Preuve de concept scientifique - Benjamin Raimbault
https://journals.openedition.org/rac/30114
Cet article interroge les conditions sociales et institutionnelles par lesquelles, dans le contexte de développement de la science entrepreneuriale, la preuve de concept ou proof of concept devient un vecteur de crédibilité scientifique au sein des sciences de l’ingénierie. Nous défendons la thèse selon laquelle la preuve de concept devient un vecteur de crédibilité central suite à un travail d’articulation entre les mondes académique et industriel qui mène les scientifiques à renforcer une position hybride et fortement valorisée dans leur discipline. L’article insiste sur la dimension disciplinaire et sur les conditions institutionnelles qui rendent possible ce travail d’articulation. Pour cela, nous avons adopté pour stratégie de nous concentrer sur un domaine scientifique au carrefour entre sciences du vivant et ingénierie chimique – l’ingénierie métabolique – et de suivre une preuve de concept spécifique associée à cette communauté : la voie métabolique. Nous montrons que la crédibilité des preuves de concept est conditionnée à la position intermédiaire des scientifiques entre académie et industrie ainsi qu’au soutien des universités techniques.
Sommaire
- 1 Introduction
- 1.1 La crédibilité dans les sciences de l’ingénierie au prisme des preuves de concept
- 1.2 Articuler le métabolisme industriel et le métabolisme des micro-organismes
- 1.3 L’industrie et la production au cœur de l’accumulation de crédit et des motivations des scientifiques travaillant sur les preuves de concept
- 1.4 Les conditions institutionnelles de la crédibilité des preuves de concept : le MIT et le programme ERC de la NSF
- 2 Conclusion
- 3 Bibliographie
- 4 Annexe
- 5 Pour citer cet article
- 6 Droits d’auteur
Introduction[modifier]
Issue des sciences de l’ingénierie, la notion de preuve de concept est définie comme étant une « preuve (généralement issue d’une expérience ou d’un projet pilote) démontrant qu’un concept, une idée, etc., est réalisable » (Oxford English Dictionary, 2014). La philosophe C.E. Kendig affirme qu’au-delà d’une simple réalisation technique, une preuve de concept désigne plus largement « un type particulier de recherche qui vise à poser une question dont la réponse à une applicabilité qui dépasse les frontières des domaines dans lesquels elle a été testée » (Kendig 2016 ; traduit par nos soins).
Dans cet article, nous proposons de réinvestir la notion de crédibilité scientifique pour analyser l’essor des preuves de concept et la place qu’elles occupent dans les sciences de l’ingénierie. Notre parti pris est de prendre au sérieux le terme de « preuve » en faisant l’hypothèse que la preuve de concept constitue un vecteur de crédibilité scientifique central dans les sciences de l’ingénierie en tant qu’elle permet l’alignement, dans une réalisation technique, entre des normes épistémiques et des potentialités économiques. Ce faisant, nous poursuivons un double objectif. D’une part, il s’agit de décrire comment les ingénieur·e·s établissent leur crédibilité en tenant compte de la spécificité des sciences de l’ingénierie, à savoir leur proximité avec le monde industriel et leur orientation vers la production de réalisations techniques. D’autre part, nous souhaitons contribuer au renouveau du débat sur la crédibilité scientifique – un thème central en sociologie des sciences et en STS, si ce n’est « d’une certaine manière, le seul thème » (Shapin, 1995, pp. 257-258) – en nous concentrant sur la manière dont les interactions entre académie et industrie conditionnent la fabrique de la crédibilité scientifique.
Cet article est organisé en cinq parties. La première est consacrée à la présentation de l’essor de la preuve de concept dans les sciences de l’ingénierie au regard d’une discussion théorique sur la crédibilité scientifique à l’ère de l’économie de la connaissance. En actualisant le modèle proposé par Latour et Woolgar du « cycle de crédibilité » (Latour & Woolgar, 1979), nous soutenons que la spécificité des sciences de l’ingénierie et l’essor des nouvelles configurations entre académie et industrie invitent à repenser la manière dont la crédibilité scientifique est analysée. Cela nous amène dans une seconde partie à préciser notre objet d’étude – l’ingénierie métabolique – et à présenter notre approche méthodologique, qui associe analyse de corpus scientifiques, entretiens, observations directes en laboratoire et étude d’archives d’un centre de recherche. Les parties qui suivent constituent le cœur de la démonstration. La troisième montre notamment comment les chercheur·se·s articulent normes épistémiques et enjeux industriels dans les agendas de recherche et dans les publications scientifiques. La quatrième partie se penche sur les trajectoires et motivations des ingénieur·e·s du métabolisme, ainsi que sur les stratégies qu’iels mettent en place afin de gagner en crédibilité. Nous montrons l’importance pour eux/elles d’occuper des positions intermédiaires entre académie et industrie et de mettre en place un dispositif expérimental hybride, entre laboratoire académique et centre de Recherche et Développement (R&D) industriel, dans la quête de crédibilité. Enfin, la dernière partie interroge les conditions institutionnelles d’établissement de la crédibilité de l’ingénierie métabolique et de ses productions, et montre l’importance du MIT dans la structuration de l’ingénierie métabolique en tant que discipline. Nous concluons sur la place spécifique qu’occupent les preuves de concept comme vecteurs de crédibilité dans les sciences de l’ingénierie et sur leur potentielle généralisation à d’autres domaines scientifiques.
La crédibilité dans les sciences de l’ingénierie au prisme des preuves de concept[modifier]
Depuis la fin des années 1990, la notion de « preuve de concept » s’implante durablement dans les publications scientifiques, en particulier dans les spécialités des sciences de l’ingénierie. Une exploration de la répartition du terme à partir de la requête « proof of concept » au sein de la base Web of Science indique que plus de 49 000 publications (dont 34 000 articles) contiennent le mot et que l’usage du terme ne cesse de croître. Alors qu’en 2000 seulement 200 publications contenaient le terme dans leurs titre, mots clés ou résumé, elles sont plus de 6500 en 2019. Conjointement à son essor au sein des publications scientifiques, la notion de preuve de concept s’impose progressivement dans les dispositifs de transfert technologique et dans les instances de régulation des technologies. Une preuve de concept est ainsi l’une des étapes (la troisième) de la méthode Technology readiness levels (TRL), un instrument de management scientifique hérité de la recherche militaire aérospatiale états-unienne, qui formalise les phases de développement des technologies conformément au mythe de l’innovation linéaire (Joly, 2019). Adoptée par de nombreuses autres agences militaires, la méthode TRL est aujourd’hui utilisée par un large éventail d’institutions en charge des politiques d’innovation, pour positionner et structurer les ressources publiques de financement de la recherche. En 2014, suite aux recommandations du groupe d’experts en charge des key enabling technologies et dans la lignée des pratiques de benchmarking de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), l’Union européenne se dote de l’échelle TRL pour le programme Horizon 2020 et crée des appels à projets spécifiquement consacrés à la production de « preuves de concepts » [1] (Héder, 2017). En 2011, l’administration Obama rend visible la notion de preuve de concept dans les politiques scientifiques en annonçant 30 millions de dollars pour la création de Proof of Concepts Centers (POOC), dans le cadre du programme i6 Challenge (Sergey et al., 2015). Un POOC renvoie alors à « un ensemble de services pour améliorer la diffusion et la commercialisation des nouvelles connaissances issues des universités afin de stimuler le développement économique et la croissance de l’emploi » (Bradley et al., 2013 ; traduit par nos soins). De plus, la notion de preuve de concept est présente dans les procédures des instances de régulation de l’industrie pharmaceutique, où elle désigne l’étape de transition entre la phase I et la phase II (Schmidt, 2006). Enfin, la preuve de concept est une notion communément employée dans le milieu des affaires et du développement des start-ups, où la faisabilité est alors un moyen de déployer de nouveaux marchés.
