Melliti : Peirce Richir

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Introduction au projet phénoménologique et architectonique de Charles S. Peirce.
Regard croisé avec la phénoménologie architectonique de Marc Richir

Djamel Melliti :

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Djamel Melliti. Introduction au projet phénoménologique et architectonique de Charles S. Peirce.
Regard croisé avec la phénoménologie architectonique de Marc Richir. Le Cercle herméneutique : herméneutique générale, anthropologie phénoménologique, phénoménologique psychiatrique, Dasein-sanalyse, Le Cercle herméneutique, 2006, pp. 144-158. <halshs-00762966>




Le projet phénoménologique de Charles S. Peirce a pour dessein d'impliquer méthodologiquement, par l'architectonique, la phénoménologie dans la recherche scientifique afin d'assurer à cette dernière une assise épistémologique réaliste et une dimension philosophique.

L'originalité de la démarche architectonique que ce projet met en avant à travers le problème des universaux apporte avec elle une nécessité d'ordre méthodologique pour les sciences expérimentales. Le projet peircien met également en avant la nécessité d'une telle démarche en phénoménologie. C'est la même nécessité architectonique que développent les travaux contemporains de Marc Richir, notamment sous l'angle anthropologique de l'institution symbolique.

Ayant choisi de nous intéresser ici à cette double implication scientifique et anthropologique de la méthode architectonique, nous mettons en relation deux approches phénoménologiques issues de traditions différentes :

  • la « tradition anglo-saxonne » (Peirce)
  • et la « tradition husserlienne » (Richir).

Cela, parce que même si ces approches divergent par leurs styles, leurs champs et leurs perspectives, elles partagent le sens d'une même méthodologie. Nous voudrions de la sorte présenter le projet peircien tout en suscitant chez le lecteur, nous l'espérons, un intérêt pour la démarche architectonique en phénoménologie et pour les horizons qu'elle ouvre nouvellement sur le plan de la connaissance, mais aussi sur le plan psychologique et anthropologique.



I. La croyance entre psychologie et sciences normatives[modifier]

Charles Sanders Peirce (1839-1914), dit l'« Aristote américain » en raison de sa méthodologie analytique et de son esprit encyclopédique, est l'initiateur, entre autres, du mouvement pragmatiste. Il faut comprendre le pragmatisme, non comme une doctrine, mais bien comme une méthode « thérapeutique » de clarification conceptuelle dont la maxime [1] nous invite à déterminer le sens d'un concept à partir du sens de l'ensemble de ses applications conditionnelles conçues, de façon à disposer d'une croyance « stable ». Cela signifie que si la croyance est bien une notion psychologique, elle doit néanmoins avoir une extension pratique dans l'action et être accompagnée de critères normatifs ou logiques qui soient en mesure d'en rendre compte dans le temps. C'est de cette manière que la croyance est à même de renvoyer, par l'habitude qu'elle sous-tend, à des horizons possibles d'expressions pratiques : ce sont les comportements ou les conduites. A cette condition, quand une croyance se décrit à travers une conduite, il est possible de dire que cette croyance est « stable ». Il est effectivement difficile de croire en quelque chose si Ton n'accorde pas à cette chose une forme ou une autre d'évidence (doxa) qui lui donne son caractère de vérité, c'est-à-dire de stabilité, quel que soit le plan, psychologique ou logique, à partir duquel l'on envisage l'évidence. Cette évidence « psycho-logique » est ce qui détermine un comportement ou une conduite : croire en une chose, c'est être en mesure d'agir conformément à cette chose en fa pensant normativement comme vraie.

