde intelligible [82]. L'opinion est instable et faillible en vertu de son objet seulement ct non pas, comme on devrait s'y attendre, par suite de certains facteurs cognitifs dépendant du sujet connaissant. Et il en est de même de la science. Bref, ce qui apparaît étrange pour un esprit moderne c'est l'absence du sujet connaissant dans un texte qui s'occupe de la doxa-épistémé.

La compréhension de la portée proprement ontologique de Rép. V, 475-480 permet de résoudre les contradictions qu'ont soulevées les platonisants contemporains entre la République et le Alénon. Ces contradictions sont relatives soit à la nature même de la doxa-épistémé, soit à leurs objets respectifs ou encore à leurs effets. A titre d'exemple seulement, Murphy a soutenu en se basant sur Rép. V, 478c, 477e que la doxa ne désignait pas un jugement ou une opinion [83], mais une faculté d'appréhension d'objets de connaissance. Par ailleurs, Gosling soutient en se fondant sur le caractère intermédiaire de la doxa tel que décrit en 478d que la doxa désigne dans notre passage un jugement [84]. Si l'on accepte l'interprétation de Murphy on est amené à soulever une contradiction avec J\Iénon, 85b-86a où les opinions vraies de l'esclave doivent être comprises comme des jugements puisqu'il s'agit de propositions géométriques. De plus, toujours en AIénon, 85b-86a, les opinions vraies de l'esclave étant des propositions géométriques doivent appartenir à la sphère de la connaissance intellectuelle (dianoia), ce qui contredirait apparemment République, 476a-b où la description du philodoxe laisse croire que la doxa appartient à la sphère de la connaissance sensible. Ces contradictions, à notre avis, relèvent d'une interprétation qui oublie la dimension proprement ontologique de Rép. V, 475-480 et qui pose au texte platonicien des questions auxquelles ses limites épistémologiques ne permettent pas de répondre. Platon définit dans ce texte la nature de la doxa-épistémé comme un pouvoir de connaissance 9S spécifié par la faiblesse et la force, l'obscurité et la clarté et non par la distinction entre la «Vorstellung» et la « Meinung », ou encore par la distinction entre une connaissance intellectuelle ct une connaissance sensible. Le philodoxe, que l'on pourrait assimiler à l'humaniste selon l'idéal d'Isocrate, ne se distingue pas du philosophe à la manière de Platon parce qu'il est incapable de porter un jugement sur les choses sensibles ou encore parce qu'il est inapte à la connaissance intellectuelle, mais simplement parce que son pouvoir de connaissance, défini comme une doxa, n'a pas la force d'atteindre le beau en soi. La priorité ontologique donnée ici à la doxa-épistémé empêche Platon d'arriver aux précisions épistémo- logiques auxquelles pourrait s'attendre un platonisant contemporain.

La même remarque vaut en ce qui concerne l'objet et les efIets de la doxa et de l'épistémé. Tandis qu'en Rép. V, 478aI2-13 on affïrme l'impossibilité pour un même objet de tomber à la fois sous la doxa et sous l'épistémé, ce qui implique une différence essentielle entre l'objet de la doxa et celui de l'épistémé, en Ménon, 85c9-l2, 86a6-1O, on nous dit que si on continuait à interroger l'esclave, ses opinions vraies deviendraient une science, ce qui suppose que l'objet de l'opinion est de même nature que l'objet de la science, en l'occurence ici des propositions géométriques. D'où la question des commentateurs contemporains: y a-t-il une différence de nature ou seulement de degrés entre les objets de l'opinion et ceux de la science? Cette contradiction apparente entre la République et le Ménon peut être résolue en replaçant notre texte de Rép. V, 475-480 dans sa véritable perspective ontologique. Si l'on oublie cette perspective ontologique, on pourrait être surpris, en effet, par cette affirmation de la République selon laquelle l'objet de la doxa diffère essentiellement de l'objet de l'épistémé. Par exemple, si je dis: je crois que Pierre est venu ce soir, ceci n'est qu'une opinion. Mais en rentrant chez moi et après avoir lu un billet de Pierre m'informant de son passage, je sais maintenant quc Pierre est venu ce soir. On peut donc, à propos d'un même objet - Pierre est venu ce soir - avoir une doxa ou une épistémé. Cependant cet exemple n'infirme en rien l'affirmation de la République. Il suffït de distinguer ici entre l'objet ontologique qui est celui dont nous parle la République et un objet épistémologique, celui dont il s'agit dans le Ménon et dans notre exemple. On doit, semble-t-il, se laisser guider ici par le texte platonicien dans lequel l'objet ontologique, qu'il s'agisse du monde sensible ou du monde intelligible, a une existence indépendante du phénomène de la connaissance, tandis que l'objet épistémologique apparaît à l'intérieur du phénomène de la connaissance. Les propositions géométriques sont des produits de la connaissance de l'esclave tandis que les Formes intelligibles, d'une part, et les réalités sensibles, d'autre part, ont une existence indépendante du phénomène de la connaissance. On remarquera, par ailleurs, qu'en Rép. V, 478clO-l lorsque Platon affirme que la doxa est plus obscure et moins puissante que l'épistémé, il adopte à ce moment le point de vue épistémologique, de sorte que l'on pourrait conclure de ce texte que, du point de vue de la connaissance, l'objet de la doxa est de même nature que l'objet de l'épistémé et qu'ils diffèrent entre eux seulement selon le degré d'obscurité et de clarté, de faiblesse et de force.

Quant à l'effet de la doxa et de l'épistémé, c'est-à-dire la faillibilité de l'une et l'infaillibilité de l'autre, on pourrait également y voir une contradiction entre Rép. V, 477e7-8 et Ménon, 97a-c. Tandis que la République affirme quc l'opinion, même vraie, est toujours faillible et que la science est infaillible, le Ménon soutient que l'opinion vraie est aussi infaillible que la science. Encore ici la portée ontologique de notre texte de la République permet de résoudre cette apparente contradiction. La faillibilité de la doxa et l'infaillibilité de l'épistémé sont dans la République des déterminations pour ainsi dire ontologiques découlant directement du caractère changeant du monde sensible pour la doxa et du caractère immuable du monde intelligible pour l'épistémé. Dans le Ménon, par contre, la faillibilité de la doxa et l'infaillibilité de l'épistémé sont des déterminations du sujet connaissant. L'exemple du chemin de Larisse permet, en effet, de distinguer entre la connaissance pratique et la connaissance théorique. Du poi.t de vue de la connaissance pratique l'opinion vraie est aussi infaillible que la science, mais du point de vue la connaissance théorique les opinions vraies sont instables comme les statues de Dédale aussi longtemps qu'elles n'ont pas été liées ensemble par un aitias logismos [85]. Ainsi la République parle de la faillibilité et de l'infaillibilité d'un point de vue ontologique tandis que le Ménon en parle d'un point de vue épistémologique.

