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Lecture : les étudiants continuent à privilégier le papier 30 mai 2019, 23:27 CEST Auteur

   Frédéric Bernard
   Maître de conférence en neuropsychologie, Université de Strasbourg

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Frédéric Bernard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire. Partenaires

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Assister aux cours et relire régulièrement ses notes, c’est essentiel pour réussir à l’université. Mais il est un travail que les étudiants ne doivent pas négliger : la consultation des références bibliographiques recommandées par les enseignants. Internet facilite grandement l’accès à ces références. De là à consulter directement ouvrages et articles scientifiques sur écran, il n’y a qu’un pas.

S’il a été démontré que la lecture sur papier s’accompagne d’une meilleure compréhension et d’une meilleure mémorisation des informations contenues dans ces textes documentaires, il reste à savoir quelles sont les préférences personnelles en termes de supports de lecture d’une génération plongée dans le tourbillon des technologies. Des écrans trop distrayants

Si smartphones et tablettes font partie du quotidien des jeunes, deux études récentes montrent clairement que les jeunes continuent à donner la priorité au papier lorsqu’il s’agit de lire des textes. À partir de données collectées auprès de 429 étudiants originaires des États-Unis, du Japon, d’Allemagne, de Slovaquie et d’Inde, Baron, Calixte et Havewala ont montré en 2017 que ce public met en avant les avantages du papier.

En effet, près de 92 % de ces étudiants disent mieux se concentrer en lisant sur papier et plus de 80 % d’entre eux indiquent qu’à prix équivalent ils préféreraient lire sur papier aussi bien pour leurs cours que leurs loisirs, d’autant plus lorsque les textes sont longs. Ces étudiants étaient par ailleurs plus enclins (environ 60 %) à relire un texte sur papier que sur écran et à faire plusieurs tâches à la fois quand ils sont face à un écran, ce qui étaye les enjeux de concentration.

D’un point de vue qualitatif, les étudiants considéraient que le papier facilitait plus particulièrement les annotations et ils appréciaient aussi ses propriétés physiques (le tenir, sentir sa texture, tourner ses pages). Cependant, ils reconnaissaient son côté parfois moins pratique, du fait notamment de son poids, tout en pointant des coûts environnementaux et financiers potentiellement plus importants pour ce support.

L’écran l’emportait par certaines propriétés physiques ou fonctionnalités, comme l’éclairage, la facilité de recherche de la définition des mots ou l’accès à des informations complémentaires, sa portabilité, doublée du stockage de plusieurs livres. Ses principaux défauts étaient la fatigue oculaire et la distraction qu’il pouvait provoquer. Des usages numériques raisonnés

Publiée en 2018 à partir de données collectées auprès de 10 293 étudiants de 21 pays répartis sur tous les continents, l’étude de Mizrachi et de ses collègues va dans le même sens. 78,44 % des jeunes interrogés préfèrent lire des textes académiques ou documentaires sur papier. Une majorité d’entre eux indiquent aussi mieux se focaliser sur les informations contenues dans les textes (82,02 %) et mieux les retenir (72,37 %) lorsqu’elles sont sur papier.

À 72,83 %, ils préfèrent utiliser plus fréquemment le papier pour les textes de sept pages minimum. Une large majorité de ces étudiants préfèrent aussi annoter les textes sur papier (83,6 %) alors que seulement une minorité d’entre eux annotent ces textes sur écran (24,11 %). De plus, 68,85 % préfèrent imprimer les textes en format numérique avant de les lire même si cela est plus coûteux en termes d’effort, de temps et d’argent que de lire ces mêmes textes sur écran.

Ainsi, ces résultats récents montrent que les étudiants à travers le monde privilégient le support papier lorsqu’il s’agit de lire et de comprendre un texte universitaire et d’apprendre à partir de celui-ci alors que cette population est pourtant maintenant rompue à l’usage des écrans, ce qui suggère un usage raisonné de ces derniers. Ces résultats nous amènent aussi à continuer de recommander de privilégier le support papier pour la lecture de manuels scolaires ou universitaires.

