Nouveaux privilèges des avocats

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Les nouveaux privilèges des avocats : fiducie, convention de procédure participative, acte privé contresigné.

Jérôme Bonnard Professeur à l’Université de Paris VIII Saint-Denis Directeur du Master de Droit des Affaires et Fiscalité Membre du Laboratoire de Droit médical et de la santé (EA 1581)


« Si le métier commence avec la défense de l’infortune, il se poursuit avec le conseil de la fortune » (George Izard, in Éloge de George Izard, par Christian Charrière-Bournazel – discours de rentrée de la Conférence 1976, archives de l’Ordre)


De la République des avocats. Pas un mois, pas une semaine, pas un jour sans l’annonce de nouvelles mesures, souhaitées ou inspirées par les organisations professionnelles des quelques 53 744 avocats recensés en France au 1 janvier 2011. Dans notre République, les hommes de lois sont manifestement plus habiles à conseiller leur fortune qu’à défendre l’infortune. Il est vrai qu’avec autant de dirigeants politiques et parlementaires, issus du milieu des avocats d’affaires hauts de gamme, l’adoption d’avantages corporatifs est devenue une simple formalité (en 2011 : 39 avocats à l’Assemblée nationale, 18 au Sénat).

Sans être exhaustif, nous évoquerons, en introduction, trois événements disparates dont les membres de la profession des avocats ont bénéficié depuis l’élection d’un des leurs à la présidence de la République : les avatars de la réforme du statut des enseignants-chercheurs, l’institution de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée, et l’augmentation substantielle du montant de leurs droits de plaidoirie.


L’avocat-enseignant-chercheur.[modifier]

Tout d’abord, la réforme du statut des enseignants-chercheurs des universités (Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités dite LRU ; décret n° 2009-460 du 23 avril 2009 relatif au statut des professeurs et des maîtres de conférences des universités). À l’origine, les nouveautés tenant à la modulation du service et à l’évaluation des enseignants-chercheurs, inconnues des universités anglo-saxonnes, avaient pour but d’alléger le service de ceux qui s’investissent dans des missions d’intérêt général pour un traitement très inférieur à celui de leurs homologues étrangers, et d’augmenter d’autant le service de ceux connus dans nos Facultés pour s’investir dans des cabinets hautement lucratifs. Désormais, à la suite de moult interventions feutrées, ceux qui « font tourner la boutique », dans une indifférence générale, sont astreints à une évaluation individuelle pour avoir le droit, non pas d’obtenir, mais de solliciter quelques primes ou avancements, voire une modulation de service abandonnée au bon vouloir du président de leur Université. Quant à leurs collègues, avocats d’affaires et conseils en optimisation fiscale ou médicale, ils ont purement et simplement échappé à l’alourdissement de leur service. Ce dénouement vient d’être réaffirmé, le 16 décembre 2011, par le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Monsieur Laurent Wauquiez, à l’occasion du lancement de la campagne 2012 de l’évaluation individuelle des enseignants- chercheurs : « L’évaluation ne saurait servir de fondement à une modulation des services, qui repose uniquement sur le volontariat de l’enseignant-chercheur. » (interview du 16 décembre sur le site www.EducPros.fr/).

L’avocat-sans-risques.[modifier]

Ensuite, le statut de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL), issu de la loi n° 2010-685 du 15 juin 2010. Ce statut, applicable depuis le 1er janvier 2011, permet à un entrepreneur individuel d’opérer une séparation entre ses biens personnels, meubles et immeubles, et ceux spécialement affectés à son activité professionnelle. C’est le nouveau principe formulé par l’article L. 526-6, alinéa 1er, du Code de commerce : « Tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale. » Il va de soi que les termes « Tout entrepreneur individuel » sont suffisamment larges pour englober le commerçant, l’artisan, l’agriculteur, l’éleveur et « toutes personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale » (C. com., art. L. 620-2, al. 1er ; L. 631-2, al. 1er ; L. 640-2, al. 1er). Il en est ainsi des diverses professions libérales du droit comme celles des avocats, des notaires et des experts-comptables (Jérôme Bonnard, Droit des sociétés, Hachette supérieur, Les Fondamentaux du Droit, 2011/2012, 8ème édition, p. 15). Les avocats en entreprise individuelle, dont certains sont aujourd’hui en cessation de paiement, peuvent ainsi faire échapper leur patrimoine personnel à toute saisie de leurs créanciers et clients malheureux.


L’avocat-percepteur-retraite.[modifier]

Enfin, tout dernièrement, un décret n° 2011-1634 du 23 novembre relatif aux droits de plaidoirie des avocats vient d’en augmenter le montant de plus de 40%. Ces droits alloués aux avocats pour la plaidoirie et perçus par eux sont prévus par l’article L. 723-3 du Code de la sécurité sociale. Aucun justiciable ne peut y échapper, puisqu’ils sont dus à l’occasion de chaque représentation ou plaidoirie assurée par un avocat aux audiences de jugement des juridictions administratives de droit commun et de la plupart des juridictions judiciaires, y compris dans le cadre de procédures de référé. Ils sont également exigibles devant le Conseil d’État et la Cour de cassation, sauf pour les affaires dispensées du ministère d’avocat. Les droits de plaidoirie sont affectés au financement du régime d’assurance vieillesse de base de la Caisse nationale des barreaux français.