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  1. 1. Pour une revue de ces travaux, voir J. SPRUTE, Der BegrW'der doxa in der Platonischell Philosophie. p. 16-34.
  2. 2. Ces études sont au nombre de quatre seulement. Il s'agit de: O. IHM, Uber den Begr??? der Platonischen doxa und deren Verhiiltniss zum Wissen der ldeen, 1974, 234 p. l.eipzig, Druck von Alexander Edelmann, Universitat Buchdrucker, 1977, 55 p. ; J. SPRUTE, Der Begriff der doxa in der Plalonischen Philosphie, Giittingen. Vandenhoeck & Ruprecht, 1962, 130 p.; E. TIHSCH, Die Plalonischen Versionen der griechischen {)oxalehre, Meisenheim am Glan, Vcrlag Anton Hain, 1970, 486 p.;
  3. 3. Pour une analyse linguistique du terme doxa on pourra consulter J. SPRUTL, Der BegrifJ dcr doxa p. 34-36 et E. TIHSCII, Die Plalonùchen Versionen, p. 2-4. n. 3.
  4. 4. Les sens dérivés du terme doxa sont beaucoup plus nombreux que ceux qui apparaissent dans nos lexiques bien connus, par exemple ceux de F. Ast, de Jones-Liddell-Scot. de Des Places. Nous cn avons fait une recension exhaustive dans notre ouvrage La Théorie Plalunicnne dt' la doxa, lVlontrl'al- Paris. Bellarmin-Les Bdlcs Lettres, 1981, pp. 19-33.
  5. 5. Sur ce débat voir J. SPRUE, Der Bewijf der doxa .... p. 34-44.
  6. 6. Par exemple CROSS-WOOZLEY. Plato's Republic, p. 170-195.
  7. 7. Etllhyd 286c-287d, ,[Mér. 1 X7c4-5, Soph. 263b, Gorg. 454d5-6.
  8. 8. Par exemple, Rép. V, 478c, 477e. Théé!. 158b-c, 1 67a-b. 170b9-1O.
  9. 9. Par exemple, Tlréér. 161d2-3, 179c. A.E. Taylor nous rappelle que le terme même d'ais/hèsis est ambigu: il désigne tantôt une appréhension sensible d'objets. tantôt une appréhension non sensible (Pla/o, p. 325, n. 2). Ici nous utilisons le terme ais/hêsis comme opposé à dianoia.
  10. 10. Par exemple, .\.1én. 85c9-dl, Théét. 187a4-6. 190a4-6. 190a2-6, Soph. 264al-2.
  11. 11. Rép. VI, 50Se-d.
  12. 12. Aién. 85c9-12.


4. La fonction épistémologique[modifier]

Le premier texte dans lequel la doxa-épistémé exerce une fonction proprement d'ordre épistémologique apparaît dans le Ménon [86]. Certes on ne saurait nier le caractère éthique des problèmes soulevés dans ce dialogue. Cependant à l'intérieur de ce contexte éthique les deux passages sur la doxa-épistémé, 85b-86c et 96d-98c conservent une intention premièrement épistémologique: le premier passage parce qu'il est relié au problème de l'utilité et de la possibilité de la recherche [87] et à la théorie de la réminiscence [88], le second parce que la définition de la vertu com me opinion vraie permet d'apporter une précision épistémologique sur la nature de la distinction entre l'opinion vraie et la science.

Le Ménon, en effet, nous fournit une notion importante pour wmprendre la différence entre l'opinion vraie et la science, et c'est la notion d'aitias logismos. Les opinions vraies deviennent science, nous dit Platon, lorsqu'elles sont liées néces- sairement ensemble par un aitias logismos [89]. Les platonisants ont donné de cette expression les interprétations les plus diverses. Sur ce point on pourrait classifier les commentateurs en deux groupes. Le premier groupe (Ihm, Hoerber, Gould, Robin) interprète l'aitias logismos à la lumière de la théorie des Formes intdligibles de la République [90] tandis qu'un second groupe (Bluck, Gulley, Vlastos) l'interprète à la lumière de la démarche scientifique des géomètres grecs [91]. Pour les partisans de la théorie des Formes intelligibles l'aitias logismos serait l'équivalent du logon didonai que l'on rencontre dans les dialogues de maturité de Platon et qui exprime la connaissance des Formes intelligibles dans laquelle consiste la science [92]. Selon cette interprétation les opinions vraies de l'esclave deviendraient science dans la mesure où celui-ci serait capable de relier les objets géométriques aux Formes intelligibles correspondantes. Dès lors, l'aitias logismos désignerait un « raisonnement causal » ou .( un raisonnement de causalité », la cause ou aitia étant assimilée ici à la Forme intelligible. L'ailias logismos serait ainsi l'équivalent de la démarche de l'esprit propre à la dialectique ascendante dont il est question dans la République [93] et dans le Phèdre Ills. Personnellement, nous ne croyons pas que cette interprétation de l'ailias logismos soit correcte parce qu'elle présuppose la présence de la théorie classique des Formes intelligibles dans le [94] fénon et une conception de la science comme connaissance des Formes intelligibles. Nous croyons plutôt avec le second groupe d'interprètes que rai lias logismos doit être compris dans le cadre de la démarche géométrique. Comme l'a souligné Vlastos ontologique de cause, mais le sens logique de raison. Le terme logismos est le terme technique pour désigner le calcul arithmétique tandis que le terme dèsè désignerait la nécessité logique. D'où la traduction de l'ailias logismos proposée par Vlastos est: « bound fast by the calculation of the reason ". L'expression ainsi comprise, les opinions vraies de l'esclave sont des propositions géométriques qui deviennent connues au sens fort du terme soit parce qu'elles prennent place à l'intérieur d'une argumentation dans laquelle l'esclave voit la relation nécessaire entre les prémisses et la conclusion (processus de la synthèse en géométrie), soit parce que l'esclave est capable à partir d'une proposition géométrique posée comme vraie d'inférer d'autres propositions qui conduisent à une proposition reconnue comme vraie indépendamment de l'inférence (processus d'analyse géométrique). En bref, l'ailias logismos renvoie directement non pas aux Formes intelligibles, mais à la démarche géométrique d'analyse et de synthèse bien connue des géomètres grecs de l'époque [95]. De cette compréhension de l'ai lias logismos découlent les traits épistémologiques de la doxa- épistémé dans le Ménon. D'abord l'opposition présocratique entre l'apparence et la réalité de même que l'opposition platonicienne entre le monde sensible et le monde intelligible sont complètement absentes du Ménon. Le critère de distinction entre l'opinion vraie et la science ne se trouve pas dans les objets de connaissance mais dans la démarche cognitive. Cest pourquoi les objets de l'opinion vraie et de la science ne sont pas de nature différente. Ce sont les objets de la géométrie et des mathéma- tiques [96]. Ensuite la stabilité et la certitude des opinions vraies ne sont pas acquises avant qu'elles ne soient reliées ensemble dans une argumentation géométrique complète, sauf clans le cas de l'action humaine où l'opinion vraie d'ordre pratique conserve la même stabilité et la même certitude que la science. Celui qui possède une opinion vraie sur le chemin de Larisse s'y rend aussi sûrement que celui qui en possède la science [97].