Lire sur papier, lire sur écran : en quoi est-ce différent ? 22 mars 2019, 00:05 CET Auteur

   Frédéric Bernard
   Maître de conférence en neuropsychologie, Université de Strasbourg

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Les écrans de téléphones mobiles, de tablettes et d’ordinateurs envahissent notre quotidien, et voilà dictionnaires, fiches de cours ou même classiques de la littérature à portée de clic. Faut-il inciter les élèves à profiter à 100% de ces facilités d'accès inédites au savoir, et renvoyer le papier au passé ? Rien n'est moins sûr si l'on se penche sur les derniers résultats de la recherche.

Depuis le début de ce siècle, plusieurs dizaines d’études ont été menées pour évaluer les effets du support de lecture sur les performances de compréhension de textes qui pouvaient être soit documentaires - manuels scolaires, ouvrages universitaires - soit narratifs - fictions, romans…

Les résultats de ces études ont été repris dans deux méta-analyses publiées en 2018 ; celle de Kong, Seo et Zhai, portant sur 17 études, publiée dans le journal Computers & Education, et celle de Delgado et de ses collègues, portant sur 54 études effectuées auprès d’un total d’environ 170 000 lecteurs, et publiée dans Educational Research Review. Il en ressort que la compréhension de textes est significativement meilleure lorsque la lecture s’effectue sur papier que sur écran. Habitudes de lecture

Si Kong, Seo et Zhai (2018) n'ont pas pris en compte la nature des textes (documentaires ou narratifs) comme critère, Delgado et ses collègues ont en revanche constaté que la différence entre papier et écran se manifestait dans le cas des textes documentaires, des textes à la fois documentaires et narratifs, mais pas des textes uniquement narratifs. Les auteurs apportent deux éléments d'interprétation à ce résultat :

   les textes documentaires font appel à des traitements cognitifs plus complexes impliquant par exemple l’utilisation d’un vocabulaire académique très spécifique
   ils sont moins connectés aux connaissances que possèdent les lecteurs sur le monde réel, tout cela rendant la compréhension à la fois plus difficile pour ce type de textes et en même temps plus sensible à la nature du support de lecture.

Pour expliquer cette plus grande facilité de compréhension sur un support papier, le premier facteur que l'on pourrait invoquer serait celui de l'expérience. Les technologies numériques étant relativement nouvelles, les habitudes de lecture sur écran seraient moins ancrées que celles sur papier. Une façon de tester ce facteur serait de vérifier si, dans les publications les plus récentes, où les participants affichent donc une familiarité plus grande avec les écrans, les écarts de compréhension s'atténuent entre les supports.

Or, comme Delgado et ses collègues l’ont constaté, c’est exactement l’inverse qui se produit : la différence de performances de compréhension entre écran et papier s’accroît dans les études les plus récentes par rapport aux plus anciennes. Le manque relatif d’expérience par rapport à la technologie n’explique donc pas les avantages du papier en matière de lecture. Expérience sensorielle

La matérialité du livre imprimé serait-elle alors le facteur décisif ? En effet, la lecture d’un livre implique non seulement l’analyse et le traitement de ce qui y est écrit mais aussi l’association entre un contenu et un objet riche d’un point de vue sensoriel. Forme, couverture du livre, odeur, nombre et épaisseur des pages aident notre cerveau à intégrer les informations qui lui parviennent et à mieux les retenir dans la durée.

En stockant des milliers d’ouvrages, tablettes et liseuses permettent certes d'alléger les cartables, mais, lus sur un même support, manuels scolaires et romans seront associés à une expérience sensorielle moins spécifique et seront par conséquent moins bien traités et mémorisés. Les résultats d’une étude qui vient d’être publiée par Mangen, Olivier et Velay (2019) vont dans ce sens.

Les auteurs ont demandé aux participants de l'étude de lire un long texte narratif en utilisant soit un livre soit une liseuse. Si les performances générales de compréhension mesurées étaient globalement les mêmes, quel que soit le support, la lecture sur papier permettait de mieux se rappeler où les phrases sont apparues précisément et dans quel ordre les événements se sont déroulés.

Les auteurs considèrent ainsi que la manipulation d’un vrai livre pendant la lecture apporte des informations sensorielles et motrices plus riches, ce qui permet de mieux traiter et de mieux mémoriser le texte et l’organisation temporelle des événements décrits. Ainsi, les données scientifiques actuelles nous amènent à continuer de privilégier la lecture de livres imprimés si l’on souhaite favoriser la compréhension et la mémorisation de ce qui est lu.