Les droits de plaidoirie sont mêmes exclus du champ de l’aide juridictionnelle.[modifier]

Le Conseil constitutionnel vient ainsi de juger conforme à la Constitution cette exclusion, considérant que son montant modique ne pouvait constituer une quelconque entrave au droit d’accès à un tribunal garanti par l’articles 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (Cons. const., Décision n° 2011-198, QPC du 25 novembre 2011, M. Albin R.). Certes, pour l’heure la somme est modique (13 euros), mais son augmentation surprise de plus de 40% en pleine crise économique l’est beaucoup moins. Comme l’écrivait Victor Hugo : « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches. » L’humiliation de la profession des notaires. Ces trois événements hétéroclites sont passés relativement inaperçus, sans doute parce qu’ils n’ont guère eu d’impacts sur les autres professions du droit qu’il s’agisse de celle des notaires (91 32 au 1 mai 2011), des juristes d’entreprise salariés (plus de 5 000), des experts-comptables (plus de 18 000), et des huissiers de justice (environ 3 300). Tel n’a pas été le cas, en revanche, de trois autres réformes qui ont institué de nouveaux instruments du droit avec la fiducie, la convention de procédure participative, et l’acte privé contresigné. Cette fois, toutes les professions du droit, autres que celle des avocats, ont été sciemment exclues de leur exercice, les nouveaux « marchés du droit » étant de jure réservés aux seuls avocats. Les plus marris ont été les notaires qui ont bu le calice jusqu’à la lie, faute de maîtriser les techniques du lobbying .

L’éthique déontologique.[modifier]

Le premier feu de salve contre la profession des notaires a eu pour origine le rapport de la « Commission pour la libération de la croissance française », présidée par Jacques Attali, qui a été remis au président de la République le 23 janvier 2008 (en ligne : La Documentation française, 2008). Cette commission avait été chargée par le président de la République d’étudier « les freins à la croissance ». Parmi, ces freins, le rapport identifiait les problèmes soulevés par certaines professions réglementées, mélangeant, avec un humour digne des réquisitoires du Tribunal des Flagrants Délires, les coiffeurs, les notaires et les taxis (Rapport Attali, p. 156). Puis, ciblant davantage les professions réglementées dans l’univers du droit, la commission relevait « dans certains métiers du droit, des modes d’organisation économique hérités du passé que plus rien ne justifie aujourd’hui et sans lien avec le contrôle légitime de la compétence des professionnels et la surveillance de leur activité » (Rapport Attali, p. 165). Aussi recommandait-elle « d’ouvrir très largement les activités de notaire à des nouveaux professionnels entreprenants » (Rapport Attali, p. 168) ; de « supprimer les tarifs réglementés » (ibid.), et « d’autoriser les rapprochements des études de notariat et des cabinets d’avocats » (Rapport Attali, p. 169). Le second feu de salve contre le notariat trouve sa source dans le rapport d’une commission présidée par Maître Jean-Michel Darrois, dont le cabinet d’avocat est au top du classement 2011 des meilleurs cabinets en fiscalité des LBO (Leverage buy-out), financement d’acquisition ou M&A (Mergers and Acquisitions), et régulation des marchés. Le président de la République, dans sa lettre de mission, en date du 30 juin 2008, l’avait invité à réfléchir à la constitution d’une grande profession unifiée du droit, en ces termes : « Cher Maître… la commission que vous présiderez formulera… toutes les propositions visant à créer en France une grande profession du droit ». Aucun membre de la profession des notaires n’a été invité à faire partie de cette commission. Certes, le rapport de la commission Darrois, remis au président de la République le 31 décembre 2009, n’a pas retenu l’hypothèse d’une fusion absorption de la profession des notaires par celle des avocats, qui aurait permis à ces derniers de mettre un terme au quasi-monopole des notaires sur les actes relatifs aux transactions immobilières. Cependant, il s’est montré relativement ungracious à l’égard des notaires. C’est ainsi qu’il s’est borné à qualifier leurs activités de « monopolistiques » (Rapport Darrois, p. 50 ; devant la commission des lois du Sénat, le 27 mai 2009, Maître Jean-Michel Darrois avait déjà relevé que les notaires « semblaient recroquevillés sur leur monopole »), tout en prônant l’ouverture de cette profession « à un plus grand nombre d’impétrants » (Rapport Darrois, p. 51), avant de l’inviter pour « y insuffler un nouveau dynamisme, à s’associer… dans le cadre de structures interprofessionnelles, avec d’autres professions du droit et notamment les avocats » (Rapport Darrois, p. 52).

Plan.[modifier]

Dans ce contexte, ô combien pénible pour une profession des notaires, connue pour ses qualités de discrétion et de courtoisie, ainsi que pour sa grande compétence, plusieurs lois lui ont asséné le coup de grâce. D’une part, les lois du 19 février 2007 et du 4 août 2008 sur la fiducie, qui permettent aux avocats d’avoir la qualité de fiduciaire et, a contrario, interdisent cette fonction aux notaires (Première partie). D’autre part, une loi du 22 décembre 2010, qui réserve le monopole de la convention de procédure participative qu’elle crée à la profession des avocats (Deuxième partie). Enfin, une loi du 28 mars 2011 qui octroie à cette même profession des avocats le monopole d'un nouvel instrument de preuve: l'acte privé contresigné (Troisième partie).


Première partie. L’exercice d’une activité fiduciaire par un avocat[modifier]

Créée par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, et renforcée par petites touches successives par la loi n° 2008-776 de modernisation de l’économie du 4 août 2008, dite LME, et deux ordonnances du 18 décembre 2008 et du 30 janvier 2009, la fiducie permet à une personne, le constituant, de confier des actifs (biens, droits, sûretés) à une autre personne, le fiduciaire à charge pour celle-ci de les rétrocéder, après un certain temps, à un bénéficiaire (C. civ., art. 2011) ; ce dernier pouvant être aussi bien un vrai tiers que le constituant ou le fiduciaire (C. civ., art. 2016).

