Métacognition

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MÉTACOGNITION

Joëlle PROUST : directrice de recherche émérite au CNRS


La métacognition est l'ensemble des processus, des pratiques et des connaissances permettant à chaque individu de contrôler et d'évaluer ses propres activités cognitives, c'est-à-dire de les réguler. La métamémoire désigne la régulation de sa propre mémoire. Face à une question à laquelle on ne sait pas immédiatement répondre, on peut avoir l'impression soit de connaître la réponse, soit de l'ignorer. Supposons qu'une réponse vienne à l'esprit du sujet. Il peut avoir la certitude que c'est la réponse correcte, ou en être plus ou moins incertain. Les mêmes types d'anticipation de faisabilité d'une activité cognitive, et d'évaluation du résultat se retrouvent dans les autres domaines de la métacognition. Dans la métaperception, le sujet peut prédire s'il parviendra, par exemple, à discriminer une couleur ou une forme. Une fois la tâche acceptée, il lui faudra évaluer la correction de sa réponse perceptive. Dans le métaraisonnement, le sujet effectue le contrôle et le suivi de ses propres inférences. Il lui faut prédire sa capacité à résoudre un certain type de problème, et évaluer si le résultat qu'il obtient est le bon. Comment le sujet réussit-il à en juger ? Pour répondre à cette question, il faut revenir à la définition de la métacognition.

Métacognition procédurale et métacognition conceptuelle (ou réflexive)[modifier]

On définit souvent la métacognition comme la capacité de réfléchir sur sa propre pensée. Le problème de cette définition est qu'elle est trop étroite. Elle ne s'applique qu'à une faible proportion des processus métacognitifs compris comme autorégulation par l'agent de ses propres états informationnels. Les êtres humains sont capables, dès l’adolescence, de prendre leur pensée pour objet de pensée, c'est-à-dire de catégoriser leur propre activité mentale, comme la perception d'une maison inconnue, ou encore l'effort de se rappeler le nom du voisin. Penser sur sa pensée suppose la maîtrise des concepts de perception, mémoire ou raisonnement, et leur application à des contenus qui varient avec le contexte. Cela implique de former des « métareprésentations », comme « je crois qu'il va sans doute pleuvoir » ou « je ne me souviens plus de ce que j'ai fait hier ». Mais, dans l'état actuel des connaissances, cette capacité paraît être l'apanage des humains, et suppose la maîtrise de ce qu'on appelle une « théorie de l'esprit ». On soutient parfois que les chimpanzés sont capables de métareprésenter leurs propres états perceptifs et ceux de leurs congénères, mais ce point reste controversé. La plupart des non-humains ainsi que les très jeunes enfants ne peuvent pas catégoriser leurs états mentaux. Par conséquent, ils ne peuvent pas « penser à leur pensée » de manière réflexive. Ils sont pourtant parfaitement capables, dès la prime enfance, de contrôler certaines de leurs activités cognitives.

De nombreux travaux expérimentaux montrent que les singes rhésus, les rongeurs et les dauphins, par exemple, peuvent évaluer l'acuité de leur perception ou de leur rappel mémoriel, lorsqu'ils ont à choisir ou décliner une tâche en fonction de leurs possibilités cognitives du moment. Les très jeunes enfants peuvent aussi, dès l'âge de deux ans, c'est-à-dire avant même de pouvoir parler, évaluer pratiquement ce qu'ils savent ou ont besoin d'apprendre de leurs parents. Cette forme « procédurale » de métacognition permet aux agents cognitifs de savoir comment contrôler leur perception, leur mémoire et, chez les jeunes enfants, de découvrir progressivement comment acquérir une information pertinente, sans pour autant juger qu'ils ont les états de pensée correspondants. Trois types de paradigmes expérimentaux sont utilisés pour tester la métacognition procédurale chez les non-humains ou les très jeunes enfants : la prise en compte par les participants de la difficulté de la tâche à effectuer avant de l'accepter ou de la refuser (opt out), leur capacité de parier sur la valeur de leur réponse (wagering), ou le recours à un tiers pour remédier à leur déficience mémorielle.

La métacognition conceptuelle se teste verbalement, par exemple, en demandant aux participants de dire s'ils savent ou non répondre à une question, s'ils prédisent qu'ils pourront le faire après réflexion, si la réponse trouvée leur semble correcte, ou s'ils ont correctement mémorisé un texte.

Il y a donc deux formes de métacognition : la métacognition procédurale est commune à l'adulte, à l'enfant et à de nombreuses espèces animales ; la métacognition conceptuelle est très probablement propre à l'homme. Il pourrait être tentant d'en conclure que la métacognition conceptuelle remplacerait chez l'homme la métacognition procédurale. Ce n'est toutefois pas le cas. La métacognition conceptuelle fournit à chaque agent une « théorie naïve » de ses compétences et de ses incompétences sur la base des expériences antérieures, et surtout des croyances véhiculées dans sa culture. Ces théories naïves sont d'ailleurs souvent fausses – par exemple, il est faux que les filles soient par nature moins bonnes en mathématiques et meilleures en français que les garçons, même si cette croyance est fort répandue. En outre, dans l'immense majorité des cas, ces croyances métacognitives ne suffisent pas à déterminer, dans un contexte donné, s'il faut ou non s'engager dans une tâche donnée, ni si le résultat obtenu est correct. Les croyances « vraies » ou « fausses » accumulées sur ses propres capacités mentales et sur les types de tâches où elles peuvent avoir à s'exercer ne peuvent pas répondre aux multiples circonstances qui se présentent au fil d'une journée. Les décisions pratiques de s'engager dans une tâche se prennent la plupart du temps sans réfléchir, sur la base du sentiment que l'on a, à un moment donné, et pour un besoin donné, de ce qu'on peut ou non percevoir, se remémorer, ou comprendre. « Pourrai-je me rappeler ce numéro de téléphone, ou dois-je consulter l'annuaire ? », « Ai-je bien compris ce texte, ou dois-je le relire ? » sont des questions sur lesquelles il n’est souvent pas besoin de s’arrêter. Les décisions pratiques sont rapidement prises, elles sont pourtant généralement fiables. Comment l'expliquer ?

