Linguistique - Histoire

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UNE HISTOIRE DE LA LINGUISTIQUE[modifier]

L’histoire de la linguistique peut être résumée en quatre grandes périodes historiques. Chacune de ces périodes correspond aussi à une façon d’étudier la langue et de mettre au jour son anatomie, son organisation et ses usages.

Les origines de la linguistique[modifier]

La réflexion sur le langage (comment le langage est-il apparu ? d’où vient le sens des mots ? quelles sont les règles qui permettent de les assembler ?) remonte à la plus haute Antiquité. Hérodote raconte qu’en Égypte le pharaon Psammétique I

er s’interrogeait déjà sur la langue première parlée par les humains. Et, pour le savoir, il aurait fait élever deux enfants à l’écart du monde a n de voir dans quelle langue ils allaient s’exprimer une fois en âge de parler ensemble. Platon s’est demandé d’où venait le sens des mots : sont-ils dérivés de la nature des choses (repètent-ils les objets du monde) ou procèdent-ils d’une convention humaine ? Héraclite ou les stoïciens se sont interrogés sur les liens entre le logos et la pensée. Il fut alors admis que le langage est ce qui donne forme à la pensée, une idée qui restera fortement ancrée dans la pensée occidentale jusqu’à aujourd’hui où les récentes linguistiques cognitives remettent en cause ce postulat fondamental. Aristote, avec sa rhétorique, a également stimulé la réflexion sur le langage. Il en a été de même avec la fabrication des premiers dictionnaires : au IIe siècle av. J.-C., Denys le race, dit aussi « Denys le grammairien », écrivit une grammaire grecque, qui est la première grammaire en Occident. La Renaissance a vu un essor considérable de la grammaire.

La Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal (1660) en est le plus beau fleuron. C’est l’époque où l’on xe les canons de la langue écrite de nombreux pays, où l’on réfléchit aux liens entre grammaire et logique. Sylvain Auroux, qui a dirigé une monumentale histoire de la linguistique, pense que la généralisation de l’écriture, la constitution de grammaires et de dictionnaires, la formalisation de règles et d’un corpus de mots a conduit à une première grammatisation de la langue. Cette grammatisation est une véritable « révolution technologique », comparable à une invention technique dont on a dérivé des théories et spéculations sur la nature du langage. Pourquoi en e et ne pas considérer les outils de communication (que sont les grammaires ou les dictionnaires) comme des « technologies humaines » ? Au même titre que les outils, qui permettent de fabriquer des ponts et donc de transporter des hommes, des bêtes ou des marchandises, les tech-nologies linguistiques, dérivées de l’écriture, ont participé aussi à la migration des langues et des idées.

L’approche comparative et historique[modifier]

Le début du xixe siècle peut être considéré comme la date de naissance de la linguistique comme discipline autonome. C’est l’âge de la conquête de la planète et de la découverte des mythes et des langues des peuples du monde. L’orientaliste britannique William Jones, en poste en Inde, se passionne pour le sanscrit et découvre une parenté avec les langues européennes. C’est ainsi que va naître l’hypothèse d’une langue souche « indo-européenne », matrice commune du latin, du grec, du slave, et de la plupart des langues vivantes ou mortes d’Europe et du nord de l’Inde. La recherche comparative sur les langues du monde va conduire à forger des hypothèses sur leur parenté commune et alimenter l’espoir de reconstruire la grande généalogie des langues du monde. Les linguistes allemands ont tenu une place prépondérante dans cette recherche. Franz Bopp (1791-1867) est le fondateur de la « grammaire comparée » ; il réalise une vaste grammaire comparée des langues sanskrite, grecque, latine, lituanienne, slave ancienne, gothique et allemande (publiée entre 1832 et 1852). Le Danois Rasmus Rask (1787-1832) fut un des précurseurs de la linguistique comparative et historique. Jacob Grimm (1785-1863), auteur avec son frère Wilhelm des fameux Contes populaires de l’Allemagne, est également le fondateur de la philologie allemande. Le XIXe siècle fut l’âge de l’histoire, de l’évolution et de la généalogie. Quelques idées clés président à toutes ces recherches. D’abord, l’idée qu’une langue est toujours tributaire de son passé : les langues évoluent comme les formes vivantes et animales, à partir de souches communes qui se différencient. Autre idée clé : l’étude des langues passe par des descriptions et comparaisons systématiques. L’époque est à l’observation empirique, le respect des faits et donc le rejet des vaines spéculations. En 1866, la société de linguistique de Paris décide de mettre n aux hypothèses imaginaires sur l’origine du langage, en proscrivant toute publication sur le sujet.