A. Du côté du droit[modifier]

L’utilisation de la fiducie. Une condition, qui n’existe pas dans le mécanisme équivalent du trust anglo-saxon, limite pour l’heure l’usage de la fiducie : l’opération doit répondre à un but déterminé étranger à toute intention libérale (C. civ., art. 2013). On ne peut donc y recourir à des fins successorales (fiducie-libéralité). En revanche, l’opération de fiducie peut permettre à une entreprise d’isoler des actifs dans un patrimoine autonome afin de garantir le remboursement d’un crédit (fiducie-sûreté). La fiducie- sûreté fait ainsi l’objet des articles 2372-1 à 2372-6 du Code civil, issus d’une ordonnance du 30 janvier 2009. La fiducie peut aussi permettre d’assurer la gestion d’actifs suivie de leur transmission au profit d’un bénéficiaire (fiducie- gestion). Cette fiducie-gestion ne fait pour l’instant l’objet d’aucune disposition autonome dans le Code civil.

L’insaisissabilité du patrimoine fiduciaire. Les actifs transférés au fiduciaire sont séparés des patrimoines propres du constituant et du fiduciaire (C. civ., art. 2011). Ils ne peuvent donc être saisis ni par les créanciers du fiduciaire, ni par ceux du constituant soumis à une procédure collective (C. civ., art. 2024). De cette façon, la fiducie peut être utilisée par des entreprises pour mettre des actifs à l’abri des actions de leurs créanciers (Jérôme Bonnard, Droit des entreprises en difficulté, Hachette Supérieur, 5ème édition, 2012, p. 25 et. s). Tout au plus, le législateur protège-t-il les créanciers du constituant de deux manières. D’une part, en leur permettant d’exercer les droits de suite attachés à une sûreté publiée avant la conclusion du contrat de fiducie (les biens mis en fiducie ne sont pas purgés des sûretés dont ils sont grevés). D’autre part, avec la nullité de droit des fiducies constituées en période suspecte d’une procédure de redressement judic iaire ou de liquidation judiciaire (cette sanction est étrangère à la procédure de sauvegarde qui, faute de cessation des paiements du débiteur, ne connaît pas de période suspecte).

B. Du côté de l’avocat[modifier]

La crédibilité de l’opération de fiducie dépend pour beaucoup des compétences du fiduciaire en matière de gestion patrimoniale. C’est la raison pour laquelle, dans sa grande sagesse, le législateur avait précisé, dès 2007, que seuls pouvaient exercer les fonctions de fiduciaire : les établissements de crédit, les entreprises d’investissement et d’assurances, la Banque postale, et la Caisse des dépôts et consignation (C. civ., art. 2015, al. 1 ).

L’avocat-gérant de fortune. Toutefois, le législateur a très rapidement changé d’opinion, cédant aux sollicitations de trois organisations représentatives de la profession des avocats : le Conseil national des Barreaux, l’Ordre des avocats à la Cour d'appel de Paris, et la Conférence des Bâtonniers. Pour ces organisations professionnelles, leurs règles ordinales ne s’opposaient en aucune manière à l’exercice des fonctions de

fiduciaire par un avocat . Au contraire même, elles faisaient état de l’article 6- 2 du Règlement Intérieur National selon lequel « un avocat… peut exercer des missions pour le compte de personnes physiques ou morales agissant sous forme ou pour le compte de fonds fiduciaires ou de tout instrument de gestion d'un patrimoine d'affectation »). Le législateur a aussitôt donné entière satisfaction à la profession des avocats. À cet effet, la loi LME du 4 août 2008 a ajouté un second alinéa à l’article 2015 du Code civil, afin de permettre aux membres de la profession d’avocat d’avoir la qualité de fiduciaire. Les avocats peuvent donc désormais exercer une activité fiduciaire, à trois conditions réglementaires des plus symboliques : 1) en informer par écrit le conseil de l’Ordre dont ils relèvent ; 2) souscrire une assurance de responsabilité propre à cette activité, avec une garantie d’au moins 1 500 000 euros ; 3) tenir une comptabilité distincte, propre à cette activité avec un compte spécialement affecté à chacune des fiducies (Décr. n° 2009-1627, 23 déc. 2009, relatif à l’exercice de la fiducie par les avocats).

Pour rendre l’activité de fiduciaire relativement compatible avec les principes essentiels de la profession d’avocat, le Conseil National des Barreaux a ajouté à son Règlement Intérieur National un nouvel article 6.2.1, intitulé « l’activité de fiducie », immédiatement validé par le ministère de la Justice (JO du 12 mai 2009, p. 7875). C‘est ainsi, par exemple, que les avocats sont libérés du secret professionnel dans le cadre de l’activité de fiduciaire. Plus précisément, ils doivent prendre toutes dispositions permettant aux autorités judiciaires, administratives et ordinales d’effectuer les contrôles et vérifications prévus par la loi et les règlements en ce domaine, sans qu’il soit porté atteinte au secret professionnel et à la confidentialité des correspondances attachées aux autres activités de leur cabinet.


C. Du côté de la pratique[modifier]

Illusions.[modifier]

A priori , la fiducie présente des avantages considérables, en particulier pour les banques qui peuvent y recourir pour sécuriser les prêts qu’elles consentent aux entreprises. En subordonnant leurs prêts à la conclusion d’une fiducie à leur bénéfice, elles évitent que des actifs des entreprises ne soient appréhendés par d’autres créanciers en cas d’ouverture d’une procédure collective.

Un exemple en a été donné avec la première fiducie conclue, dès 2008, au profit de l’État. En contrepartie du report de dettes fiscales, une entreprise a transféré un immeuble à une banque (le fiduciaire) chargée de le gérer au profit de l’État (le bénéficiaire). Si ses dettes ne sont pas remboursées avant cinq ans, l’immeuble sera vendu au profit de l’État. Dans le cas contraire, il lui reviendra. En attendant, elle en est locataire.