Le deuxième texte dans lequel la doxa-épistémé joue une fonction proprement épistémologique est République, VI, 509d-51Ie. Ce texte peut être considéré comme une suite naturelle de République, V. 475d-4~)Oa. En effet, tandis que Rép. V, 475d-480a traite de la nature, des objets et des effets de la doxa-épistémé dans sa fonction ontologique, Rép. V, 509d-511e, sans renier cette fonction ontologique, ajoutera la fonction épistémologique en traitant des degrés de la doxa-épistémé. Nous retenons de ce texte l'interprétation traditionnelle, dite quadripartite, contre les interprétations plus récentes dites bipartites ct tripartites parce que c'est la seule interprétation qui permette de conserver les doctrines essentielles du platonisme comme celles de la distinction entre le monde sensible et le monde intelligible, entre l'image et la réalité [98]. Nous considérons que les segments inférieurs de la Ligne ne symbolisent pas les segments supérieurs, mais bien deux degrés de réalité du monde sensible, l'image et la réalité sensible auxquelles correspondent deux degrés de connais- sance, reikasia et la pistis tandis que les segments supérieurs symbolisent deux degrés de réalité du monde intelligible, les noêta mathématiques et les noêta de la dialectique auxquels correspondent deux degrés de connaissance, la dianoia et la noêsis. L'eikasia et la pistis constituent donc deux degrés de connaissance à l'intérieur de la doxa tandis que la dianoia ct la noêsis constituent deux degrés de connaissance à l'intérieur de l'épistémé. Une fois bien distingués ces degrés de connaissance, la question qui se pose consiste à se demander quelle en est la nature exacte et le statut épistémologique.

Sur la nature des degrés de la doxa-épistémé Platon ne nous donne qu'une seule information pertinente lorsqu'à la fin de notre passage en 5l1d5 il résume les degrés de connaissance en nous disant que ce sont les pathêmata. Le terme grec pathêmata suggère des choses qui affectent l'âme ou l'esprit et que l'on traduit par «états d'esprit" ou encore chez les anglo-saxons par «states of mind » [99]. Par ailleurs, on se souvient que la doxa et l'épistémé sont définies au livre V commes des dunameis, c'est-à-dire dans le sens actif de pouvoirs de connaissance [100]. Goldschmidt, à la suite de Bréhier, a déjà suggéré de comprendre les pathêmata en termes de structure plutôt que de genèse. En effet, les quatre pathêmata ne décrivent pas une sorte de genèse psychologique de la vie mentale de l'homme qui franchirait au cours de son existence et d'une façon nécessaire toutes les étapes de la connaissance. Nous savons très bien que les poètes et les peintres aux prises avec les images des réalités sensibles ignoreront toute leur vie la science de fabriquer les objets qu'ils imitent [101], que les artisans qui fabriquent les objets réels ne deviennent pas tous des mathématiciens [102]. et que des mathématiciens, telle Théodore du Théétète, peuvent demeurer réfractaires aux entretiens dialectiques [103]. Nous savons aussi que la démarche dialectique est réservée à un très petit nombre d'hommes [104]. Si nous retenons cette suggestion de Goldschmidt [105], alors nous comprendrons les pathêmata comme une structure dynamique des pouvoirs de connaissance de l'âme qui s'actualise à l'intérieur de certaines limites allant de l'eikasia à la noêsis. On peut cependant pousser plus loin pathêmata en s'aidant du texte récapitulatif de 533e-534a où il est dit que l'analyse des l'eikasia joue dans le monde sensible un rôle analogue à la dianoia dans le monde intelligible tandis que la pistis y joue un rôle analogue à l'épistémé. Cette double analogie nous aide à comprendre le statut épistémologique des pathêmata.

Quel est donc ce rôle que joue la dianoia dans le monde intelligible? Selon Rép. VI, 51Oc-3, la dianoia possède deux caractéristiques: 1) elle est une démarche de l'esprit qui consiste à partir d'hypothèses considérées comme connues pour aboutir par voie déductive à une conclusion, 2) la dianoia se sert de figures sensibles pour arriver à la connaissance de figures qui ne peuvent être vues que par la pensée. Si l'on transpose ces deux caractéristiques à l'eikasia dans le monde sensible on en comprend mieux le statut épistémologique. De même que le mathématicien considère les hypothèses d'où il part comme des principes premiers alors qu'elles n'en sont pas du point de vue du dialecticien, ainsi l'homme dans l'état de l'eikasia considère les images comme des réalités alors qu'elles n'en sont pas. Ainsi les points de départ de la démarche dia noétique et eikastique sont des objets dérivés, mais ils ne sont pas perçus comme dérivés. Selon la seconde caractéristique l'eikasia serait analogue à la dianoia en ce sens qu'elle se sert d'images pour connaître la réalité sensible de même que la dianoia se sert de figures sensibles pour connaître les figures intelligibles. L'eikasia aurait donc deux significations épistémologiques: négativement elle désignerait un type de connaissance portant sur des images que l'on prend pour la réalité et positivement un type de connaissance qui porte aussi sur des images, mais des images considérées comme moyen de connaître la réalité sensible. Le mot français pour traduire eikasia serait donc «imagination », terme qui possède également un sens négatif et un sens positif. Il arrive, en effet, qu'on dise d'une personne qu'elle est pleine d'imagination en ce sens qu'elle prend ses rêves ou ses lubies pour la réalité. Mais on dit aussi d'un poète qu'il est plein d'imagination en ce sens qu'il est capable de nous mettre en contact avec la réalité au moyen d'images saisissantes et suggestives [106].

