Les langages IF sont nos langages fondamentaux
LES LANGAGES IF SONT NOS LANGAGES FONDAMENTAUX
Venu à la philosophie par le biais des mathématiques, Kaarlo Jaakko Juhani Hintikka (12 janvier 1929, Vantaa – 12 août 2015, Porvoo) est un philosophe finlandais de renommée internationale, connu pour être le principal artisan de la théorie sémantique des jeux (Game-Theoretical Semantics, ultérieurement GTS) [1] et qui fit une grande partie de sa carrière aux États-Unis.
Pour l’essentiel, ses travaux portent sur les formes normales distributives, la théorie des modèles, la logique modale et la logique épistémique [2], la théorie des mondes possibles [3], GTS dont il vient d’être question, la théorie des questions et réponses, la linguistique, la logique faite pour l’indépendance (independence-friendly logic, ultérieurement IF), la fondation des mathématiques et la théorie de l’enquête [4].
Ancien élève de Georg Henrik von Wright (exécuteur testamentaire et successeur de Wittgenstein à Cambridge), qui vit en lui un continuateur talentueux [5], Hintikka se fit connaître également par ses travaux historiques, ayant consacré de larges pans de ses recherches à l’étude d’œuvres (outre celles de Frege, de Russell, de Carnap ou de Quine qu’il étudia de près) comme celles d’Aristote, de Descartes, de Kant, de Husserl et de Wittgenstein, la pensée de ce dernier étant sa principale source d’inspiration : la réalisation sémantico-formelle des jeux de langage s’explique par le fait que ceux-ci sont rapportés à la théorie mathématique des jeux, elle-même interprétée à la lumière de la théorie des modèles [6]. Le choix de se référer à la tradition modèle-théorique explique que, dans l’ouvrage qu’il écrivit avec son épouse Merrill B. Provence – Investigating Wittgenstein (1986) – Hintikka se démarqua de la conception la plus répandue du langage, selon laquelle, dira-t-il ensuite, « le langage (le langage, au sens où Wittgenstein évoque “ le seul langage que je comprenne ”) est un intermédiaire inévitable entre moi et le monde, un médium auquel je ne peux me soustraire [7] ». Les Hintikka dénoncèrent ce qui leur apparaissait comme le présupposé fondamental de la tradition philosophique (au-delà des clivages doctrinaux, Heidegger côtoyant soudain Wittgenstein, et Quine Derrida), à savoir la thèse de l’universalité du langage [8], et, parce qu’elle en est un corollaire, celle de l’ineffabilité de la sé mantique (donc de la vérité). L’analyse des conséquences de la ségrégation entre langages-objets et métalangages conduisit ensuite Hintikka à jeter un œil critique sur la manière dont fut posée la question du fondement des mathématiques.
En proposant une refonte de la logique du premier ordre guidée par une conception instrumentaliste du langage, ce dernier a donc réinvesti de façon souvent originale et suggestive de nombreux thèmes traditionnels de la philosophie, en les enrichissant de rubriques nouvelles. Bien qu’il ait ciblé des domaines en apparence très spécialisés, son œuvre se distingue par sa productivité, son goût de la dispute, son éclectisme et son cosmopolitisme (dont son multilinguisme témoigne). Dans cet esprit, il n’est pas exagéré de considérer que la théorie logique des questions et réponses (en quel sens la pensée est-elle un questionnement, comme l’affirmait Platon ?), telle qu’elle est synthétisée dans Socratic Epistemology. Explorations of Knowledge-Seeking by Questioning (2007), jette un éclairage neuf sur l’entreprise philosophique tout entière et spécialement sur notre concept de connaissance.
Reste à évaluer le degré de systématicité de cette pensée [9], et à prendre connaissance d’une œuvre aussi inventive qu’abondante. La bibliographie de Hintikka publiée par R. E. Auxier & L. Hahn dans The Philosophy of Jaakko Hintikka [10] comptait à l’époque plus de quatre cent quatre-vingt articles [11]. La plupart sont dispersés dans d’innombrables revues étrangères, prestigieuses ou confidentielles, ou éparpillés dans des actes de colloques. Autant dire que ces textes sont difficilement accessibles. Certes, la plupart des livres rassemblent un matériel publié ailleurs qui devient ainsi plus commodément accessible – ce qui limite quelque peu l’effet de dispersion. Mais quoi qu’il en soit, seule une faible proportion de cette vaste production est traduite en français. Du côté de la littérature secondaire, même si l’on tient compte de la présente livraison, les collectifs de langue française consacrés à cet auteur se comptent sur les doigts d’une main.
Il est donc probable qu’une grande partie des professeurs de philosophie et de leurs étudiants soient dans une forme de non-rapport à l’égard de ce logicien qui venait du froid auquel il nous paraît possible d’étendre le « paradoxe de Collingwood » [12] : il est bien connu que Hintikka est injustement méconnu et qu’il devrait être connu davantage.
Le caractère ardu de textes reposant sur des techniques souvent complexes et en évolution rapide – Hintikka tire l’essentiel de ses résultats de l’analyse des implications philosophiques de problèmes techniques – n’est pas le seul obstacle que le lecteur est susceptible de rencontrer. Si ses livres passent de main en m ain au sein d’un cercle étroit, jouissant d’une réputation solide à l’intérieur de ce cercle, son œuvre ne fait actuellement l’objet, dans l’espace francophone, d’aucune monographie détaillée. Le lecteur chercherait en vain une « Introduction à la pensée de Hintikka » dans l’une ou l’autre des collections vers lesquelles il se tourne habituellement, ce qui prive du confort et de la facilité d’une vulgate. Le regretter renvoie-t-il à un rêve d’objectivité à l’aune duquel nous nous autoriserions à prendre en défaut le tropisme constructionniste de certains des interprètes actuels, tropisme réputé être un invariant de l’histoire de la philosophie ? D’une part, il est vain de nier qu’il est de notre intérêt de disposer, pour des œuvres d’envergure dont il n’est pas rare que l’étude prenne dix ou vingt ans, de synthèses érudites, puisque c’est à cela que se mesure leur rayonnement académique. D’autre part, Hintikka tord le cou aux méthodes herméneutiques en interprétant le fait de nier la possibilité d’une évaluation objective des systèmes philosophiques du passé comme un corollaire du dogme du langage comme médium universel, qu’il combat. D’après lui, les tenants d e l’approche modèle-théorique du langage ont raison d’estimer qu’ils peuvent s’émanciper de leur propre système conceptuel pour en connaître d’autres, se donnant par là la possibilité de reconstruire l’histoire de la philosophie sur la base de méthodes rationnelles et logiques éprouvées (par exemple, au moyen d’un test visant à établir la position des uns et des autres quant à la vérité) [13]. Il en va du combat pour une méthode philosophique rationnelle [14]. Que l’on nous permette donc de rectifier une idée reçue : si Hintikka a lui-même assumé, vis-à-vis de Wittgenstein, le caractère excessif et transgressif des interprétations qu’il avançait, leur caractère de « vérité et demie » [15], il est évident qu’il n’y a « hétérodoxie » que du point de vue de ceux qui ne partagent pas ses conceptions du langage et de l’histoire de la philosophie, et que c’est, entre autres motifs, au nom de sa propre orthodoxie qu’il bat en brèche les interprétations concurrentes de Wittgenstein.
Mais quel que puisse être l’intérêt méthodologique général de cette approche de l’histoire de la philosophie, il nous faut porter une attention particulière au fait que, faute d’une vue d’ensemble, la dispersion matérielle des textes accroit, pour les lectures qui sont faites de l’œuvre de Hintikka, le risque d’un manque d’exhaustivité. Dans ces conditions, tout commentaire repose sur le pari que le corpus sélectionné suffira ; il en va souvent ainsi lorsqu’il s’agit de recycler s es analyses en de nouvelles, sans chercher à fournir cette vue d’ensemble q ui manque dans son cas précis. Un bon exemple de cette difficulté est offert ici même, avec la traduction inédite d’un texte de Hintikka et de Sandu sur la métaphore. La prise en compte des problèmes auxquels il ouvre, et les déplacements qu’une lecture attentive de ce texte invite à opérer par rapport aux idées développées dans Anaphora and Definite Descriptions (1985) [16] et dans On the Methodology of Linguistics. A Case Study [17] (1991), sont susceptibles d’éclairer d’un nouveau jour la linguistique hintikkienne.