Au regard des 49 000 publications que nous mentionnions un peu plus haut, les principales spécialités concernées par l’essor des preuves de concept sont les sciences de l’ingénierie (électrique, électronique, informatique ou encore biotechnologies), qui présentent une double spécificité. D’une part, ces sciences sont marquées par leur tropisme pour la réalisation d’artefacts et par le développement d’applications qui orientent la production de savoirs (Vincenti, 1990). Les sociologues T. Shinn et B. Joerges montrent en particulier que les distances professionnelles et intellectuelles entre science et ingénierie ont fortement diminué depuis le début du XXe siècle, marquant la naissance d’un régime de production de connaissances qu’ils qualifient de « recherche-technologie », dans lequel les instruments eux-mêmes sont devenus l’objet de travaux scientifiques (Shinn & Joerges, 2002). D’autre part, les sciences de l’ingénierie sont des disciplines qui ont été structurées de longue date à l’interface des mondes académique et industriel. Comme l’ont montré M. Grossetti et C. Détrez à propos du génie chimique, les sciences de l’ingénierie ont formalisé les échanges entre l’université et l’industrie, à travers l’élaboration de programmes de recherche qui articulent les préoccupations des industriels et les standards de preuve des scientifiques (Grossetti & Détrez 2000). Historiquement, cette articulation s’est opérée de façon privilégiée dans des universités associant la formation des ingénieur·e·s et la recherche comme le Massachussets Institute of Technology (MIT) aux États-Unis, ou bien comme certaines écoles d’ingénieur.e.s proches des universités à Toulouse, Grenoble ou Nancy pour le cas français. Ainsi, et comme le montre M. Cassier à partir du cas d’étude des scientifiques de l’INSA (Institut National des Sciences Appliquées) de Toulouse, les collaborations formalisées avec les industriel·le·s à travers des projets ou contrats de recherche font partie intégrante d’une « recherche-technologique » caractérisée par l’horizon applicatif de recherches issues des sciences de l’ingénierie (Cassier, 2002).
Repenser la crédibilité scientifique des sciences de l’ingénierie à l’ère de la science entrepreneuriale[modifier]
Au terme d’une des premières ethnographies de laboratoire, B. Latour et S. Woolgar définissent la crédibilité comme étant « la capacité des scientifiques à faire réellement de la science » (Latour et Woolgar 1979 : 199). Pour les deux sociologues, la crédibilité scientifique est cyclique, puisqu’elle désigne à la fois le moteur et les conditions de l’action de chercheur·e·s. Ceux·celles-ci cherchent continuellement à réinvestir différentes formes de crédit scientifique (financements, données, équipements, articles, prix) dans la mise en place de nouvelles recherches. Dans ce modèle du « cycle de la crédibilité », les scientifiques sont présenté·e·s comme des capitalistes mu·e·s par un désir d’accumulation et de conversions permanentes de crédits plutôt que par la seule reconnaissance des pair·e·s.
Au cours des années 1990 et 2000, ce modèle, critiqué pour son réductionnisme économique (Knorr-Cetina, 1982), a été mis à l’épreuve auprès de différentes disciplines scientifiques pour montrer que les logiques d’accumulation n’étaient pas uniquement déterminées par les choix d’individus stratèges. Comme l’ont montré certains travaux séminaux en sociologie des sciences, la crédibilité scientifique est aussi l’objet d’une régulation interne et collective fondée sur la familiarité et l’interconnaissance des membres des communautés scientifiques. Les auteur·rice·s insistent en particulier sur le rôle de petits groupes de scientifiques (core-sets) qui délimitent les critères de la crédibilité scientifique à travers la stabilisation de réseaux de collaboration (Mullins, 1972), de citations (Crane, 1969) ou encore à travers la définition de standards de preuve en situation de controverse (Collins, 1981). Ce travail collectif autour de l’établissement de la crédibilité scientifique diffère selon les cultures épistémiques. En comparant quatre domaines académiques (sciences humaines, sciences sociales, géologie et mathématiques), L. Hessels et ses collègues montrent que le processus d’accumulation de la crédibilité scientifique varie, notamment en fonction de la manière dont les données sont produites (Hessels et al., 2019). Dans une culture épistémique comme celle de la géologie, où il est courant de travailler à partir de données collectées par des pair·e·s et non sur les données produites soi-même, la production d’un ensemble de données peut fonctionner comme une source directe de crédit. De plus, les auteurs montrent comment, suite à la mise en place de nouvelles politiques scientifiques centrées sur l’innovation à partir des années 1970-1980, les financements deviennent de plus en plus importants dans l’accumulation de crédit scientifique, en tant qu’ils permettent d’acquérir de nouveaux instruments ou bien de recruter des nouveaux membres.
La crédibilité des scientifiques dépend aussi des configurations institutionnelles associant le monde académique et les autres mondes sociaux. Dans son article fondateur de 1995, l’historien S. Shapin appelle à élargir l’étude de la crédibilité scientifique en montrant que cette dernière est fondamentalement relationnelle et qu’il est impossible de limiter la création et la circulation des vecteurs de la crédibilité scientifique à l’espace académique (Shapin, 1995). Or, à partir des années 1980, l’engagement et les stratégies des scientifiques académiques sont l’objet d’un intense travail institutionnel et politique visant à articuler la production de savoirs et la création de valeur économique. Cela se traduit par l’instauration de nouveaux cadres réglementaires incitant les scientifiques à l’entreprenariat (Zucker & Darby, 1997 ; Gaudillière, 2015), par la modification de l’allocation des ressources publiques avec la généralisation du financement par projet (Barrier, 2011) ou encore par le développement d’une bureaucratie au sein des universités et des centres de recherche avec pour objectif la mise à contribution des sciences à l’innovation (Popp Berman, 2011 ; Yi, 2015). Ces reconfigurations entre académie et industrie ont affecté l’économie traditionnelle de la crédibilité à la fin du XXe siècle (Rip, 1994). La participation de l’industrie aux activités scientifiques académiques, via des contrats de recherche notamment, contribue à renforcer la crédibilité des laboratoires (Joly & Mangematin, 1996). Dans certaines spécialités de la chimie comme la catalyse, le développement d’applications est également devenu l’un des fondements de la crédibilité scientifique, dans la mesure où les collaborations avec les industriel·le·s facilitent la collecte de données à travers l’utilisation d’instruments coûteux (Hessels & van Lente, 2011). En d’autres termes, le processus d’accumulation de la crédibilité scientifique s’est en partie déplacé vers des espaces-frontières comme les start-up et vers des figures de scientifiques hybrides comme le chercheur-entrepreneur.