La fiducie peut également être utilisée dans le cadre de procédures collectives. C’est ainsi qu’elle peut être offerte aux créanciers d’une entreprise en difficulté pour garantir l’exécution à leur égard des engagements prévus dans le cadre d’une conciliation ou de plans de sauvegarde et de redressement.

Par exemple, dans le cadre d’un plan de reprise, en définitive non validé par le tribunal de commerce de Marseille, un contrat de fiducie devait permettre à une entreprise en difficulté d’obtenir des prêts bancaires garantis sur ses terrains constructibles dans un « quartier en pleine mutation » (Les Échos, 21 janvier 2011). Ou encore, un groupe de sociétés en difficulté a pu être sauvegardé par la mise en place de deux fiducies : d’une part, une fiducie-sûreté portant sur les parts d’une société civiles afin de garantir le remboursement de l’apport en trésorerie d’une banque (créance dite de new money) ; d’autre part, une fiducie-gestion garantissant que le flux de trésorerie disponible (free cash flow) serait d’abord affecté au soutien des filiales en difficulté, ensuite au remboursement de la banque ( Gaz. Pal., 27 et 28 juill. 2011, n° 208 et 209).

Désillusion.[modifier]

Pourtant, la fiducie peine à convaincre. Alors que la doctrine prédisait un avenir prometteur à cette sûreté, qualifiée de « reine des sûretés », force est de constater, quatre années plus tard, un bilan peu flatteur, du moins en matière de fiducie-sûreté. Ainsi, pour l’année 2011, on dénombre à peine une dizaine d’opérations (le registre national des fiducies,

prévu par l’article 2021 du Code civil, issu de la loi du 19 février 2007, n’a été mis en place que par un décret du 2 mars 2010).

Il est possible que l’exclusion des notaires de la fiducie, aux seules fins d’accroître la part des avocats dans ce nouveau marché du droit et de la gestion patrimoniale, explique ce relatif échec. Une telle exclusion est difficilement compréhensible, tout un chacun sachant que la profession des notaires est bien plus compétente que celle des avocats en matière de protection et/ou de gestion de patrimoine. C’est la raison pour laquelle, dans beaucoup de pays, les notaires peuvent être fiduciaires (Québec, Luxembourg, Belgique, Pays-Bas, par exemple,). Les parlementaires français qui ont banni les notaires du marché de la fiducie ne le savaient peut-être pas.


Deuxième partie : le monopole de la convention de procédure participative[modifier]

Un mode de règlement contractuel des conflits. À l’occasion des fêtes de fin d’année 2010/2011, le Journal Officiel a apporté dans sa hotte un nouveau cadeau pour la profession des avocats avec interdiction de le prêter aux autres professions du droit. Ce présent, dénommé convention de procédure participative, est issu de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010, dite loi Béteille, relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (JO du 23 décembre 2010). Son entrée en vigueur était subordonnée à l’intervention de décrets d’application qui devaient intervenir au plus tard le 1er septembre 2011 (L. 22 déc. 2010, art. 43). À ce jour, ses décrets n’ayant toujours pas été publiés par le pouvoir exécutif, la loi n’en demeure pas moins applicable, dès lors que ses dispositions sont suffisamment claires et précises (Crim., 9 juill. 2003 : Bull. n° 138).

« Loi fourre-tout ».[modifier]

Dans cette loi, on trouve de tout. Par exemple, elle donne au juge saisi d’un litige de droit de la consommation la faculté de mettre l’intégralité des frais d’exécution forcée à la charge du débiteur, dès lors qu’il s’agit d’un professionnel, pour des raisons tirées de l’équité ou de la situation professionnelle de ce dernier (Code de la consommation, nouvel art. L. 141-6). Elle permet de regrouper le contentieux de l'exécution mobilière devant le juge de l'exécution du tribunal d'instance et celui de l'exécution immobilière ou quasi-immobilière devant le juge de l'exécution du TGI. Elle soumet les notaires à une formation professionnelle continue. Genèse de la convention de procédure participative. En ce qui concerne, précisément, la profession d’avocat, contrairement à celle de notaire affublée de nouvelles obligations et charges, elle se voit octroyer un privilège, sous la forme d’un monopole qui ressemble fort à celui à de l’acte privé contresigné. Pour comprendre ce nouveau dispositif destiné à réserver le marché du droit collaboratif aux avocats, il faut revenir à une autre commission, présidée, cette-fois, par le Doyen Serge Guinchard, sur la répartition des contentieux. Cette commission avait remis son rapport au Ministre de la Justice, le 30 juin 2008. Afin de développer les modes alternatifs de règlement des litiges, ce rapport recommandait de créer une nouvelle procédure de règlement amiable des litiges, dite procédure participative de négociation assistée par avocat : « Cette procédure devrait permettre de faciliter le règlement amiable des litiges, sous l’impulsion des avocats ; en cas d’échec partiel ou total de la négociation, une passerelle vers la saisine simplifiée de la juridiction permettra un traitement accéléré de l’affaire [observations et pièces des parties figurant dans l’acte de saisine] » (47ème proposition).

Cette nouvelle procédure avait été aussitôt reprise par l’article 31 d’une proposition de loi, présentée par Maître Laurent Béteille, avocat de profession, relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées. La loi du 22 décembre 2010 consacre ce dispositif avec un nouvel article 2062 du Code civil dont le premier alinéa est ainsi rédigé : « La convention de procédure participative est une convention par laquelle les parties à un différend qui n’a pas encore donné lieu à la saisine d’un juge ou d’un arbitre s’engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend ».