Agir en vertu d'une chose, c'est agir parce que l'on croit, en son bon droit ou non, que cette chose est vraie ou juste. Ainsi, si une conduite est liée au vécu psychologique malgré son aspect normatif, c'est parce qu'elle est toujours accompagnée d'une croyance, même implicite ou erronée, et que la croyance, quel que soit son contenu, répond de la psychologie, mais aussi, plus largement, de l'anthropologie. Cependant, si la croyance est bien une notion psychologique, les méthodes de fixation de la croyance [Peirce, 5 (5.377-387)] ne relèvent pas exclusivement du champ psychologique. S'il est possible de fixer une croyance par la contrainte à travers des arguments d'autorité, cela ne signifie pas que seule l'autorité est à même de fixer une croyance. En effet, c'est ce que l'on peut constater concernant les croyances à contenu scientifique. A la différence d'une théorie psychologique, une théorie scientifique « aboutie », c'est-à-dire vérifiée expérimentalement et consensuellement établie du point de vue de sa validité, est toujours nécessaire, et donc contraignante, quant à ses implications et quant à la croyance qu'il faut en avoir, serait-ce de façon provisoire. Pour illustrer ces propos, nous pouvons reprendre un exemple proposé par Peirce : la théorie de la gravitation permet de comprendre certains phénomènes qui se produisent entre deux corps physiques relativement à leurs masses respectives. Mais surtout, elle permet de fixer une croyance qui se rapporte aux effets dynamiques de ces phénomènes. Cette croyance est la suivante : si on lâchait (au conditionnel) un corps d'une certaine hauteur, il ne serait pas en notre pouvoir de croire que ce corps ne tomberait pas à terre. A partir de la théorie, et du protocole expérimental qui la vérifie, la science fixe en nous une croyance : nous croyons que ce corps tombera nécessairement par terre à chaque fois qu'il sera lâché d'une certaine hauteur, même à vouloir croire ou penser le contraire, de sorte qu'il n'est pas besoin d'être « en situation » pour croire en un tel phénomène [2] . Contraints, par la dynamique du réel, à croire à la loi de la gravité, nous tenons celle-ci pour vraie. La contrainte est ici épistémique : précisément, nous sommes contraints à croire aux effets dynamiques de la gravité dans laquelle réside la réalité de la théorie [3] , plutôt qu'à la théorie elle-même (avec laquelle on peut ne pas être familiarisé). Mais il reste que, pour arriver à une croyance au sens pragmatiste du terme, il faut qu'un concept ou une théorie (un « interprétant ») fixe les règles normatives de ces effets ou de ce « réel » afin de procurer au phénomène son caractère d'évidence et de vérité. Nous voyons ainsi comment une théorie scientifique entre dans le vécu psychologique, c'est-à-dire dans les croyances et le jugement, sans pour autant que cette théorie logique relève d'une explication psychologique à strictement parler, c'est-à-dire du psychologisme. Il y a donc un jeu de relation entre le champ normatif (logique) des théories et le champ psychologique causal des croyances. Ceci veut dire que les théories scientifiques bien établies, et portées jusqu'au sens commun, pénètrent le vécu psychologique des individus par la manière dont les théories fixent en eux les vérités scientifiques, alors même que ces individus peuvent être étrangers à la démarche scientifique. Mais cela signifie également que le champ psychologique est aussi, de fait et indirectement, l'objet des théories scientifiques parce que celles-ci affectent, peu ou prou, voire bouleversent, des habitudes ou des attitudes déjà établies sur le plan individuel et/ou sociologique [4] . Par conséquent, on ne peut pas douter de ce que l'on croit sur simple volonté ou sur simple décision à la manière cartésienne du doute. Si le doute se veut méthodique et hyperbolique chez Descartes par exemple, il ne peut pas pour autant être volontaire, systématique et encore moins « radical ». Un doute est vivant et « réel » parce qu'il naît d'un effet de résistance physique ou psychologique et non de l'artifice d'une théorie construite. La survenue dynamique de cette résistance entraîne, par l'enquête (inquiry), la recherche d'une signification correspondante jusqu'à ce que l'appropriation conceptuelle de cette dynamique détermine l'acquisition d'une nouvelle croyance et d'une nouvelle attitude dans les habitudes de conduites. C'est pourquoi la croyance, sur le plan de ses contenus épistémiques, appelle aux vérités normatives de la signification logique. Inversement, la science est toujours marquée de psychologie parce que la démarche scientifique est indéfectiblement liée à ce registre de la croyance. Même si la psychologie doit encore se donner pour tâche de répondre d'une épistémologie rigoureuse, c'est-à-dire de certains critères normatifs de vérité qui puissent fonder la justification de son discours afin d'éclaircir son statut par rapport à ces questions, il reste que c'est dans ce rapport du psychologique et du normatif, du singulier et de l'universel, qu'il s'agit de penser la croyance comme une disposition à l'action. C'est ce rapport qui permet d'envisager une conduite à partir de la contingence ontologique (la facticité concrète) qui la caractérise intrinsèquement et d'en dégager des « fondements » épistémologiques pour la connaissance avec l'a priori que cela suppose.

II. Croyance, institution symbolique et pragmatisme[modifier]

Bien que ce rapport entre la psychologie et la logique soit largement connu dans son aspect empirique-transcendantal (a priori), notamment à travers l'ontologie formelle que développe Husserl dans la phénoménologie eidétique, son aspect pragmatiste reste encore méconnu de la culture phénoménologique de tradition européenne ou « continentale ». Pour présenter cet angle de vue pragmatiste de la phénoménologie, que Peirce développe tout au long de son œuvre [5] , et circonscrire ce qu'il y a à comprendre à travers les rapports qu'entretiennent les critères normatifs/logiques (a priori) de connaissance et la croyance définie comme « disposition à l'action », c'est-à-dire comme habitude, nous pouvons situer d'emblée le nœud de notre problème au croisement des questions complexes de l'institution symbolique [6] telle que l'explicite aujourd'hui, à la suite de Husserl [7] , l'anthropologie phénoménologique de Marc Richir :

« L'acquisition de l'habitus est en rapport intime avec l'apprentissage et ce qu'il implique de durable, dans ce que Husserl nomme déjà une "conviction" (Ueberzeugung). Il s'agit là [...] d'une Stiftung, qui renvoie, primitivement, à une Urstiftung, et dans la répétition de l'acte (ce qu'il nommera "réactivation dans" la Krisis), à la Nachstiftung. [...] Le fait que la "conviction", qui ne change pas en elle- même, qui donc ne se met pas en flux, mais qui ne peut être changée que par d'autres Stiftungen et d'autres actes, ce fait qu'elle demeure pour ainsi dire intacte, montre qu'elle a profondément à voir avec l'institution symbolique, à condition d'entendre la conviction de manière non rhétorique, à savoir comme conviction que "cela est, et est ainsi, vraiment", ou plutôt comme conviction sans préalables argumentatifs. comme conviction originelle que "cela va de soi". A cet égard, toute l'attitude naturelle relève de l'habitus, donc de l'institution, et, de la même manière, l'attitude phénoménologique transcendantale relève de l'acquisition d'un nouvel habitus » [Richir, 7].

En rapprochant le projet phénoménologique de Peirce de ce vaste problème de l'institution symbolique, il est possible de cibler d'une façon un peu plus familière la difficulté précédemment esquissée. Il s'agit du paradoxe apparent qui consiste à appréhender l'action comme quelque chose de nécessairement contingent et individuel dans la spontanéité et l'immédiateté qui la déterminent, tout en considérant qu'elle peut résider dans la constance dispositionnelle et universelle d'une connaissance « a priori ». La difficulté est d'autant plus grande que l'aspect conditionnel ou encore « possible-réel » (dispositionnel) du pragmatisme est, dans l'esprit de son initiateur, irréductible à toutes formes de philosophies positives, de conceptions scientistes ou encore de formulations pratiques et satisfaisantes de la pensée. Cela, a la différence du pragmatisme de William James [8] et des formulations idéologiques de la « cash value » qui consistent à dire, à tort, que ce qui est utile est vrai et que le vrai est l'utile. Si le pragmatisme n'est pas un utilitarisme, c'est parce qu'il s'attache à une conception de la vérité qui, quelle que soit la manière dont elle est déterminée et fixée, est toujours rattachée, via la croyance, au contexte d'une institution symbolique de sens. C'est cette institution de sens qui produit, sur le plan communautaire, des critères de vérités pour ses individus. Ce qui revient à dire que le vrai ne dépend pas de l'utilité que l'on peut tirer de l'application pratique et positive de ces vérités, celles-ci ne pouvant pas se réduire à ce qu'il est satisfaisant de croire du fait qu'elles donnent des résultats dans le cadre de l'intérêt individuel ou de l'intérêt d'un groupe plus ou moins restreint d'individus. Bien au contraire, ces vérités sont toujours déterminées, de façon contraignante, par des critères sur le plan épistémique et sémantique, et jamais sur le seul plan pratique et relativiste de l'utilité.

