Pourquoi ne peut-on être à la fois catholique et franc-maçon ?
Presque dès l’origine l’Église a multiplié les condamnations de la franc-maçonnerie, dénoncée de manière justifiée et prophétique comme une œuvre des ténèbres. Ses principes sont « inconciliables » avec la foi et ceux qui la rejoignent se mettent « au service d’une stratégie qu’ils ignorent ».
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La franc-maçonnerie se réclame des confréries des constructeurs de Cathédrales des XII ° et XIII ° siècles, mais sa naissance dans la forme que nous lui connaissons s’est faite bien plus tard, au XVIII ° siècle, en Angleterre, dans le contexte de la fin des guerres de religion.
Les origines mythiques[modifier]
- La franc-maçonnerie telle que nous la connaissons aujourd’hui a une longue histoire rattachée d’une certaine manière aux des confréries de constructeurs de Cathédrales qui existaient aux XII ° et XIII ° siècles. Au XVII ° siècle, on ne construisait plus de cathédrales depuis longtemps, mais ces ordres s’étaient, semble-t-il, maintenus en Angleterre où on aime garder les traditions même si elles ne représentent plus grand-chose, mais l’incendie de Londres (2-5 septembre 1666) donna l’occasion à des maçons venus de toute l’Europe de se regrouper pour travailler la reconstruction de la ville et ce fut certainement l’occasion de relancer ces sortes de confréries ou de « clubs » comme aiment en avoir les anglais, quitte à changer au fil du temps leur destination et leur vocation initiale. L’Angleterre était aussi le pays d’Europe qui avait le plus souffert des guerres de religion, qui avaient duré quelque 50 ans, car les rois avaient souvent changé de camp pour finalement s’en tenir à l’Anglicanisme, et la lutte entre chrétiens avait été vive, laissant le pays exsangue, divisé et intolérant sur le plan religieux.
La fondation de la franc-maçonnerie au XVIII ° siècle[modifier]
- En 1723, dans ce contexte, le pasteur presbytérien James Anderson publia des constitutions qui sont considérées comme l’acte de naissance de la franc-maçonnerie, après la création d’une première Grande Loge de Londres par Jean Théophile Desaguliers et Anderson, quelques années plus tôt, en 1717. La volonté initiale était de réunir des chrétiens de toutes confessions. Ces constitutions n’avaient plus grand-chose à voir avec le métier de maçon, sinon le symbolisme, mais elles n’étaient pas contre Dieu a priori puisque l’article 1 disait que le maçon n’était ni un athée stupide, ni un libertin irréligieux, mais qu’il croyait « à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord », ce qui fut traduit lors de l’exportation du concept en France par « la religion dont tout chrétien convient ». Rapidement, l’ordre eut un grand succès, toucha à l’économie de l’Angleterre et la forte communauté juive de ce pays ainsi que des non-chrétiens des colonies s’y intégrèrent. En 1738 alors, la Grande Loge publia une deuxième édition des Constitutions qui fit référence à l’Alliance avec Noé, idée prise à la Synagogue, ce qui ouvrait officiellement la porte aux non-chrétiens (l’alliance noachique concerne tous les hommes). Tout cela provoqua des remous, la lutte des « Anciens » contre les « Modernes », puis finalement une réconciliation qui aboutit à la création de la grande loge unie d’Angleterre au début du XIXe siècle.
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L’Église catholique a condamné de manière presque immédiate toute forme de franc-maçonnerie, soupçonnant une stratégie cachée à laquelle les membres adhèrent en se liant par un pacte inviolable et secret, autour de principes suspectés d’être en opposition avec la foi chrétienne. De Clément XII à Benoît XIV, les reproches portent sur le secret, le serment, la suspicion des états temporels, le soupçon d’hérésies, et l’indifférentisme religieux compte tenu de la variété des participants. Après la Révolution, les accusations pontificales deviennent plus graves, y ajoutant la subversion politique à des erreurs théologiques comme le naturalisme ou encore le syncrétisme, et cela du pape Pie VII à Léon XIII inclus. Ce qui n’a pas empêché un large développement des loges, dans le monde anglo-saxon à majorité protestante, ainsi qu’en Europe, mais aussi dans la France encore catholique où les bulles des papes ont été ignorées jusqu’au Concordat de 1802.