Dans les Fondements d’une théorie du langage (1994), Hintikka tire les conséquences de son opposition à la notation canonique en logique, et à certains des présupposés qu’elle recouvre (linéarité, compositionnalité) [18]. Le rapport au langage naturel en sort bouleversé. Il est d’usage de dire que la logique, réservée à l’administration de la preuve scientifique, supprime les ambiguïtés contextuelles des phrases du langage naturel et constitue une langue autonome procédant par abstraction, analyse, formalisation et symbolisation [19], et n’entretenant ainsi qu’un lien limité avec les préférences linguistiques des humains – leurs façons effectives de communiquer [20]. George Lakoff a résumé cette position : « la découverte et le développement de la logique symbolique peuvent être considérés en partie comme la découverte [du fait] que les régularités mises en jeu dans le raisonnement humain ne peuvent être énoncées en termes de formes de surface des phrases du langage naturel. À la place de cela, on a besoin de formes logiques spéciales contenant des quantificateurs, des variables, etc. Pour contrôler l’exactitude d’un argument il faut associer chaque forme de surface de chaque phrase d’une langue naturelle avec une forme logique correspondante, et les règles de la logique s’appliquent aux formes logiques, et non aux formes de surface [21]. » La logique permet donc d’exprimer un contenu (formel) en écartant les ambiguïtés des langues naturelles. Or, si, pour Hintikka « la vérité logique, ou validité formelle, peut […] être atteinte comme cas limite de vérité matérielle dans tous les mondes possibles [22] », son projet de renouvellement du logicisme implique de s’écarter de cette conception limitative de la logique. Hintikka réactive un lien que, selon les puristes dont il se démarque, l’on croit à tort exister entre langage naturel et logique élémentaire, et se réserve le droit d’analyser les connexions qui surviennent aux points de recoupement de la logique formelle, de la naturalité éventuelle de certains de ses mécanismes et de nos préférences communicationnelles effectives. Du côté de la logique elle-même, un tel programme implique que « les jeux envisagés par Hintikka valent d’abord pour le monde réel. Ce sont des “ activités effectives, non symboliques, de recherche et de découverte ” [voir Fondements, note 1 page. 149] [23] », redimensionnement qui, parce qu’il engage la vérité matérielle, entérine la distinction entre jeu d’intérieur (jeu de preuve inférentielle) et jeu d’ex térieur (jeu de découverte et de recherche de la référence) [24]. Mais du côté du langage naturel, le bouleversement n’est pas moins profond, dans la mesure où il appelle à se tourner vers l’étude du langag e naturel et des mécanismes garantissant son expressivité.
De son propre aveu [25], Hintikka n’a que très peu abordé le problème du langage figuré. À l’évidence, il ne possédait aucun des outils qui permettent de décrire efficacement le pouvoir expressif et référentiel du langage littéraire, comme le montre son essai sur Virginia Woolf [26]. À condition toutefois de prendre du recul vis-à-vis des textes, l’existence d’une étude consacrée au langage figuré devient, avec l’essai de Hintikka et de Sandu – « Metaphor and Other Kinds of Nonliteral Meaning » (1994) –, hautement significative dès lors que nous reconnaissons, au-d elà du fait qu’une philosophie se doit de prendre en compte tous les champs de l’expérience humaine, l’indispensable intégration du langage non littéral – la poésie, la littérature – dans une théorie du langage digne de ce nom, intégration sans laquelle ladite théorie resterait incomplète [27]. Expliquons ce point plus en détail.
Nos réserves à l’égard d’une partie des travaux de philosophie du langage reposent sur le rejet d’au moins deux présupposés. Le premier de ces présupposés est l’idée que le langage non littéral est un sous-produit, tantôt dénoncé comme austère tantôt comme fantaisiste, du langage naturel, qui résiste à tout formalisme [28]. Il fait alors l’objet de condamnations (implicites ou explicites), voire d’une mise en quarantaine. Le second de ces présupposés, dont on peut se demander s’il découle du premier ou s’il le conditionne, est le rejet, le plus souvent implicite cette fois, de l’objectivité des faits stylistiques : il est fréquent de passer sous silence les faits de style, et c’est bien leur objectivité qui, aujourd’hui encore, fait problème, même si le coefficient d’objectivité de certains de ces faits est souvent peu élevé, en raison d’un seuil de perceptibi lité trop élevé pour le lecteur moyen (des instructions interprétatives métatextuelles peuvent aider, à condition d’y être réceptif [29]). Si de nombreux phénomènes familiers sont impensables dans le cadre d’une théorie donnée, que peut-elle bien valoir ? La persistance de ces deux problèmes dans l’esprit de nombreux philosophes découle d’un défaut d’analyse qu’accentue la non-maîtrise d’outils linguistiques et stylistiques pourtant indispensables. À force de la tenir – officieusement, cela va sans dire – pour une forme de pensée seconde (car analogique, associative, illogique, subjective, dénuée de sens au plan scientifique, non référentielle), on a fini par considérer que la langue poétique ne méritait qu’un traitement proportionné à ce rôle subalterne. Ce jugement illustre « la conception traditionnelle du style [qui] présuppose nécessairement une forme d’équivalence référentielle et sémantique entre des agencements discursifs différents […] Or, une telle vision du processus de stylisation se heurte à des difficultés méthodologiques rédhibitoires : en effet, elle dissocie artificiellement la “pensée” de la “langue” en vertu du postulat que la première préexisterait à la deuxième, et induit à croire que la langue littéraire ne ferait que refléter un référe nt qu’elle contribue en réalité à informer [30][31]. » Il faut, tout au contraire, reconnaître que « le style repose sur certaines “ manières de dire ” qui doivent être “ appréhendées intrinsèquement comme des manières de penser ” 31 ». L’étude que Hintikka et Sandu consacrent à la métaphore fait-elle mieux sur ce point que l’essai sur V. Woolf ? Incontestablement, même si elle souffre d’importantes lacunes.
Cet hapax dans l’œuvre (il connut toutefois deux versions successives [32]) a ceci de révélateur qu’il aide à la formulation de deux questions qui peuvent légitimement présider à une lecture des écrits de Hintikka. La première question – qui présuppose d’être ouvert aux formes de savoir alternatives, en particulier à l’art, – est celle que nous venons d’évoquer, la nécessaire prise en compte du langage figuré dans une théorie globale du langage, et dont la possibilité même, chez Hintikka, semble avoir résulté d’une évolution complexe dont le point culminant est la thèse qu’il n’est pas possible, au contraire de ce qu’affirment les tenants du principe de compositionnalité, de « maintenir unis » la syntaxe et la sémantique [33]. Ce dont Hintikka (et Sandu) semblent avoir eu (Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, p. 151-187). l’intuition dans de nombreux textes, mais pas dans ce texte-ci puisqu’il en contredit la possibilité en se détournant de l’idée d’une application directe de GTS à la sémiostylistique, c’est que le concept d’indépendance informationnelle, solidaire d’une conception non compositionnelle et contextuelle de la signification, pourrait bien constituer la clé de voûte d’un nouveau genre d’analyse du langage [34]. Lucide, N. Lavand déclare à ce propos que, « le point de vue modèle-théorique sur le langage, qui a ouvert la voie à l’analyse de la quantification en termes de jeux – et donc, indirectement, à la logique IF via le concept d’indépendance informationnelle – est prometteur d’une véritable renaissance d e l’analyse logico-linguistique […] [35]. » De cette renaissance possible nous avons acquis la conviction en lisant les Fondements d’une théorie du langage (1994), compilation dont l’essai sur la métaphore est absent, bien qu’on le retrouve quatre ans plus tard en clôture du volume 4 des Selected Papers consacré à la philosophie du langage et à la linguistique [36]. Il se pourrait en effet que certains volets de l’analyse hintikkienne du langage naturel puissent aussi servir à décrire, dans le cadre de la sémantique des jeux, l’activité schématisante du langage figuré, schématisme qui va bien au-delà de la seule modél isation du référent si l’on accorde que le langage figuré conditionne l’émergence des principes d’une organisation (finalisée) du savoir humain [37].
L’expressivité d’un langage ne se réduisant pas à l’inventaire de ses formes, il semblera peut-être surprenant d’inc iter à comparer les pouvoirs respectifs de la logique et de la sémiostylistique, mais nous sommes justement poussés ici, comme dirait Wittgenstein [38], par l’instinct et par la certitude d’une affinité entre l’approche hintikkienne du langage naturel et une stylistique globale rompue au démontage et remontage des modèles textuels à des fins de rendement sémiotique et sémantique. Car, si « les langages du premier ordre ne constituent pas des cadres naturels de représentation sémantique des langages humains effectifs [39] » comme le soutient Hintikka, nul ne s’étonnera que l’effet de cette première dualité soit de nous confronter au développement de ce que Claude Imbert décrit comme « plusieurs systèmes [d’expression] qui s’entretiennent de leur rivalité et de leur imparfaite équivalence [40] ». Celle-ci a d’ailleurs montré comment, dans le TLP, le fossé entre les grammaires des univers mathématiques, d’un côté, et les grammaires des univers catégoriaux, de l’autre [41] est matérialisé par un double saut : le choix du format propositionnel du penser (« La pensée, c’est la proposition douée de sens », TLP 4), affiché au départ, doit être rapporté à cette expérience anthropologique de la complexité organique du langage (4.002) qui explique la rédaction ultérieure des Investigations philosophiques [42][43]. Or, Hintikka, poussé par son intérêt pour une sémantique dynamique et voyant lui aussi en la réalité de l’express ion une évidence anthropologique, a tout l’air d’avoir conduit une « analyse différentielle des jeux de langage 43 » dont le résultat constitue une puissante alternative à la seconde philosophie de Wittgenstein : dans les Fondements, l’analyse logico-linguistique de cas d’indépendance informationnelle à partir de GTS semble précisément faire affleurer le principe d’une altération des structures d’expression dans l’observation du passage d’un mode d’expression à l’autre. Quoi qu’il en soit, le fait de poser la question du fonctionnement sémiostylistique du langage suggère de confronter les méthodes des différentes disciplines que nous avons mentionnées à une gamme de plus en plus vaste de constructions du langage naturel, dont le langage figuré – on l’oublie trop souvent – est un point culminant en termes de complexité e t d’insécurité théorique.