Dans ses premières heures, le pragmatisme ou « pragmaticisme [9] » de Peirce est la recherche d'une méthode [10] , la quête d'une architectonique et d'une théorie de la connaissance nouvelle qui se donne pour fondement une épistémologie catégoriale et triadique de la signification (la sémiotique) irréductible elle aussi aux seuls processus normatits de signification. En premier lieu, le pragmatisme est donc une conception originale de la théorie de la connaissance dans son rapport à l'exercice pratique concret et dans son rapport à l'irréductible contingence que cet exercice suppose. En second lieu, et en réponse au projet kantien des Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science [Kant, 4], le pragmatisme mène à l'édification d'une métaphysique scientifique élaguée de certains faux problèmes tautologiques ratiocinants liés aux universaux [11] .

Les faux problèmes de la métaphysique qui concernent les universaux [12] - les Idées ou les généraux de la science - sont ceux de la tradition platonicienne, c'est-à-dire ceux qui renvoient directement à l'institution symbolique naissante de la philosophie. En effet, si « les idées donnent aux objets de la connaissance leur dimension de choses » [Richir, 8] relativement à l'expression réfléchissante qu'elles manifestent à travers leur aspect paradoxalement accessible et inaccessible à la fois (d'où les apories), c'est bien « des idées en vue de leur institution comme instance a priori déterminante » dont il est question pour «dégager le sens d'être de ce qui est véritablement » [Richir, 8]. C'est dire qu'il existe encore chez Platon une confusion entre le registre « réfléchissant » et le registre « déterminant » qui ne permet pas de distinguer la philosophie comme institution symbolique (métaphysique) de sens" [13] d'une part et la réalité phénoménologique des phénomènes considérés seulement comme phénomènes d'autre part. Autrement dit, le « passage » architectonique qui va des Idées comprises comme « phénomènes de monde en présence de langage » [Richir, 8] (le réfléchissant) au sens institué « en langue » [Richir, 8] ou en significations (le déterminant) de ces phénomènes est, chez Platon, encore mal délimité et par conséquent systématiquement franchi [Richir, 7]. C'est pourquoi cette tentative problématique de délimitation architectonique, sans cesse renouvelée depuis Platon et dans laquelle s'inscrivent les querelles qu'entretiennent nominalistes et réalistes au sujet des universaux, débouche le plus souvent soit sur des apories soit sur une attitude sceptique.

Dans sa traduction contemporaine, le problème des universaux renvoie à la fausse alternative qui consiste à concevoir l'universel comme ce qui relève ou non du mental (Peirce, 5 (8.7-17)]. Fortement inspiré de Duns Scot, le réalisme de Peirce, poussé à l'extrême, lui fait dire que les universaux sont bien des noms ou des concepts (mentaux), mais qu'ils ne peuvent se réduire à ce que nous en pensons, car si « le réel est ce qui signifie quelque chose de réel » [Peirce, 5 (5.320)], ce dernier n'en reste pas moins « ce qui demeure inchangé par ce que nous pouvons en penser (Peirce, 5 (8.12)]. Il faut prendre la mesure de cette indépendance de l'ontologique par rapport à la pensée comme une ouverture réaliste hors du champ de la « socialité symbolique » [Richir, 8]. Il s'agit là d'une ouverture au champ phénoménologique qui n'est pas du ressort de la pensée formelle. Ceci, précisément parce que ce champ n'a pas besoin d'elle pour être alors que la réciproque n'est pas vraie : la pensée « naît » d'abord et primordialement du champ phénoménologique, qui est son sol {ground), avant de pouvoir s'exprimer indépendamment, pour elle- même, dans un processus rationnel de signification (une semiosis). C'est par la suite seulement, et éventuellement, que la pensée fait retour à l'action dans l'exercice concret de son sens, pour peu qu'elle ne perde pas celui-ci en chemin, dans ce que nous pourrions appeler l'« arraisonnement rationnel » (Gestelf) de cette même semiosis.


III. La démarche architectonique au croisement de la méthode pragmatiste et de la méthode phénoménologique[modifier]

Ainsi, Peirce ne peut envisager de bâtir sa métaphysique en excluant la dimension proprement empirique auprès de laquelle elle tire sa consistance et son épaisseur de contenu. Il s'agit alors de creuser cette dimension concrète et contingente de l'expérience à laquelle s'intéresse la phénoménologie. Cela afin de rendre compte, à l'aide des procédés expérimentaux de la méthode scientifique, des problèmes auxquels se confronte la métaphysique, en considérant ses possibilités de validation et expérimentales de sa démarche, Peirce se démarque ainsi de toute position disruptive à l'égard de la science et de la philosophie en rendant superflues les distinctions théoriques traditionnelles entre nominalisme et réalisme, immanence et transcendance, etc. Nourrie par cette attitude « sortie » du laboratoire où la réalité des universaux se découvre par induction expérimentale, la philosophie a d'abord pour tâche de découvrir ce qui est réellement du phénomène en mettant en exergue les catégories logico-ontologiques qui participent constitutivement de la réalité. Pour ce faire, Peirce déploie sa démarche phénoménologique, dite aussi «Phanéroscopie » :

« Ce que j'appelle phanéroscopie est cette étude qui, s'appuyant sur l'observation directe des phanérons et généralisant ses observations, indique plusieurs classes très générales de phanérons ; décrit les traits de chacune ; montre que bien qu'elles soient si inextricablement mêlées qu'aucune ne peut être isolée, il est néanmoins manifeste que leurs caractères sont tout à fait différents ; puis prouve indiscutablement que la totalité de ces très larges catégories de phanérons est incluse dans une très courte liste particulière ; et procède finalement de la tâche laborieuse et difficile d'énumérer les principales subdivisions de ces catégories » [Peirce, 1 (1.286)].