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Le développement d’Internet a-t-il rendu les bibliothèques obsolètes ? N’en soyez pas si sûrs 10 mai 2016, 06:36 CEST Auteur

   Donald A. Barclay
   Donald A. Barclay est un·e adhérent·e de The Conversation
   Deputy University Librarian, University of California, Merced

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Bibliothèque de l’université de l'Etat de Pennsylvanie, Etats-Unis. Penn State/Flickr, CC BY

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Aux États-Unis, les établissements d’enseignement supérieur et les gouvernements locaux subissent une pression considérable pour diminuer les coûts avec un minimum de désagréments.

Dans ce contexte politique, les bibliothèques publiques et universitaires pourraient être menacées. L’existence d’une énorme masse d’informations, en grande partie gratuite, sur internet laisse ainsi à penser qu’elles ont fait leur temps.

Mais est-ce vraiment le cas ? Ce n’est pas ce que suggèrent les chiffres.

En dépit d’une étude selon laquelle les Américains déclarent fréquenter plus rarement les bibliothèques, les données rapportées par les établissements indiquent le contraire. Quelques tendances à la hausse

Durant les deux dernières décennies, le nombre total de bibliothèques publiques américaines a très légèrement progressé, passant de 8 921 en 1994 à 9 082 en 2012 (soit une hausse de 2,14 %). Sur la même période, leur fréquentation a également augmenté. Données statistiques sur la fréquentation des bibliothèques publiques aux Etats-Unis de 1993 à 2012. Donald A. Barclay, d’après les données du National Center for Education Statistics, CC BY

Voici ce que révèlent les données sur la diffusion (emprunts) et le nombre d’usagers.

Le nombre de livres et autres articles empruntés est passé de 6,5 par personne en 1993 à 8,0 en 2012 (soit une hausse de 23 %). Sur la même période, le nombre de visites annuelles a augmenté de 22,5 %.

En fait, parmi les statistiques clés sur l’utilisation des bibliothèques publiques, la seule à afficher une baisse concerne le nombre de demandes formulées auprès des documentalistes (-18 % entre 1993 et 2012).

La popularité des bibliothèques publiques américaines semble donc au moins aussi forte qu’à l’époque où le web ne faisait pas partie du vocabulaire des ménages (et encore moins de leurs besoins). L’avènement du livre électronique

En ce qui concerne les bibliothèques universitaires, les données sont plus mitigées. Depuis les débuts de l’ère connectée, la diffusion des articles matériels (livres, DVD, etc.) y a connu un recul constant (-29 % entre 1997 et 2011). Total des emprunts (en milliers) par bibliothèque dans les établissements universitaires américains de 1997-2011. Donald A. Barclay, d’après les données du National Center for Education Statistics., CC BY

Encore plus parlant : sur la même période et au sein des mêmes établissements, le nombre annuel d’emprunts (livres, DVD, etc.) par étudiant à temps plein a chuté de 50 %, passant de 20 à 10.

Le déclin de la diffusion des livres n’a rien d’étonnant, étant donné l’abondance d’informations scientifiques (achetées pour la plupart par les bibliothèques universitaires) aujourd’hui accessibles aux étudiants sur l’appareil électronique de leur choix. Les revues scientifiques électroniques ont rendu leurs versions imprimées obsolètes, à défaut de les avoir entièrement éradiquées, tandis que les livres électroniques continuent de proliférer. Nombre d’opérations d’emprunt par étudiant à temps plein dans les bibliothèques universitaires de 1997 à 2011. Donald A. Barclay, d’après les données du National Center for Education Statistics., CC BY

En 2012, les bibliothèques américaines détenaient collectivement 252 599 161 e-books. Cela signifie qu’elles ont ajouté à leurs fonds – en une dizaine d’années – un nombre d’ouvrages électroniques à peu près équivalent au quart du total des livres papier, recueils de vieilles revues, documents officiels et autres matériaux imprimés qu’elles avaient acquis depuis 1638, quand Harvard a fondé la première bibliothèque universitaire sur le sol américain.

Les livres électroniques sont non seulement très répandus mais aussi très populaires chez les étudiants et les enseignants (en dépit de certains défauts d’ergonomie). D’après les données que je me suis procurées, le taux d’utilisation du grand nombre d’ouvrages universitaires en version électronique mis en ligne par l’université de Californie à San Diego (UCSD) sur l’interface JSTOR est impressionnant.