Une condamnation presque immédiate et dure par l’Église catholique[modifier]
- En cette même année 1738, le Pape Clément XII publia le premier document de l’Église catholique sur ce nouveau mouvement et ce fut immédiatement une bulle d’excommunication. Le document du Pape critiquait ceux qui « se lient entre eux par un pacte aussi étroit qu’impénétrable » et s’engagent par serment « à couvrir d’un silence inviolable tout ce qu’ils font dans l’obscurité du secret » ajoutant que « s’ils ne faisaient point de mal, ils ne haïraient pas ainsi la lumière ». Invoquant divers motifs et « d’autres causes justes et raisonnables de Nous connues », « de science certaine et après mûre délibération », le pape « conclu et décrète de condamner et d’interdire » par ce texte « valable à perpétuité » toute forme de franc-maçonnerie. Tout ceci « sous peine d’excommunication de laquelle nul ne peut être absous » par un autre que le Pape lui-même, si ce n’est à l’article de la mort. Benoit XIV confirma en 1751 cette condamnation « à perpétuité », « pour des raisons justes et graves » avec cette précision : « dans ces sortes de sociétés se réunissent des hommes de toute religion et de toute secte, et l’on voit assez quel mal peut en résulter pour la religion catholique ». Ensuite, après la Révolution française de 1789, vont s’ajouter d’autres motifs de condamnation plus graves, de Pie VII (1821) à Léon XIII (1884) qui vont progressivement décrire la Franc-Maçonnerie comme organisation opposée à la foi chrétienne, dont les principes parfaitement inconciliables avec ceux de l’Église catholique liguent contre elle, au moyen d’une stratégie cachée tous ses adhérents. Ces nombreuses condamnations papales, pourtant sans équivoque, n’ont pas empêché les loges de se développer, dans le monde anglo-saxon, à l’époque très majoritairement protestant, mais aussi dans la France restée encore très catholique, où les bulles des papes ont été largement ignorées.
En France, les bulles papales concernant la franc-maçonnerie ont été ignorées jusqu’en 1802[modifier]
- Ces prises de position très fermes eurent un effet important partout, mais elles ne furent curieusement pas appliquées en France, où selon la pratique définie dans le Concordat de 1514 avec Léon X, les bulles papales devaient être présentées au Parlement de Paris pour entrer en application dans le Royaume. Or celle-ci ne le fut jamais, le Cardinal Fleury (gouvernant au nom de Louis XV) expliquant que ces sociétés secrètes ne se réunissaient plus en France parce que cela déplaisait au roi, et ce mensonge pas très pieux permit à la franc-maçonnerie de se développer sans tenir compte du Pape.
La suspicion des États temporels[modifier]
- Avant la première condamnation pontificale quelques gouvernements s'étaient inquiétés déjà de l'existence de la "société" des francs-maçons. Par exemple, les états généraux de Hollande le 30 novembre 1735, le conseil de Genève en novembre 1737 et le conseil du roi de France en mars 1737 sous l'influence du Cardinal Fleury, premier ministre de Louis XV, interdirent les réunions de francs-maçons. Pour la France il y eut même un arrêt du tribunal du Châtelet le 14 septembre 1737. Les deux motifs concernaient à chaque fois le serment et le secret. Pour la France s'y ajoutait une considération purement politique. Les premières loges apparues en France, étant écossaises, donc Stuartistes, Fleury craignit de mécontenter le roi d'Angleterre régnant alors, un Hanovre, protestant, allié de la France. Mais par la suite, considérant que ses craintes n'étaient pas fondées, il ne présenta jamais la bulle "In eminenti" comme celle qui suivit au Parlement de Paris.
3.[modifier]
À la différence des franc-maçonneries anglo-saxonnes, qui sont restées des clubs un peu élitistes et spiritualistes, les loges se sont impliquées dès le début du XIXe siècle dans la vie politique et publique des pays latins, avec une évolution de plus en plus anticléricale. L’Église a dénoncé l’influence des loges dans la Révolution française de 1789 - même si cela fait débat entre les historiens -, dans la spoliation des États pontificaux, dans les révolutions de 1848, dans les idées socialistes et communistes, ainsi que dans les luttes en vue de la séparation de l’Église et de l’État.