Il incombe ainsi aux catégories d'unifier les phénomènes ou phanérons dans leurs caractères d'apparitions et de présentations « indépendamment de la question de savoir s'ils correspondent ou non à une chose réelle» [Peirce, 5 (1.284)]. Il faut comprendre que si les catégories de la pensée peuvent se décrire en rapport avec les catégories du réel, ce n'est pas au sens d'une conception correspondantiste de la vérité et du réel. C'est bien plutôt au sens de ce qu'amène avec lui le jugement réfléchissant dans le jugement déterminant, lorsqu'il s'agit de comprendre, par exemple, qu'il faut déjà avoir appréhendé quelque chose de phénoménologique d'un certain problème pour se saisir d'une hypothèse théorique qui s'avère vérifiable dans un laps de temps relativement court, en dépit du nombre infini d'hypothèses possibles et, en conséquence, du temps infini qu'il aurait fallu passer à les vérifier une à une sur le seul plan théorique avant de tomber sur la bonne. Cette saisie « à l'aveugle » d'un problème est une saisie réfléchissante et schématique du « sens-se-faisant [14] » [Richir, 8] qui porte et amène avec lui, soit les interrogations relatives à la mise en langage de ce problème afin de l'appréhender dans sa formulation théorique adéquate, soit les hypothèses protocolaires (liées à un projet expérimental) relatives à ses « solutions » pratiques possibles. Il incombe ainsi au jugement déterminant de mettre correctement en forme l'appréhension réfléchissante d'un problème à la lumière formalisante et prismatique de l'entendement et de ta raison. Mais, par cette formalisation, il est caractéristique du jugement déterminant de reprendre systématiquement à son compte cette découverte, tout en ignorant son origine phénoménologique. Cette découverte apparaît alors., illusoirement comme le produit des catégories logiques elles-mêmes. Autant dire que la métaphysique est une entreprise de « capture » de la raison par la raison elle-même et qu'il est nécessaire de pratiquer une lecture phénoménologique de l'« illusion transcendantale [15] » [Kant, 4] qu'elle déploie dans sa fonction formelle d'appréhension du monde quand les Idées sont tenues seulement et métaphysiquement pour des déterminations de l'entendement à cet égard, le travail critique tel qu'on le retrouve dans l'entreprise kantienne est tout à fait fondamental en ce qu'il rend compte des conditions de possibilité de la connaissance tout en délimitant la portée du champ métaphysique. Plus fondamentalement encore, il est nécessaire que la tâche du philosophe, tout comme celle du psychologue d'ailleurs, soit d'abord « descriptive » au sens phénoménologique du terme - ou plus précisément « phanéroscopique » pour cadrer avec l'éthique terminologique de Peirce-car c'est bien dans le champ phénoménologique (le réfléchissant) que la métaphysique et la science (le déterminant) puisent leurs « subsistances » et leurs renouveaux paradigmatiques [16] :

« Cette science de la Phénoménologie doit donc être considérée comme la base sur laquelle il convient d'ériger la science normative, et elle doit, en conséquence, exiger de nous une attention de tout premier ordre » [Peirce, 5 (5.39)]. C'est sous cet angle architectonique du phénoménologique et du normatif, du réfléchissant et du déterminant, qu'il faut comprendre que la phénoménologie de Peirce (la phanéroscopie) est une approche descriptive permettant la détermination formelle des catégories propres à l'un ou l'autre de ces registres. Par là, « elle examine simplement les apparences directes de façon approfondie, et s'efforce de combiner l'exactitude minutieuse avec la généralisation la plus large possible » [Peirce, 5 (1.287)$$1 afin d'analyser « tout ce qui est ou pourrait être de façon concevable un objet d'expérience ou devenir un objet d'étude de manière directe ou indirecte » [Peirce, 5 (5.37)]. En ce sens, le projet phénoménologique peircien est une entreprise de compréhension des schèmes catégoriaux et de leurs possibilités d'applications qui s'attache à déterminer les différents ordres ou registres du réel. A cet égard, plus qu'une analogie, c'est une filiation qui lie les projets de Kant et de Peirce d'abord du point de vue de la théorie de la connaissance [17]. Mais c'est surtout, ensuite, par rapport à la fondation « en abîme » [Richir, 8] de cette épistémologie critique pour l'un et phénoménologique pour l'autre que la généalogie de ces projets prend tout son sens. Si le premier fait reposer son édifice critique sur la dimension esthétique- réfléchissante du sublime (Critique de la faculté de juger), le second fait reposer la logique et la métaphysique sur la phanéroscopie. Mais en « unifiant » les deux premières Critiques (théorique et pratique) de Kant dans l'expression psycho-logique et pratique-philosophique du pragmatisme, Peirce fait également reposer sa phanéroscopie sur le « soi » {ground) esthétique-réfléchissant. Ce qui lui permet de dire qu'il y a bien un aspect normatif dans toute expérience, étant entendu que « c'est exactement la même nature qui dans l'esprit est universelle et qui est "in re" singulière; car sinon, en connaissant quoi que ce soit d'un universel, nous ne connaîtrions rien des choses » [Peirce, 5(8.18)].