La révolution saussurienne[modifier]

Le début du XXe siècle inaugure une nouvelle façon d’envisager le langage. L’idée de « structure » va désormais dominer presque entièrement la réflexion linguistique pendant trois quarts de siècle. Ferdinand de Saussure (1857-1913) est le père de la linguistique moderne. Le linguiste genevois, dans son fameux Cours de linguistique générale (1916) – qu’il n’a jamais écrit (le grand traité fondateur a été rédigé à partir des retranscrites part deux de ses étudiants) – rompt avec une approche descriptive et historique des langues pour rechercher les règles de son fonctionnement. Le point de vue de Saussure est « structural » : la langue forme un système et doit être étudiée comme un tout ayant une cohérence propre à un moment donné.

Toute la démarche de la linguistique dans les décennies suivantes va consister à décomposer le langage en ses éléments constitutifs les plus élémentaires, et rechercher leurs règles de composition (comment ils s’assemblent entre eux). Derrière la variété in -nie des mots et des phrases, dans les différentes langues du monde, se cacherait donc un petit ensemble de composants (de sens, de sons, de lois de composition). Et la quête ultime du linguiste est de mettre au jour cette algèbre du langage. Dans le sillon du structuralisme de Saussure se sont armés plusieurs courants dans les années 1930. La phonologie notamment est issue du Cercle de Prague, dont Roman Jakobson (1896-1982) et Nikolaï S. Troubetskoï (1890-1938) sont les principaux représentants. À partir des années 1950-1970, les grammaires transformationnelle et générative deviennent dominantes. Noam Chomsky (né en 1928) est la figure de proue de la grammaire générative. Son but est de reconstituer une grammaire universelle du langage humain qui permettrait, à partir d’une structure profonde, de générer l’ensemble des discours particuliers. Après cinquante ans de recherches et cinq formulations successives, force est de constater que le rêve initial de dévoiler une grammaire universelle du langage humain n’a pas abouti.

Le tournant des années 1980[modifier]

À partir des années 1980, les recherches linguistiques vont donc s’engager dans de nouvelles directions. L’hypothèse centrale des approches structurales était que le langage forme un système relativement autonome, possédant des lois internes de fonctionnement. Mais cette approche structurale s’épuise à partir des années 1980 ; elle va alors s’effacer progressivement au profit d’une approche renouvelée de la parole telle qu’elle s’exprime concrètement dans conversations ordinaires. À la mécanique abstraite de la langue, on substitue l’étude de ses usages concrets dans le cadre de jeux de communication. Telles sont les directions prises par la pragmatique, les théories de l’énonciation, la théorie de la pertinence et certains courants de recherches dérivés ou connexes comme l’analyse de conversation ou la sociolinguistique.

Le trait commun de ces nouvelles approches est de s’intéresser au langage tel qu’on le parle vraiment et non aux exemples théoriques utilisés pour raisonner sur le langage. Dans le langage courant, on entend rarement dire « Demain, je partirais à Rome », mais « Demain, je pars à Rome ». Cette phrase courante est moins correcte du point de vue grammatical (le présent est utilisé à la place du futur), donc moins canonique. Mais justement, la plupart du temps, nos phrases parlées sont mal construites, tronquées, allusives, contiennent des sous-entendus implicites. Ce constat suggère que le sens des phrases que l’on emploie ne dépendrait pas uniquement du langage lui-même et d’un système de règles : la parole ne serait que le support imparfait d’un message qui s’inscrit dans un jeu de communication qui lui-même dépend d’un contexte, ou des interprétations des locuteurs. Telle est l’une des hypothèses des nouvelles « linguistiques cognitives », qui renversent le vieux postulat selon lequel le langage explique la pensée. À l’inverse, celles-ci suggèrent que le sens des mots ou les constructions grammaticales ne sont pas à chercher dans l’organisation du langage lui-même, mais dans les mécanismes mentaux sous-jacents.