La franc-maçonnerie française s’impliquera activement en politique[modifier]
- À la différence des franc-maçonneries anglo-saxonnes, qui resteront des clubs un peu élitistes et spiritualistes, la franc-maçonnerie française va entrer fortement dans le jeu politique, entraînant aussi les loges des pays voisins, de Belgique, Espagne, Italie. Le Grand Orient de France est créé en 1783. À la Révolution, après la terreur, le Directoire le laissa se restaurer et Bonaparte l’utilisa sans hésiter, mais il signa le Concordat de 1802 avec Pie VII sans renouveler la nécessité pour l’application des bulles papales d’être soumises à une autorité française.
Après le nouveau Concordat, les catholiques de France doivent quitter les loges[modifier]
- Dès lors, les bulles des Papes s’appliquent en France sous peine d’excommunication latae sentenciae et les catholiques vont de plus en plus se retirer des loges, laissant la place aux athées, juifs, voltairiens et divers anticléricaux. En 1877 le GO en viendra à abandonner l’invocation au Grand Architecte de l’Univers et deviendra encore plus anti-catholique et anti-chrétien, généralisant son combat contre l’Église, symbolisé par la persécution de ce franc-maçon notoire du Grand Orient qui était le « petit Père Combes », ainsi appelé parce qu’il avait été auparavant catholique pratiquant, engagé et portant soutane au point d’avoir été appelé l’abbé Combes.
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Le Pape Léon XIII publiera finalement le 20 avril 1884 l’Encyclique « Humanum Genus », pour reprendre et détailler les condamnations par ses prédécesseurs de cette « œuvre du démon », « au service du royaume de Satan », en reprenant et confirmant la sentence d’excommunication latae sententiae (automatique) et en détaillant longuement ce qui rend ce courant de pensée incompatible avec la foi catholique, notamment le secret, le naturalisme, l’ésotérisme, le syncrétisme et le fait que les membres s’engagent pour de mauvaises raisons à l’aveugle, « au service d’une stratégie qu’il ignorent ».
Une grande influence sur l’évolution du monde[modifier]
- Après l’Empire, Grégoire XVI et Pie IX vont voir dans la Révolution une œuvre de la franc-maçonnerie, ce que la franc-maçonnerie déniera à l’époque, alors qu’elle le revendique haut et fort aujourd’hui. De même, beaucoup de Carbonari responsables de la spoliation des États pontificaux étaient francs-maçons, et les Papes y verront aussi la main de la franc-maçonnerie, comme dans les révolutions de 1848 aussi guidée par des idées hostiles à l’Église, et de même pour ce qui concerne les « monstrueux » systèmes socialistes et communistes.
L’Encyclique de Léon XIII dénonce une « œuvre du démon »[modifier]
- Pie IX multiplie les textes contre la franc-maçonnerie et son successeur le grand pape Léon XIII publiera la plus complète condamnation de la franc-maçonnerie sous la forme d’une Encyclique, Humanum Genus, dans laquelle la franc-maçonnerie est explicitement dénoncée comme une « œuvre du démon », au « service du royaume de Satan » par tous ceux qui « multiplient leurs efforts » pour « agir directement contre Dieu ». Citant ses 7 prédécesseurs qui ont tous « dénoncé le péril », il parle d’un « ennemi capital », de « conspiration occulte », d’une « association criminelle », d’une « secte », d’une « puissance pour le mal », avant de dénoncer longuement les différents maux et problèmes doctrinaux posés en matière de religion, de philosophie et de politique : « dans un plan si insensé et si criminel, il est bien permis de reconnaître la haine implacable dont Satan est animé à l’égard de Jésus Christ et sa passion de vengeance ».
La multiplication comme jamais des condamnations par l’Église[modifier]
- Le code de droit Canon de 1912/1915 reprendra ces condamnations et l’excommunication. Et de fait, jamais depuis le XVIe siècle l’Église catholique n’a condamné une autre entité avec la même vigueur que la franc-maçonnerie, dénoncée sans cesse comme une œuvre des ténèbres.
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Après Vatican II, l’établissement d’un nouveau code de droit Canon qui ne mentionnait pas explicitement la franc-maçonnerie a créé un débat vite refermé par la publication par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de deux déclarations qui confirment que le jugement négatif de l’Église et les condamnations restent inchangés.