Enfin, la lecture de « Metaphor and Other Kinds of Nonliteral Meaning » aide à formuler une seconde question, qui concerne l’évolution de la pensée de Hintikka : comment penser la mutation de la sémantique des notions modales caractéristique des premières œuvres, au nouveau paradigme engendré par la coopération de GTS et de la logique IF ? Cette question découle très naturellement du cadre conceptuel dans lequel s’inscrit l’analyse du sens non littéral. En effet, alors que, dans les Fondements (dont les essais se situent dans la fourchette 1976-1994), la sémantique des mondes possibles est presque totalement absente, Hintikka et Sandu déclarent :
- « Nous avons atteint maintenant un point où nous pouvons formuler la première thèse maîtresse de cet article. Ce n’est rien de moins qu’une caractérisation de la métaphore (du sens métaphorique). Le sens métaphorique est le sens non littéral qui utilise les lignes de sens tracées par similarité par opposition aux lignes de sens fond ées sur d’autres considérations, comme la continuité. » (section 6, p. [156-157])
On voit, et il suit également de ce que nous avons dit plus haut, que Hintikka et Sandu, en appliquant au langage figuré l’idée qu’une théorie de la signification se réduit à une théorie de la référence multiple, s’élèvent à une position rarement occupée qui a pour conséquence le retour à la sémantique des modalités : c’est à la théorie des mondes possibles et au problème de la transworld identification, non à GTS, qu’il est fait appel, en raison de la volonté des auteurs de s’inscrire dans l’esprit de l a distinction jakobsonienne entre axe paradigmatique et axe syntagmatique (voir traduction, section 23). Comme le précisait déjà J.-C. Dumoncel en 1981 dans un article intitulé « Sur les fondements métaphysiques de la sémantique modale [44] »,
- « Les logiciens philosophes qui pratiquent la sémantique des mondes possibles ont leur croix. C’est le problème de savoir comment un individu peut être identifié d’un monde possible à un autr e (puisqu’il est clair que la définition leibnizienne de l’identité, EIxy C x y, ne fonctionne pas ici). Autrement dit : comment tracer la ligne qui relie un individu à lui-même d’un monde possible à un autre : ce que David Kaplan appelle une « transworld heir line » ? En réponse à ce problème, Hintikka propose un critère très intuitif : « continuité plus similarité » (The Intentions of Intentionality, p. 30). »
Or, deux approches principales sont proposées dans « Metaphor » quant à ce qui constitue ces « lignes de mondes d’identific ation inter-scénarios » : « les deux approches disent que l’interidentification a lieu (1) par continuité ou (2) par similarité [45]. » Selon eux, l’approche (2) permet d’obtenir une caractérisation de la métaphore distincte de celle de la métonymie [46].
Le seul exemple de l’unique essai consacré au langage non littéral suffit donc à énoncer le problème le mieux à même d’articuler les contributions rassemblées dans ce numéro : celui du passage de la logique épistémique de première génération (the first-generation epistemic logic) à celle de seconde génération (the second-generation e. l.), avec les changements d’échafaudage théorique que cela entraîne, et non sans une évidente continuité, puisque l’idée d’interpréter des quantificateurs à partir des knowledge-seeking activities et non plus des model sets, a été exposée en 1971 [47]. Parce que l’analyse du rapport intentionnel à l’objet ne se démarquait pas suffisamment d’une conception statique de la connaissance, le modèle interrogatif de l’enquête exposé dans Socratic Epistemology offre une approche résolument dynamique de notre appareil conceptuel dans sa quête d’informations, et pas seulement en raison de son caractère proc essuel (contexte variable, connaissance partielle et instable). La notion de « stratégie », qui suppose la mise en œuvre de processus finalisés ou orientés (goal-directed processes), et le paradigme stratégique qui fut naguère opposé à Chomsky dans « Paradigms for Language Theory » (1990) au moment où était proclamée la destitution du paradigme récursif, jouent le rôle de pivots dans ce « saut générationnel », tout en autorisant un certain détachement vis-à-vis de GTS. Hintikka écrit :
- « The most important aspects of epistemology illuminated by the interrogative model are likely to be the strategic ones. Considering inquiry as a question-answer sequence enables us to theorize about entire processes of inquiry, including strategies and tactics of questioning, not only a bout what to do in some one given situation. […] The strategic viewpoint can be dramatized by considering interrogative inquiry as a game. However, an explicit use of game-theoretical concepts and conceptualizations is not necessary for most of the philoso phical conclusions… [48] » Hintikka ne cache pas que notre conception de l’épistémologie va se trouver profondément transformé e par l’adoption du point de vue stratégique (strategic viewpoint) [49]. Car, comme il l’explique au seuil de ce dernier livre, l’épistémologie souffre de la position de repli, souvent adoptée, qui consiste à dissocier contextes de découverte et contextes de justification. Selon l’approche incriminée, aucune règle ne peut être donnée des contextes de découverte, ceux-ci étant considérés comme « inaccessibles à l'analyse rationnelle épistémologique et logique » (inaccessible to rational epistemological and logical analysis) [50] » : seuls les contextes de justification peuvent être théorisés puis qu’on ne peut justifier que l’information que nous avons déjà. Dans la mesure où, selon lui, aucune théorie complète de la justification ne saurait exister indépendamment d’une théorie de la découverte, Hintikka s’emploie à montrer qu’une « logique de la découverte » est non seulement possible mais est déjà à l’œuvre partout où le savoir s’accroît. C’est parce qu’il y voit un changement de paradi gme au sens de Kuhn qu’il parle de « saut générationnel » [51], et ce saut, ce passage d’une génération de logique épistémique à l’au tre, s’explique par l’importance méthodologique (due à leur généralité et à leur autonomie) des notions clés de la philosophie formelle :
- « The crucial concept in this generational jump is the notion of informational independence, which thus emerges as the key idea in the logic of knowledge. It is clearly impossible to develop a general logic of knowledge without the help of the notion of independence. This role of the notion of independence has some methodological interest of its own. It turns epistemic logic into an ally in the revolution in ordinary non-epistemic logic that has been instigated by the same notion of independence. This notion is in turn possible to formulate only if we are using some form of game-theoretical semantics. Whatever successes the second-generation epistemic logic can score therefore provide evidence of the usefulness of game-theoretical concepts in logic. At the same time, the second-generation epistemic logic provides evidence of the importance of the notion of independence in general, including its prevalence in the semantics of an actual “ordinary” working language [52]. » what could be. »
Rien d’étonnant, donc, à ce que Paul Gochet ait salué dans ce dernier opus une synthèse des résultats de Hintikka en « logique épistémique, logique érotétique et épistémologie [53] ». Les questions qui viennent d’être soulevées sont loin d’épuiser le contenu d es contributions rassemblées dans ce numéro, qui n’est d’ailleurs pas organisé, sous forme de dossier autour du texte de Hintikka et Sandu que Jean-Claude Dumoncel a bien voulu traduire pour l’occasion. Bien que la question des modalités (aléthiques, épistémiques ou déontiques) y apparaisse à de nombreuses reprises, « Penser avec Hintikka » – dont le titre répond à d’incertaines « Études hintikkiennes » [54] – nous entretient de questions topiques qui, à défaut de pouvoir couvrir tout le champ des sujets qu’il traita au cours de sa carrière, donnent un aperçu de l’étendue de s problèmes sur lesquels il a enquêté et travaillé. Nous présenterons les études sélectionnées, au nombre de huit, dans l’or dre chronologique des textes de Hintikka auxquels elles se référent, en commençant par celle qui se rapporte à ses premiers travaux en logique modale.
En nous invitant à examiner trois textes de jeunesse – « Two Papers on Symbolic Logic » (1955), « Modality as Referential Multiplicity » (1957) et « Quantifiers in Deontic Logic » (1957), Gabriel Sandu, en même temps qu’il contextualise les premiers travaux de Hintikka en logique modale et rappelle leur dette à l’ég ard de G. H. von Wright, présente une étude minutieuse de la façon dont le jeune logicien, dans son traitement de la quantification, échafaude le concept d’ensemble modèle (model set). Comme le rappelait Dale Jacquette en 2005, Kripke et Hintikka développèrent à peu près en même temps mais indépendamment l’un de l’autre une sémantique pour la logique modale, agréant tous deux l’hypothèse de base selon laquelle la notion de monde logiquement possible pouvait être interprétée comme un ensemble de propositions maximalement consistant. Ces formalismes ne furent pas sans effet : « The emergence of a powerful mathematical method for interpreting modal logic made a deep impression on the analytic philosophical imagination in the second half of the twenty century [55] ». Délaissant les textes plus tardifs et mieux connus, Gabriel Sandu fait le choix, en revenant à des études des années cinquante, de saisir à la source cet effort de formalisation, en nous montrant d’une part comment l’idée d’ensemble de propositions maximalement consistant guide l’élaboration de la notion d’ensemble modèle, et comment d’autre part la volonté d’étendre ce premier formalisme aux énoncés modaux – c’est-à-dire aux énoncés comportant des opérateurs modaux prenant en charge les contextes non extensionnels – a donné naissance à la notion hintikkienne de monde possible. Cependant, la démonstration de Sandu a pour résultat de faire voir que, sur la base de la distinction entre modèle et ensemble modèle, et en dépit du lien qui existe chez Hintikka entre la notion modèle-théorique de satisfiabilité et celle d’ensemble modèle, sa tentative de généralisation de cette dernière notion aux énoncés modaux s’écarte de la voie modèle-théorique normale qui, sous une autre étiquette, consistera bientôt à interpréter la logique modale à partir de la notion kripkéenne de modèle pour une formule modale A. Les similitudes entre les deux auteurs sont donc trompeuses.