Dans le sillage de ces travaux, cet article propose d’étudier l’établissement de la crédibilité dans les sciences de l’ingénierie et, ce faisant, de réaliser une double contribution. D’une part, si les variations des processus d’accumulation de la crédibilité scientifique ont été mises à jour à travers la comparaison entre cultures épistémiques, ce processus n’a pas explicitement été documenté pour les sciences de l’ingénierie. On peut se demander dans quelle mesure la production d’outils transversaux – l’une des spécificités de ces sciences – détermine les étapes d’établissement de la crédibilité scientifique, là où la crédibilité des spécialités académiques étudiées jusqu’ici était principalement orientée vers la production d’articles. D’autre part, la crédibilité scientifique de ces spécialités s’établit en partie depuis des espaces-frontières entre les mondes académiques et industriels. On peut alors se demander si et comment les configurations mises en place dans les années 1980 ont transformé ce caractère hybride. Nous pensons en particulier à la montée de l’entreprenariat dans le monde académique et aux pratiques qui lui sont associées, à savoir le dépôt de brevets et la création d’entreprises innovantes.
La thèse que nous défendons est que la preuve de concept est un vecteur de crédibilité central qui s’établit à la frontière entre académie et industrie et qui permet de maintenir et de renforcer la position hybride des sciences de l’ingénierie. En conséquence, l’enjeu de la suite de cet article est de montrer comment les scientifiques-ingénieur·e·s s’appuient sur la production de preuves de concept pour construire leur crédibilité à l’intersection entre académie et industrie. Conjointement, il s’agit d’analyser le travail collectif et les conditions institutionnelles qui établissent et renforcent la preuve de concept comme vecteur de crédibilité. Pour cela, nous proposons d’actualiser le modèle du cycle de crédibilité de Latour et Woolgar en remplaçant l’étape de l’article par la preuve de concept (fig. 1). Dans cette version, il ne s’agit pas d’effacer le vecteur traditionnel de la crédibilité scientifique mais de l’enrichir, en considérant qu’une preuve de concept peut être convertie en article scientifique mais qu’elle peut aussi être à l’origine d’un brevet ou d’un projet de recherche associant université et industrie. Il s’agit également d’intégrer les critiques adressées au modèle du cycle de crédibilité, en considérant que les stratégies d’accumulation de la crédibilité par les preuves de concept sont déterminées collectivement à l’échelle de la discipline et par des politiques scientifiques spécifiques. Celles-ci visent notamment à réformer les rapports entre science et ingénierie depuis des universités historiquement impliquées dans l’institutionnalisation des sciences de l’ingénierie.
Figure 1 : Cycle de crédibilité
La preuve de concept se substitue à l’article scientifique, mais peut se convertir en publication, brevet ou projet science-industrie.
Inspiré de schéma proposé par Latour et Woolgar (1979).
Terrains et méthodes
Notre stratégie a été de nous concentrer sur un domaine scientifique au carrefour entre sciences du vivant et ingénierie chimique – l’ingénierie métabolique (encadré 1) – et de suivre une preuve de concept spécifique associée à cette communauté : la voie métabolique [2] . Le choix de l’ingénierie métabolique est motivé par deux raisons. D’une part, l’ingénierie métabolique est aujourd’hui une spécialité académique à part entière possédant ses propres journaux académiques, ses formations, ses chaires ou encore ses conférences (Raimbault, 2021). D’autre part, le déploiement de l’ingénierie métabolique est contemporain de l’instauration des nouvelles configurations entre académie et industrie décrites dans la première partie, ce qui permet d’étudier le poids des stratégies de valorisation par l’entrepreneuriat dans l’établissement de la crédibilité.
Encadré 1 : Ingénierie métabolique et voie métabolique
Au début des années 1990, un groupe d’ingénieur·e·s chimistes s’organise et publie une série d’articles programmatiques pour formaliser une nouvelle discipline scientifique qu’ils·elles appellent « ingénierie métabolique » (Bailey, 1991 ; Stephanopoulos, 1998). Pour les scientifiques de ce domaine, le métabolisme – c’est-à-dire l’ensemble des réactions chimiques qui s’effectuent par des organismes vivants – se décompose en différentes « voies » qui assurent les étapes de transformation de la matière depuis une molécule « entrée » vers une molécule « sortie ». Conceptuellement, une voie métabolique est donc une succession de réactions chimiques en cascade. Chacune de ces étapes biochimiques est catalysée de manière spécifique par une enzyme, une protéine produite par les micro-organismes via l’expression de certains gènes. Les ingénieur·e·s du métabolisme ont construit leur originalité épistémique sur l’association entre l’ingénierie chimique (la science des procédés de l’industrie chimique) et les technologies d’ADN recombinant des années 1970 permettant de modifier le génome des organismes de façon ciblée. La promesse technologique de cette nouvelle science des procédés est donc de modifier génétiquement des micro-organismes (bactéries ou levures), de façon à remplacer des procédés chimiques utilisant des composés issus de la matière fossile par des bioprocédés utilisant de la matière biologique (sucre, huile). Dans ce domaine, on parle de preuve de concept quand on parvient à faire synthétiser une molécule d’intérêt (sortie) par un micro-organisme donné.
L’enquête sur laquelle se fonde cet article associe une combinaison d’approches et de matériaux recueillis pendant cinq années de travail doctoral. La première approche mobilise les résultats d’analyses quantitatives menées sur la plateforme CorText [3] à partir d’un corpus de 6288 publications scientifiques, recueillies à partir de la base de données Thomson Reuters Web of Science et de la requête « metabolic engineering ». Ce type de méthodes permet de pouvoir couvrir un ensemble représentatif des travaux du domaine, ce qui présente un double intérêt. D’un côté, nous avons voulu identifier les principaux standards de preuve établis collectivement par les membres de la communauté. Pour cela nous avons cartographié le paysage épistémique à partir d’une analyse co-citationnelle des 100 publications les plus citées du corpus (fig. 2). L’étude des réseaux de co-citations permet d’identifier les objets épistémiques qui sont construits et débattus au sein de la communauté. La carte se lit de la manière suivante. Chaque triangle correspond à une publication scientifique. L’aire de ce dernier est d’autant plus grande que l’article est reconnu (c’est-à-dire cité par d’autres articles au sein du corpus). Deux articles sont d’autant plus proches qu’ils ont tendance à être cités en même temps. Les articles sont regroupés en grappes (ou clusters) de couleur à la suite d’un traitement automatique par un algorithme de détection de communautés. Les articles appartenant à une même grappe forment ainsi un sous-ensemble thématique. Chaque grappe a ensuite été annotée manuellement à la suite d’une lecture minutieuse des publications, systématiquement reliée à une analyse du contexte institutionnel de production. Au cours de notre démonstration, nous ferons référence à ces travaux et clusters en les plaçant entre parenthèses et en invitant les lecteur·rice·s à se reporter à la fig. 2.
Figure 2 : analyse co-citationnelle des 100 publications les plus citées du corpus (1988-2017).