La seconde analogie entre la pistis et l'épistémé qui prend ici le sens de noûs [107]. nous fournit également des précisions sur leur statut épistémologique. Selon République, VI, 511 b-d, le noûs possède deux caractéristiques: 1) il part d'hypothèses qui sont reconnues comme telles pour remonter à un principe anhypothétique, 2) au cours de cette démarche il ne fait aucun usage d'images, mais va d'une Forme intelligible à l'autre. La première caractéristique suggère que l'esprit se trouve dans la démarche noétique en contact direct avec la réalité. En effet, l'aboutissement de cette démarche est la connaissance du principe an hypothétique, c'est-à-dire de l'Idée de Bien, principe ultime de tout l'ordre cognitif et ontologique. La pistis jouerait un rôle analogue dans le monde sensible en ce sens que l'esprit dans l'état de pistis serait en contact direct avec la réalité sensible sans passer par l'intermédiaire des images [108].

Ainsi l'esprit qui opère en contact direct avec la réalité sensible procède analogique- ment à la manière du dialecticien en passant d'une réalité sensible à l'autre comme le dialecticien passe d'une Forme intelligible à l'autre pour accroître sa connaissance du réel intelligible. En effet, c'est par l'observation du comportement du joueur de flûte que le fabricant de flûtes arrive à se faire une opinion juste sur la meilleure façon de fabriquer une flûte [109]. Il en est ainsi du sellier, du forgeron qui ne s'embarrassent pas d'images à l'instar du peintre, mais apprennent à fabriquer une bride ou un mors en observant le comportement de l'écuyer [110]. Ainsi, de même que le noûs engendre une certitude dialectique, la pistis engendre dans l'esprit une certitude sensible. En résumé, les quatre pathêmata décrivent une structure dynamique de l'esprit humain qui opère toujours sur des images ou des réalités, soit au niveau sensible, soit au niveau intelligible.

De cette théorie des quatre pathêmata on pourrait immédiatement dégager la fonction pédagogique et esthétique de la doxa-épistémé. Mais nous reviendrons bientôt sur ce point. Pour le moment il nous faut dire un mot d'un troisième texte où la doxa-épistémé remplit aussi une fonction épistémologique. Il s'agit de Théétète, 220d-21Ob.

La seconde définition de la science proposée dans le Théétète était que la science consiste dans un jugement vrai [111]. Cette définition de la science est rejetée par Socrate dans un argument qui rappelle l'exemple du chemin de Larisse dans le Ménon [112]. Le juge au tribunal prononce une sentence correcte sur la base d'une opinion vraie ou d'un jugement vrai à partir de faits que seuls des témoins connaissent pour les avoir vus. Ainsi l'opinion vraie est-elle encore une fois déclarée aussi infaillible que la science dans l'ordre de l'action humaine puisqu'elle permet au juge de prononcer une sentence conforme aux faits comme elle permettait au voyageur du Ménon de se rendre correctement à Larisse [113]. Il n'y a donc pas ici de contradiction fondamentale entre le Ménon et le Théétète. La contradiction que l'on a soulevée à partir de ce texte implique plutôt la conception de la science dans la République. Selon cette conception il n'y aurait pas de science possible, au sens fort du terme, de faits ou d'événements qui se produisent dans le monde sensible, alors que le Théétète nous affirme tout le contraire en nous parlant d'une science des témoins. Cette contradiction, à notre avis, est purement apparente et peut être résolue si l'on tient compte ici de l'analogie de la vision. Nous savons en effet que la métaphore de la lumière et de la vision joue un rôle important dans l'épistémologie de la République.

Or le témoin qui voit les faits est dans une position épistémologique analogue au dialecticien qui voit les Formes intelligibles. C'est pourquoi on peut dire de lui, mais d'une façon seulement analogique, qu'il connaît les faits.

Le Théétèœ maintient donc comme le Ménon une différence entre l'opinion vraie et la science. Mais le Théétète essaie d'expliquer cette différence en recourant à la notion de logos dans la troisième définition de la science selon laquelle la science serait une doxa vraie accompagnée d'un logos. On sait cependant qu'aucun sens du terme logos ne pourra satisfaire aux exigences de la définition. Là où dans le Ménon l'aitias logismos réussissait à combler l'écart entre l'opinion vraie et la science, la notion de logos dans le Théétète n'y réussit pas. La raison de cet échec est simple: dans le Ménon, Platon a en vue les sciences dianoétiques, c'est-à-dire celles qui s'expriment dans des propositions mathématiques et géométriques tandis que dans le Théétète la science que Platon ne parvient pas à définir est la science noétique, c'est-à-dire celle justement qui ne s'exprime pas dans des propositions, mais qui se produit dans l'âme à la manière d'une illumination soudaine [114]. Ainsi la critique que J. Hintikka fait de cette conception platonicienne de la science passe-t-elle, à notre avis, à côté du problème précis auquel se trouve confronté Platon dans le Théétète [115]. Cette critique consiste essentiellement à dire qu'il n'y a pas de science noétique, mais que toute science a pour objet des propositions. Or c'est justement la possibilité de l'existence d'une science noétique qui fait problème pour Platon. C'est du moins, croyons-nous, le sens du rejet des trois significations possibles du terme logos à la fin du Théétète. L'acceptation de l'un de ces sens réduirait la science noétique à la science dia noétique, ou pour parler le langage de J. Hintikka, un « knowing what" à un « knowing that". Platon ne doute pas que la science dianoétique est de nature propositionnelle, mais il croit qu'il existe pour l'esprit humain une voie de connaissance plus totale et plus universelle et qui est celle de la science noétique. Son problème dès lors est d'arriver à dire ce qu'est cette science noétique et il n'y parvient pas dans le Théétète. Une fois posée l'existence d'une telle science, c'est alors que commencent toutes les difficultés pour Platon. La solution de J. Hintikka supprime donc le problème en entier en posant, au point de départ, qu'une telle science noétique n'existe pas. Mais du coup c'est la place de la dialectique qui se trouve niée dans l'épistémologie platonicienne. En somme, ni la seconde définition ni la troisième définition de la science dans le Théétète n'entrent en contradiction avec ce que nous disent le Ménon et la République sur la doxa-épistémé.