Pensant que toute sémantique repose sur la relation d’une phrase à ses modèles [56], Hintikka se donne un ensemble d’énoncés λ, et appelle « modèle de λ » l’ensemble des énoncés vrais de λ. Mais s’il conditionne la satisfiabilité au fait d’avoir un modèle (λ est satisfiable seulement s’il a un modèle), il délaisse la notion de modèle elle-même et porte son attention sur les ensembles de formules satisfiables : un ensemble λ de formules satisfiables doit remplir 5 conditions (CO-C4), et, stricto sensu, Hintikka appelle ensemble modèle tout ensemble qui remplit ces conditions – ce qui en fait la description partielle d’un « monde possible ». D’où le Théorème I du texte de 1955 : « Un ensemble de formules est satisfiable si et seulement s’il peut être intégré dans un ensemble modèle ». Les deux textes de 1957 s’efforcent ensuite d’étendre la notion de satisfiabilité à des ensembles de formules comportant des opérateurs modaux – qu’ils soient aléthiques, épistémiques ou déontiques. Sandu insiste sur l’une des idées les plus importantes de « Quantifiers in Deontic Logic » et qui justifie l’introduction de la notion de système modèle : « la satisfiabilité d’un ensemble d’énoncés comportant des notions modales nous oblige à considérer des ensembles d’ensembles de formules, c’est-à-dire des ensembles d’ensembles modèles mutuellement reliés par une relation d’accessibilité », l’introduct ion d’opérateurs modaux s’accompagnant de contraintes particulières pesant sur la relation d’accessibilité (dite de co-permissibilité, en logique déontique). À en croire Hintikka lui-même, cet article de 1957 fut à l’origine d’une nouvelle théorie de la logique modale dont le manuscrit, jamais publié, est perdu. La comparaison avec Kripke, mais aussi certaines observations et le témoignage de Simo Knuuttila, permettent néanmoins à Sandu d’avancer la thèse suivante : parce que les règles formulées à l’époque par Hintikka n’étaient pas destinées à définir la vérité mais à construire un modèle dans lequel certaines formules sont vraies, l’absence de cadre modèle-théorique adéquat (la vérité dans un monde possible) ne lui permit pas de généraliser la notion de satisfiabilité pour la logique modale.
Dans « Règles de logique, règles de discours. La pragmatique de la connaissance selon Hintikka », Fabien Schang revisite Knowledge and Belief (1962) en mettant en évidence la vraie nature du discours épistémique en général. Dans cet ouvrage séminal, Hintikka s’intéressait aux complexités sémantiques des attributions de croyance et de connaissance, et en codifiait la logique. Mais alors que ce dernier considérait que la solution au « Paradoxe de Moore » résidait dans la traduction formelle des assertions en termes de modalités épistémiques, F. Schang en approfondit un peu plus la dimension pragmatique. En effet, le format paradoxal imaginé par G. E. Moore – « p, mais je ne crois pas que p » – repose sur une distinction entre énonciation à la troisième personne et énonciation à la première personne qui invite à s’intéresser à la pragmatique du discours. Le paradoxe selon lequel je ne puis, sans paraître inconséquent, affirmer ne pas croire q uelque chose que j’asserte (« Il pleut, mais je ne crois pas qu’il pleuve » est l’exemple le plus communément donné), repose sur l’éventualité de l’inconsistance qu’il y aurait à désavouer la croyance que p au moment même où j’exprime p. Cela incite à penser que l’expression de la croyance (B p ou B je p) aurait un rôle logique comparable à celui de l’assertion (⊢ p), et qu’ainsi le sens d’une proposition ne serait pas indépendant de la force qu’elle véhicule. Se peut-il que, lorsque nous croyons ou doutons, nous ne puissions pas séparer l’assompt ion (i.e. le contenu de pensée) exprimée par « – p », et l’assertion de p, symbolisée par « ⊢ p » ? Une comparaison avec des formes non asserto riques d’acte de langage comme l’interrogation (« ? – p ») et l’ordre (« ! – p ») renforcera peut-être, dans l’esprit de certains, l’idée qu’il est possible de considérer isolément le radical (non asserté) de ces phrases (« – p » est ce radical) et qu’ainsi des actes de langage différ ents peuvent partager un même contenu propositionnel – cette composante descriptive susceptible de vérité ou de fausseté. Parce que, d’un point de vue logiq ue, le schéma énonciatif véhiculé par le « Paradoxe de Moore » n’est pa s contradictoire, et qu’il plaide en faveur de l’idée qu’il existe des façons pragmatiques de se contredire, la question de l’autonomie du sens vi s-à-vis de la force illocutoire s’avère essentielle pour qui souhaite s’aventurer à le résoudre. La contribution de F. Schang, qui, conformément à l’intention première de Moore, ne croit pas qu’une sémantique de la proposition puisse à elle seule expliquer les actes de langage, a pour but d’éclairer la signification du concept de connaissance en tant qu’acte de discours, en traitant su ccessivement, au fil des sections, de différents concepts liés à la mise en œuvre d’un langage visant la connaissance ou la croyance : véracité, sincérité, énonciation, présupposition, introspection, etc. Sa systématisation de l’approche illocutoire, qui fait des valeurs de vérité des objets structurés associés à des énoncés, plutôt que les propriétés uniques de propositions, nous incite à dépasser l’approche mi-cognitive ou locutoire (le concept de connaissance repose sur la notion de justification) et mi-performative ou illocutoire (le concept de connaissance repose sur la notion d'assertion) à laquelle Hintikka s’arrêta en 1962. Dans « L’échec de l a généralisation existentielle chez Hintikka. Un argument en faveur de l’interprétation non rigide des noms propres », Matthieu Fontaine présente les principaux enjeux formels et philosophiques de la logique modale quantifiée telle que l'envisage Hintikka, enjeux relatifs aux problèmes qu’occasionnent les contextes intentionnels générés par la combinaison des opérateurs épistémiques et des quantificateurs. Les sections 1 à 3 présentent les fondements standard de la logique modale quantifiée et un certain nombre de problèmes très classiques qu'ils posent. Pour commencer, l’introduction d’opérateurs intensionnels dans le langage rend invalides les trois inférences que sont la substitution des identiques, la généralisation existentielle et l’instanciation universelle, pourtant caractéristiques de l’usage correct des constantes individuelles et des quantificateurs en logique du premier ordre. Dans Knowledge and Belief (1962), Hintikka considère, contrairement à Quine, qu’il est important d’autoriser la quantification dans des contextes opaques sous peine d’engendrer de nouveaux paradoxes. La thèse fondamentale de Hintikka est que les contextes intensionnels exigent de prendre en compte les alternatives épistémiques à une situation donnée (et donnée pour réelle, en général), ce qui, pratiquement, revient à considérer l’ensemble des scénarios compatibles avec ce que le sujet dit ou pense. La résolution du problème initial suppose donc la mise en place d’une structure modale (section 2). Puisque, dans une telle structure, la signification d’une constante individuelle doit être étendu e aux références qu’elle peut avoir dans les différents mondes possibles, il y a multiplicité référentielle : « les attributions d’attitudes propositionnelles expriment bien une relation, mais c’est une relation à une multitude d’individus relativement à un e pluralité de mondes possibles. » (fin de la section 3). Les sections 4 à 6, qui constituent le second volet de cette étude, exposent la solution des lignes de mondes (world lines) proposée par Hintikka. Dès lors que les constantes individuelles, dans les contextes intensionnels, peuvent ne renvoyer à aucun individu existant, mais qu’elles peuvent aussi ne pas toujours désigner le même individu, le diagnostic qui est dressé d e l’échec des inférences mentionnées au début conduit à reconnaître le fait suivant : « Les logiques libres de présuppositions ontologiques constituent en fait un cas particulier des logiques libres de présuppositions d’unicité de la référence. » La question à laquelle il faut alors répondre est celle de l’identité à travers les mondes. Pour Hintikka, c’est l’occasion de se démarquer de Quine (qui pense qu’on n’échappe ra ici pas à une forme d’e ssentialisme) – et de Kripke (qui résout le problème en postulant un lien rigide entre le nom et sa référence), mais aussi de développer une « sémantique des lignes de mondes », i.e. une conception des individus dans une structure modale qui, tout en en étant indépendante, présuppose une discussion serrée des critères d’identification. C’est la r aison pour laquelle, après être parti de la question des présupposés d'existence et d'unicité des termes singuliers (le premier étant pris en charge par les conditions de généralisation mises en avant par les logiques libres et le second étant pris en charge par ces fonctions « cross-mondaines » que sont les individus), Matthieu Fontain e, d’une part, précise que le discours modal, conformément à une proposition de Tero Tulenheimo ayant fait date, ne peut avoir de sens que si l’on présuppose que la notio n d’individu (modal) est irréductible aux objets (locaux) apparaissant dans les différents mondes, et, soutient d’autre part la thèse suivante : « Les individus ne font pas partie d’un monde possible en particulier. Ils font partie de la structure modale relativement à laquelle est définie la sémantique du langage modal. » Dans la foulée, cette structure modale est définie formellement, et l’auteur résume lui-même l’articulé de ces questions dans le résumé qui clôt la section 6 : « L’étude de […] critères [d’identification] ne relève pas de la sémantique ou de la logique, mais de considérations épistémologiques et cognitives […]. Pour définir la sémantique, on n’a donc pas besoin de déterminer quels sont ces critères. On peut se contenter de les présupposer. […] Bien que les deux tâches (sémantique et épistémologique) soient différentes et puissent être réalisées indépendamment l’une de l’autre, elles n’en demeurent pas moins complémentaires quant à notre compréhension de l’intensionalité. ». En précisant quelle logique des noms propres est adaptée à la sémantique qui vient d’être définie, les sections 7 et 8 reprennent alors, à partir de Hintikka, les problèmes que Kripke traite depuis la théorie alternative des désignateurs rigides.