Les sentiments métacognitifs[modifier]

Les sentiments qui dictent ces décisions – appelés « métacognitifs » ou « noétiques » (du grec νoεῖν, connaître) – prédisent ou évaluent l'incertitude liée à la tâche cognitive en cours. Certains sont prédictifs, comme le « sentiment de facilité » ou d'effort lié à la tâche à exécuter, le « sentiment de savoir » (c'est-à-dire de pouvoir retrouver un élément mémorisé antérieurement dans un temps relativement court) ou encore l’impression d'avoir un mot « au bout de la langue ». D'autres sont évaluatifs, comme le sentiment d'avoir correctement retrouvé un mot, répondu à une question, ou résolu un problème. Certains sentiments sont à la fois prédictifs et évaluatifs, comme le sentiment de familiarité, qui mêle l'impression de connaître et la difficulté à identifier une personne, par exemple.

Comme ces quelques exemples le suggèrent, les fonctions prédictive et évaluative des sentiments noétiques vont de pair avec la fonction motivationnelle. Les sentiments varient dans leur valence – c'est-à-dire dans leur caractère hédonique, plaisant ou déplaisant – selon le degré d'incertitude prédictive ou évaluative qu'ils expriment. Le degré de la valence ressentie tend à guider la décision, sauf si le sujet a des raisons conscientes d'y résister. Un sentiment élevé de certitude de pouvoir discriminer, se rappeler, résoudre un problème motive le sujet à accomplir la tâche correspondante. Réciproquement, un sentiment élevé d'incertitude conduit l'agent à renoncer à exécuter la tâche considérée. De la même façon, si l'évaluation finale d'un calcul produit un sentiment de probable incorrection, le sujet tend à le refaire ou à changer de tâche.

Nous l'avons signalé, le sujet peut avoir des raisons conscientes – bonnes ou mauvaises – de ne pas tenir compte du sentiment noétique produit par son activité cognitive présente. Il peut, par exemple, avoir été prévenu par un tiers que, dans cette situation précise, le sentiment noétique ressenti est illusoire, parce qu'il est engendré par des indices sans rapport avec la tâche. Ou encore, on peut l'avertir que son sentiment de facilité est lié à une musique d'ambiance, ou que son sentiment de difficulté est dû à un manque infondé de confiance en soi. Le sujet peut alors décider d’effectuer la tâche malgré l'impression prédictive défavorable, ou ne pas la faire en dépit de l'impression prédictive favorable. La métacognition « conceptuelle » est donc capable, pour le meilleur et parfois pour le pire, de neutraliser l'influence des sentiments métacognitifs en fournissant des règles de décision alternatives. Cependant, il est démontré que le contrôle conceptuel des sentiments métacognitifs est de courte durée, et utilise des ressources cognitives importantes, ce qui le rend inopérant en cas d'attention divisée.

Comment les sentiments métacognitifs sont-ils formés ?[modifier]

Quoique les sujets n'en aient pas conscience, les sentiments noétiques sont eux-mêmes l'expression de multiples heuristiques qui sont construites par le cerveau au fil du temps. Une heuristique est un ensemble d'indices qui porte une information sur la probabilité du succès de l'action à engager (faisable/infaisable), ou déjà effectuée (correcte/incorrecte). Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les indices prédictifs qui sont utilisés pour prédire la réussite cognitive appartiennent non au contenu des représentations (par exemple, à la récupération du sens d'un terme), mais à la rapidité avec laquelle elles sont activées et traitées, c'est-à-dire leur accessibilité, ainsi qu'à la cohérence de la prise de décision. Ces heuristiques déterminent entre autres la facilité (ou la difficulté) perçue d'un problème, la beauté ressentie d'une peinture, la clarté d'un raisonnement, ou la certitude d'avoir bien répondu. D'autres heuristiques exploitent des indices intéroceptifs de l'appareil respiratoire, circulatoire, digestif, ou endocrinien, ainsi que des indices posturaux et faciaux.

La fiabilité des sentiments métacognitifs dépend donc, en dernière instance, de la valeur prédictive des heuristiques inconscientes. Cette valeur prédictive est rendue possible du fait que le cerveau recalibre en permanence son degré de certitude ou d'incertitude ressenti en comparant ses prédictions aux résultats observés. Les études métacognitives ouvrent ainsi de nouvelles pistes pour mieux apprendre à apprendre, et pour calibrer de manière réaliste ses propres sentiments métacognitifs.

— Joëlle PROUST

BIBLIOGRAPHIE[modifier]

D. KAHNEMAN, Système 1/Système 2. Les deux vitesses de la pensée, trad. R. Clarinard, coll. Clés des champs, Flammarion, Paris, 2016

D. LECLERCQ & M. POUMAY, (2007). « La métacognition », in D. Leclercq dir., Psychologie éducationnelle de l’adolescent et du jeune adulte, éd. Université de Liège, pp. 203-264

S. MASSONI, « Confiance, métacognition et perception », in L'Actualité économique, vol. 92, no 1-2, pp. 459-485, 2016

J. PROUST, « Métacognition et apprentissage scolaire », in O. Houdé & G. Borst dir., Le Cerveau et les apprentissages, Nathan, Paris, 2018.

Article[modifier]

Joëlle PROUST, « MÉTACOGNITION », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 27 août 2020. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/metacognition/