Et demain ?[modifier]

Approche historique, structurale, pragmatique,… trois grands paradigmes du langage se sont succédé en un siècle et demi de linguistiques. En fait, cette succession chronologique des modèles explicatifs traduit aussi des approches différentes du langage qui peuvent être menées en parallèle. Comparons le langage à un bâtiment. Pour expliquer son architecture, on peut l’inscrire dans l’histoire des modèles architecturaux, de l’évolution des styles. Telle est approximativement l’approche historique. Mais toute construction doit respecter les lois fondamentales de la physique (résistance des matériaux et l’équilibre des forces). De même le langage est tributaire d’une mécanique interne et de lois de composition (découpages en briques élémentaires et mode d’assemblage) : telle est l’approche structurale. Une autre approche consiste à étudier un bâtiment à partir de ses usages : l’organisation d’une église ou d’une habitation dépend aussi de leur fonction. Il en va de même pour la langue. L’histoire de la linguistique reflète un peu cette diversité de position. L’approche généalogique, l’approche structurale, l’approche pragmatique ou communicationnelle, ne sont pas simplement des théories qui se succèdent et s’éliminent, ce sont aussi des paradigmes différents qui tentent d’éclairer, chacun à sa façon, l’édifice. L’un des dés de la linguistique du XXIe siècle sera de réussir à marier ces approches.

Un lexique des mots-clés, placé en n d’ouvrage, permet de retrouver les définitions des principaux termes techniques utilisés fréquemment en sciences du langage.

Panorama historique des théories linguistiques[modifier]

L’ANTIQUITÉ[modifier]

On peut dire que les inventeurs du langage et de l’écriture sont les premiers « techniciens » du langage. La linguistique, au sens de réflexion sur le langage, date de l’Antiquité avec la naissance de la rhétorique (voir La Rhétorique d’Aristote) et de la grammaire (Denys le Trace au iie siècle av. J.-C. écrivit la première grammaire occidentale).

LA RENAISSANCE ET L’ÉPOQUE MODERNE[modifier]

Cette période vit l’essor considérable de la grammaire. La Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal (1660) en est l’exemple même ; son influence sera considérable car elle traite du langage en général et postule l’existence d’une grammaire universelle. C’est l’époque où l’on melle les canons de la langue écrite de nombreux pays, où l’on réfléchit aux liens entre grammaire et logique.

LE XIXe SIÈCLE : LA PHILOLOGIE ET L’ANALYSE COMPARÉE DES LANGUES[modifier]

À la fin du xviiie siècle, se développent en Allemagne la philologie et la grammaire comparée qui étudient les langues dans une optique évolutionniste de l’époque. Il s’agit, d’une part, de reconstituer, par la comparaison des termes et des grammaires des différentes langues, leur parenté et leur histoire évolutive. C’est ainsi qu’a été reconstituée l’hypothèse d’une langue souche dite indo-européenne, matrice du latin, du grec, du slave, du sanskrit. L’objet de cette étude comparée des langues était aussi de retrouver des lois de permutation des signes qui ont gouverné le passage d’une langue à l’autre (la loi de Grimm). Le Danois R. K. Rask (1787-1832) et l’Allemand F. Bopp (1791-1867) furent les pères de la philologie.

DÉBUT DU XXe SIÈCLE : LA RÉVOLUTION SAUSSURIENNE[modifier]

F. de Saussure (1857-1913) est le père de la linguistique moderne. Il rompt avec une approche descriptive et historique des langues pour rechercher des règles formelles de son fonctionnement. C’est un point de vue « structural » où la langue est étudiée comme un tout ayant une cohérence propre à un moment donné (approche synchronique). Un signe possède une double face : un signifiant qui est le support matériel du signe (son ou graphisme) et un signi é qui correspond à l’idée contenue dans le signe.