D’un autre côté, nous avons cherché à identifier le core-set du domaine. Comme nous l’avons démontré ailleurs (Raimbault & Joly, 2021), une telle identification est possible sur la base d’une combinaison de trois indicateurs, à savoir la centralité au sein des réseaux de publications, l’importance des publications mesurée à partir du nombre de citations reçues et enfin la productivité. Un travail d’enquête biographique a ensuite été mené sur les membres de ce core-set pour enquêter sur l’engagement vis-à-vis de l’industrie de ces scientifiques à partir de quatre indicateurs : le nombre de brevets déposés, la création de start-up, l’existence d’un partenariat avec un acteur industriel (projet ou emploi) et l’activité de conseil (participation à des conseils scientifiques au sein d’entreprises) (Annexe 1).
La seconde approche repose sur des observations et des entretiens menés sur un séjour de quatre mois au sein d’un des laboratoires les plus reconnus en matière d’ingénierie métabolique dirigé par K. Prather au sein du MIT. Durant ce séjour nous avons pu observer les pratiques de laboratoire et reconstituer le dispositif expérimental à l’origine de l’un des travaux les plus centraux du corpus [4]
- la voie métabolique de l’acide glucarique. Nous avons procédé par filatures, ou shadowing (Quinlan, 2008), une technique consistant à suivre les membres impliqués dans la voie métabolique, ce qui permet de consulter les archives et de mener des observations au sein du laboratoire, mais aussi au-delà dans des réunions inter-équipes, des conférences ou encore des start-ups. Ces observations ont également été complétées par des entretiens semi-directifs auprès des membres du laboratoire impliqué·e·s dans la réalisation de la voie métabolique (chercheur·se·s confirmé·e·s, post-doctorant·e·s, doctorant·e·s, dirigeant·e·s de start-up, responsables de projets industriels). Des entretiens auprès de responsables de projets industriels et dirigeant·e·s de start-up impliqué·e·s dans la mise au point d’autres voies métaboliques ont également été réalisés. Au total plus de 50 entretiens ont été menés entre 2013 et 2018, avec pour objectif de retracer la généalogie de la voie métabolique de l’acide glucarique, d’identifier les motivations des scientifiques, ainsi que de collecter les informations sur leur parcours académique et leur engagement vis-à-vis de l’industrie.
Enfin, les archives du Biotechnology Process Engineering Center (BPEC) – historiquement l’un des principaux lieux de stabilisation et d’expérimentation de l’ingénierie métabolique à l’international (Raimbault, 2018) – ont été exploitées. Le choix de ce centre est justifié par le fait qu’il permet de renseigner le rôle des agences de recherche et du MIT dans la stabilisation de l’ingénierie métabolique et des preuves de concept. En effet, le BPEC est le centre pilote de l’Engineering Research Center (ERC), un dispositif mis en place au milieu des années 1980 par la National Science Foundation (NSF) qui cherche à renouveler les relations entre science et ingénierie. Les ERC s’inscrivent dans un ensemble plus vaste de centres de recherche créés à la même période qui, comme le note E. Popp Berman, diffèrent du développement de la science entrepreneuriale des biotechnologies en favorisant l’interventionnisme au libre marché (Popp Berman, 2011). Interrogée en termes d’économie politique, cette configuration institutionnelle n’a cependant pas été abordée du point de vue du type de savoirs scientifiques produits et de leur rôle dans la renégociation des frontières entre science et ingénierie. Une quinzaine d’entretiens, menée avec des responsables scientifiques et administratifs du programme, complète ces archives. Le BPEC est également basé au MIT, qui est l’une des plus prestigieuses universités des États-Unis et une référence majeure pour l’ingénierie mondiale. Nombreux·se·s sont les auteur·rice·s à s’être penché·e·s sur le MIT : iels ont insisté à la fois sur la spécificité de l’institut et sur l’affirmation d’un « modèle » qui s’est généralisé à de nombreuses universités américaines et internationales (Kaiser, 2012). L’institut est tout particulièrement central dans les travaux analysant l’évolution des rapports entre industrie et académie, ainsi que le rôle des savoirs dans la dynamique du capitalisme, depuis le début du XXe siècle (Noble, 1977 ; Servos, 1980) jusque dans ses formes contemporaines (Etzkowitz & Leydesdorff, 2000). L’historien C. Lécuyer résume le statut paradigmatique du MIT en qualifiant l’institut de « perméable ». Les relations entre l’industrie et l’institut sont le fruit d’un processus qui parcourt le XIXe et le XXe siècle et qui met en tension des visions internes conflictuelles sur le statut du MIT en interaction avec l’industrie américaine, et en particulier en interaction avec quelques grandes industries comme le chimiste DuPont (Lécuyer, 1998).
Ces trois approches sont complémentaires et leur association permet de couvrir l’ensemble des étapes du cycle de crédibilité (instrumentation, production de données, production d’arguments, articles, reconnaissance par les pair·e·s), mais aussi de renseigner le travail d’articulation entre académie et industrie mené à la fois par les scientifiques et par certaines institutions.
Articuler le métabolisme industriel et le métabolisme des micro-organismes[modifier]
Cette troisième partie vise à décrire la manière dont certain·e·s ingénieur·e·s et industriel·le·s s’associent pour définir ce qu’est une voie métabolique, ainsi que les standards de preuve qu’iels leur associent. Nous montrons d’abord que les ingénieur·e·s qui fondent le domaine se donnent comme priorité d’élaborer des voies métaboliques pour remplacer les procédés chimiques par des bioprocédés. Bien plus qu’une simple modification du génome de micro-organismes, il s’agit pour ces ingénieur·e·s de mettre au point des vraies cellule-usines productrices de composés d’intérêt économique. Après avoir dégagé les travaux les plus centraux, nous identifions les standards de preuve associés, en montrant en quoi ceux-ci sont déterminés par les enjeux de production industrielle.
Moléculariser les procédés de production de l’industrie chimique au sein des micro-organismes[modifier]
Le poids de l’industrie et des enjeux de production apparaît au cœur même du renouveau conceptuel de la voie métabolique par les ingénieur·e·s chimistes.
À partir des années 1990, un nombre croissant de travaux visent à stabiliser de nouvelles voies métaboliques au sein des micro-organismes, en croisant les techniques d’ADN recombinant et les savoirs et pratiques du génie chimique. Les articles fondateurs (regroupés dans le cluster 1 de la fig. 2) attestent de la centralité de la voie métabolique comme objet épistémique. Dans le cas des travaux du laboratoire de Prather, la voie métabolique consiste à modifier un microorganisme (E. coli) pour transformer une des molécules les plus utilisées par le vivant – le glucose – en un produit utilisé dans l’industrie chimique – l’acide glucarique – à travers une succession de trois étapes enzymatiques (fig. 3). Le micro-organisme choisi pour exprimer la voie métabolique est celui pour lequel on dispose du plus grand nombre d’outils standardisés (Clarke & Fujimura, 1992).
Figure 3 : Représentation de la voie métabolique construite par le groupe de Prather entre 2004 et 2009.
On distingue trois étapes chimiques, catalysées par trois enzymes provenant d’organismes différents : une bactérie (Udh), une souris (MIOX) et une levure (Ino1).
Crédits : Extrait de la présentation d'une doctorante lors du séminaire du département d’ingénierie chimique du MIT. Avec l'aimable partage du laboratoire de Kristala Prather
La voie métabolique « molécularise » les procédés de production de l’industrie chimique : les organismes vivants sont réduits aux réseaux métaboliques qui les composent ; ces réseaux sont assimilés à des usines cellulaires qui comportent plusieurs voies métaboliques ; enfin, ces voies métaboliques sont composées d’enzymes décrites comme les machines-outils du vivant. Pour Prather et son équipe, il s’agit de moléculariser des procédés de production de l’acide glucarique par voie chimique en insérant trois plasmides (brins circulaires d’ADN), chacun contenant les gènes codants pour les enzymes MIPS, MIOX et Udh.