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  1. 1. Pour une revue de ces travaux, voir J. SPRUTE, Der BegrW'der doxa in der Platonischell Philosophie. p. 16-34.
  2. 2. Ces études sont au nombre de quatre seulement. Il s'agit de: O. IHM, Uber den Begr??? der Platonischen doxa und deren Verhiiltniss zum Wissen der ldeen, 1974, 234 p. l.eipzig, Druck von Alexander Edelmann, Universitat Buchdrucker, 1977, 55 p. ; J. SPRUTE, Der Begriff der doxa in der Plalonischen Philosphie, Giittingen. Vandenhoeck & Ruprecht, 1962, 130 p.; E. TIHSCH, Die Plalonischen Versionen der griechischen {)oxalehre, Meisenheim am Glan, Vcrlag Anton Hain, 1970, 486 p.;
  3. 3. Pour une analyse linguistique du terme doxa on pourra consulter J. SPRUTL, Der BegrifJ dcr doxa p. 34-36 et E. TIHSCII, Die Plalonùchen Versionen, p. 2-4. n. 3.
  4. 4. Les sens dérivés du terme doxa sont beaucoup plus nombreux que ceux qui apparaissent dans nos lexiques bien connus, par exemple ceux de F. Ast, de Jones-Liddell-Scot. de Des Places. Nous cn avons fait une recension exhaustive dans notre ouvrage La Théorie Plalunicnne dt' la doxa, lVlontrl'al- Paris. Bellarmin-Les Bdlcs Lettres, 1981, pp. 19-33.
  5. 5. Sur ce débat voir J. SPRUE, Der Bewijf der doxa .... p. 34-44.
  6. 6. Par exemple CROSS-WOOZLEY. Plato's Republic, p. 170-195.
  7. 7. Etllhyd 286c-287d, ,[Mér. 1 X7c4-5, Soph. 263b, Gorg. 454d5-6.
  8. 8. Par exemple, Rép. V, 478c, 477e. Théé!. 158b-c, 1 67a-b. 170b9-1O.
  9. 9. Par exemple, Tlréér. 161d2-3, 179c. A.E. Taylor nous rappelle que le terme même d'ais/hèsis est ambigu: il désigne tantôt une appréhension sensible d'objets. tantôt une appréhension non sensible (Pla/o, p. 325, n. 2). Ici nous utilisons le terme ais/hêsis comme opposé à dianoia.
  10. 10. Par exemple, .\.1én. 85c9-dl, Théét. 187a4-6. 190a4-6. 190a2-6, Soph. 264al-2.
  11. 11. Rép. VI, 50Se-d.
  12. 12. Aién. 85c9-12.


5. Les fonctions pédagogique et esthétique[modifier]

Revenons maintenant à la République en vue d'examiner les fonctions pédagogique et esthétique que joue la doxa-épistémé dans la pensée de Platon. L'opposition entre la doxa et l'épistémé dans l'analogie de la Ligne permet de fonder une classification des disciplines ou des savoirs dans le cadre de la paideia grecque. À la dianoia se rattachent la géométrie et les sciences de même nature, telles que l'arithmétique, l'astronomie, la stéréométrie ct l'harmonie [116]. Une seule science est rattachée au N0ÛS ou à la noêsis et c'est la dialectique [117]. Nous retrouvons ici le fondement textuel de la distinction que nous venons d'utiliser entre la science dianoétique et la science noétique. Ces disciplines rattachées aux segments supérieurs de la Ligne constituent le programme d'éducation proprement scientifique des futurs gouvernants de la Cité et il se trouve développé en Rép. 526c-534e. Mais le texte ne parle pas des disciplines qui se rattacheraient éventuellement aux segments inférieurs de la Ligne. L'une des raisons mise de l'avant par Goldschmidt contre les défenseurs d'une interprétation purement symbolique de la Ligne est justement que la distinction entre image et réalité permet de rattacher à ces segments inférieurs les deux disciplines fondamentales de la paideia morale ainsi qu'une classification des arts et des techniques [118]. Si notre texte ne dit mot de ces disciplines c'est que dans les livres VI~ VII de la République Platon s'occupe uniquement de la paideia scientifique des gouvernants-philosophes de la Cité et, comme nous le savons, celle-ci est fondée sur les mathématiques et la dialectique. Mais d'autres passages de la République permettent d'opérer le rattachement de la musique et de la gymnastique à l'eikasia et à la pistis.

Disons d'abord qu'en 521d-522b la musique au sens ancien du mot, la gymnastique et les techniques manuelles sont exclues de l'éducation supérieure des gardiens [119]. On cherche, en effet, une discipline capable de faire passer l'âme du monde du devenir au monde de l'être [120]. Or gymnastique et musique ne permettent pas à l'âme de dépasser le monde sensible. La gymnastique, en effet, s'occupe de ce qui naît et meurt, c'est-à-dire du corps [121], tandis que la musique sert à donner de bonnes habitudes aux gardiens soit par l'harmonie et le rythme soit par le discours [122]. Ainsi ni la gymnastique ni la musique ne réussissent à mettre l'âme en contact avec les réalités supérieures de la noêsis, mais la maintiennent dans le monde de la doxa représentée par les deux segments inférieurs de la Ligne. Par contre, au livre III de la République lorsque Platon parle des effets de la musique sur l'âme des gardiens, il fait appel à la notion d'image. La musique propose aux gardiens des images de la vertu et du vice [123], elle les rend capables de devenir de bons lecteurs en les habituant à lire les images des lettres représentées dans l'eau ou dans un miroir [124], elle crée chez les gardiens des comportements qui sont des images du beau [125]. Ces textes nous inclinent à penser que dans la paideia platonicienne la musique semble vouloir se rattacher tout naturellement au mode de connaissance propre à l'eikasia. Quant à la gymnastique il semble plus difficile de trouver des textes qui la rattacheraient tout naturellement à la pistis. Cependant dans la mesure où la gymnastique s'occupe du corps elle pourrait tomber sous la pistis qui comprend au nombre de ses objets les êtres vivants. Par ailleurs, en Rép. VII, 539d9-J [126] Platon affirme que l'étude de la dialectique doit faire le pendant à la gymnastique, ce qui rappelle notre analogie entre l'épistémé et la pistis [127]. Ainsi l'on voit comment la doxa-épistémé remplit dans la pensée de Platon une fonction proprement pédagogique en donnant la structure de base qui permet de classifier des disciplines propres à la paideia morale et celles qui sont propres à la paideia scientifique.