LES ANNÉES 1930-1950 : FONCTIONNALISME ET STRUCTURALISME[modifier]

Dans le sillon du structuralisme de F. de Saussure se sont afirmés plusieurs courants :– la glossématique, théorie élaborée par le Danois L. Hjelmslev (1899-1965) qui forma le projet de constituer une « algèbre immanente des langues ». C’est une démarche résolument théorique et formaliste, au demeurant fort difficile d’accès ;– la phonologie (étude de la langue comme système fonctionnel) est issue du Cercle de Prague, dont R. Jakobson (1896-1982) et N. Troubetskoï (1890-1938) sont les principaux représentants ;– le distributionnalisme de L. Bloomeld (1887-1949) est une tentative, d’inspiration behavioriste, pour expliquer les faits de langage à partir du calcul mathématique de la fréquence d’apparition des mots.

LES ANNÉES 1960-1970[modifier]

Les grammaires génératives[modifier]

Cette époque vit dominer les grammaires transformationnelles et génératives. Leur but est de reconstituer une grammaire universelle du langage humain qui permettrait, à partir d’une structure profonde, de générer l’ensemble des discours particuliers. Ce projet de grammaires formelles a en partie échoué même si son programme de recherche n’est pas épuisé du fait même des enjeux des sciences cognitives. N. Chomsky (né en 1928) est la figure de proue de la grammaire générative. À partir des années 1980 se développent de nouvelles grammaires, dites « grammaires d’uni cation », dont l’objectif est d’unifier syntaxe et sémantique. Les modèles formels des grammaires d’uni cation sont explicitement forgés dans le cadre de la traduction automatique.

Sémantique et sémiologie[modifier]

Comment la langue véhicule-t-elle de la signification ? Comment le sens, matériau impalpable indispensable à l’homme, se construit-il à l’échelle du mot, de la phrase ou du discours ? Ce sont les questions auxquelles tente de répondre la sémantique. La sémantique, à l’origine était essentiellement lexicale (à l’échelle du mot), a peu à peu pris en charge le contexte syntagmatique (la phrase, le discours), puis, plus récemment, le contexte extralinguistique (la situation, les gestes, les mimiques), intégrant la dimension pragmatique de la communication. Dans la seconde moitié du XXe siècle, elle a connu de multiples développements, historique, structural, génératif et cognitif.La sémiologie, ou sémiotique est la science générale des signes. Elle s’in-téresse à toutes les formes de discours, quel que soit leur mode de manifestation : dessin, geste, lm, texte, vêtement… La réflexion sur cet objet est très ancienne : saint Augustin (354-430) proposa une classi cation des signes selon leur source, leur nature, leur degré d’intentionnalité…

Panorama historique des théories linguistiques[modifier]

Le terme « sémiotique » lui-même (du grec semeion, « signe ») apparaît pour la première fois au XVIIe siècle, sous la plume du philosophe anglais J. Locke (Essai sur l’entendement humain, 1690). Mais c’est au tout début du XXe siècle que se constitue le projet d’une discipline consacrée à l’étude des signes. Deux courants émergent parallèlement : d’un côté, la sémiologie européenne dans le sillage des études saussuriennes, et de l’autre la sémio-tique américaine, avec C. S. Peirce (1839-1914) qui distingua trois types de signes : l’indice, l’icône et le symbole. À partir des années 1960, la sémiotique s’est constituée en une pluralité de spécialités dé nies par leur objet et par les méthodes qu’elles mettent en œuvre. S’affranchissant de la tutelle de la linguistique, la sémiotique visuelle s’est développée en s’appliquant à des objets qui n’avaient pas été conçus dans l’intention de communiquer comme un paysage, une architecture ou une posture du corps. Les figures de la sémiotique sont alors R. Barthes (1915-1980), A.J. Greimas (1917-1992), E. Panofsky (1892-1968), U. Eco (1932-).