Les industriel·le·s ne sont pas étranger·e·s à ce renouveau conceptuel, comme en témoigne l’omniprésence de chercheur·se·s industriel·le·s aux côtés de chercheur·ese·s académiques dans les comités organisateurs de la principale conférence internationale « Metabolic Engineering » créée en 1996. L’étude des programmes des premières conférences révèle une forte implication de quelques très grandes entreprises de la chimie (DuPont) et de la pharmacie (Merck), qui président (ou co-président) les six premières conférences. De plus, la principale revue du domaine – Metabolic Engineering – publie des articles de chercheur·se·s industriel·le·s et un certain nombre d’éditoriaux de dirigeant·e·s de laboratoires industriels qui affichent leurs visions programmatiques pour le domaine, comme c’est le cas de B. Buckland pour Merck. Les articles de cet ingénieur chimiste renommé oscillent entre la présentation de résultats menés au sein de la R&D de Merck et les prises de position pour l’avenir de l’ingénierie métabolique (voir notamment Chartrain et al., 2000). L’ingénierie métabolique est annoncée comme un grand espoir pour le monde médical en tant qu’elle permettrait de renouveler les procédés chimiques de l’industrie pharmaceutique et les droits de propriété intellectuelle qui leur sont associés.
Indissociabilité des valeurs scientifiques et des valeurs industrielles[modifier]
La lecture des articles du réseau de co-citations considérés comme des références dans le domaine (fig. 2) permet de dégager les critères d’un « bon » article et de montrer que les ingénieur·e·s du métabolisme indexent la portée scientifique d’une voie métabolique sur son développement industriel potentiel.
- Premièrement, le poids de l’industrie s’exprime dans l’impératif de « flexibilité » de la voie, c’est-à-dire qu’elle doit pouvoir convertir plusieurs molécules « entrée » en différentes molécules « sortie », de façon à faire face aux aléas des disponibilités de matières premières et de l’évolution des marchés des molécules « sortie », qui dépend bien souvent du cours du baril de pétrole. Les scientifiques s’appuient sur le fait qu’il existe certaines voies de biosynthèse particulièrement importantes car partagées par un grand nombre d’espèces ou bien qui donnent lieu à un grand nombre de molécules. Iels cherchent alors à élaborer une voie métabolique dont les produits sont centraux tant dans le métabolisme des micro-organismes que dans les procédés de production de l’industrie chimique. En d’autres termes, la valeur scientifique d’une voie métabolique est en partie déterminée par sa capacité à produire une « molécule plateforme », c’est-à-dire une molécule qui peut être synthétisée par des organismes vivants mais qui peut aussi être facilement intégrée dans plusieurs procédés industriels. Cette quête des molécules plateformes est directement inspirée de l’industrie pétrochimique qui combine et associe quelques molécules élémentaires entre elles pour obtenir une grande variété de produits différents. Ainsi, les travaux du cluster 2, fig. 2 se focalisent sur la voie métabolique produisant des précurseurs des isoprènoïdes, une grande famille comportant des milliers de petits composés. Ces composés sont centraux dans les applications de l’industrie pharmaceutique mais aussi dans la cosmétique, dans l’industrie agro-alimentaire ou bien dans le textile. De même, pour le cluster 1, fig. 2, les voies métaboliques concernées convergent vers la production d’éthanol et de butanol
[5] , deux molécules essentielles pour les organismes mais aussi cruciales pour leur potentiel de substitution des molécules fossiles. L’acide glucarique n’échappe pas à la règle. Produit naturellement par certains organismes, l’acide glucarique est identifié comme un substitut potentiel d’autres acides organiques utilisés dans l’industrie agro-alimentaire comme l’acide citrique, tartrique, lactique et gluconique.
- Deuxièmement, il importe de réaliser des preuves de concept contextualisées, compatibles avec les conditions de production industrielle existantes. Une voie métabolique est scientifiquement reconnue lorsque sa conception intègre les conditions matérielles et économiques de la production industrielle. Cela influence le choix, par les scientifiques du corpus étudié, des micro-organismes déjà utilisés dans les procédés industriels (Corynebacterium glutamicum, Clostridium acetobutylicum, Saccharomyces cerevisiae) pour lesquels des infrastructures spécifiques, lourdes et coûteuses sont nécessaires. Il arrive néanmoins que le fait de réaliser une preuve de concept à partir d’un micro-organisme non utilisé par l’industrie soit aussi source de crédit scientifique, en particulier si la réalisation de la preuve de concept s’est accompagnée de la mise au point d’outils biologiques standards, permettant la manipulation génétique de micro-organismes pour lesquels aucun outil n’existait auparavant. De plus, les ingénieur·e·s développent tout un ensemble de métriques à la frontière entre science et industrie pour évaluer la faisabilité de l’industrialisation d’une voie métabolique : notamment, le titre, le rendement et la concentration de la molécule produite (la productivité indique la production en fonction du temps, le titre indique la concentration de produit par litre et le rendement indique le nombre de molécules d’acide glucarique produites par unité de glucose). L’importance de ces métriques est fréquemment réaffirmée dans les discussions formelles et informelles au sein du laboratoire autour des résultats, comme l’atteste la représentation schématique de la voie de l’acide glucarique (fig. 3). Au royaume des preuves de concept, la quantité est source de preuve et façonne le poids des arguments
[6] . Si produire une trace du composé d’intérêt est décisif, une voie métabolique devient une preuve de concept lorsque la voie en produit suffisamment (1 g/L en général) et qu’elle est conçue de façon à pouvoir atteindre des rendements de production rendant compétitifs les procédés de biosynthèse vis-à-vis de ceux de la chimie du pétrole. L’une des tâches qui occupent le plus les membres de l’équipe de Prather est donc non seulement d’interpréter des inscriptions afin de déterminer l’existence de la molécule d’intérêt, mais également de déterminer la quantité de la molécule d’intérêt produite et la valorisation économique potentielle des intermédiaires produits.
- Troisièmement, la qualité scientifique et industrielle d’une voie métabolique est aussi évaluée relativement à son degré « d’autonomie » vis-à-vis du milieu de production et du micro-organisme utilisé, pour reprendre les termes des scientifiques rencontré·e·s. Dans le langage indigène, l’autonomie est une propriété qui s’établit autant sur le terrain scientifique qu’industriel. D’un côté, il s’agit de pouvoir contrôler les flux de production et d’anticiper les variations des niveaux d’expression des enzymes face à un changement dans le temps de la composition du milieu (température, pH, pression). Les conditions du laboratoire et leurs variations sont indexées sur les conditions de production en fermenteur industriel et s’appliquent sur les étapes dites « limitantes » – c’est-à-dire celles qui contrôlent le flux de toute la voie. D’un autre côté, l’autonomie renvoie à la capacité de pouvoir produire la molécule désirée, peu importe le micro-organisme considéré. Ces dissociations des couples voie métabolique/milieu et voie métabolique/espèce biologique motivent un certain nombre de travaux cherchant à mobiliser la biologie moléculaire pour développer des « outils » (librairie de promoteur, protéines échafaudages, ADN synthétique) (cluster 4, fig. 2) pour que le contrôle de l’expression de la voie ne dépende ni des conditions physico-chimiques ni des propriétés du micro-organisme. Le développement de ces outils moléculaires est une source importante de crédit, comme en témoigne la manière dont l’un des scientifiques interrogé·e·s évoque un de ses collègues en le qualifiant de « roi du promoteur de la levure ».