Dans « Hintikka, la perception et ses objets », Manuel Rebuschi part d’une situation idéalisée. Irène se trouve dans une pièce dont nous supposons qu’elle est meublée de façon spartiate : un bureau, une lampe, un ordinateur, deux livres, une tasse. Si derrière l’écran est posé un stylo (autrement dit, s i la présence réelle d’un certain objet est dissimulée par l’opacité des corps matériels), bien qu’Irène ne puisse voir la région spatiale cachée derrière l’écran, ce qui n’est pas perceptible peut encore être pensé soit comme existant soit comme inexistant, mais à titre de constituant d’un monde possible compatible avec ce qu’elle perçoit effectivement : par exemple, le fait de ne voir aucun stylo implique l’existence d’au moins un scénario (en fait, plusieurs), compatible avec sa perception, où dans les faits l’écran ne dissimule rait pas de stylo. Cet exemple sert de tremplin à un exposé et à une discussion de la logique de la perception échafaudée par Hintikka dans « On the Logic of Perception » (1969) [57][58]. La logique de la perception, développée dans la continuité de la logique épistémique de première génération, permet d’étendre l’analyse des attitudes propositionnelles à des termes perceptuels comme voir, percevoir, entendre, sentir, moyennant une réécriture des énoncés de perception (« Je vois X »), de la forme VP+COD 58, en constructions propositionnelles de la forme « Je vois que X » : percevoir, c’est percevoir que p (p disant X) – ce qui est évidemment contradictoire avec l’idée selon laquelle la perception serait une relation physique ou physiologique naturelle et fiable [59] entre celui qui perçoit et l’objet perçu. On obtient, à titre d’embrayeur, la définition suivante : « a perçoit que p si et seulement si dans tous les mondes (états de choses) possibles compatibles avec ce que perçoit a, c’est le cas que p. » L’un des présupposés de la tentative hintikkienne de modélisation de l’expérience perceptive est donc la thèse selon laquelle, précise M. Rebuschi, « les termes perceptuels expriment des concepts modaux, au même titre que les verbes épistémiques (savoir) et doxastiques (croire). » Hintikka avait donc toutes les raisons d’étendre à la perception son traitement forme l des modalités. En effet, les contextes modaux et les contextes d’attitude propositionnelle partagent un même trait : leur caractère intensionnel, dont témoigne l’échec des deux règles que sont la substituabilité des identiques et la généralisation existentielle, caractéristiques des contextes extensionnels. C’est donc cet autre parallèle, d’ailleurs esquissé dans « On the Logic of Perception », qu’il convient de consolider : tandis que, d’un côté, les attitudes propositionnelles ont pour particularité d’être fondées sur l’état subjectif de nos informations et d’interroger les mondes possibles compatibles avec ce que nous croyons (opérant ainsi une réduction des mondes aléthiques aux mondes épistémiques), du côté de la perception, l’individuation de Ralph debout sur la jeté e, par exemple, semble tour à tour pouvoir être lue comme sensible au mode de présentation de Ralph (usage intentionnel du verbe de perception) et comme accès direct à l’individu physique qu’est Ralph (usage matériel du verbe de perception), selon une distinction introduite par E. Anscombe dans « The Intentionality of Sensation: A Grammatical Feature » (1965) [60]. Or, distinguer entre les usages des verbes de perception relève de l’interprétation des termes perceptuels au sens où l’usage intentionnel dont il est question suppose de pouvoir se libérer de la référence aux faits. C’est la raison pour laquelle la suite de l’article traite à la fois du non-recouvrement de la distinction d’Anscombe et de celle de Hintikka entre modes d’individuation physique ou perceptuelle, et du problème de la perte de la factivité en différents paliers. En effet, si l’on veut autoriser l’erreur perceptive, il faut lever la contrainte que représente la factivité, qui est l’obligation de faire référence à des faits établis (on ne voit que ce qui est). Manuel Rebuschi souligne que, tout en restant neutre vis-à-vis de la question de la factivité, la logique moda le permet d’envisager toutes les options. Voilà un premier résultat : la logique modale autorise « la modélisation d’une perception non factive, et d’appréhender les termes perceptuels à la manière d’Anscombe, comme des termes essentiellement intentionnels » ; elle permet surtout de modéliser l’erre ur perceptive. Hintikka a donc développé une analyse inédite de la perception dont le formalisme aurait pu permettre de se libérer de la contrainte du monde actuel et de la factivité, et donc d’analyser les expér iences hallucinatoires.
Dans leur ouvrage Husserl and Intentionality (1982) [61], Smith & McIntyre font de Hintikka leur principal allié dans l’élucidation des rapports de la philosophie analytique à la phénoménologie. Ce rapport, nous dit Jean-Claude Dumoncel a été obscurci par le fait que « la prétendue “phénoménologie” continentale s’appuie de plus en plus fréquemment sur une pseudo-définition de l’intentionalité, alors que le concept d’intentionalité à l’œuvre dans la phénoménologie de Husserl a dû attendre 1967 pour enfin recevoir sa définition en forme grâce à un philosophe de l’école analytique, école présentée par psittacisme comme adversaire de la phénoménologie. » En effet, 1967 est l’année où, dans son article « Intentionality » de l’Encyclopedia of Philosophy (P. Edwards, dir.), Roderick Chisholm, affinant une tentative antérieure [62], offre une définition adéquate de l’intentionalité, que J.-C. Dumoncel résume en disant en substance que A-l’existence de l’objet, ou la vérité de la proposition, ne sont pas requis lorsque le sujet pensant se rapporte à une chose sur le mode intentionel ; et que B-il y a intentionalité si et seulement si il y a relation intentionelle, que l’intention épuise à elle seule l’état du sujet, ou qu’elle soit impliquée, à titre de composante, par une forme d’attention au monde où l’intuition garantit l’accès direct de la conscience à l’objet qui, en droit, la déborde. Autrement dit, étant donné que « le simple rapport à quelque chose ne définit aucunement le psychisme », une bonne définition de l’intentionalité ne peut se satisfaire de la seule directionnalité, et se doit d’articuler trois critères qui sont, i-l’indépendance objectuelle de la pensée ; ii-sa dépendance conceptuelle ; iii-la préservation de la possibilité de l’e xcédent objectuel (rencontre d’un objet réel dont elle n’a pas le concept). En commentant un essai de Hintikka traduit en français en 1995 : « Husserl : la dimension phénoménologique » [63], J.-C. Dumoncel donne les clés de l’interprétation hintikkienne du pro jet husserlien : s’« il y a dans la phénoménologie de Husserl une donation immédiate de certains objets », il convient de reconnaître que seule la quête husserlienne de l’immédiatement donné explique pourquoi une version analytique de la phénoménologie qui, comme celle de Dagfinn Føllesdal, se restreint à établir un parallèle entre le couple Sinn / Bedeutung de Frege et le couple sens noématique / objet de Husserl, laisse irrésolue une grande partie de la question. S’il rejette la « conception autosuffisante de l’intentionalité », c’est parce que, du fait du réalisme que lui-même défend, il est crucial aux yeux de Hintikka de ne pas enfermer la pensée dans l’immanence des noèmes.