Conditions et effets. La convention participative est toujours conclue pour une durée déterminée (C. civ., art. 2062, al. 2). Son objet de régler un différend qui n’a pas encore donnée lieu à la saisine d’un juge (C. civ., art. 2062). Elle doit être contenue, à peine de nullité, dans un écrit précisant son terme, l’objet du différend, ainsi que les pièces et informations nécessaires à la résolution du différend et les modalités de leur échange (C. civ., art. 2063). Il s’agit donc d’un contrat solennel. Tant qu'elle est en cours, la convention de procédure participative rend irrecevable tout recours au juge pour qu'il statue sur le litige (C. civ., art. 2065). Toutefois, l'inexécution de cette convention par l'une des parties autorise une autre partie à saisir le juge pour qu’il statue sur le litige (ibid.). La sanction de l’inexécution de la convention de procédure participative n’est donc pas d’ordre contractuel, mais d’ordre procédural. Les parties qui, au terme de la convention de procédure participative, parviennent à un accord réglant en tout ou partie leur différend peuvent soumettre cet accord à l’homologation du juge (C. civ., art. 2066, al. 1er ). On notera toutefois que la convention de procédure participative n’a pas force exécutoire par elle-même, puisque l’avocat n’est pas en cette matière délégataire de l’État. Aussi l’homologation de la convention par le juge permettra-t-elle de lui conférer force exécutoire.

En revanche, lorsque ces mêmes parties ne parviennent pas à un accord, elles peuvent toujours soumettre leur litige au juge (C. civ., art. 2066, al. 2). Dans ce cas, elles sont dispensées de la conciliation ou de la médiation préalable le cas échéant prévue.

Il y a conciliation lorsque les parties en désaccord s’entendent directement pour régler un différend, éventuellement avec l’aide d’un tiers appelé conciliateur qui s’efforce de les rapprocher (en principe, le conciliateur n’est pas chargé de proposer une solution). Au contraire, la médiation, consiste à confier à un tiers, appelé médiateur, le soin de proposer une solution aux parties, libre à elles de l’accepter. La médiation est régie par les articles 2044 à 2058 du Code civil et par les dispositions d’une ordonnance n° 2011- 1540 du 16 novembre 2011 qui a transposé en droit interne français la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale et qui est intégrée dans le nouveau chapitre premier intitulé « La médiation » d’une loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, jamais codifiée.

Les exclusions.[modifier]

Le nouvel article 2064, alinéa 2, du Code civil, issu de la loi du 22 décembre 2010, exclut du domaine de la convention de procédure participative les questions relatives aux différends qui s’élèvent à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient. Pourquoi cette exclusion des litiges individuels (et non collectifs) du droit du travail ? Nul n’en sait rien !

Plus généralement, l’article 2064, alinéa 1er, inclut dans le domaine de la convention participative les questions relatives aux droits dont les personnes ont la libre disposition, sous réserve des dispositions de l’article 2067. Sans doute, ces mots permettent-ils d’exclure les questions relatives à l’état et à la capacité des personnes. Cette exclusion implicite fait échos au droit commun des contrats et obligations dont les articles 6 et 1133 du Code civil interdisent toute convention en ce domaine.

L’exception réservée par l’article 2067 du Code civil concerne, comme il fallait s’y attendre, le marché du divorce qui permet à nombre de cabinets d’avocats, dits de proximité, de fonctionner : « Une convention de procédure participative peut être conclue par des époux en vue de rechercher une solution consensuelle en matière de divorce ou de séparation de corps ». En cette matière, l’article 2066 n’est pas applicable (C. civ., art. 2067, alinéa 2). Ainsi la demande en divorce ou en séparation de corps présentée à la suite d’une convention de procédure participative doit-elle être formée et jugée suivant les règles prévues au titre VI du livre Ier relatif au divorce (ibid.). Le privilège exclusif de la profession des avocats. La loi du 22 décembre 2010 confie la convention de procédure participative aux seuls avocats, sans même que ses auteurs justifient les raisons juridiques ou humaines de ce choix. À cette fin, l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Nul ne peut, s’il n’est avocat, assister une partie dans une procédure participative prévue par le Code civil ». La profession des notaires est donc exclue de ce dispositif collaboratif. On notera toutefois que cette exclusion profite indirectement aux parties qui bénéficient, en cas de convention de procédure participative, de l’aide juridique pour le paiement des honoraires des avocats. En effet, l’aide juridique, déjà prévue en matière de transaction par l’article 10, alinéa 2, de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, a été étendue par l’article 39 de la loi du 22 décembre 2010 en cas de procédure participative . Or, le bénéfice de cette aide juridique n’aurait pu jouer en cas d’intervention du notaire. « Mieux vaut deux cadeaux qu’un seul ». Ce monopole de droit de la profession des avocats est complété d’un second cadeau beaucoup plus discret. Alors que cette procédure participative s’inspire du droit collaboratif nord-américain, le législateur français a délibérément omis d’emprunter à ce droit Outre-Atlantique une grande particularité protectrice des intérêts des parties. Aux États-Unis, en cas d’échec de la négociation, les avocats, qui ont assisté les parties dans le cadre de la convention participative, n’ont plus de droit de les représenter dans la procédure contentieuse. Au contraire, notre nouveau droit collaboratif français n’a prévu, dans cette hypothèse, aucune obligation de déport de l’avocat ! En cela, la convention de procédure participative française s’apparente à une phase préalable à l’instance judiciaire (pour certains praticiens, le droit participatif différerait du droit collaboratif par le désistement obligatoire de l’avocat qu’il prévoit en cas d’échec du processus). Les failles de l’intervention de l’avocat. La loi du 22 décembre 2010 n’a pas jugé nécessaire de garantir les droits des parties à la convention de procédure participative à l’égard des avocats. On peut au moins espérer que les décrets d’application à venir apporteront des précisions sur deux droits fondamentaux des parties.