L’analyse de co-citations du corpus d’articles scientifiques atteste que la réalisation de voies métaboliques est l’enjeu principal des ingénieur·e·s du métabolisme. Tels des assemblages de gènes alignés à la façon d’une chaîne de production, ces nouvelles chimères biologiques sont déterminées par les enjeux industriels dans leur conceptualisation (analogie voie métabolique-chaîne de production) et dans les normes épistémiques par lesquelles elles sont conçues et valorisées dans les revues académiques (détermination des molécules-produits en fonction de la multiplicité des usages dans l’industrie, création de métriques pour rendre commensurables les processus vivants et les procédés alimentaires, etc.).
L’industrie et la production au cœur de l’accumulation de crédit et des motivations des scientifiques travaillant sur les preuves de concept[modifier]
Quelles sont les motivations de ces ingénieur·e·s qui mêlent de façon si profonde horizons épistémique et productif ? Comment mobilisent-ils.elles les ressources industrielles pour construire leur crédibilité au sein de l’ingénierie métabolique ? À l’image des voies métaboliques dont l’intérêt scientifique est d’autant plus fort qu’il présente un intérêt industriel, les carrières, les motivations et les pratiques des scientifiques se construisent à l’intersection des mondes industriel et académique. Cette partie décrit les positions des principaux scientifiques ainsi que la manière dont celles-ci sont déterminantes pour dissoudre les frontières entre académie et industrie et développer des preuves de concept.
Position frontière et accumulation de crédit scientifique[modifier]
Comme l’atteste l’analyse des profils des auteur·rice·s les plus centraux·les du corpus d’articles scientifiques étudié (Annexe 1), la position frontière entre académie et industrie et l’engagement des scientifiques aux côtés d’acteur·rice·s privé·e·s est courante.
Parmi les trente scientifiques du core-set, le dépôt de brevets est systématique (27 sur 30), parfois dans des proportions importantes (18 ont déposé plus de dix brevets), ce qui est particulièrement notable même pour un domaine affilié aux biotechnologies (Sauermann & Roach, 2012). Le dépôt de brevets est conjoint au travail de publication scientifique. Ainsi, Prather et le post-doctorant en charge du projet déposent un brevet protégeant la voie métabolique et en parallèle iels publient plusieurs articles dans des revues académiques – dont un publié dans la revue Nature Biotechnology qui s’impose comme un article central dans le réseau de co-citations (Moon et al., 2009 ; Dueber et al., 2009 ; Moon et al., 2010) [7] .
Pour les ingénieur·e·s du métabolisme, une voie métabolique est d’autant plus crédible qu’elle est associée à une publication scientifique et au dépôt d’un brevet. Autrement dit, ce dernier ne participe pas à une économie de la crédibilité parallèle (Packer & Webster 1996), mais il contribue pleinement à la construction de la crédibilité scientifique. Un travail scientifique sera reconnu s’il conduit à de nouvelles manières de produire consacrées par le brevet. Cependant, tous les brevets ne contribuent pas de la même manière à la crédibilité des scientifiques. Ces dernier·e·s distinguent les brevets déposés des brevets effectivement appropriés par un acteur industriel sous la forme de licence. Cette information est d’ailleurs très souvent mise en valeur sur les CV des scientifiques.
Ensuite, pour neuf scientifiques, dont Prather qui créée la start-up Kalion Inc. dans la foulée de la publication scientifique et du dépôt de brevet de l’acide glutarique, les brevets sont aussi à l’origine de la création d’une entreprise qui prolonge les travaux académiques des chercheur·se·s. Comme l’a montré Fochler (2016), les start-ups ne sont pas seulement des entreprises mais aussi de nouveaux espaces épistémiques, des lieux où les scientifiques échangent et se socialisent. Pour ne prendre que deux exemples, les conseils scientifiques de Genomatica (créée par B. Palsson) et Amyris (créée par J. Keasling) ont été des lieux où se sont côtoyé·e·s plusieurs membres du core-set. Plus fondamentalement, ces start-ups permettent d’initier les étapes dites de « mises à l’échelle », c’est-à-dire de tester les voies métaboliques dans des conditions qui se rapprochent des conditions industrielles, et ainsi de renforcer la crédibilité industrielle des voies.
Enfin, l’expérience au sein de laboratoires de R&D industriels et la conclusion de partenariats avec un laboratoire de R&D pour mettre au point une voie métabolique, sont en elles-mêmes très valorisées au sein de la communauté scientifique. Loin de considérer qu’un investissement dans le secteur privé pourrait souiller la production intellectuelle d’un·e ingénieur·e métabolique, la capacité à développer un procès industriel est un gage majeur de crédibilité. Certain·e·s scientifiques sont ainsi considéré·e·s comme des références incontournables du domaine pour leur participation à des grands projets industriels ayant conduit à la réalisation de preuves de concept emblématiques, sans pour autant apparaître dans notre corpus en raison des restrictions de publication liées au secret industriel. C’est le cas des équipes de DuPont et de Genencor qui, à la fin des années 1990, travaillent à la mise au point d’une voie métabolique permettant de transformer le glucose en 1,3 propanediol dans E coli. Ces travaux ont conduit DuPont à industrialiser le procédé à partir de glucose de maïs pour atteindre en 2020 une production annuelle de 35 millions de livres. La concrétisation dans la production de la voie métabolique du 1,3 propanediol a fait de cette dernière l’une des preuves de concept les plus abondamment mentionnées dans les articles scientifiques, les conférences, les rapports institutionnels, en tant qu’elle témoignerait de la possibilité de détourner le métabolisme des micro-organismes à l’aide de la biologie moléculaire, pour produire des composés chimiques sans utiliser d’énergies fossiles à l’échelle industrielle. Malgré les dizaines de personnes impliquées dans ce projet, ces travaux n’ont généré qu’une seule publication (Nakamura & Withed, 2003) et les brevets déposés par les scientifiques sont aujourd’hui la propriété de DuPont. Les chef·fe·s de projet sont néanmoins notoirement connu·e·s et reconnu·e·s pour leurs travaux scientifiques et leur compétence de valorisation. Ainsi, le français P. Soucaille – l’un des piliers du projet en question pendant deux ans au sein des laboratoires de Genencor – a par la suite été le coordinateur de la principale conférence internationale pour l’ingénierie métabolique, membre du comité scientifique d’Amyris et enfin directeur scientifique de l’entreprise Metabolic Explorer.
En résumé, la crédibilité d’une preuve de concept ne s’établit pas uniquement sur le terrain scientifique à travers les vecteurs traditionnels du monde académique, mais aussi à travers ceux du monde économique (brevet, start-up, projet), des vecteurs qui peuvent suffire pour faire de leurs auteur·rice·s des acteur·rice·s centraux·les au sein de la communauté scientifique.