Hintikka a apparemment engagé la logique dans un nouveau cycle en procédant à l’intégration d’une zone qu’elle exclut normalement, y joignant des éléments qui y sont a priori rétifs. Tentant un pas supplémentaire, Vincent Berne se propose, dans « Pourquoi, selon Hintikka, la récursivité n’est-elle pas la source de la créativité du langage ? Lecture des Fondements d’une théorie du langage (1994) et de « Metaphor and Other Kinds of Nonliteral Meaning » (1994) », d’évaluer la linguistique hintikkienne du point de vue du langage figuré – un registre auquel le philosophe-logicien est resté dans l’ensemble étranger. Par langage figuré, il faut entendre l’objet de la sémiostylistique ac tuelle, à savoir un langage non littéral qui modélise le référent et dont découle d’importants effets de sursémiotisation ou de sursignification qui contrastent avec le langage familier. La première partie est centrée sur la question de l’indépendance informationnelle et tente de préciser ce qu’apporte l’examen, conduit dans le premier des textes étudiés, de cas d’effacement synt axique jouant un rôle décisif au plan sémantique. La « déduction transcendantale » opérée par Hintikka intervient de façon privilégiée dans la construction des arguments anti-syntaxiques destinés à prouver la supériorité du paradigme stratégique, fondé sur GTS, sur le paradigme récursif incarné pour l’occasion par la théorie du Gouvernement et du Liage de Chomsky. Les notions de dépendance contextuelle et d’indépendance informationnelle, rigoureusement complémentaires, renvoient à une gamme étendue de phénomènes tendant à mo ntrer que la logique du premier ordre n’est pas le cadre naturel de représentation sémantique des langues naturelles, ce qui est une façon de dire que, si l’on fait fond sur l’avènement de la logique IF, les langages « faits pour l’indépendance » sont nos langages fondamentaux. La seconde partie de l’article consiste en un commentaire de l’essai de Hintikka et Sandu sur la métaphore. Si l’auteur a pu penser que cette étude de cas, choisie par Hintikka lui-même, allait permettre de tester l’efficacité théorique et pratique de sa théorie du langage, il montre qu’en réalité il n’en est rien : non seulement le cadre de la sémantique des mondes possibles y déforme la façon dont le langage figuré fonctionne réellement, mais Hintikka et Sandu tentent de soustraire la métaphore au jeu du contexte. Non seulement, sémiostylistiquement parlant, la thèse qu’ils défendent est fausse, mais ils manquent une occasion d’étendre GTS au langage figuré.
Dans « Une note sur la tentative d’internalisation du prédicat de vérité dan s les Principles of Mathematics Revisited de Hintikka », François Rivenc, répondant à certaines recommandations de Hintikka lui-même [64], revient sur la façon dont ce dernier prétend avoir levé l’un des obstacles qui empêchait de dépasser l’universalisme des pères fondateurs de la logique classique. En effet, si le résultat de Tarski concernant les langages formels repose sur des présuppositions qui conviennent mal aux langues naturelles, il permet néanmoins d’atteindre un « métathéorème négatif majeur » concernant notre « colloquial language », et au bout du compte, « ce qui peut être fait au moyen d’une théorie sémantique explicite du langage ordinaire ». Ce métathéorème, cette « malédiction de Tarski », sont à comprendre comme « l’indéfinissabilité de la vérité pour un langage donné dans ce langage ». Si « le résultat de Tarski semble suggérer et même établir une réponse négative à la question d’une définissabilité réaliste et intéressante de la vérité » (PMR, p.48), son importance ne doit cependant pas être « exagérée » (PMR, p. 45). Hintikka soutient en effet que l’indéfinissabilité de la vérité est une conséquence paradigmatique de la thèse plus générale de l’ineffabilité de la sémantique, qui découle directement de l’idée de langage universel qui a dominé les premiers développements de la logique contemporaine. La conclusion de ses travaux a été résumée comme suit : « Ni inexprimable überhaupt, ni indéfinissable dans le langage où elle est mobilisée, la vérité est […] définissable par morceaux, po ur un fragment de langage, dans ce langage même, et la sémantique, loin d’être ineffable, est inexhaustible [65]. » Mais comment ce résultat a-t-il été démontré ? Hintikka a-t-il vraiment prouvé la fausseté de l’idée selon laquelle le concept de vérité pour un langage donné n’est pas définissable dans ce langage même ? Pour répondre à cette dernière question, F. Rivenc se propose de suivre pas à pas les étapes du raisonnement conduit aux chapitres I, II, III et VI des Principles. Cette démonstration mobilise le fer de lance de cette philosophie, la méthode mixte constituée de GTS et de la logique IF. Le principe de compositionnalité et l’interprétation classique de la dépendance entre quantificateurs sont donc à nouveau contestés. Comme l’écrit F. Rivenc, « La possibilité d’une traduction d’un énoncé du fragment ∑ 1 dans un langage IF va se révéler cruciale quand il s’agira de montrer que le pré dicat de vérité pour un langage IF peut être formulé dans ce même langage. » Mais, paradoxalement, la preuve donnée au chap. VI, à première vue concluante, est fragilisée par ce fait surprenant que le caractère si peu intuitif de la définition de la vérité dans le langage de la logique IF du premier ordre conduit Hintikka à renoncer à l’écrire – la définition en second ordre étant, elle, limpide. Voilà donc mise en cause l’équivalence entre la logique IF du premier ordre et un fragment du second ordre. Pas sûr, donc, que la définition « does its job », contrairement à ce qu’affirme Hintikka. Et s’il y a un doute sur ce point, il est alors possible de douter également de l’affirmatio n selon laquelle la logique IF est notre vraie logique élémentaire. Désireux de combler une lacune de la littérature relative aux théories de l’e nquête, Mathieu Marion compare le modèle interrogatif de l’enquête (MIE) de Hintikka et la logique des questions et réponses (LQR) de Collingwood. Les bases du MIE ont été jetées en 1982 dans un article de Merrill et Jaakko Hintikka intitulé « Sherlock Holmes Confronts Modern Logics : Towards a Theory of Information-Seeking through Questioning » qui se saisit du problème de la nature de la connaissance ampliative : par quelles procédures obtient-on de nouvelles informations ? La réflexion de Hintikka sur ce point s’inscrit dans le cadre du débat ouvert par la distinction posée par Hans Reichenbach entre contexte de justification et contexte de découverte : selon cette figure du positivisme logique, il est impossible de formalis er le processus d’élaboration d’une hypothèse, autrement dit, de concevoir une « logique de la découverte ». Mais, comme l’a rappelé Norwood R. Hanson, Peirce n’avait-il pas déjà ouvert à la voie, avec son concept d’abduction, à une analyse formelle du pro cessus d’accroissement de la connaissance ? Le raisonnement orienté vers l’hypothèse recouvrant l’ensemble des opérations qui sont à l’origine des théories et des idées nouvelles, il va de soi que l’abduction anticipe ce qu’il convient d’appeler une « logique » du raisonnement naturel. La question qu’il faut se poser est donc celle-ci : comment s’élabore un tel raisonnement ampliatif ?
Répondre à cette question demande que nous conduisions une critique du modèle hypothético-déductif des lois englobantes qui conçoit l’explication comme tâche déductive et qui, à l’observation d’un phénomène a, répond par la subsomption du cas particulier sous une loi de la forme <math>\forall</math> x (Ax -> B x), moyennant la fixation de conditions initiales. Or, en privilégiant l’inférence hypothétique, le MIE n’a guère besoin de recourir à un tel schéma. Dans Socratic Epistemology (2007), Hintikka propose une logique de la découverte sous-tendue par une activité de questionnement, rivale de la conception purement déductiviste du raisonnement scientifique et qui, dans le même temps, peut l’absorb er. Développer des connaissances présuppose d’autres connaissances susceptibles d’orienter le questionnement et qui interviennent à titre de présuppositions. C’est ainsi que le rapport question / présupposition, dessine le circuit d’une inférence érotétique, au sens de la « logique érotétique » de Wisniewski. Collingwood lui-même parlait d’« efficacité logique », alors même qu’il rejetait la logique formelle. Car ce qui compte le plus ici, nous dit M. Marion, est le fait que « le lien entre la présupposition et la question qui “ se pose » une fois celle-ci établie ” possède dans l’esprit de l’Enquêteur « un caractère objectif (et non psychologique), signifié par l’emploi du mot « “logique” ». L’étude des deux modèles d’enquête que sont le MIE et la LQR dévoilera un fort parallélisme, chacune des idées centrales de Hintikka se trouvant chez Collingwood.
J’adresse mes plus vifs remerciements à Patrick Ducray, qui m’a suggéré l’idée de ce numéro, et à Enrique Utria pour son soutien éditorial. Je veux aussi remercier ceux qui, à des titres divers, ont prêté leur concours à la réalisation de ce numéro, à savoir Jean-Claude Dumo ncel pour la traduction de l’essai de 1994 sur la métaphore, Fabien Schang pour la traduction du texte de Gabriel Sandu sur la logique modale, et François Rivenc pour ses conseils avisés lors de la relecture des versions successives de cette seconde traduction.
Vincent Berne Vincennes, le 15 février 2018
- ↑ 1 Ainsi que le rappellent Manuel Rebuschi et Tero Tulenheimo, « La théorie sémantique des jeux a été originalement conçue comme un outil pour décrire la sémantique des langues naturelles et pour définir les conditions de vérité et de fausseté [i.e. matérielles] des formules logiques », « Des jeux en logique », Introduction à : M. Rebuschi et T. Tulenheimo, Logique & théorie des jeux, Philosophia Scientiae, 2/2004, p. 1-14, p.7.