Il en est ainsi d’abord du principe de la confidentialité qui devrait empêcher les avocats de révéler les informations reçues des parties et de s’en servir au cours du procès éventuel ultérieur au cours duquel ils conservent le droit de les représenter. L’absence de dispositions concernant la confidentialité en cas de convention de procédure participative est d’autant plus surprenante que, dans la procédure voisine de la médiation, l’article 21-2 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ajouté par une ordonnance du 16 novembre 2011 transposant une directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale pose en cette matière un principe de confidentialité. Il en résulte que les déclarations recueillies au cours de la médiation ou les constatations du médiateur ne peuvent être divulguées, à moins d’accord des parties, à des tiers et dans le cadre d’une instance judiciaire ou arbitrale. Ce qui est bon pour la médiation devrait l’être pour la convention de procédure participative !

Il en est de même du principe du contradictoire qui doit garantir aux parties la possibilité d’avoir connaissance et de discuter librement des prétentions et des moyens développés par l’autre partie. Certes, ce principe fondamental est restreint au procès (C. proc. civ., art. 14 à 17).Toutefois, la loyauté sur laquelle repose la convention de procédure participative commande une réception de la contradiction au moins adaptée par le législateur à cette pré-instance.

Troisième partie : le monopole de l’acte privé contresigné[modifier]

Les textes. La Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées a été publiée au Journal Officiel du 29 mars 2011. Son objet principal est d’octroyer aux avocats le monopole d'un nouvel instrument de preuve : l'acte privé contresigné. À cette fin, elle insère, après le chapitre 1er du Titre II de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, un chapitre 1er bis, intitulé « Le contreseing de l'avocat ». Ce chapitre comporte trois articles :

  • Art. 66-3-1 : « En contresignant un acte sous seing privé, l’avocat atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties qu'il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte ».
  • Art. 66-3-2 : « L’acte sous seing privé contresigné par les avocats de chacune des parties ou par l’avocat de toutes les parties fait pleine foi de l'écriture et de la signature de celles-ci tant à leur égard qu’à celui de leurs héritiers ou ayants cause. La procédure de faux prévue par le code de procédure civile lui est applicable ».
  • Art. 66-3-3 : « L’acte sous seing privé contresigné par avocat est, sauf disposition dérogeant expressément au présent article, dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi. »

A. Beaucoup de bruit…[modifier]

À chacun son monopole. On rappellera que le quasi-monopole des notaires sur l’acte authentique en matière de transactions immobilières a toujours suscité l’amertume des avocats. Aussi le président de la République avait-il chargé la commission, présidée par Maître Darrois, d’élaborer un rapport sur les professions du droit, qui lui a été remis en mars 2009 (v. supra, p. 4). À la suite de ce rapport, fort déplaisant à l’égard de la profession des notaires, un

projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques règlementées avait été déposé au Parlement et adopté, en deuxième lecture, par l’Assemblée nationale, le 15 mars 2011. Il est à l’origine de la loi du 28 mars 2011 qui introduit dans le marché du droit l’acte privé contresigné par avocat.

Le cadeau de consolation des notaires. Ce nouvel instrument de preuve ne remet pas en cause le monopole des notaires en matière d'immeubles. Au contraire, la loi inscrit dans un nouveau chapitre unique du Titre V du Livre II du Code civil le principe selon lequel : « Tout acte ou droit doit, pour donner lieu aux formalités de publicité foncière, résulter d'un acte reçu en la forme authentique par un notaire... » (C. civ., art. art. 710-1). Et, pour garantir le monopole des notaires en matière de publicité foncière, ce même article porte que : « Le dépôt au rang des minutes d’un notaire d’un acte sous seing privé, contresigné ou non, même avec reconnaissance d’écriture et de signature, ne peut donner lieu aux formalités de publicité foncière » (les conservations des hypothèques publient, chaque année, environ 2 millions de ventes, donations, échanges et partages). En contrepartie, la loi du 28 mars 2011 octroie aux seuls avocats le monopole de l’acte privé contresigné.

Les laissés-pour-compte. Quant aux autres professions du droit, à défaut de maîtriser les techniques du lobbying et d’être bien en cour de la République, elles sont écartées de ce nouveau marché du droit. Pour comprendre leur déception, il faut rappeler que tout un chacun peut, aujourd’hui, conclure un acte sous seing privé sans avoir recours nécessairement à un professionnel du droit, en particulier grâce à l’utilisation de formulaires disponibles dans le commerce terrestre ou en ligne. Cependant, il est toujours loisible aux particuliers et aux entreprises, qui veulent être éclairés et rassurés sur la régularité et la portée de leurs engagements, de recourir à un professionnel du droit, comme un avocat, un notaire, un juriste d’entreprise salarié, un expert-comptable, ou même, ce que l’on sait moins, un huissier de justice (chaque année, les huissiers donnent environ 5 millions de consultations).