La sociolinguistique[modifier]

La sociolinguistique, discipline née aux États-Unis dans les années 1960, et dont le chef de file est W. Labov, se propose d’étudier les différences linguistiques selon les groupes sociaux (Sociolinguistique, Minuit, 1976). W. Labov a réalisé des études sur la stratiffcation sociale de l’anglais à New York. Selon lui, les différences d’usage de l’anglais selon les milieux ne sau-raient être de simples épiphénomènes ou déformations. Les variations étudiées étant systématiques au sein d’une communauté et cohérentes entre elles, chaque système possède sa propre logique. On parle parfois à son propos de linguistique variationniste.

LE TOURNANT DES ANNÉES 1980[modifier]

La pragmatique[modifier]

C’est une discipline qui envisage le langage en tant qu’outil pour agir sur le monde et non pas seulement comme un outil pour exprimer des pensées ou pour transmettre des informations. Le philosophe anglais J. Austin (1911-1960) est la principale figure de la pragmatique. Austin parle d’« actes de langage » pour désigner des énoncés en tant qu’ils permettent d’agir sur soi, sur les autres, sur les événements (Quand dire, c’est faire , trad. fr. Seuil, 1970). Le courant pragmatique s’est développé dans deux directions : l’analyse de l’argumentation et celle des présupposés et des implicites du discours qui permettent d’en reconstruire le sens.

La linguistique de l’énonciation[modifier]

Le propre des linguistiques de l’énonciation est d’étudier la façon dont les gens parlent en situation réelle. M. Bakhtine (1895-1975) en est l’un des pionniers. Selon sa conception dialogique du langage, le langage est avant tout le produit du dialogue et les mots sont eux-mêmes traversés de sens divers qui leur sont attribués par l’interaction verbale.

=Le Langage[modifier]

Le linguiste français É. Benveniste (1902-1976) est l’autre pionnier des linguistiques énonciatives. Pour lui, la présence du sujet qui donne sens à un discours, ne peut être écartée au pro t de la structure abstraite, des approches fonctionnalistes et structuralistes. La linguistique de l’énonciation a connu une impulsion décisive en France, avec d’A. Culioli, auteur d’une « théorie des opérations énonciatives » ; selon ce dernier, la construction du sens repose sur trois opérations principales : la représentation (une notion renvoie à une représentation mentale), la référentiation (une notion renvoie à des objets extérieurs), la régulation (la construction d’une notion suppose un ajustement entre énonciateurs).Ces linguistiques s’alimentent d’une multitude d’approches où s’entrecroisent l’ethnographie de la conversation (D. Hymes, J. Gumperz), l’ethnométhodologie (H. Garfinkel, puis H. Sacks et E. Scheglo ), la sociolinguistique (W. Labov), l’anthropologie de la communication (E. Go man), les nouvelles théories de l’argumentation (C. Perelman, O. Ducrot), la linguistique pragmatique (J. Austin) et les approches proprement linguistiques des interactions verbales (C. Kerbrat-Orecchionni).

Les linguistiques cognitives[modifier]

Les développements récents des « linguistiques cognitives » renouvellent radicalement le vieux débat des liens entre pensée et langage. À l’encontre de presque toute la linguistique du XXe siècle les nouvelles linguistiques cognitives arment que le langage est sous la dépendance de la pensée. En d’autres termes : on ne peut comprendre les sens des mots (sémantique) ou l’organisation de la phrase (syntaxe) qu’en les rapportant à des schémas mentaux sous-jacents. Pour dire vite : ce n’est pas le langage qui structure la pensée, c’est la pensée qui façonne le langage.Cette nouvelle approche du langage s’est déployée parallèlement en Europe (G. Guillaume, A. Culioli, groupe Mu) et aux États-Unis (G. Lako , R. Langacker, R. Jackendo , L. Talmy). Au-delà de la variété de ces courants, les linguistiques cognitives partagent un principe commun : les éléments constitutifs du langage – la grammaire et le lexique – sont dépendant de schèmes cognitifs plus profonds.