La doxa-épistémé permet également une classification des arts et des techniques par l'intermédiaire de la distinction entre l'image et la réalité. Au livre X de la République, 595a-608b, Platon montre comment les arts d'imitation se rattachent à l'eikasia tandis que les techniques manuelles et morales se rattachent à la pistis. Les arts d'imitation mentionnés au livre X ne comprennent pas seulement la poésie, la tragédie et la comédie qui sont des parties de la musique au sens ancien du terme, mais aussi ce qu'on appelle aujourd'hui les arts plastiques tels que la peinture, la sculpture etc. Tous ces arts ont ceci en commun qu'ils présentent des images de la réalité et non pas la réalité elle-même [128]. Ils peuvent recréer l'apparence des choses très rapidement en les présentant comme dans un miroir [129]. Ainsi l'imitateur reçoit- il, sous la plume de Platon, les traits négatifs de l'eikasia: il est un charlatan qui jette de la poudre aux yeux en faisant passer l'image pour la réalité [130], il crée des fantômes des choses réelles [131], bref, c'est un véritable ignorant [132]. Les arts d'imitation sont ainsi considérés par Platon comme des « arts eikastiques » selon l'expression même des Lois [133]. À ces arts d'imitation qui s'occupent d'images Platon oppose les techniques manuelles et morales qui s'occupent elles de la réalité sensible et qui relèvent de la pistis. Ce sont les techniques du menuisier [134], du cordonnier [135], du charpentier [136], du médecin [137], du stratège militaire [138] du législateur [139], de l'éducateur , [140], du sellier et du forgeron [141] et du fabricant de flûte [142]. Platon esquisse à propos de ces arts d'imitation et de ces techniques une théorie qui s'inspire de la Ligne de la République. On peut en effet distinguer au sujet d'un même objet l'art de celui qui s'en sert, l'art de celui qui le fabrique et enfin l'art de celui qui l'imite. Le premier seulement a la science de l'objet [143], sans doute parce qu'il est en contact direct avec la réalité, le second en a seulement une opinion vraie [144] parce que pour fabriquer cet objet il doit s'appuyer sur les informations de celui qui s'en sert, le troisième n'en a ni science ni opinion vraie, mais une connaissance qui ne mérite même pas qu'on en parle [145]. On pourrait également rattacher à l'eikasia la sophistique et la rhétorique à partir du passage de Sophisre, 264b-268d où la sophistique est définie comme un art mimétique. Il apparaît donc clairement, à la lecture de ces textes, que le critère de classification des arts et des techniques repose fondamentalement sur l'opposition entre la doxa-épistémé, entre l'eikasia et la piSlis, entre l'image et la réalité.

Ce bref survol des textes platoniciens sur la doxa-épistémé nous permet de dégager les deux conclusions suivantes. La première est que l'opposition entre la doxa et l'épistémé remplit diverses fonctions secondaires dans les dialogues de Platon en plus de sa fonction primaire d'ordre épistémologique. Les platonisants contempo- rains se sont limités malheureusement à l'étude de la seule fonction primaire. Cette interprétation limitée de la doxa-épistémé les ont amenés à poser des questions auxquelles les textes ne pouvaient pas répondre ou encore à demander des précisions épistémologiques qu'ils ne pouvaient pas donner. La seconde est que les contradictions soulevées entre les textes sur la doxa-épistémé peuvent recevoir une réponse dans la mesure où la mise en relief de la fonction spécifique de la doxa-épistémé dans un texte donné nous permet d'accéder plus facilement à l'intention platonicienne et ainsi comprendre jusqu'où Platon a voulu livrer sa propre pensée. Enfin ce survol des textes nous a aussi permis de mieux voir la place qu'occupe la doxa-épistémé dans l'économie générale du système platonicien.

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  1. 1. Pour une revue de ces travaux, voir J. SPRUTE, Der BegrW'der doxa in der Platonischell Philosophie. p. 16-34.
  2. 2. Ces études sont au nombre de quatre seulement. Il s'agit de: O. IHM, Uber den Begr??? der Platonischen doxa und deren Verhiiltniss zum Wissen der ldeen, 1974, 234 p. l.eipzig, Druck von Alexander Edelmann, Universitat Buchdrucker, 1977, 55 p. ; J. SPRUTE, Der Begriff der doxa in der Plalonischen Philosphie, Giittingen. Vandenhoeck & Ruprecht, 1962, 130 p.; E. TIHSCH, Die Plalonischen Versionen der griechischen {)oxalehre, Meisenheim am Glan, Vcrlag Anton Hain, 1970, 486 p.;
  3. 3. Pour une analyse linguistique du terme doxa on pourra consulter J. SPRUTL, Der BegrifJ dcr doxa p. 34-36 et E. TIHSCII, Die Plalonùchen Versionen, p. 2-4. n. 3.
  4. 4. Les sens dérivés du terme doxa sont beaucoup plus nombreux que ceux qui apparaissent dans nos lexiques bien connus, par exemple ceux de F. Ast, de Jones-Liddell-Scot. de Des Places. Nous cn avons fait une recension exhaustive dans notre ouvrage La Théorie Plalunicnne dt' la doxa, lVlontrl'al- Paris. Bellarmin-Les Bdlcs Lettres, 1981, pp. 19-33.
  5. 5. Sur ce débat voir J. SPRUE, Der Bewijf der doxa .... p. 34-44.
  6. 6. Par exemple CROSS-WOOZLEY. Plato's Republic, p. 170-195.
  7. 7. Etllhyd 286c-287d, ,[Mér. 1 X7c4-5, Soph. 263b, Gorg. 454d5-6.
  8. 8. Par exemple, Rép. V, 478c, 477e. Théé!. 158b-c, 1 67a-b. 170b9-1O.
  9. 9. Par exemple, Tlréér. 161d2-3, 179c. A.E. Taylor nous rappelle que le terme même d'ais/hèsis est ambigu: il désigne tantôt une appréhension sensible d'objets. tantôt une appréhension non sensible (Pla/o, p. 325, n. 2). Ici nous utilisons le terme ais/hêsis comme opposé à dianoia.
  10. 10. Par exemple, .\.1én. 85c9-dl, Théét. 187a4-6. 190a4-6. 190a2-6, Soph. 264al-2.
  11. 11. Rép. VI, 50Se-d.
  12. 12. Aién. 85c9-12.