IV. Le problème de l'architectonique[modifier]

Nous pouvons voir combien la démarche de Peirce se situe dans la continuité du projet kantien et combien le problème du jugement fait question par conséquent. C'est à lui qu'incombe la tâche de subsumer le particulier sous l'universel dans la jonction architectonique qu'il opère entre le champ réfléchissant (phénoménologique) et le champ déterminant (symbolique des catégories). Cette continuité de projet permet d'une part de rendre compte de l'ancrage ontologique de certains universaux - les universaux épistémologiques - qui accompagnent la science dans son projet expérimental. Elle permet d'autre part de mettre en évidence le caractère des habitudes (habits) et des comportements (conducts) humains à travers ce qui fait leur « nature symbolique » en les révélant comme le prolongement en extension déformée, eu égard à la « transposition architectonique [18] » [Richir, 7], de la « nature phénoménologique ». En effet, la question du jugement synthétique a priori [19] qui, rappelons-le, renvoie à la question fondamentale du projet expérimental de la science physique - est la question à laquelle Peirce cherche à répondre de façon quelque peu différente de celle de Kant et de la science physique : comment un jugement peut-il être à la fois déterminant (a priori) et contingent (factice) dans son ouverture phénoménologique ? Autrement dit, dans sa reformulation en langage peircien, il s'agit d'appréhender la réalité des universaux épistémologiques en évacuant la question transcendantale, c'est-à-dire en évacuant la dimension a priori des choses telle qu'on la retrouve chez Kant ou Husserl par exemple. Pour Peirce, la question est nouvellement de savoir ce qu'est un jugement synthétique en dehors de ce qu'il appelle « l'esprit du cartésianisme » [Peirce, 5 (5.264-265)]. C'est pourquoi il en cherche les possibilités auprès des médiévaux et dans la logique éruditi qu'ils élaborent, notamment chez Ockham et Duns Scot. Cependant, s'il est juste de dire que Peirce porte un intérêt particulier à montrer h réalisme des universaux épistémologiques - les lois scientifiques — de façon à savoir en quoi ils sont des jugements synthétiques, c'est don parce que sa démarche, quoique différente du transcendantalisme d< Kant, est profondément enracinée en elle au sens où « le pragmatisme (...) a été conçu et construit, pour utiliser l'expression de Kant, de manier architectonique » [Peirce, 5 (5.5)].

A travers « la construction architectonique du pragmatisme » [Peirce 5 (5.5)}, nous trouvons une ébauche de solution quant au problème qi s'est installé au début de ce texte : c'est en se délestant de l'idéalisme transcendantal caractéristique de la démarche kantienne, pour laisser les catégories et le jugement à leur ouverture phénoménologique et seulement phénoménologique (le phanéron [20] ). que l'on peut prendre la mesure du nécessaire problème de l'architectonique. Autrement dit, c'est dans cette sorte de « rebours épistémologique » qu'on retrouve le hiatus « archéologique », pré-logique et pré-langagier, à partir duquel s'instituent schématiquement la socialité symbolique en général et l'institution symbolique de la métaphysique en particulier. Ainsi se jouent, au plus profond de cette disruption architectonique, les rapports entre la contingence des contenus empiriques/psychologiques et fa conception formelle (normative) temporalisée et spatialisée que prend cette contingence. Si, chez Kant, ces rapports s'illustrent par la disruption qu'il y a entre le phénomène et l'a priori transcendantal, chez Peirce, ils s'illustrent à travers le problème des universaux. Que ce soit pour l'un ou pour l'autre, c'est moyennant ces rapports que peut être appréhendée la dimension architectonique à proprement parler, c'est-à-dire l'irréductible hiatus schématique qui partage toute institution symbolique de sens - la métaphysique et la science entre son propre champ (symbolique) et le champ phénoménologique, - l'architectonique étant « l'étude systématique des rapports entre ces deux dimensions de l'expérience, et des diverses situations qu'elles peuvent articuler selon les niveaux de l'analyse » [Richir [21] ].

Le projet de Peirce prend son orientation architectonique, précisément, à travers cet enchevêtrement du symbolique et du phénoménologique puisque c'est dans la fondation architectonique kantienne de la métaphysique [22] que s'origine en partie sa démarche. La direction qu'emprunte Peirce rappelle le fait que Kant institue, par la méthode architectonique [23] , les problèmes métaphysiques hérités de la philosophie antique et des sciences mécaniques classiques. Mais surtout, en mesurant philosophiquement la possibilité d'ouverture à un « dehors » contingent que commande l'indétermination de l'expérimentation scientifique dans ses contenus empiriques et ses résultats, il institue nouvellement l'épistémologie physicahste à travers l'élaboration de son entreprise critique [24] . Le projet peircien s'inscrit ainsi dans la généalogie kantienne parce qu'il lit et déploie la métaphysique comme un « horizon symbolique de sens » [Richir, 8] à travers l'amorce d'une forme d'idéalisme particulier- dit « objectif » - investi, dans l'exercice phanéroscopique, d'une expression réaliste et architectonique. Tout en étant ouvert au phénoménologique, il faut donc souligner que Peirce s'inscrit dans une véritable épistémologie scientifique. En déployant une continuité méthodologique initiée par Kant dans son système critique (l'architectonique), Peirce se donne les moyens « de repenser le statut en physique du projet expérimental » [Richir, 8]. C'est dans la lucidité de cette fondation « par le bas », « en abîme phénoménologique », de la métaphysique, radicalisée par l'épistémologie kantienne et par le caractère objectif de son idéalisme, que Peirce en pratique une « lecture symbolique» [Richir, 8] dont la sémiotique qu'il met en place est l'expression. De cette nécessité de fonder architectoniquement la métaphysique et la science eu égard à la complicité dont elles font preuve par leurs renvois mutuels, Peirce tire, en quelque sorte, deux ontologies distinctes. La première se comprend dans le cadre de ='« attitude naturelle » (Husserl) ou des habitudes de conduite : c'est une « ontologie » relative à l'institution symbolique de monde de la métaphysique et de la science. Il s'agit de la « socialité symbolique » [Richir, 8] que décrit l'aspect normatif de sa sémiotique à travers la catégorie de la Tiercéité, c'est-à-dire à travers le mouvement logique et rationnel de la signification (le procès sémiotique) qui fait l'unité symbolique et triadique (intentionnelle) du processus instituant. La seconde, le « fundamentum universalitatis » [Peirce, 5 (6.377)] ou le ground sur lequel repose la première, est une ontologie phénoménologique non appréhendable du point de vue de l'idéation logico-mathématique (des sciences normatives), parce qu'elle appartient aux procédés intentionnels et antéprédicatifs caractéristiques de la phénoménologie. Il s'agit de la « socialité phénoménologique » [Richir, 8] dont le champ est celui de l'eidétique sans concepts des deux premières catégories peirciennes que sont la Priméité, catégorie des qualia de l'expérience et des « phénomènes-de-monde hors langage » [Richir, 7], et la Secondéité, catégorie de la facticité vive et concrète de l'existence [Peirce, 5 (1.324-325)] et de l'affectivité au sens large. La démarche de Peirce peut se comprendre ainsi, dans ces deux versants, comme « singulière par l'ancrage singulier du sujet dans l'épaisseur phénoménologique ae iexpciicin.c, ci umiwcikic*. l'ancrage, en droit universel, du sujet à l'ordre symbolique » [Richir, 81. A travers l'articulation du registre phénoménologique et du registre symbolique, l'architectonique de Peirce révèle la possibilité, pour le procès sémiotique, de se clore sur lui-même dans un processus strictement normatif au risque de se perdre dans la dégénérescence de son propre arraisonnement symbolique (Gestelf) s'il ne s'alimente pas du champ phénoménologique-réfléchissant.