La profession des experts-comptables avait saisi l’Autorité de la concurrence dès qu’elle avait eu connaissance des négociations très fermées entre le Garde des Sceaux et les représentants des professions des notaires et des avocats sur le contenu du projet de loi. Malheureusement pour cette profession, l’Autorité de la concurrence a considéré, dans un avis du 27 mai 2010, que la création de l’acte sous seing privé contresigné par l’avocat n’était pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché des prestations de consultation et de rédaction des actes juridiques rendues aux entreprises, lequel ne pouvait être qualifié de « droit exclusif », ni être rangé au nombre des « droits spéciaux » au sens de l’article 106 du Traité européen (Avis n° 10-A- 100). Comme le dit un proverbe russe : « La loi est comme un guidon : elle va là où tu la tournes »

B…. pour pas grand chose[modifier]

Le renforcement de la force probatoire de l’acte privé. Au niveau du droit, le seul intérêt de l’acte sous seing privé contresigné par l’avocat tient à sa force probatoire. Actuellement, l’écriture et la signature d’un acte sous seing privé ne font foi que si la partie à laquelle on l’oppose avoue, c’est-à- dire reconnaît son écriture ou sa signature. Dans le cas où elle désavoue formellement son écriture ou sa signature, autrement dit affirme qu’il s’agit d’un faux, l’acte perd provisoirement toute valeur probante. Il convient alors de mettre en œuvre la procédure de vérification d’écritures (C. proc. civ., art. 287 à 302). En revanche, l’écriture et la signature d’un acte sous seing privé contresigné par l’avocat ont pleine foi jusqu’à la procédure d’inscription de faux, exactement comme si elles avaient été authentifiées par un notaire. L’une ou l’autre des parties ne peuvent donc plus contester leur écriture ou leur signature, sauf à engager la procédure d’inscription de faux, procédure qui consiste à mettre en cause l’honnêteté de l’officier public l’ayant rédigé (C. civ., art. 1319, al. 1 : « L’acte authentique fait pleine foi de la convention qu’il renferme entre les parties contractantes et leurs héritiers ou ayants cause » ; al. 2 : « Néanmoins, en cas de plaintes en faux principal, l’exécution de l’acte argué de faux sera suspendue par la mise en accusation ; et, en cas d’inscription de faux faite incidemment, les tribunaux pourront, suivant les circonstances, suspendre provisoirement l’exécution de l’acte »). Le renforcement de la sécurité juridique de l’acte contresigné par un avocat résulte donc de la circonstance que l’une ou l’autre des parties ne peuvent plus contester leur écriture ou leur signature.

Devoirs d’information, de conseil et de mise en garde de l’avocat. Sous cette réserve, l’acte sous seing privé contresigné par l’avocat n’apporte rien de nouveau en ce qui concerne le devoir de conseil et la responsabilité de l’avocat à l’égard des parties. Certes, le nouvel article 66-3-1 énonce que cet acte pré-constitue la preuve du devoir de conseil de l’avocat. Mais, en cela, il ne fait que rappeler une jurisprudence bien établie selon laquelle l’avocat rédacteur d’un acte sous seing privé, comme tout professionnel du droit, est tenu d’un devoir de conseil constitué par l’obligation d’informer et d’éclairer les parties à la convention sur les conséquences juridiques des actes qu’elles souscrivent (Civ. 1ère, 5 févr. 2009, n° 07-20.19627. – Civ. 1ère, 27 nov. 2008 : Bull. n° 267 : l’avocat qui rédige la convention des parties « est tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence et de prendre l’initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d’autre »). C’est sans doute la raison pour laquelle la loi du 28 mars 2011 entend dispenser les parties de toutes les mentions manuscrites exigées par la loi. Jusqu’à présent, seuls les actes authentiques étaient dispensés des mentions écrites par le débiteur éventuellement prévues par la loi, pour le protéger, comme celle de l’article 1326 du Code civil concernant les contrats unilatéraux (Jérôme Bonnard, Introduction au droit, Ellipses, 4ème édition, 2010, op. cit., n° 1145 et s.).

Responsabilité contractuelle de l’avocat[modifier]

En somme, aujourd’hui comme hier, en cas de manquement à ses devoirs d’information, de conseil et de mise en garde des clients, l’avocat engage sa responsabilité contractuelle (V. « La responsabilité des professions juridiques devant la première Chambre civile », par Mme P. Cassuto-Teytaud, conseiller référendaire à la Cour de cassation, Rapport de la Cour de cassation 2002, en ligne sur le site de la Cour de cassation. L’auteur cite près d’une centaine d’arrêts concernant ce thème).

On rappellera que l’obligation de renseignement de l’avocat englobe deux obligations, créées par la jurisprudence, dont les appellations sont fluctuantes. D’une part, une obligation d’information, au sens strict, qui consiste en la délivrance neutre et objective d’éléments permettant aux clients de s’engager en connaissance de cause (par exemple : « ce contrat de cautionnement des dettes de la société dont vous êtes dirigeant étant commercial, la solidarité est présumée. Il en résulte que le créancier peut exiger de vous le paiement intégral des dettes garanties, sans être contraint au préalable de discuter les biens de la société »). D’autre part, une obligation de mise en garde qui consiste en la délivrance d’informations centrées sur un aspect négatif ou désavantageux de l’acte pour un client en particulier (par exemple : « si comme vous me l’avez laissé entendre, vous souhaitez démissionner de vos fonctions, à moins d’une clause contraire, vous resterez, après votre départ de la société, tenu des dettes de la société dont vous envisagez de vous porter caution »).

Absence de force exécutoire. L’acte sous seing privé contresigné par l’avocat a une moindre efficacité qu’un acte authentique. Tout d’abord, parce qu’il n’a pas force exécutoire. En effet, la force exécutoire d’un acte ne peut être conférée que par l’État et ses délégataires. C’est ainsi que les notaires, investis d’une confiance particulière de l’État depuis une loi du 25 Ventôse An XI (16 mars 1803), peuvent apposer la formule exécutoire sur les actes, et donc délivrer des copies exécutoires. Tel n’est évidemment pas le cas des avocats qui ne bénéficient d’aucune délégation de puissance publique. À défaut de prévoir une procédure quelconque d’homologation de l’acte par un juge ou un nouvel organisme ad hoc, il n’y a pas d’autres solutions pour l’avocat signataire de l’acte que de solliciter ultérieurement un notaire afin que ce dernier lui confère force exécutoire : une merveille d’absurdité !