  1. 13. OK. 21 B34. On peut donner au terme dokos à la fin du fragment le sens subjectif d'opinion ou le sens objectif d'apparence.
  2. 14. DK. 21 B 18: "Les dieux n'ünt pas révélé toutes choses aux hommes dès le commencement; mais, en cherchant, ceux-ci trouvent avec le temps cc qui est le meilleur ".
  3. 15. DK. 22B28.
  4. 16. OK. 22B17
  5. 17. OK. 24BI.
  6. 18. DK. 31B132.
  7. 19. OK. 28B 1.
  8. 20. Rep. V, 476blO-ll.
  9. 21. OK. 68B97.
  10. 22. OK. 21B35.
  11. 23. OK. 288 I, 28-32.
  12. 24. OK. 28B4-6.
  13. 25. Pour Parménide, OK. 28BI, 28-32; pour Héraclite. OK. 68B7; pour Gorgias, OK. 82Blla3; 1 L Il.
  14. 26. AIl'. !, 1 I7c6-7.
  15. 27. Rép. V, 478d3.
  16. 28. Ale. !, 116e8-11.
  17. 29. Id. 117c1-3.
  18. 30. id. 1 17e10-118a3.
  19. 31. Id. 117a10-1l, 117b8, lI7d4-5, 118al3.
  20. 32. Id. Ild7-8.
  21. 33. Id. Il7a8-11.
  22. 34. Crit. 46b-48b.
  23. 35. Id. 44c7, 44d2, 46c7, dl, d9, 47a3. b3, cil, d9, 48c4.
  24. 36. Id. 46b5-6 et 46c3-4.
  25. 37. Id. 47c8-48alO.
  26. 38. Corg. 452e-455a.
  27. 39. Id. 454dl-2, 454c7-11.
  28. 40. Id. 455a l, 4-6.
  29. 41. L Gorg. 454e 13 pour la rhétorique. La philosophie comme didaskalikè appcuait sous la forme de la science du juste et de l'injuste, du beau et du laid. du bien et du mal «(lorg. 459d 1-2). Elle ne sera explicitement mentionnée seulement dans la conversation entre Socrate el Callidès (484c5. 485a, 6, 485bl, c4).
  30. 42. Gorg. 459b 12-c2. 45ge5-7, 464a 10-11. 523cl-6.
  31. 43. Id. 482a8-1O, 493a6-b3.
  32. 44. Id. 500e5-50Ibl, 465a2-7.
  33. 45. Id. 500cl-8. Ce thème est aussi mentionné en Gorg. 458a8-b2. 472c6-IO. 492d3-5.
  34. 46. An/idosis, XV, 258, 266.
  35. 47. GOIlCi!.\S, t'loge d·Hélène, DK. 82BI1.
  36. 48. Corg. 463b4.
  37. 49. Id. 459b 11-12.
  38. 50. Id. 482a8. SI. Id. 459b6-~.
  39. 52. Id. 465a4-5.
  40. 53. Id. 45ge5-7.464al0-b1.
  41. 54. Id. 482a9.
  42. 55. Id. 480a-c.
  43. 56. Id. 464e 1-465a2, 501d4-5.
  44. 57. Id. 479dlO-e6.
  45. 58. Id. 480b6-d7.
  46. 59. Id. 500d6-c2, 501 a-c, 513d 1-6.
  47. 60. Id 4 79d JO-e6.
  48. 61. Id. 463a-466a.
  49. 62. id 465a6. 501 a6.
  50. 63. Id 464a JO-b 1, 501 a5-6.
  51. 64. Id. 464c7.
  52. 65. Id 464aI0-b 1.
  53. 66. Id. 465a4-5, 501a2.
  54. 67. Gorg. 464c7, 501a3.
  55. 68. rd. 465al-2. SOla3, bl, b4-cl.
  56. 69. Id. 464c8. Le verbe hypodusa renvoie au geste de l'acteur qui cache sa véritable figure sous un masque.
  57. 70. Id. 463d2, e4.
  58. 71. Id. 516e9-517a2.
  59. 72. Id. 515a-b, 517b-c.
  60. 73. Id. 515d-516c.
  61. 74. Id. 517b6-c2, dl, 518a6, 518cl-519a3.
  62. 75. Id. 521a-522c, 503a-b. 503d-504d.
  63. 76. J1én. 99b-IOOc.
  64. 77. Rëp. V. 476d5-6. 479d7-9, 480al.
  65. 78. Id. 480all-12.
  66. 79. Id. 475d2-3.
  67. 80. Id. 476a12.
  68. 81. Id. 476b4-5.
  69. 82. Id. 476b7-8.
  70. 83. Id. 476c3-8.
  71. 84. Id. 479a-b.
  72. 85. Id. 478aI2-13; 479d7-9.
  73. 86. Id. 509d I-S.
  74. 87. Id. 476cIO-d4.
  75. 88. Id. 477a3.
  76. 89. Id. 509d5.
  77. 90. Id. 477cl-5.
  78. 91. Id. 477c6-dI5.
  79. 92. Id. 477d7-9. 478cJ0-1I, 479c7-dl.
  80. 93. Id 477e3-4.
  81. 94. Id. 477c7-8, 478alO.
  82. 95. Id. 477e7-8, 487a7.
  83. 96. N. MURPIIY. Plato's Republic, p. 103.
  84. 97. J.C.B. GOSLI'iG, Dnxa and Dynamis in Plat,/s Rcpublic, Phronesis 13 (1968) 128.()8. Th. Ebert a soutenu qu'il ne fallait pas cornprendre cette théorie de la dunamis cornme exprimant la pensée de Platon. mais seulement celle Glaucon comme porte-parole de la doxa (Meinung und Wissen ... p. 117-130). Nous ne retenons pas ICI cette interprétation qui ne manque pourtant pas d'originalité.
  85. 99. Mén. 98a 1-4.
  86. 100. Id. , 85b-86c, 96d-98.
  87. 101. Id. 80d6-9.
  88. 102. Id. 8Ib-e.
  89. 103. Id. 98a3-4.
  90. 104. O. 111:\1. Uber den Bel{rif/ der Plalonischell doxa, p. 39-40. R.G. HOER8lR, "l'Iato's Meno ". Phrollesis 5 (1960) 93-94, J. GOUl.D, The Developmelll of Plato's Elhics p. 139.1.. ROBI". Pla/vn. Oeuvres complètes, trad. La Pléiade, vol l, p. 1294, n. 8K