En à peine un an, les étudiants et enseignants de l’UCSD ont ainsi consulté 11 992 livres électroniques sur JSTOR, qui comptabilise 59 120 visionnages et 34 258 téléchargements. Pour répondre à la demande, la bibliothèque de l’UCSD a acheté plus de 3 100 des titres proposés par JSTOR, et intégré ces ouvrages à sa collection permanente. Une encyclopédie ? Pour quoi faire ?

Tout comme les chiffres sur la diffusion, le nombre de demandes formulées auprès des documentalistes a fortement régressé : il a enregistré une baisse de 24 % en 16 ans et s’établit aujourd’hui à 56 millions par an. Pour les soixante plus grandes bibliothèques universitaires américaines, la moyenne est passée de 6 056 demandes par semaine en 1994 à 1 294 en 2012 (-79 %). Nombre moyen de demandes de renseignements par semaine pour les soixante plus grandes bibliothèques universitaires américaines de 1994 à 2012. Donald A. Barclay, d’après les données du National Center for Education Statistics., CC BY

Un tel déclin n’est pas difficile à expliquer. Quand j’ai commencé à travaillé comme documentaliste universitaire en 1990, il ne se passait guère une journée sans que je consulte un ouvrage de référence tel que le Places Rated Almanac (guide comparatif des villes américaines), The Statistical Abstract of the United States (relevé statistique des États-Unis) ou les catalogues d'universités sur microfiches pour répondre à une demande.

Aujourd’hui, toutes ces informations sont accessibles aux étudiants sous forme numérique. L’application Google leur permet de chercher sur leur smartphone des informations qu’ils n’auraient jadis trouvées que sur papier en bibliothèque. Quant à l’Encyclopaedia Britannica, ce vétéran des ouvrages de référence, elle a sorti son ultime édition papier en 2010.

Un autre facteur contribuant au déclin du service de documentation en face-à-face est la possibilité, de plus en plus répandue pour les étudiants, de contacter les bibliothécaires par internet.

En 2012, 77 % des bibliothèques universitaires proposaient un service de renseignement par courriel ou par chat. Actuellement, plus de 400 établissements associés à la 24/7 Reference Cooperative (une coopérative de bibliothèques mondiale mise en place par le Online Computer Library Center qui propose des services technologiques collaboratifs) proposent un chat ouvert 24h/24.

Sur la base de ces seules données, on serait tenté de conclure que tout se passe sur internet et que personne n’utilise plus les bibliothèques universitaires.

Pas si vite.

Alors même que les chiffres sur la diffusion et les demandes de renseignements étaient en chute libre, les statistiques montrent une progression constante de la fréquentation des bibliothèques universitaires. Cumul des entrées hebdomadaires pour les soixante plus grandes bibliothèques universitaires américaines de 2000 à 2012. Donald A. Barclay, d’après les données du National Center for Education Statistics., CC BY

Dans les soixante plus grandes institutions américaines, le nombre total de visiteurs hebdomadaires a augmenté de 39 % entre 2000 et 2012. Pour l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur, l’évolution est similaire (+38 % entre 1998 et 2012).

Mais alors, si ce n’est ni pour accéder aux collections papier ni pour demander des renseignements, pourquoi les étudiants vont-ils à la bibliothèque ? L’attrait des bibliothèques universitaires

Je crois que si la fréquentation se maintient, c’est parce que ces établissements se sont efforcés de faire peau neuve pour répondre à de nouveaux besoins.

D’espaces destinés à accueillir des livres, les surfaces des bibliothèques se convertissent peu à peu en lieux où les étudiants peuvent travailler, collaborer, apprendre, et même se retrouver. Les bibliothèques ne sont plus les lieux froids et rébarbatifs d’autrefois. Howard County Library System Follow, CC BY-NC-ND

Dernier havre de paix dans un monde toujours plus bruyant et chargé de distractions, les bibliothèques universitaires sont plus attentives à leur public étudiant, avec l’assouplissement (voire l’élimination) des restrictions liées à la nourriture et aux boissons, la mise à disposition d’espaces de travail accessibles 24h/24 et, de manière plus générale, une volonté de devenir des lieux confortables et chaleureux plutôt que froids et rébarbatifs.

