Ou l’Europe devient une communauté fédérale ...

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Pape François : ou l’Europe devient une communauté fédérale ou elle comptera pour rien dans le monde.

Pierre Selas - Juil 10, 2017

« Je crains qu’il n’y ait des alliances très dangereuses, entre des puissances qui ont une vision du monde déformée » : pour la seconde fois, le pape François exprime sa préoccupation que le sommet du G20 de Hambourg (7-8 juillet 2017) ne s’occupe pas des plus pauvres, contraints d’émigrer. En substance, il est convaincu que les peuples pauvres continueront d’émigrer, attirés par la richesse de l’Europe. Et que l’Europe ne survivra que si elle sait devenir fédérale.

Jeudi dernier, 6 juillet, vers midi, le journaliste italien Eugenio Scalfari reçoit un appel téléphonique du pape François, rendez-vous pris pour 16h, et l’interview est publiée dans le quotidien La Repubblica de ce samedi 8 juillet 2017 : le pape exprime ses préoccupations pour le sommet du G20 qui s’achève aujourd’hui à Hambourg (Allemagne) et pour lequel il a adressé une lettre à la chancelière allemande Angela Merkel, publiée le 7 juillet, et traduite en français par ZENIT. Le pape y exhorte à « donner la priorité absolue aux pauvres, aux réfugiés, aux souffrants, aux déplacés et aux exclus » et « rejeter les conflits armés ».

A son accoutumée, le pape demande des nouvelles du journaliste, qui a 13 ans de plus que lui et n’a pas écrit régulièrement. Il faut très chaud à Rome : « Vous devez boire deux litres d’eau par jour et manger salé… ». A 16h, Scalfari, patron de presse et personnalité politique, né en avril 1924 – il a 93 ans -, se retrouve à Sainte-Marthe, assis en face du pape François.

« Notre conversation, confie Scalfari, c’est le Dieu unique, le Créateur unique de notre planète et de tout l’univers. Voilà la thèse de fond de son pontificat qui comporte une série infinie de conséquences, dont la fraternité de toutes les religions, et en particulier chrétiennes, l’amour des pauvres, des faibles, des exclus, des malades, la paix et la justice. Naturellement le pape sait que je suis non-croyant, mais il sait aussi que j’apprécie tellement la prédication de Jésus de Nazareth, que je considère comme un homme et non comme un dieu. » Mais le dialogue continue entre le journaliste et le pape François et entre dans le vif de l’actualité : le G20.

Le pape confie sa préoccupation : « Je crains qu’il n’y ait des alliances très dangereuses, rapporte Scalfari, entre des puissances qui ont une vision du monde déformée : Amérique et Russie, Chine et Corée du Nord, Poutine et Assad dans la guerre en Syrie. »

Et de préciser, toujours selon la même source : « Le danger concerne l’immigration. Nous, vous le savez bien, nous avons comme principal problème, et hélas il est croissant dans le monde d’aujourd’hui, des pauvres, des exclus, dont les migrants font partie. De l’autre côté, il y a les pays où la majeure partie des pauvres ne vient pas des courants migratoires mais des calamités sociales. D’autres au contraire ont peu de pauvres localement mais ils craignent l’invasion des migrants. Voilà pourquoi le G20 me préoccupe : il frappe surtout les immigrés des pays de la moitié du monde et il les frappe encore plus avec le temps. »

Scalfari conduit le pape à préciser : « Ne vous faites pas d’illusions : les peuples pauvres sont attirés par les continents et les pays d’ancienne richesse. Surtout l’Europe. Le colonialisme est parti de l’Europe. Il y a eu des aspects positifs du colonialisme, mais aussi négatifs. De toute façon l’Europe est devenue plus riche, la plus riche du monde. Ce sera donc l’objectif principal des peuples migrants. »

Pour Scalfari c’est la raison pour laquelle l’Europe doit au plus vite « adopter une structure fédérale » et il se souvient que le pape en a parlé devant le Parlement européen, le 25 novembre 2014, Scalfari se souvient aussi que le pape a été très applaudi. Il rapporte la réponse du pape : « Oui, mais hélas, cela ne signifie pas grand-chose. Les pays vont bouger et se rendre compte d’une vérité : ou l’Europe devient une communauté fédérale ou elle comptera pour rien dans le monde. Mais maintenant je veux vous poser une question : quelles sont les qualités et les défauts des journalistes ? »

Scalfari proteste que le pape le sait mieux que lui. Le pape insiste. Scalfari parle surtout des défauts : notamment de qui s’attribue les pensées – sages – d’un autre. La conversation revient ensuite sur les philosophes Baruch Spinoza (1632-1677) et Blaise Pascal (1623-1662). Et Scalfari évoque la mort de Pascal. Celui-ci aurait voulu mourir parmi les pauvres. On ne le lui a pas parmi, alors il a souhaité qu’un pauvre soit soigné chez lui. Mais il est mort avant que sa sœur ne puisse exaucer son désir. Scalfari dit qu’il aimerait voir Pascal béatifié : « Moi aussi je pense qu’il mérite la béatification », dit le pape.

Un autre thème tient à coeur à Scalfari : l’Eglise “synodale”. Il dessine : une ligne horizontale pour la communion de tous les évêques. Mais il place l’évêque de Rome au-dessus de la ligne : il doit garantir l’unité. Et il trace une verticale jusqu’à la charge de Successeur de Pierre. Il prolonge la verticale en descendant vers le peuple dont les évêques ont la responsabilité. Il a dessiné une croix.

Le pape fait apporter des livres pour Scalfari sur son histoire en Argentine jusqu’au conclave de 2013. Le pape raccompagne Scalfari dans l’ascenseur et en portant les livres lui-même jusqu’au portail de la Maison Sainte-Marthe. Son chauffeur salue le pape François qui aide lui-même Scalfari à remonter en voiture et s’assure qu’il est bien installé. Le pape ferme la portière, fait un pas en arrière, salue de la main. Scalfari s’émeut aux larmes de tant d’attentions.

Il conclut : « Je pense que le pape est un révolutionnaire. Il pense béatifier Pascal, il pense aux pauvres, aux immigrés, il souhaite une Europe fédérale. Et en dernier, et ce n’est pas le moindre, il me remet en voiture dans ses bras. Un pape comme cela on n’en a jamais eu. »