LA LANGUE COMME STRUCTURE[modifier]

LA RÉVOLUTION SAUSSURIENNE[modifier]

Deux hommes font une partie d’échecs sous un platane. Au bout d’une demi-heure, l’un des joueurs doit s’en aller et cède sa place à un ami. Celui-ci n’a pas assisté au début de la partie, mais il n’a pas pour autant besoin de reconstituer les coups joués par son prédécesseur. Il joue, c’est tout. C’est par cette métaphore qu’au début du XXe siècle, Ferdinand de Saussure tentait d’amener ses étudiants genevois à l’une de ses intuitions principales : la langue est un système de règles. Le joueur remplaçant, c’est le linguiste. Pour comprendre une langue, il suffit d’en saisir les règles et de les appliquer. Pas besoin d’en faire l’histoire. Deux étudiants de Saussure notent scrupuleusement le propos, sans savoir qu’ils préservent ainsi de l’oubli l’un des plus importants textes fondateurs de la linguistique moderne : le Cours de linguistique générale , qui sera établi en 1916 par Charles Bally et Albert Sechehaye, sur la base de leurs notes. L’appeler « fondateur » ne veut pas dire que tout est nouveau chez Saussure : depuis 1870, la grande affaire du xix

e siècle, l’étude généalogique des langues, commençait à faire place à des considérations plus théoriques, notamment en Allemagne. Pour Saussure, qui a reçu une formation de philologue classique, la rencontre avec de jeunes néogrammairiens de Leipzig, vers 1878, a introduit chez lui l’idée que, pour devenir une science, la linguistique doit se pencher sur les règles et les fonctions universelles des langues. Cette idée incubera pendant plus de vingt ans, avant de former la matière de son cours, à Genève, entre 1906 et 1911.

La Langue comme structure[modifier]

La langue comme système[modifier]

L’apport de Saussure à la linguistique peut se résumer en quatre points :

1. L’objet de la linguistique, c’est la langue, et non la parole. La langue est un « trésor commun », comportant un lexique (une collection de mots) et un code (ces mots renvoient à des significations conventionnelles). La parole, c’est l’usage individuel de ce trésor. Cet usage peut être très contextuel : la linguistique n’a pas à s’en préoccuper.

2. On peut étudier les langues de deux points de vue : celui de leur évolution (diachronie), ou celui de leur état en un moment donné (synchronie). Saussure insiste sur la synchronie, qui doit donner accès au système langagier.

3. La langue est composée de signes. Qu’est-ce qu’un « signe » ? C’est un rapport entre un signifiant (une image acoustique) et un signifié (un concept). Or, remarque Saussure, dans le langage naturel ce rapport est arbitraire : la nature du son émis n’a pas de rapport avec le sens (sauf exception). Mais leur association est socialement contrainte : on n’est pas libre de changer le sens des mots.

4. Enfin, la langue est un système de signes. De même que les sons d’une langue se reconnaissent par leurs différences (lapin/lopin/lupin), le sens des unités signifiantes se construit par oppositions distinctives : lapin/poulet/cheval, etc. Par système, Saussure entend donc quelque chose comme « interdé-pendance » : si l’on change un élément de la langue, cela devrait avoir des conséquences sur le reste. D’autre part, le découpage du réel étant conventionnel et non naturel, il n’est pas le même selon les langues.

Aux origines de la linguistique structurale[modifier]

Ces propositions, aussi évidentes paraissent-elles aujourd’hui, contiennent en germe les développements de ce que l’on a appelé par la suite la « linguistique structurale », le mot structure tendant, après Saussure, à remplacer celui de système. Mais ce n’est pas tout : la théorie du signe, chez Saussure, ne s’applique pas seulement aux langues, mais potentiellement ...


De la découverte de l’arbitraire du signe à celle de sa dépendance au contexte, une soixantaine d’années séparent l’œuvre de deux linguistes francophones. Entre-temps, l’idée a fait le tour du monde.