- ↑ 2 Concernant l’analyse des modalités épistémiques, nous renvoyons à la présentation de Jean-Pierre Belna : « La logique épistémique, créée par Jaakko Hintikka en 1962 […] est une variété de logique modale, qui intègre les notions de savoir et de croyance, de sorte que les propositions y sont qualifiées selon l’attitude propositionnelle de celui qui les énonce. Elle distingue la connaissance au sens strict – “ a sait que p ” – et la simple croyance – “ a croit que p ”. […] Les divers systèmes d’axiomes, encore actuellement en concurrence, contiennent tous deux opérateurs destinés à modéliser l’un la connaissance, l’autre la croyance. La logique épistémique a trouvé des applications remarquables, notamment en sciences cognitives et en informatique. », Histoire de la logique, Paris, Ellipses, 2014, p. 154. Des prolongements récents de cette notion sont discutés dans Paul Gochet et Philippe de Rouilhan, Logique épistémique et philosophie des mathématiques, Paris, Vuibert, 2007.
- ↑ 3 Comme le rappelle Jacques Dubucs, « la théorie des mondes possibles […] n’est pas seulement destinée à fournir une analyse sémantique aux verbes d’attitude propositionnelle, mais […] a également vocation à clarifier et à élucider la nature même de la connaissance et de la croyance, et de l’intentionnalité en général. », « Hintikka et la question de l’omniscience logique », in E. Rigal (éd.), Jaakko Hintikka. Questions de logique et de phénoménologie, Paris, Vrin, 1998, p. 139-148, p. 145.
- ↑ 4 Hintikka a reçu de nombreux prix, dont, en 2005, le Prix Rolf Schock (Logique et philosophie) pour ses contributions pionnières en logique épistémique (voir la note précédente).
- ↑ 5 G. H. von Wright, Introduction à Raymond E. Olson et Anthony M. Paul (ed.), Contemporary Philosophy in Scandinavia, Baltimore / London, The Johns Hopkins Press, 1972, p. 1-12, p. 10.
- ↑ 6 I.e. les propres termes d’E. Rigal dans sa présentation de Jaakko Hintikka. Questions de logique et de phénoménologie, op. cit., p. 38.
- ↑ 7 « La philosophie contemporaine et le problème de la vérité » in Élisabeth Rigal (éd.), op. cit., p. 50.
- ↑ 8 Outre qu’elle s’inspire de la distinction que fait Jean van Heijenoort entre la tradition universaliste de la logique, d’un côté, et la tradition sémantique assise sur la notion d’« univers de discours », de l’autre, Hintikka fait remonter ce partage à une lettre de Tarski où la thèse du langage universel est dénoncée comme incohérente :
- « il reste toujours le problème du langage universel. Il m’apparaît que ce problème a été complètement éclairci par les discussions des Varsoviens (Lesniewski et moi-même) et aussi des Viennois (de Gödel et Carnap) : on ne peut pas s’en tirer avec un langage universel. Autrement, il faudrait renoncer à introduire et préciser les concepts syntaxiques et sémantiques les plus importants (« vrai », « analytique », « synthétique », « conséquence », etc.). »
- ↑ 9 Hintikka rejette pour sa part toute référence à l’idée de système ; voir « Self-profile », in Radu J. Bogdan (éd.), Jaakko Hintikka, Kluwer Academic Publishers, 1987, p. 3-40, en particulier p. 10.
- ↑ 10 Voir The Philosophy of Jaakko Hintikka (The Library of Living Philosophers), Auxier, R.E., and Hahn, L. (ed.), Open Court, 2006, p. 903-947.
- ↑ 11 Nous comptons 485 articles publiés entre 1953 et 2005. Nous comptons également pour la même période cinquante-sept ouvrages publiés, en incluant les ouvrages dirigés et les volumes des Selected Papers.
- ↑ 12 Voir Mathieu Marion, « Le modèle interrogatif de l’enquête de Hintikka, la “logique des questions et réponses” de Collingwood et le raisonnement par abduction », Introduction.
- ↑ 13 Voir sur ce point : Simon Knuuttila, « La conception hintikkienne de l’histoire de la philosophie », in Rigal (éd.), op.cit., p. 68-80, ainsi que la réponse de Hintikka p. 309-312.
- ↑ 14 Voir E. Rigal (éd.), op. cit., p. 36.
- ↑ 15 Voir Ludovic Soutif, « Le Wittgenstein de Hintikka : percées et excès d’une interprétation hétérodoxe », Revue internationale de philosophie 2009/4 (n°250), p. 423-434, p. 423.
- ↑ 16 Anaphora and Definite Descriptions. Two Applications of Game-Theoretical Semantics, (avec Jack Kulas), Dordrecht, Reidel, 1985.
- ↑ 17 On the Methodology of Linguistics. A Case Study (avec Gabriel Sandu), Oxford, Basic Blackwell, 1991.
- ↑ 18 En référence à l’article « Quantifiers vs. Quantification Theory » (Dialectica, vol. 27, n°3-4/1973) qui déclare irrecevable l’hypothèse selon laquelle la logique du premier ordre pourrait représenter les relations sémantiques du langage naturel, G. Sandu résume le caractère arbitraire des schémas gouvernant la quantification en logique du premier ordre : « on ne remarque ordinairement pas le fait que la notation usuelle pour la logique du premier ordre exclut arbitrairement certains schémas (patterns) possibles et parfaitement compréhensibles de dépendance et d’indépendance mutuelle entre quantificateurs. Dans cette notation, chaque quantificateur est associé avec un segment de la formule, qui est sa portée. Il est donc requis que ces portées soient linéairement ordonnées, en d’autres termes il faut ou bien que les portées de deux quantificateurs distincts soient mutuellement exclusives, ou bien que la portée de l’un soit comprise dans la portée de l’autre. Cette restriction est tout à fait arbitraire et peut être abolie. » (p. 180-181).
- ↑ 19 Voir Denis Vernant, Introduction à la logique standard, Paris, Champs-Flammarion, 2001, p. 25-27, et Marc Peeters et Sébastien Richard, Logique formelle, Wavre, Mardaga, 2009, p. 32. Claude Imbert rappelle que la logique frégéenne est surtout nouvelle en cela qu’elle rejette les articulations grammaticales qui « réfléchissaient dans la syntaxe des langues naturelles les césures sémantiques prioritairement catégoriales », Phénoménologies et langues formulaires, Paris, PUF, 1992, p. 304.
- ↑ 20 Contrairement à la sémantique des langages formalisés, la sémantique du langage naturel est difficile à construire, comme le reconnaît Carnap au début de La syntaxe logique du langage. Cette thèse est battue en brèche par la sémantique montagovienne des langues naturelles qui abandonne la logique de premier ordre et développe, dans un esprit modèle-théorique, une grammaire catégorielle incorporant les catégories des grammairiens (verbe, adverbe, préposition, adjectif, etc.) pour lesquelles il lui faut définir les dénotations (dans un modèle), ce qui lui permet de définir une dénotation pour toutes les catégories syntaxiques. Il y a donc bien formalisation, mais à l’intérieur d’une logique spécifique taillée sur mesure pour les langues naturelles. Sur tous ces points, voir Paul Gochet dans « La sémantique récursive de Davidson et Montague » dans Penser les mathématiques (François Guénard et Gilbert Lelièvre, coord.), Paris, Seuil, 1982, p. 73-87.
- ↑ 21 George Lakoff, Linguistique et logique naturelle, Paris, Klincksieck, 1976, p. 129-130.
- ↑ 22 Denis Vernant, op. cit., p. 330. Voir J. Hintikka, Fondements d’une théorie du langage, Paris, PUF, 1994, p. 150.
- ↑ 23 D. Vernant, op. cit., p. 330.
- ↑ 24 Voir la thèse de didactique des mathématiques de Thomas Barrier, Une perspective sémantique et dialogique sur l’activité de validation en mathématiques, Lyon, Université Claude Bernard – Lyon 1, 2009. Dans les Fondements, Hintikka précise : « les jeux de preuve et de contre-preuve en logique formelle sont des jeux d’intérieur, qu’on joue avec une feuille de papier et un crayon, les jeux sémantiques sont des jeux d’extérieur, où l’on cherche et trouve, et que l’on joue entre les objets dont parle une phrase, qu’il s’agisse de personnes, d’objets physiques ou de je-ne-sais-quoi d’autre. » (p. 154.).
- ↑ 25 C’est du moins ce que nous déduisons de la phrase suivante : « Car il me faut bien reconnaître que dans le domaine de l’art et de la littérature, je suis jusqu’ici resté à la surface, « Réponses et commentaires », in Élisabeth Rigal (éd.), op.cit., p. 329.