  91. 105. R.S. BLUCK. PlalO's ivfello, p. 412-413, N. GULLFY. Plalo's Theor)' o/Knowledge. p. 14- 15, G. VL.\S[OS. «Anamncsis in the Meno,., Dialogue 4 (1965) 153 n. 15, 155-157.
  92. 106. Phéd 76b6, Banq. 202a3-4. Rép. VI, 53Ie5-6.
  93. 107, Rép, VI, 51 Ib3-c2,
  94. 108, Phèdr. 265d3-266c9, lO9. G,VL-\STOS, "Anamncsis in the Mwo". an. cil. p, 154-155.
  95. 110, Sur l'analyse et la synthese en géométrie grecque on nous permettra de renvoyer le lecteur à deux de nos articles: "Aristote et l'Analyse g2omémque", Philosaphitjues 5 (1978) 271-307. " Platon et la Géométrie: la méthode dialectique en Repuhlique, 509d-5Ile", Dia/ogue 19 (1980) 46-93,
  96. 111, HélI. 85e-I-3.
  97. 112. Id 97a-",
  98. 113. Parmi les partisans de l'interprétation quatripartite on trouve Nettleship (1897), Adam (1902), Robin (1932-1933), Cornford (1945), Ross (1951), Goischmidt (1955), Hamlyn (1958), Malcolm (1962). Crombic (1963), Cross- Woozlcy (1964). Les partisans de l'interprétation bipartite sont: Jackson (882), Ferguson (1921. 1922, 1934), Raven (1953, 1965) et parmi les partisans de l'interprétation tripartite on rencontre Sidgwick (1869) et Murphy (1955).
  99. 114. Par exemple, L. ROBI..,. Pla/on. O:uvres complètes. La Pléiade, vol l, p. 1001. ad 511d et F.M. OJR..,rOlw, The Republic of Plalo, p. 221.
  100. 115. Rép. V. 477b7, cl-4.
  101. 116. Id. X, 598d-602b.
  102. 117. Id VII, 525c4-6, 527a-b, 527d-528a, 53Ib-c.
  103. 118. T'Mél. 146b.
  104. 119. Rép. V, 476cl, VI, 49Ibl-2.
  105. 120. On trouvera cette analyse de Goldschmidt dans ses Questions Platoniciennes, p. 221-213 qui reproduit son article de 1955: La Ligne de la République el la Classijïcatioll des Sciences.
  106. 121. Cette interprétation de l'analogie entre l'eikasia et la dianoia peut être confirmée par les passages suivants: Rép. V, 476c-d. VII. 515b, 516a-b, 533c, Cral. 439a-b.
  107. 122. Rép. VI. 511dS-6.
  108. 123. Ferguson compare l'eikasia et la pistis à l'état d'esprit des Platéens lorslju'ils voulurent construire des échelles ayant la même hauteur que la muraille des ennemis (Thucyd. Ill. 20). Ils imaginèrent d'abord la grandeur de leurs échelles à partir des briques de la muraille (eikasia), ils adossèrent ensuite leurs échelles à la muraille et eurent alors la certitude sensible (pislis) que leurs échelles étalent de la bonne hauteur (<< Plato's Simile of Light H, C1ass. Quart. 15 (1921) 144-145.
  109. 124. Rép. X. 60Ie7-IO.
  110. 125. Id 60Ic6-14.
  111. 126. Théél. 187b4-6.
  112. 127. Mén. 97a-c.
  113. 128. Théél. 20Oc5-6. Mén. 97c6-8.
  114. 129. Banq. 2lOe3, Lettres VII, 341dl.
  115. 130. J. HINIIKK'<, Know/edge and /he Knoll'n, 1974, p. 19-22.
  116. 131. Rép. VI. 5l1bl-2. VII, 526c-531.
  117. 132. Id. VI, 511b4, c5.
  118. 133. V. GOWSClIMIlH, « La Ligne de la République et la classification des sciences ", art. cil., p. 209-211. Voir aussi CROSS-WOOZI.EY, Plalo's Republic, p. 220-224.
  119. 134. Rép. VII, 522b6-7.
  120. 135. Id. 52Id3-4.
  121. 136. Id. 52Ie5-4.
  122. 137. Id. 522a3-bl.
  123. 138. Id. III, 402b 1O-c8.
  124. 139. Id. 402b5-6.
  125. 140. Id. 402d 1-9.
  126. 141. id. VII. 534a5.
  127. 142. id. X, 596e4, 598b2-4, 60Ib.ll-cl.
  128. 143. Id. 596d8-9. Comparer avec Rép. VI. 510al-2, Soph. 233e-234a.
  129. 144. Id. 597e3-5, 599a 1, 599a2-3.
  130. 145. Id. 598d3-4.
  131. 146. Id. 599a2-3.
  132. 147. Id. 599b-600c.
  133. 148. Lois. II, 667clO. 668b IO-c 1.
  134. 149. Rép. X. 597al, 7, 597b13.
  135. 150. Id. 589b9. 600e8.
  136. 151. Id. 598b9.
  137. 152. id. 599c 14.
  138. 153. Id. 599c8.
  139. 154. Id 598c8-9.
  140. 155. Id. 599c9. 600a9-b5.
  141. 156. Id. (jOieS-Il.
  142. 157. Id. 601d10.
  143. 158. Id. 602a2.
  144. 159. Id. 601e7.
  145. 160. Id. 602a9. b7.