Deux hommes font une partie d’échecs sous un platane. Au bout d’une demi-heure, l’un des joueurs doit s’en aller et cède sa place à un ami. Celui-ci n’a pas assisté au début de la partie, mais il n’a pas pour autant besoin de reconstituer les coups joués par son prédécesseur. Il joue, c’est tout. C’est par cette métaphore qu’au début de ce siècle, Ferdinand de Saussure tentait d’amener ses étudiants genevois à l’une de ses intuitions principales : la langue est un système de règles. Le joueur remplaçant, c’est le linguiste. Pour comprendre une langue, il suffit d’en saisir les règles et de les appliquer. Pas besoin d’en faire l’histoire.
Deux étudiants de Saussure notent scrupuleusement le propos, sans savoir qu’ils préservent ainsi de l’oubli l’un des plus importants textes fondateurs de la linguistique moderne : le Cours de linguistique générale , qui sera établi en 1916 par 
Charles Bally et Albert Sechehaye, sur la base de leurs notes. L’appeler « fondateur » ne veut pas dire que tout est nouveau chez Saussure : depuis 1870, la grande affaire du xixe siècle, l’étude généalogique des langues, commençait à faire place à des considérations plus théoriques, notamment en Allemagne. Pour Saussure, qui a reçu une formation de philologue classique, la rencontre avec de jeunes néogrammairiens de Leipzig, vers 1878, a introduit chez lui l’idée que, pour devenir une science, la linguistique doit se pencher sur les règles et les fonctions universelles des langues. Cette idée incubera pendant plus de vingt ans, avant de former la matière de son cours, à Genève, entre 1906 et 1911.



L’apport de Ferdinand de Saussure


L’apport de Saussure peut se résumer en quatre points :


  • L’objet de la linguistique, c’est la langue, et non la parole. La langue est un « trésor commun », comportant un lexique (une collection de mots) et un code (ces mots renvoient à des significations conventionnelles). La parole, c’est l’usage individuel de ce trésor. Cet usage peut être très contextuel : la linguistique n’a pas à s’en préoccuper.

  • On peut étudier les langues de deux points de vue : celui de leur évolution (diachronie), ou celui de leur état en un moment donné (synchronie). Saussure insiste sur la synchronie, qui doit donner accès au système langagier.
  • La langue est composée de signes. Qu’est-ce qu’un « signe » ? C’est un rapport entre un signifiant (une image acoustique) et un signifié (un concept). Or, remarque Saussure, dans le langage naturel ce rapport est arbitraire : la nature du son émis n’a pas de rapport avec le sens (sauf exception). Mais leur association est socialement contrainte : on n’est pas libre de changer le sens des mots.

  • Enfin, la langue est un système de signes. De même que les sons d’une langue se reconnaissent par leurs différences (lapin ≠ lopin ≠ lupin), le sens des unités signifiantes se construit par oppositions distinctives : lapin ≠ poulet ≠ cheval, etc. Par système, Saussure entend donc quelque chose comme « interdépendance » : si l’on change un élément de la langue, cela devrait avoir des conséquences sur le reste. D’autre part, le découpage du réel étant conventionnel et non naturel, il n’est pas le même selon les langues.



La maturité par la division 
 Ces propositions, aussi évidentes paraissent-elles aujourd’hui, contiennent en germe les développements de ce que l’on a appelé par la suite la « linguistique structurale », le mot structure tendant, après Saussure, à remplacer celui de système. Mais ce n’est pas tout : la théorie du signe, chez Saussure, ne s’applique pas seulement aux langues, mais potentiellement à toutes sortes de codes visuels, sonores, gustatifs, odorants… Son application la plus générale est la sémiologie, ou « science des signes au sein de la vie sociale » , qui donnera lieu à des développements sous la plume de Charles Morris ( Fondements de la théorie du signe , 1938), Éric Buyssens ( Les Langages et le Discours , 1943), Louis Hjemslev ( Prolégomènes à la théorie du langage , 1943), Roland Barthes ( Éléments de sémiologie , 1965), Georges Mounin ( Introduction à la sémiologie , 1970), Umberto Eco ( La Production des signes , 1975), Jean-Marie Klinkenberg ( Traité du signe visuel , 1992). Il faut noter qu’une sémiotique concurrente de celle de Saussure a été proposée par le philosophe Charles Sanders Peirce en 1907.
Le devenir de la linguistique structurale de la langue passe ensuite par le cercle de Prague, fondé en 1926 par Vilém Mathesius ; Nikolaï Troubetskoï, Serge Kartchevski, Roman Jakobson en sont les premiers animateurs, et développent une phonologie qui apparaît alors comme un modèle de rigueur scientifique. C’est important car une bonne part de l’attrait ultérieurement exercé par le structuralisme est attribuable au caractère rigoureux du modèle phonologique.
La particularité du cercle de Prague est d’avoir été très international, et donc d’avoir essaimé partout dans le monde, jusqu’à sa dissolution, en 1939. Le développement parallèle des thématiques présentes chez Saussure – signe, structure, fonction – amènera après la Seconde Guerre mondiale une diversification des points de vue : Jakobson devient le spécialiste des fonctions du langage (communication, poésie), Hjemslev de l’analyse sémantique componentielle. Loin de fragiliser la discipline, ces divisions marquent sa maturité. Mais il ne faut pas s’étonner que la linguistique saussurienne ait fait retour en France sous deux espèces assez différentes. Celle que pratique André Martinet, de plus en plus fonctionnaliste, et celle d’Émile Benveniste, qui prend à bras-le-corps un problème négligé par Saussure : celui du discours (ou si l’on veut de la parole) et du contexte dans lequel il est énoncé.