Voici quelques exemples de la manière dont les bibliothèques les plus progressistes développent leur attractivité :

À Grand Valley State University, un « marché du savoir » permet aux étudiants de faire appel au réseau de l’université – camarades, enseignants – afin de bénéficier de conseils relatifs à la recherche, la rédaction, l’expression en public, le graphisme et l’analyse de données quantitatives. L’un des espaces spécialisés est la bibliothèque, qui fournit des locaux pour préparer des documents, établir des collaborations numériques et s’entraîner aux présentations. Les bibliothèques transforment leurs espaces : trois femmes utilisent un ordinateur à la [bibliothèque de San Jose. San José Library, CC BY-SA

Dans les bibliothèques de la North Carolina State University (NCSU), des « makerspaces » proposent des travaux pratiques dans différents domaines : électronique, impression et scan en relief, découpage et usinage, création de dispositifs portables et connexion d’appareils à l’internet des objets. Les étudiants ont par ailleurs accès à des laboratoires de média numériques, des studios de production, des salles de musique, des espaces de visualisation et des salles de conférences, entre autres.

Le système de Research Commons de l’Ohio State University propose non seulement un centre d’aide à la rédaction mais aussi des consultations pour discuter du droit d’auteur, des projets de gestion de données, et des sources de financement et de recherches en sciences humaines. Ses espaces spécialisés incluent des salles de classe, de conférence, de réalisation de projet, de visualisation numérique, de brainstorming et de colloque. Réinventer les bibliothèques

En sortant des sentiers battus – et loin de tourner le dos au passé –, les bibliothécaires s’inscrivent dans une longue tradition d’apprentissage. Pour reprendre la déclaration de Sam Demas, bibliothécaire émérite au Carleton College :

   Pendant des générations, les responsables des bibliothèques universitaires se sont essentiellement préoccupés de leur rôle de portails vers l’information, imprimée puis numérique. Ces dernières années, nous nous sommes souvenus que les bibliothèques sont avant tout centrées sur les utilisateurs : leur manière d’apprendre, d’utiliser l’information, et de participer à la vie d’une communauté d’apprentissage. Nous commençons à concevoir des établissements qui renouent avec certains aspects de leur rôle historique d’apprentissage, de culture et de communauté intellectuelle.

Tant qu’elles se montreront à la hauteur de cette vocation, les bibliothèques, qu’elles soient publiques ou universitaires, ne seront jamais obsolètes.

Traduit de l’anglais par Charlotte Marti pour Fast for Word.


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Autour du livre, de nouvelles pratiques alimentent l’intelligence collective 13 janvier 2019, 21:27 CET Auteurs

   Dominique Boullier
   Professeur des universités en sociologie, Sciences Po – USPC
   Mariannig Le Béchec
   Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Claude Bernard Lyon 1
   Maxime Crépel
   Sociologue, ingénieur de recherche au médialab de Sciences Po, Sciences Po – USPC

Déclaration d’intérêts

Dominique Boullier receives research funding from Ministère de l'Industrie (FUI) and from le MOTif

Mariannig Le Béchec et Maxime Crépel ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire. Partenaires

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Sciences Po

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Les mille et une vies du livre papier. Pixabay

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Les livres qui s’entassent dans votre bibliothèque sont-ils encore vivants ? Pourquoi les garder s’ils ne le sont plus ? Pourquoi l’attachement au livre imprimé ne se dément-il pas à l’heure du livre numérique ?

Nous avons observé pendant plusieurs années tous les échanges auxquels les livres donnaient lieu, en ligne et hors ligne et la vitalité de ces livres imprimés (technique vieille de plus de 500 ans !) à travers 150 entretiens de lecteurs, libraires, éditeurs, blogueurs, bibliothécaires, 25 observations participantes, 750 réponses à un questionnaire en ligne et 5 000 sites francophones cartographiés – nous a impressionnés. Oui, votre livre continue de vivre tout en restant dans votre bibliothèque car vous en parlez, vous vous en souvenez, vous y faites référence. Mieux même, vous l’avez prêté à une amie pour qu’elle le lise, vous êtes allés voir ceux qui en parlaient avant de l’acheter ou après l’avoir lu, les critiques professionnels, certes, mais aussi les blogueurs. La conversation continue quand bien même le livre ne circule plus. Les livres papier circulent mieux que leurs versions numériques

Mais ce qui nous a d’abord frappé, c’est la circulation très active des livres imprimés (et par contraste la faible circulation des livres numériques). Le livre une fois vendu en librairie ou sur une plate-forme en ligne, possède plusieurs vies. Il peut être prêté en effet, offert en cadeau, mais aussi revendu d’occasion, en ligne ou dans les magasins spécialisés. Et il peut faire plusieurs fois la boucle et être revendu encore ; autant de moments de circulation rarement pris en compte dans le bilan général de l’édition.