Tester les conditions industrielles au sein d’un laboratoire académique : l’importance d’un dispositif expérimental hybride[modifier]
Les standards de preuve décrits dans la première section (métriques liées à la production et au contrôle du micro-organisme) impliquent de se doter d’une instrumentation spécifique soumise à deux contraintes. En effet, il s’agit à la fois de mener des activités interdisciplinaires (microbiologie, génie génétique, génie chimique), mais aussi de rendre crédibles ces activités aux yeux de collègues académiques ainsi que des acteur·rice·s industriel·le·s. L’articulation de ces contraintes est en partie permise par la mise en place d’une instrumentation et du recrutement de personnel, qui vont permettre de convertir des financements publics ou privés en données pouvant ensuite être convertis en arguments académiques ou bien en arguments industriels. Le dispositif expérimental du laboratoire académique au sein duquel nous avons enquêté est ainsi organisé autour de la conduite de fermentation qui implique la présence de matériels onéreux et volumineux, tant à l’achat qu’à la maintenance.
Plus la voie métabolique est testée dans les conditions industrielles (fermenteurs de plusieurs centaines de litres), plus celle-ci est considérée comme crédible. Les équipements nécessaires pour recréer ces conditions sont extrêmement coûteux, même pour un laboratoire hébergé par le MIT. Pour contourner cet écueil, le laboratoire de Prather s’est doté de fermenteurs miniatures adaptés aux conditions de laboratoire, dans lesquels les micro-organismes ayant incorporé la voie sont testés. Ces instruments, dont la gamme et les modèles se sont considérablement enrichis depuis les dernières années aux dires des personnes rencontrées, sont associés à des fermenteurs de plus grande taille qui ont été donnés au MIT dans le cadre de partenariats avec des acteur·rice·s industriel·le·s.
Le dispositif expérimental est animé par des doctorant·e·s ou post-doctorant·e·s recruté·e·s qui cumulent un parcours académique en biologie moléculaire et une expérience professionnelle (stage ou contrats courts) au sein des unités de R&D de grands groupes industriels, où iels ont acquis des connaissances pratiques sur la conduite de fermentation. La connaissance des milieux de fermentation est ici décisive puisqu’il s’agit de réaliser des expériences avec une solution à la fois assez pure pour objectiver les processus de transformation de matière réalisées par la voie, mais aussi suffisamment proche des intrants complexes utilisés dans l’industrie. La stabilisation et la constitution des milieux est d’ailleurs l’une des dimensions principales de la valorisation de la voie de l’acide glucarique par la start-up de Prather. Les étapes de mises à l’échelle ont ainsi permis d’identifier des milieux de culture favorables à l’expression de la voie, milieux qui ont pu être importés au sein des pratiques de laboratoires.
L’horizon industriel détermine enfin le choix du micro-organisme hôte de la voie métabolique. Une fois la preuve de concept réalisée dans E. coli, Prather et son équipe s’attèlent à rendre plus productive la voie, mais aussi à l’exprimer dans un autre micro-organisme : Saccharomises cerevisae. D’un côté, le transfert de la voie dans un autre micro-organisme démontre la robustesse de la réalisation technique, notamment sa capacité à être opératoire dans n’importe quel contexte, y compris dans un organisme considéré comme plus complexe qu’E. coli ; d’un autre côté, S. cerevisae est aussi un organisme très utilisé par l’industrie, ce qui renforce un peu plus la crédibilité d’un développement industriel du procédé.
L’industrialisation des preuves de concept comme motivation scientifique[modifier]
Nous l’avons vu, les praticien·ne·s avec lesquel·le·s nous nous sommes entretenus sont motivé·e·s par le devenir productif de la voie métabolique.
Pour atteindre l’industrialisation de la voie métabolique, Prather et les autres chercheur·se·s que nous avons identifié·e·s font part d’un agnosticisme quant aux moyens institutionnels. Pour ces dernier·e·s, les différences entre université et industrie n’existent pas vraiment et les start-up offrent des modes d’organisation et d’évolution plus flexibles :
- " On était une douzaine de personnes avec des compétences différentes, beaucoup de moyens, donc c’était vraiment bien pour mettre en place ses idées, avec des objectifs très différents du système universitaire. Dans le système universitaire on rémunère les gens d’une certaine manière avec des publis et de l’ego, bon là le succès c’est un projet, avec des milestones, y a pas trop de systèmes d’ego et ça marche bien."
- Entretien avec un ancien directeur du projet 1,3 propanediol, mars 2015.
Comme l’indique Shapin à propos des scientifiques industriel·le·s au XXe siècle, l’industrie est considérée comme un lieu permettant « d’être plus libre et spontané que la recherche soutenue par les universités états-uniennes » (Shapin, 2009, p. 160 ; traduit par nos soins). Cela est d’autant plus vrai compte-tenu du type de produits des voies métaboliques (faible valeur ajoutée, infrastructures importantes), qui limitent l’accès à la sphère financière même lorsque la voie est protégée par des brevets. Alors que les fonds d’investissement sont nombreux pour les biotechnologies à ADN spécialisées dans le domaine médical, ce n’est pas le cas des entreprises impliquées dans l’industrialisation des voies métaboliques en raison de la nature des investissements (plusieurs centaines de millions de dollars pour les usines). L’entreprenariat dépend surtout du soutien financier de grands groupes industriels (Total, Merck, DuPont), et il est favorisé par une expérience au sein des départements de R&D, par l’existence de collaborations préalables ou encore par une activité de conseil. C’est notamment le cas de Prather qui, après un doctorat auprès de J. Keasling au Lawrence Berkeley National Laboratory, rejoint la compagnie pharmaceutique Merck pour travailler à la mise au point de procédés de production de composés pharmaceutiques. Au sein de Merck, elle rencontre le responsable du développement de la production de Merck, qui la rejoindra quelques années plus tard au sein de sa start-up Kalion pour industrialiser la voie métabolique.
La citation de l’ancien directeur de projet marque également une distance vis-à-vis de l’économie traditionnelle de la crédibilité scientifique, qui repose sur la reconnaissance des pair·e·s via les publications. Le succès d’un projet scientifique n’est pas restreint au nombre et à la qualité des publications scientifiques, mais au franchissement de « milestone », c’est-à-dire les étapes intermédiaires menant à la production industrielle selon l’échelle du transfert technologique (TRL). De plus, la production de savoirs n’est valorisée qu’à partir du moment où elle est associée à la transformation du monde et non plus à sa seule compréhension :
- Ingénieur du métabolisme : Je pense que, il y a ceux qui parlent et il y a ceux qui font. […] Après la recherche… BR (le coupe) : Ça parle ou ça fait ?
- Ingénieur du métabolisme : Très bonne question. En tout cas ça fait pas assez. […] Un scientifique qui fait de la recherche fondamentale pour dire qu’il fait de la recherche fondamentale, c’est quelqu’un que je méprise […] Toute bonne recherche a nécessairement une application. On part d’un besoin. […] Les gens qui caractérisent l’activité enzymatique de la protéine JKA machin de l’organisme 2 machin thermo durance machin-truc, et ils le font de la même manière qu’ils ont caractérisé les mille avant et qu’ils feront pour les dix mille ensuite, ça n’a aucun intérêt. C’est un gâchis d’argent public phénoménal.