La position de l’Église sur la franc-maçonnerie reste « inchangée »[modifier]
- À partir de 1968, j’ai été pendant des années un franc-maçon (Grande Loge) et j’ai suivi de loin dans les années 1970 le travail de refonte du Code de droit canonique et les débats, alimentés notamment par les évêques allemands, qui ont concerné aussi la franc-maçonnerie dans la crise post conciliaire. Le Cardinal Sepper avait du en effet, le 17 février 1981, préciser le sens d’une lettre qu’il avait adressée à quelques conférences épiscopales concernant l’application du canon 2335 de l’ancien Code frappant d’excommunication latae sententiae les catholiques qui avaient donné leur adhésion à des associations maçonniques. Ne répondant que sur des cas particuliers qui lui avaient été soumis par des correspondants anglo-saxons, concernant des maçons non hostiles à l’Église catholique, il avait répondu que l’excommunication ne s’appliquait pas. De là, on avait déduit faussement que l’excommunication était levée pour toutes les obédiences, qui selon les conférences épiscopales locales répondraient à ce critère de non hostilité envers l’Église. D’où la mise au point logique du Cardinal Sepper, car l’ancien code existait encore et devait donc être appliqué. Il ne fallait pas mélanger des cas particuliers, liés à une prudence ou charité pastorales dont le Magistère avait tenu compte avec une loi générale qui n’avait pas été abrogée. Finalement, le Code de droit canonique publié en 1983 punit moins durement, abrogeant "toutes les lois pénales universelles ou particulières portées par le Siège Apostolique à moins qu'elles ne soient reprises dans le présent Code" (Canon 6 n°3). Ainsi la liste des excommunication « latae sententiae » (excommunication automatique) est maintenant bien moins large : elle n'inclut plus les associations "qui conspirent contre l’Église" dont les membres ne sont donc plus excommuniés « latae sententiae » mais seront "punis d'une juste peine" (Canon 1374). Ces changements de termes ont alors donné lieu à des interprétations : le RP Riquet, sj en déduisait que si l’excommunication était levée, l’accès à l’Eucharistie permis. Mais le 26 novembre 1983, la Congrégation pour la Doctrine de la foi présidée par le Cardinal Joseph Ratzinger a finalement publié une déclaration pour indiquer que le jugement négatif de l’Église sur les associations maçonniques demeurait « inchangé ».
Des principes « inconciliables » avec la doctrine de l’Église[modifier]
- « Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion », écrit le Cardinal dans cette Déclaration du 26 novembre 1983 parce que les principes maçons ont toujours été considérés comme « inconciliables » avec la doctrine de l’Église. Il rappelle que les autorités ecclésiastiques locales n’ont pas le droit de déroger à ces règles vis-à-vis de toutes les Obédiences maçonniques, et que l’Église « interdit » à ses fidèles d'en faire partie.
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Enfin, en dehors des questions proprement religieuses dénoncées par le Saint-Siège, le Grand-Orient de France (qui n’est qu’une obédience maçonnique parmi d’autres) prend régulièrement positions sur des questions politiques et morales qui ne peuvent qu’inquiéter, du fait d’un mode d’action opaque peu compatible avec les principes démocratiques.
Les autres dangers liés à la réalité maçonnique aujourd’hui[modifier]
- En dehors des questions religieuses dénoncées par le Saint-Siège, il y a aussi des critiques à faire sur le fonctionnement de la franc-maçonnerie dans nos démocraties. La franc-maçonnerie se présente comme « la conscience de la République », mais ce faisant, elle court-circuite la République et fausse les règles de la Démocratie avec des méthodes qui n’ont aucune transparence et qui influent de manière anormale.
Affairisme et scandales, car on met le doigt dans l’engrenage pour de mauvaises raisons[modifier]
- Les affaires et scandales qui ont parsemé encore l’histoire récente de la franc-maçonnerie française peuvent renforcer l’idée qu’on y rentre beaucoup plus pour des échanges de carnets d’adresses ou des espérances de passe-droit ou facilitation de carrière, que pour une recherche spirituelle. Le gouvernement du petit père Combe est tombé à cause de l’affaire des fiches (fichage des officiers « calotins » dont l’avancement était stoppé à cause de leurs convictions religieuses), et on peut donc se demander ce qu’il en est aujourd’hui de l’observatoire de la laïcité.