L’application Bookcrossing permet de suivre les livres que l’on « lâche », que l’on « libère » au hasard dans les lieux publics pour que des inconnus se les approprient et, on l’espère, pour qu’ils entrent en contact ou gardent la trace du livre. Ailleurs, le livre sera laissé dans ces « boîtes à lire » qui ont proliféré, en accès libre, un peu partout en France. Certains sites sont devenus experts dans cette vente d’occasion comme Recyclivre, qui s’appuie sur Amazon pour gagner en visibilité.

Enfin, les vide-greniers, les brocantes, les marchés au livre permettent de redonner une vie à une quantité impressionnante de ces livres que l’on croyait oubliés parce qu’ils avaient été lus une fois. Le livre dans sa matérialité, jusque dans son âge apparent, procure un plaisir sensoriel inégalé, soulève avec lui des souvenirs intimes, des époques révolues, un idéal du beau travail avec ses reliures ou une nostalgie des collections populaires enfantines par exemple.

Toute une profession s’est constituée avant le web mais encore plus depuis son apparition, qui fait commerce de ces secondes vies du livre, de ce recyclage, qui permet aux idées de ne pas mourir. Certains sont devenus des « ebayistes » experts uniquement grâce au stock de livres qu’ils vendent sur la plate-forme. Parfois même, ces vies du livre se prolongent pour de la revente de solidarité, comme le fait Oxfam notamment. À un certain moment cependant, ce n’est plus que le papier qui fait la valeur du livre, lorsqu’il est broyé et recyclé.

On aurait pu penser que face à ce poids, à ce volume, à cet espace occupé par le livre imprimé, le livre numérique aurait tout balayé sur son passage, comme on l’a vu pour la musique en ligne qui a quasiment tué le CD ou aux films à la demande qui ont réduit le marché des DVD. Et pourtant, non, ce n’est pas ce qui s’est passé : aux États-Unis comme en France, le marché des livres en ligne ne dépasse jamais les 20 % du chiffre d’affaires des ventes des livres imprimés. Et cela sans compter le chiffre d’affaires de ces circulations secondaires que nous venons d’évoquer. Le livre numérique, lui, ne circule guère une fois acheté, pour des raisons de contrôle sur les fichiers par des DRM, d’incompatibilité de formats dépendants des supports de lecture (Kindle et autres). Les plaisirs du livre papier

Nos entretiens racontent aussi ces plaisirs de faire des cadeaux, de prêter, d’échanger le support physique du livre imprimé avec sa couverture, sa taille et son odeur même, alors que si un ami plein de bonnes intentions propose de vous passer des fichiers de livres numériques, il le fera éventuellement grâce à une clé USB comportant… mille fichiers qu’il aura téléchargés ! Mais cela ne sera jamais considéré comme un cadeau mais bien comme un simple transfert de fichiers, semblable à ceux que l’on fait plusieurs fois par jour dans le cadre du travail. Ce sera l’occasion pour les défenseurs des ayants droit de rappeler alors que « la gratuité, c’est le vol » : en l’occurrence le don de fichiers deviendrait donc lui aussi un vol.

Tensions très éloignées de l’esprit amical que l’on retrouve dans les cadeaux de livres imprimés entre blogueurs (bookswapping), sous condition de personnalisation : un petit mot, un objet complémentaire associé au livre (des gâteaux par exemple !) et la surprise de recevoir un geste d’attention totalement imprévu qui va devenir prétexte à des échanges plus personnels. Un réseau dense et vivant qui s’appuie sur le web

Mais ce qui circule encore mieux autour du livre, ce sont des conversations, des avis, des critiques, des recommandations. Certaines conversations sont très organisées à travers des cercles de lecture ou dans le réseau de la bibliothèque Orange par exemple. Des listes de lecture sont proposées, des avis sont demandés et échangés, des réunions de rencontres avec les auteurs sont organisées. Tout ce réseau mobilise les ressources numériques mais existait bien avant lui et reste très vivant. Sur Instagram, le livre papier suscite de nombreuses conversations.