Le projet phanéroscopique de Peirce sous-tend ainsi un projet profondément catégoriel et métaphysique à la différence du projet anthropologique-phénoménologique comme rien que phénoménologique de Marc Richir ou du projet phénoménologique de Husserl qui développe une épistémologie transcendantale. Enraciné dans le champ esthétique-réfléchissant à l'aide duquel il reprend et développe la vision scotiste de l'universel métaphysique, c'est-à-dire de « l'universalité sans concepts de la dimension phénoménologique » [Richir, S], le projet phénoménologique de Peirce, eu égard au projet expérimental de la science, révèle l'irréductible considération épistémologique des modes de l'indétermination (apeiron) du réel et de la connaissance que sont le vague et le général. L'enracinement phénoménologique-matriciel de l'épistémologie peircienne, quant à lui, révèle non seulement la nécessité de la démarche architectonique pour toute entreprise de connaissance à visée réaliste, mais aussi la fonction critique de la phénoménologie relativement aux questions de métaphysique.


V. Horizons pour une anthropologie phénoménologique[modifier]

Par delà le projet scientifique expérimental qui est, en lui-même, ouverture à la contingence phénoménologique, Peirce systématise encyclopédiquement sa démarche phanéroscopique « de telle sorte qu'elle décrive tous les traits qui sont communs à tout ce dont on peut faire ou concevoir l'expérience» [Peirce, 10 (5.37)], ce qui se décrira à terme comme « l'élaboration d'un nouveau modèle du mental » [Tiercelin, 10] ou plutôt comme l'élaboration du premier modèle architectonique et d'« allure » systématique du mental, « lucide » par rapport à son origine phénoménologique. En ce sens, il n'a de systématique, c'est-à-dire de tautologique, que son allure, car ce modèle de compréhension du mental permet l'appréhension des phénomènes en tant qu'ils sont considérés seulement comme des phénomènes (les phanérons). Ce que nous pourrions appeler le « mental phénoménologique » est ce modèle fort intéressant du penser que nous avons souhaité présenter succinctement à travers ces quelques lignes en réponse à l'impossibilité phénoménologique propre aux filiations cartésiennes de la philosophie et de la science d'une part, mais aussi en réponse aux approches unilatéralement cognitives de la sémiotique (le mental sémiotique) d'autre part. Devenues quasi traditionnelles, ces approches normatives évacuent et souvent même ignorent la dimension esthétique-réfléchissante que le projet de Peirce-pour sa part-abrite dans ses aspects phénoménologique et architectonique à la fois :

« De toute évidence, c'est dans l'esthétique que nous devons chercher les caractéristiques les plus profondes de la science normative : c'est en effet l'esthétique, du fait qu'elle traite l'idéal lui-même dont la simple matérialisation absorbe l'attention de la pratique et de fa logique, qui doit contenir le cœur, l'âme et l'esprit de la science normative » [Peirce, 6].

La perspective à laquelle nous arrivons au terme de cette introduction au projet phénoménologique et architectonique de Peirce nous permet de déterminer le « point d'entrée » proprement phénoménologique à partir duquel doivent s'effectuer tant les analyses catégoriales et normatives du champ épistémologique de la science que les analyses d'ordre métaphysique qui pourraient donner à la métaphysique une dimension concrète et scientifique. Il nous semble que si ce point d'entrée, esthétique- réfléchissant donc, peut se retrouver autant sous l'angle catégoriel chez Peirce que sous l'angle anthropologique chez Marc Richir, c'est parce que « la logique doit être fondée sur l'éthique, dont elle est un développement supérieur » [Peirce, 6] et que « l'éthique repose de la même manière sur un fondement esthétique » [Peirce, 6), mais if nous semble que c'est aussi parce que « la lecture symbolique de la métaphysique commence par la réflexion esthétique, phénoménologique, de son langage, de la "signification" phénoménologique de ses catégories logico-ontologiques [...] » [Richir, 8]. C'est à ce même point d'entrée phénoménologique que doit s'intéresser la psychologie, non pas tant du point de vue de la formation des croyances comme causes des comportements ou des conduites, mais bien plutôt sous l'angle de la facticité clinique (les psychopathologies essentiellement), si elle veut se donner les moyens épistémologiques de statuer sur ces questions de manière à se constituer comme « science » à partir d'un fondement normatif de ses conceptions. Le regard richirien avec lequel nous avons croisé cette introduction à la démarche peircienne ainsi que les quelques thèmes qui ont été développés succinctement concernant la psychologie et les sciences normatives nous permettent de dire qu'il y a une nécessité architectonique qui se joue au carrefour de ces disciplines. La prise en compte des rapports qui existent entre le champ psychologique causal des croyances et le champ normatif des lois scientifiques nous donne ainsi des pistes pour développer une anthropologie phénoménologique au croisement de la psychologie et de la logique (des sciences normatives). Considérée depuis un point de vue architectonique, la phénoménologie permet de dégager en effet un horizon épistémologique à partir duquel la psychologie et la logique scientifique peuvent se retrouver dans une dimension commune.