Date certaine de l’acte. Ensuite, parce que l’acte sous seing privé contresigné par l’avocat ne confère pas les mêmes garanties que l’acte authentique en ce qui concerne la date certaine. Un acte authentique a date certaine, à l’égard des tiers et des parties (erga omnes), dès sa rédaction (Jérôme Bonnard, op. cit., n° 1134). En revanche, faute d’avoir été constatée par un officier public, la date certaine de l’acte sous seing privé contresigné par l’avocat n’est pas celle de la rédaction de l’acte. Aux termes de l’article 1328 du Code civil, la date certaine est généralement celle de l’accomplissement d’une formalité postérieure dite de l’enregistrement de l’acte auprès du bureau d’enregistrement compétent dépendant du ministère de l’Économie et des Finances. La date certaine de l’acte sous seing privé peut également être celle du décès d’une partie à l’acte, puisqu’il n’y a plus de possibilité de rédaction postérieure, ou celle de la constatation de l’acte dans un acte authentique, par exemple, dans un office… notarial ! Autrement dit, la date de l’acte contresigné par un avocat n’est pas acquise au jour de la signature de l’avocat. Elle n’est acquise qu’au jour de la remise de l’acte auprès de l’organisme chargé de sa conservation. Toutefois, l’avocat peut toujours demander à un notaire de conférer le caractère authentique à cet acte privé en y apposant la formule exécutoire et d’en délivrer copie aux parties. Dans ce cas, la date certaine de l’acte est acquise au jour de la signature du notaire !

Nombre d’originaux et conservation de l’acte. Enfin, parce qu’aucune garantie n’est envisagée en ce qui concerne les modalités de conservation de l’acte sous seing privé contresigné par l’avocat. Dans le cas de l’acte authentique notarié, en principe, un seul et unique original ou minute est établi et reste déposé à l’office (le minutier désigne le lieu où sont conservés les minutes). En revanche, les actes sous seing privé qui contiennent des conventions synallagmatiques sont soumis à la formalité dite du double (C. civ., art. 1325). Il est donc établi autant d’originaux que de parties à l’acte. La question est alors de déterminer quel est le régime de l’acte sous seing privé contresigné par l’avocat : un original unique signé de l’avocat ou autant d’originaux que de parties ? Si un seul acte privé est établi et signé par l’avocat, qui doit se charger de sa conservation, sachant que les cabinets d’avocats sont beaucoup moins pérennes que les offices de notaires ? Par ailleurs, si l’acte est établi sous forme électronique, quelles sont ses modalités de sécurité ? Un procédé de cryptologie asymétrique ? L’intervention d’un organisme de certification agréé par les pouvoirs publics ? L’intervention d’un tiers prestataire pour conserver les contrats électroniques ?

Coût de l’acte d’avocat.[modifier]

Quant au coût de l'acte privé contresigné, la loi est silencieuse ! L’acte d’avocat sera-t-il plus ou moins onéreux que l’acte authentique ? Les tarifs vont-ils être affichés pour permettre l’information préalable des clients, et faire en sorte que la concurrence puisse jouer ? Ces tarifs vont-ils être contrôlés par les pouvoirs publics ? A cet égard, on rappellera que la tarification des actes des notaires est fixée réglementairement par la Chancellerie. Une telle solution est-elle transposable à la profession des avocats qui est régie par le principe de la liberté des honoraires, autrement dit par une négociation au cas par cas ? Une fois encore, la loi du 28 mars 2011 soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses !

Le précédent du mandat de protection judiciaire. Dans l’attente d’un dispositif réglementaire complet de l’acte contresigné par l’avocat, ou d’un quelconque code de bonne conduite des instances professionnelles, nous prendrons comme situation comparable celle du mandat de protection future, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2009. En effet, ce mandat, issu de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 sur la protection juridique des majeurs, peut être conclu par acte notarié ou par acte sous seing privé (C. civ ., art. 477). Dans ce dernier cas, il peut être rédigé de la main du mandant, daté et signé par lui, et, surtout, il doit être contresigné par un avocat, sauf s’il est établi conformément à un modèle réglementaire (C. civ., art. 492, al. 1er). Le coût d’un mandat de protection future conclu sous forme notariée est fixé selon un tarif réglementaire : en principe, il est de 109,50 €, auxquels s’ajoutent 125 € pour l’enregistrement de l’acte à la recette des impôts afin de lui conférer date certaine (selon l’art. 492-1 du Code civil, ce mandat n’acquiert date certaine que dans les conditions de l’article 1328, donc par l’enregistrement). Lorsque le mandat est conclu sous seing privé et contresigné par un avocat son coût est librement fixé par ce dernier. En pratique, les avocats demanderaient entre 250 et 450 €, cette somme incluant le montant des droits d’enregistrement.

Conclusion[modifier]

« Le meilleur ami de merci est beaucoup » (Michel Bouthot. Chemins parsemés d’immortelles. Pensées-2). On est bien loin de l’annonce par le président de la République, le 12 décembre 2007, de la déjudiciarisation de la procédure du divorce par consentement mutuel, confiée purement et simplement au notaire ! Aujourd’hui, la profession des notaires a raté ce marché du droit du divorce. Pis, elle vient de perdre coup sur coup trois autres marchés du droit : celui, sans doute limité, de la fiducie ; celui beaucoup plus large du droit collaboratif ou participatif ; et une partie de celui de la consultation juridique !

La Troisième République a souvent été surnommée la République des avocats. Aujourd’hui, elle dispute ce titre avec notre Cinquième République où les avocats règnent en maître non seulement dans les Palais de Justice, mais plus encore dans les Palais de République. Quant aux autres professions du droit, elles pourront toujours méditer cette pensée d’Yvan Audouard : « Les privilèges dont on ne bénéficie pas sont absolument inadmissibles. »