Cependant, l’essor des blogs au début des années 2000 a amplifié cet exercice critique ordinaire pour lui donner une visibilité, voire une réputation pour certains blogueurs. Certes, les critiques institutionnels et médiatiques continuent de jouer leur rôle d’orientation de la masse des lecteurs et sont des prescripteurs importants choyés par les éditeurs. Mais des sites comme Babelio notamment, regroupent une expertise qu’on pourrait dire ordinaire, partagée, distribuée parmi un grand nombre de blogueurs parfois très spécialisés. Le site existe depuis 2007 et affiche 690 000 lecteurs membres.

La prolifération des contenus et des publications génère de la désorientation et le rôle de ces blogueurs passionnés, et parfois très pointus sur des littératures très spécialisées, devient important car ce sont des influenceurs « naturels » pourrait-on dire, car proches du public. Cependant, certains éditeurs ont bien compris l’intérêt d’une forme d’association avec ces blogueurs, notamment pour des littératures spécialisées comme les mangas, la BD, le polar ou la littérature jeunesse. Parfois un blogueur, YouTubeur et écrivant du web est édité, comme Nine Gorman.

Certaines librairies contribuent d’ailleurs directement à la coordination de tous ces passionnés, elles « produisent » leur public, ou tout au moins le soutiennent autant en ligne que dans leurs magasins pour des rencontres face à face. La conversation possède un pouvoir fédérateur pour les passionnés qui sont les meilleurs diffuseurs dans un large milieu.

Des plates-formes encouragent les lecteurs à prolonger leur univers, sous forme de fanfictions, qui sont publiées en ligne par l’auteur lui-même ou ses lecteurs. Le lien avec les auteurs se noue en effet de plus en plus directement, comme cela se passe aussi dans la musique. Sur certaines plates-formes comme Wattpad, les textes mis à disposition sont directement associés à une activité de commentaires collectifs.

Mais surtout, l’activité de conversation autour de la lecture se transforme souvent en écriture. Elle peut être publiée sur un blog et s’apparenter au travail de l’auteur mais à l’autre extrémité, elle peut être très modeste comme les annotations que l’on laisse sur son propre livre. Ces annotations, plus fréquentes sur des livres de non-fiction, peuvent cependant se retrouver échangées, si l’on prête ou revend son livre, mais aussi stockées et partagées avec des systèmes en ligne comme Hypothes.is, qui permet d’annoter tout article trouvé sur le web et de stocker ces remarques, indépendamment du format de présentation de l’article, sur le service en ligne qui le met à disposition des lecteurs organisés en groupes par exemple.

Le livre imprimé est de fait devenu numérique à travers l’usage des réseaux numériques qui facilitent sa circulation en tant qu’objet ou sous forme de conversations autour du livre. L’attention collective ainsi amplifiée constitue une œuvre collective permanente, bien loin de la publication frénétique des posts sur les réseaux sociaux. Car les lecteurs acceptent de vivre dans un temps plus long qu’ils ne confondent pas avec la haute fréquence des échanges sur les réseaux sociaux. La combinaison des deux rythmes peut cependant encourager la lecture à travers des alertes sur les publications sur les réseaux sociaux suivie d’une lecture plus longue.

Les réseaux qui se sont formés autour du livre constituent ainsi une ressource majeure d’attraction de l’attention, qui ne remplace pas encore les effets de la « saison des prix » pour orienter la lecture de masse mais qui mériterait que l’on s’y intéresse de plus près, notamment de la part des éditeurs qui disposent là de communautés très actives.

Il serait alors possible de penser le livre numérique comme pris dans cet écosystème relationnel, au lieu de le traiter seulement comme un clone (on parle alors de livre homothétique, reproduisant dans le fichier exactement le format et les propriétés du livre imprimé). Imaginons des livres multimédias mais surtout connectés et en prise constante avec la conversation qui tourne autour du livre : ce serait un autre produit, une valeur ajoutée qui pourrait justifier le prix que l’on demande actuellement pour de simples fichiers. Ce serait alors un « livre-accès » qui favoriserait d’emblée le « livre-échange » et qui aurait une chance d’attirer à lui de nouveaux publics et surtout d’amplifier toute cette créativité collective déjà présente autour des livres imprimés.

Dominique Boullier, Mariannig le Béchec et Maxime Crépel sont les auteurs de l'ouvrage « Le livre-échange, vies du livre et pratiques des lecteurs ».