  1. « Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l'effet de notre conception. La conception de tous ces effets est la conception complète de l'objet » [Peirce].
  2. D'où l'énoncé conditionnel et « contractuel » de cette théorie qji, quand elle est formulée dans les termes et les conditions d'une loi scientifique, do:t se comprendre comme une possibilité réelle, c'est-à-dire comme « une sorte de esse in futuro » (Peirce, 5 (5.48)),
  3. Cette « réalité » de la théorie est un problème qui concerne le réalisme des universaux épistémologiques comme nous allons le voir un peu plus loin. Il oppose les arguments nnrrirahstes aux arguments réalistes : • le fond de tous les arguments nominalistes, on le voit, se rapporte à une res extra inimam, tandis que le réaliste détend sa position en assumant simplement que l'objet immédiat de la pensée dans un jugement vrai est réel » (Peirce, '0 '8.17».
  4. Sur le plan de l'histoire des sciences et de l'épistémologie. nous retrouvons, par exemple, ce> rapports entre l'empirique, le psychologique (la croyance) et le normatif a t*avers a notion de « paradigme » et la façon dont les effets dynamiques d'un paradigme scientifique nouvellement établi instituent une nouvelle vision du abonde et du rapport à aufui quand il s'enracine jusque dans les croyances de sens commun : « Non seulement les généraux peuvent être réels, mais ils peuvent auss: être pftys/quement efficients, non en tous 'es sens métaphysiques, mais dans l'accept*on du sens commun dans laquelle les fmalités humaines sont physiquement efficientes » [Pece, 6|. Peur une étude de cette question du paradigme scientifique, nous renvoyons à l'ouvrage de Georges Lanteri-Laura: 5ssa/ sur les paradigmes de la psychiatrie moderne, Êd. du Temos, Paris. 1998.
  5. Pour mesurer l'évolution de la position peircienne relativement à ce pro;et phénoménologique, nous renvoyons à l'article de André De Tienne, « La genèse des concepts fondamentaux de la phénoménologie de Charles S. Peirce », les Études Phénoménologiques, numéros 9-10, Ousia, 1989, po. 9-50.
  6. Les questions qui font le problème de l'institution symbolique sont complexes parce que c'est un problème qui se trouve au croisement de plusieurs champs : psychologie, phénoménologie, logique et anthropologie : « Par institution symbolique, nous entendons donc tout d'aborc, dans sa plus grande généralité, l'ensemble, qui a sa cohésion, des "systèmes" symboliques (langues, pratiques, techniques, représentations) qui "quadrillent" ou codent l'être, l'agir, les croyances et le penser des hommes, et sans que ceux-ci n’en aient jamais "décidé" (délibérément), ce pourquoi nous utilisons le terme, anonyme, d'institution, nécessaire pour comprendre ce qui. par l'Institution, paraît comme toujours déjà "donné" d'ailleurs. Son paradoxe fondamental est donc de paraître toujours déjà constituée, tout d'abord et le plus souvent inaperçue comme fe//e, ne se livrant jamais avec son origine, et d'étre en même temps l'objet de multiples apprentissages, au demeurant jamais exhaustifs-c'est ce qui fait le nerf de l'éducation humaine, dont on sait qu'elle est injinieet qu'elle ne peut jamais conduire à omniscience et â l'omni sapience » [Richir, 7]. It nous faudra revenir ultérieurement sur ces questions parce que nous ne pouvons pas développer ici les diverses implications du problème de l'institution symbolique qui nous intéressent. Nous renvoyons à l'ouvrage de Marc Richir : Phénoménologie et institution symbolique, Èd. J. Millon, 1988.
  7. Et plus précisément à la suite de "historicité transcendantale que Husserl déploie dans la Krisis,
  8. William James, La volonté de croire. Les Empêcheurs De Penser En Rond, 2005.
  9. L'acception originale du pragmatisme de Peirce s'est vue bien mal jsitée et dévoyée par le sens que c'autres en ont fait par ;a suite. C'est pourquoi 3eirce effectue cette différence terminologique entre « pragmatisme » et « pragmaticisme ». Il « espérait » par là, non sans humour, que ce terme soit « suffisamment laid » pour qu'il ne tente pas de nouveau les kidnappeurs idéologiques [Peirce, 5 {5.414}].
  10. Charles S. Peirce, A la recherche d'une méthode. Éd. Théétète, traduction française sous la direction de G De=eda"e, 1993.
  11. Classiquement, un terme est dit « universel » quand il peut être affirmé de olusieurs sujets. Les considérations que nous tenons dans ce texte concernant les universaux se basent sur le travail effectué par Claudine Tiercelin autour du problème des universaux chez Peirce : C Tiercelin, Le problème des universaux chez C.S. Peirce. Doctorat d'État, Paris . 1990. L'importance que nous accordons à ce problême réside dans le fait au'il révèle la démarche proprement architectonique de Peirce.
  12. Notons que le lien qu'entretient le problème des universaux avec la métaphysique est difficile à défaire, car ce problème est a la racine même de « l'institution symbolique de la métaphysioue » [Richir. 8].
  13. Et plus largement encore comme « institution symbolique de monde », ce que l'on peut appeler en :'occurrence le « monde grec ».