- ↑ 26 Dans son article sur Virginia Woolf (« Virginia Woolf and our Knowledge of External World », Journal of Aesthetics and Art Criticism, 38, 1979, p. 5-14, traduit dans J. Hintikka La vérité est-elle ineffable ? Paris, L’éclat, 1994, p. 73-94), Hintikka se montre incapable de caractériser le moindre procédé d’écriture, ou ne serait-ce que de nommer le travail stylistique comme tel : il emploie des expressions d’un niveau de généralité qui laissent peu de place au doute, telles que « procédés subtils » (p. 75), « technique narrative » (p. 77), « méthode d’écriture » (p.78), « techniques littéraires requises » (p.78), « procédés littéraires » (p.79), quand ce n’est pas tout simplement « procédure », « technique » (p.82-83, 85, 87-88).
- ↑ 27 Comm e l’a dit Michel Meyer, « la littérature est véritablement le test clé de toute théorie de la signification et du discours. La plupart des conceptions développées depuis un siècle, notamment depuis Frege, s’arrêtent trop souvent au langage ordinaire, référ entiel, sans se préoccuper de la fiction, tout en prétendant d’ailleurs offrir une conception globale » (Langage et littérature, Paris, PUF, 2001, p. 1).
- ↑ 28 En témoignent les tentatives de réduction du langage figuré à l’usage créatif d’assertions fausses (Davidson par exemple).
- ↑ 29 Ilias Yocaris, Style et semiosis littéraire, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 155.
- ↑ 30 Ibid., p. 18-19.
- ↑ 31 Ibid., p. 15.
- ↑ 32 « Metaphor and the Varieties of Lexical Meaning » fut publié en 1990 dans Dialectica (p. 55-77). Le texte dont nous proposons une traduction a été publié en 1994 dans : J. Hintikka (dir.), Aspects of Metaphor
- ↑ 33 Voir « Qu’est-ce que la logique élémentaire ? », in Fondements, p. 291.
- ↑ 34 Voir la déclaration programmatique de Hintikka dans « Self-profile », op. cit., p. 31 : « toutes les structures finies de quantificateurs partiellement ordonnés sont présentes dans les langues naturelles, en ce sens qu’elles sont requises pour donner une représentation sémantique (i.e. des formes logiques) de toutes les phrases d’une langue naturelle (l’anglais, par exemple). » Pour une défense, du point de vue logique, de la manière élégante et intuitive dont la logique IF rend compte de l’indépendance informationnelle, voir Deni s Bonnay, « Independence and Games », in Gerhard Heinzmann et Manuel Rebuschi, Aperçus philosophiques en logique et en mathématiques, Philosophia Scientiae, vol. 9, cahier 2, 2005, p. 295-304.
- ↑ 35 « L’Enquête-Hintikka et la philosophie formelle », in J. Hintikka L'Intentionnalité et les mondes possibles, Presses Universitaires de Lille, 1989, réédité dans une version augmentée d'une postface à Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2011, p. 253. Dans « Jeux et compositionnalité » (in E. Rigal (éd.), op. cit.), Gabriel Sandu rappelle que seule la conception des quantificateurs comme fonctions de choix permet de garantir que l’interprétation d’un quantificateur varie en fonction du contexte et que, donc, l’indépendance contextuelle sémantiq ue étant violée, la compositionnalité le sera aussi (p. 179-180).
- ↑ 36 Voir J. Hintikka, Paradigms for Language Theory and Other Essays. Selected Papers, vol. 4, Kluwer, 1998.
- ↑ 37 C’est ce qu’on peut à la rigueur déduire de ce qui suit : « the systematic use of this notation [un indicateur d'indépendance spécial exprimant l'indépendance d’un quantificateur] results in the first place in what is known as independence-friendly (IF) first-order logic. The use of the slash (independence) notation is not restricted to the usual extensional first-order logic, however. One remarkable thing here is that this notion of independence applies to all semantically active ingredients of a sentence whose semantics can be formulated in terms of a semantical game rule. », Socratic Epistemology, p. 75.
- ↑ 38 Voir Grammaire philosophique, X, § 134.
- ↑ 39 Fondements, p. 333.
- ↑ 40 Claude Imbert, op. cit., p. 306.
- ↑ 41 Ibid., p. 325.
- ↑ 42 La proposition intermédiaire étant : « 4.001 – La totalité des propositions est le langage. »
- ↑ 43 Claude Imbert, op. cit., p. 307.
- ↑ 44 Archives de philosophie, vol. 44, n°3, juillet-août 1981, p. 403-414, p. 407. Comme le fait remarquer Jean-Baptiste Rauzy, qui prend acte de la suspension d’un certain nombre de règles quantificationnelles dans les contextes intensionnels, la position de Leibniz sur ce point « ne peut pas être reconstituée en toute rigueur car sa conception de la quantification est encore très dépendante de la logique des termes. », La doctrine leibnizienne de la vérité. Aspects logiques et ontologiques, Paris, Vrin, 2001, p. 281, note 1.
- ↑ 45 Voir traduction, section 5.
- ↑ 46 Pour des éclaircissements sur tous ces points, voir la seconde partie de : Vincent Berne, « Pourquoi, selon Hintikka, la récursivité n’est-elle pas la source de la créativité du langage ? Lecture des Fondements d’une théorie du langage (1994) et de “Metaphor and Other Kinds of Nonliteral Meaning” (1994) ».
- ↑ 47 Dans « Quantifiers, Language-Games and Transcendental Arguments », in Logic, Language-Games and Information. Kantian Themes in the Philosophy of Logic, Oxford, Clarendon Press, 1973.
- ↑ 48 J. Hintikka, Socratic Epistemology, Explorations of Knowledge-Seeking by Questioning, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, Introduction, p. 7. Ultérieurement SE.
- ↑ 49 Voir SE p. 8.
- ↑ 50 SE, Introduction, p. 7.
- ↑ 51 Voir SE, p. 2 : « If this change of viewpoint is not a ”paradigm shift” in the Kuhnian sense, it is hard to see
- ↑ 52 SE, p. 81.
- ↑ 53 Paul Gochet, Compte rendu de Socratic Epistemology in Hintikka with his replies, Revue internationale de philosophie, 2009, vol. 63, n°250, p. 479.
- ↑ 54 Comme en avertit M. Rebuschi fort justement, il y a dans l’expression « Études hintikkiennes » une idée sournoise qui désamorce la possibilité du désaccord et de la critique dont nous avons pourtant le plus grand besoin. L’évidente impossibilité d’un tel intitulé nous a donc ipso facto fait voir que l’idée de compagnonnage était plus avisée : le titre « Penser avec Hintikka » écarte l’idée d’exposé doctrinal – tâche que l’état de l’art ne permet pas d’entreprendre actuellement, de toute façon – et insiste sur la créativité et la motilité mêmes de l’activité conceptuelle.
- ↑ 55 Dale Jacquette, « Nonstandard Semantics for Modal Logic and the Concept of a Logically Possible World », in Gerhard Heinzmann et Manuel Rebuschi, Aperçus philosophiques en logique et en mathématiques, Philosophia Scientiae, vol. 9, cahier 2, 2005, p. 239-258, p. 240.
- ↑ 56 Voir « On the Development on the Model-Theoretic Viewpoint in Logical Theory », Synthese, vol. 77, n°1, 1988, p. 1-36 ; trad. dans Fondements, p. 209-251, ici p. 213-214.
- ↑ 57 J. Hintikka, « On the Logic of Perception », in Models for Modalities, Dordrecht, Reidel, 1969, p. 151-183.
- ↑ 58 VP pour « verbe de perception ».
- ↑ 59 Comme le dit ailleurs Hintikka, « préférer la construction directe d’objet et avoir tendance à considérer sa situation personnelle comme une structure épistémologique naturelle, constitue donc l’envers et l’endroit d’une même monnaie », comme si « le cont exte personnel immédiat d’un individu [était] considéré comme une structure épistémologique fiable. », « Les diverses constructions admises par les principaux termes du champ épistémologique » (1975), in J. Hintikka, L’intentionnalité et les mondes possibl es, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2011, p. 106-107.
- ↑ 60 Anscombe G. E. M., « The Intentionality of Sensation: A Grammatical Feature », in Metaphysics and the Philosophy of Mind, Oxford, Blackwell, 1965/1981, p. 3 – 20.
- ↑ 61 David Woodruth Smith & Ronald McIntyre, Husserl and Intentionality. A Study of Mind, Meaning and Language, Dordrecht, Reidel, 1982.
- ↑ 62 Voir Roderick M Chisholm, Perceiving: A Philosophical Study, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1957.
- ↑ 63 Essai publié dans Jean-Michel Roy (dir.), Signification, phénoménologie et philosophie analytique, n° spécial des Études philosophiques, 1995, n° 1. Jean-Michel Roy consacra lui-même à ce texte une étude dans « L’intentionnalité au carrefour de la phénoménologie et de la trad ition sémantique », in Élisabeth Rigal (éd.), op. cit., p. 246-258.
- ↑ 64 Voir tout particulièrement le dernier paragraphe, p. 321, de la réponse de Hintikka à la contribution de F. Rivenc à l’époque, intitulée « Quantifier n’est pas jouer » : J. Hintikka, « Réponses et commentaires », in Élisabeth Rigal (éd.), op. cit., p. 317-321.
- ↑ 65 E. Rigal (éd.), op. cit., p. 35.