L'énonciation, une idée française

Émile Benveniste (1902-1976), élève d’Antoine Meillet, a enseigné à l’École pratique des hautes études, puis, à partir de 1937, au Collège de France. Spécialiste de la grammaire des langues indo-européennes, Benveniste devient ensuite un théoricien qui, loin de tout formalisme, cherche à comprendre comment se produit le sens dans le discours ordinaire. Son approche reste structuraliste, mais il s’agit pour lui de sortir de l’analyse des règles de la langue pour prendre en compte les situations, les personnes qui parlent, bref ce que les Anglo-Saxons appellent « performance ». Pour cela, Benveniste travaille à distinguer le « discours », ou le « texte », de la « phrase ». Un discours n’est pas une superphrase, c’est un « énoncé » et un énoncé a un auteur : quelqu’un parle. C’est ainsi que Benveniste pose les bases d’une nouvelle linguistique, celle de l’« énonciation » qui, par exemple, va s’intéresser de près au jeu des pronoms, des démonstratifs, des marques temporelles. Ces mots ont en commun de dépendre d’un « sujet » énonciateur : le contenu du pronom « je » dépend de qui le prononce et comment il le fait ; le contenu du mot « demain » dépend du jour où l’énonciateur parle, etc.
Encore une fois, ce développement se produit aussi en Angleterre, dans la philosophie du langage de John Austin. Mais Benveniste ne lui doit rien. Cette sensibilité aux faits contextuels, volontairement négligés par la linguistique saussurienne et par tous les formalistes ultérieurs, vaudra à Benveniste de dialoguer avec les anthropologues (il fonde la revue L’Homme avec Claude Lévi-Strauss), ainsi qu’avec les philosophes et les historiens des sociétés anciennes. « Le discours, écrit-il, c’est le langage mis en action. » Benveniste est à l’origine de la création d’une école d’analyse du discours encore très active en France en 2007.

Nicolas Journet

Le Saussure inconnu

Entre 1906 et 1909, Ferdinand de Saussure s’est livré à un bien curieux travail : la chasse aux anagrammes dans la poésie des Anciens. Il est en effet persuadé que les poètes s’étaient donné pour règle de faire réapparaître dans leurs textes sous forme anagrammatique le mot désignant le sujet central du poème. Ce devait, selon lui, être un procédé poétique comme peut l’être la rime, ou la prosodie. Exemple (en français) : dans un poème qui parle d’un chien, alors « niche » et « chine » sont des anagrammes du mot thème (chien). Mais c’est rarement si simple. Saussure admet de nombreuses façons de former des anagrammes : phoniques, graphiques, s’étendant sur plusieurs vers, dans l’ordre ou dans le désordre. Ainsi, il prétend que le mot latin «  CondemnAVissE  » (condamnerait) est une anagramme de «  cave  » (prenez garde !).
 Malgré de nombreuses trouvailles dans les œuvres d’Homère, Sénèque, Virgile, Horace, Ovide, Saussure doute : et si tout cela n’était que hasard ? Ne parvenant pas à trancher, il n’osera jamais publier son travail, qui ne sera sorti de l’oubli que bien après sa mort.