  14. Cette question schématique du sens-se-faisant est visible à travers le problème du « cercle herméneutique » du comprendre et de l'apprendre. Ce qui est en question en fait est le problème concernant la découverte « inopinée » telle qu'elle peut s'illustre' dans le cadre de la recherche pratique, mais aussi dans le cadre de la recherche de sens. C'est di'e qu'en dehors de certains facteurs tels que =e hasard, la chance, etc., la contingence - qui n'en est pas tout à fait une - à laquelle nous nous intéressons ici met en jeu ce que Marc Richir nomme le « phénomène de langage » [7]. Ce qui est en jeu. sans dire qu'il s'agit de l'intuition, est « ce » dont on peut avoir « quelque part » le pre-sentiment sans Douvoir déployer immédiatement, distinctement et à volonté ni sa 'ormuiaticn en tangage ni sa réalisation concrète comme dans le cas d'une pré- effectuation ce sens dê.a établie conceptuellement et symboliquement. Le phénomène de 'engage est une réponse architectonique possible au problème circulaire et tautologique du « cercle herméneutique » : ': peut être rapproché de la fonction ironique de l'acte de langage qui, chez Peirce, déploie les qualités du signe dans une activité « pragmatique » de pensée. Cette activité vivante de langage ne vise pas encore la réalité (symbolique) comme telle ou un objet au sens intentionnel du terme, parce que cette fonction qualitative de langage n'est pas encore une activité de représentation, puisqu'elle n'est pas encore liée, du fait de sa primitivilé phénoménologique, à la réalité du « système » symbolique institué de la langue ou, pour le dire vite, à la logique déterminante.
  15. Comme Kant le montre bien. « la métaphysique, en tant qu'elle est une Disposition naturelle de la raison, est réelle, mais [...] par elle seule, elle est dialectique et trompeuse. Donc, vouloir y puiser les principes et suive, en s'en servant, l'apparence qui, pour être naturelle, n'en est pas moins fausse, cela ne peut produire qu'un vain art dialectique, jamais une science [...] « [<ant. 4]. Cette tendance « capturante » et « fonctionnelle » de la raison que nous évoquons se retrouve dans l'illusion transcendantale dès lors que cette illusion déborde son cadre fonctionnel et devient ratiocinante en dégénérant dans l'arraisonnement symbolique du Geste//. Nous y viendrons un peu plus loin.
  16. à travers ses multiples formulations au cours de l'histoire de la philosophie, le problème des universaux se révèle être un exemple paradigmatique de ces renouveaux métaphysiques et épistémologiques.
  17. En cela, tout en s'inscrivant dans l'optique kantienne, l'entreprise philosophique de Peirce renvoie bien au projet expérimental de la science. Soulignons toutefois que si la forme donnée à l'expérience est une forme transcendantale pour Kant (celle de l'intuition pure de l'espace et du temps associée aux catégories de l'entendement), il n'en va pas de même pour Peirce. La question génétique de son ontologie se joue de façon tout à fait différente, notamment par la manière dont elle se démarque des options intuitivistes que l'on retrouve non seulement chez Kant, mais chez bien d'autres philosophes comme Aristote ou Husserl par exemple.
  18. C'est-à-dire eu égard au « passage schématique » [Richir, 7] qui «relie» les champs phénoménologique et symbolique.
  19. Notons que les jugements synthétiques a priori recouvrent chez Kant la forme pure de l'espace et du temps (mathématiques) ainsi que le contenu empirique des phénomènes « inscrutables pour eux-mêmes " (Richir, 8].
  20. A la différence du phénomène considéré «comme rien que phénomène» [Richir, 8], le phanéron. considéré comme phénomène et seulement comme phénomène, est « la totalité collective de tout ce qui, en quelque façon ou quelque sens que ce sort, est présent à l'esprit tout à fait indépendamment de la question de savoir s'il correspond ou non à une chose réelle » [Peirce. 5(1.284)].
  21. Marc Richir, « Problèmes architectoniques en phénoménologie », Séminaires du Laboratoire de psychopathologie fondamentale et psychanalyse du Professeur Pierre Fédida, Université Paris 7, 2000 2001.
  22. Voir à ce propos l'ouvrage de F. Pierobon : Kant et la fondation architectonique de la métaphysique. Éd. J. Millon. 1990.
  23. « j'entends donc par théorie transcendantale de la méthode la détermination des conditions formelles d'un système complet de la raison pure. A cette fin nous aurons à nous occuper d'une discipline, d'un canon, & une architectonique. et enfin d'une histoire de la raison pure, et nous exécuterons dans une intention transcendantale ce que l'on tente dans les écoles sous te nom de logique pratique par rapport à l'usage de l'entendement en général (...]. L'idée, pour être réalisée, a besoin d'un schème. c'est-à-dire d'une diversité et d'une ordonnance des pant»es qui soient essentielles et déterminées a priori d'après le principe de la fin. Le schème qui n'est pas esquissé d'après une idée, c'est-à-dire d'après la fin capitale de la raison, mais empiriquement [nous soulignons), suivant des buts qui se présentent accidentellement (dont on ne peut savoir d'avance le nombre) donne une unité technique ; mais celui qui provient d'une idée (où la raison fournit a priori les fins et ne les attend pas empiriquement), celui-là fonde une unité architectonique » [Kant. 3|.
  24. « Ce que nous nommons science ne peut naître techniquement, par suite de la similitude du divers ou de l'emploi accidentel de la connaissance in concreto a toutes sortes de Ans extérieures et arbitraires, mais architectoniquement [nous soulignons], en vertu de l'affinité des parties et de leur dérivation d'une unique fin suprême et interne, qui rend d'abord possible le tout ; et son schème doit renfermer conformément à idée, c'est-à-dire a priori. l'esquisse [monogramma) du tout et son articulation en parties, et le distinguer sûrement et suivant des principes de tous les autres » [Kant. 3].