- Entretien avec un ingénieur du métabolisme, septembre 2014.
La faisabilité revêt ici une dimension morale car elle renvoie à la responsabilité des scientifiques vis-à-vis des autres groupes sociaux. Loin d’être une « demande sociale » signe d’un nouveau mode de production de savoirs (Gibbons et al., 1994), on retrouve ici la spécificité de ce que M. Cassier appelle la « recherche-technologique », c’est-à-dire une vision continuiste entre science et industrie qui conditionne l’autonomie de l’activité scientifique à son utilité sociale et – en conséquence – indexe la crédibilité des savoirs à leur potentialité applicative (Cassier, 2002).
On aurait cependant tort de croire que les motivations des scientifiques sont uniquement dirigées et contraintes par l’horizon du développement industriel. La majorité des scientifiques du core-set et de ceux·celles que nous avons rencontré·e·s poursuivent une carrière académique dont la dynamique n’est pas uniquement liée à l’industrialisation d’une voie métabolique. Il s’agit également pour eux·elles de bien choisir leur voie métabolique pour respecter les standards de preuve de la communauté scientifique et les exigences institutionnelles. Ainsi, pour Prather, le choix de la voie métabolique de l’acide glucarique lui permet de sécuriser sa position académique dans le temps imparti avant la titularisation à l’université (tenure) :
- "Les gens me demandaient souvent : « Pourquoi travaillez-vous dans E. coli ? Ce n’est probablement pas le meilleur organisme, la levure est plus utilisée dans l’industrie etc. » Ma réponse habituelle vis-à-vis de ces personnes était la suivante : « E. coli était le meilleur organisme dans lequel travailler pour quelqu’un qui essayait d’obtenir une tenure »."
- Entretien avec K. Prather, avril 2016.
La voie métabolique doit être faisable, mais assez difficilement faisable pour que le département d’ingénierie chimique du MIT récompense Prather de son investissement en pérennisant son laboratoire. La difficulté est évaluée par Prather comme une qualité indissociablement naturelle et sociale. En d’autres mots, la question « comment est-il possible de trouver des raccourcis dans les voies de synthèse naturelles connues des biochimistes ? » est inséparable de la question « comment rejoindre au plus vite le monde académique depuis ma position de chercheuse industrielle ? ».
Les conditions institutionnelles de la crédibilité des preuves de concept : le MIT et le programme ERC de la NSF[modifier]
Cette dernière partie interroge les conditions institutionnelles de la crédibilité scientifique des voies métaboliques produites par ingénierie métabolique, ainsi que la manière dont celles-ci permettent de renouveler des relations préexistantes entre académie et industrie. Pour cela, et compte-tenu du périmètre de notre étude, nous nous concentrons sur le rôle des universités et des agences de recherche dont la littérature a montré qu’elles étaient au cœur de l’articulation entre crédibilité scientifique et politiques d’innovation (Rip, 1994 ; Guston, 2001).
Un regard sur l’appartenance institutionnelle du core-set confirme que le développement de l’ingénierie métabolique comme spécialité des sciences de l’ingénierie ne concerne pas l’université en général, mais les universités techniques en premier lieu. Les travaux sur le développement des voies métaboliques sont surtout conduits dans des établissements hybrides, dont l’objectif est de faire collaborer des équipes universitaires et industrielles au développement de nouveaux procès industriels (Annexe 1). Ces établissements peuvent être des centres techniques peu liés à la recherche universitaire (par exemple, NIZO Food Research, Centre of Genomics of Industrial Fermentation aux Pays-Bas ?) ou bien des universités techniques – comme aux États-Unis. C’est le cas du MIT sur lequel nous allons désormais porter notre intérêt, en nous appuyant sur l’hypothèse de T. Gieryn selon laquelle les lieux sont un vecteur de crédibilité scientifique à part entière (Gieryn, 2006). Dans cette perspective, il ne s’agit pas uniquement de mentionner en quoi le MIT offrirait un cadre fortuit où des travaux gagneraient en crédibilité, mais aussi d’identifier sous quelles conditions culturelles le célèbre institut devient explicitement un élément central dans la quête de crédibilité de l’ingénierie métabolique.
Dans un premier temps nous décrivons comment nos acteur·trice·s mobilisent la renommée du MIT dans les sciences de l’ingénierie et de son implantation au sein de la ville de Cambridge pour faire du Biotechnology Process Engineering Center (BPEC) l’un des principaux lieux de stabilisation et d’expérimentation de l’ingénierie métabolique, ainsi qu’un lieu d’expérimentation pour de nouvelles relations entre science et ingénierie. Dans un second temps, nous verrons comment le MIT s’appuie sur ce centre pour créer des espaces de formation à la conduite industrielle pour une nouvelle génération d’ingénieur·e·s et pour renouveler des partenariats avec des acteur·rice·s industriel·le·s historiques.
Expérimenter la production de preuves de concept depuis le MIT[modifier]
Deux scientifiques du MIT – G. Stephanopoulos et, dans une moindre mesure, A. Sinskey – sont les véritables entrepreneurs de l’ingénierie métabolique. Le 6 octobre 1996 à Danvers (Massachussets), Stephanopoulos préside la première conférence internationale d’ingénierie métabolique, initiant un cycle de conférences biannuelles qui se prolonge encore aujourd’hui. En 1999, Stephanopoulos cofonde la société internationale d’ingénierie métabolique (IMES), chapeautée par l’AIChE – l’association historique des ingénieur·e·s chimistes –, de laquelle naît la première revue scientifique du domaine : Metabolic Engineering.
La centralité des travaux de Stephanopoulos dans notre corpus et la publication du principal manuel définissant les méthodes et normes épistémiques des voies métaboliques, doit beaucoup à son implication en tant que directeur de recherche au sein du BPEC, l’un des six premiers centres de recherche du programme ERC [8] . Soutenu par la NSF, ce programme est une réponse aux demandes de l’administration du président Reagan via l’Office of Science and Technology Policy (OSTP) pour soutenir l’innovation de procédés de l’industrie états-unienne face à la concurrence internationale. Inauguré en 1985 sur le campus du MIT, le BPEC a pour objectif d’utiliser les technologies d’ADN recombinant pour développer des « cellules-usines » – des cellules embryonnaires de hamster modifiées génétiquement – pour la production de protéines thérapeutiques. La direction du centre est confiée à un petit groupe d’ingénieurs chimistes (D. Wang, G. Stephanopoulos, C. Cooney) et à un microbiologiste (A. Sinkey). S’inspirant des récents succès de la start-up Genentech et de la production d’insuline humaine par génie génétique, l’objectif du centre est de montrer qu’il est possible de standardiser la démarche en produisant de nombreux composés thérapeutiques via la conception de nouvelles voies métaboliques conformément aux appels de l’industrie pharmaceutique, en particulier des ingénieur·e·s de Merck (voir partie 2).
Le BPEC est conçu comme un espace où les chercheur·se·s industriel·le·s viennent effectuer des séjours temporaires aux côtés de chercheur·se·s académiques pour mener des expériences à l’échelle préindustrielle. Le MIT met à disposition d’importantes ressources en termes d’équipements et de personnel. Plus de 11 000 m² de surface sont dédiés à la mise au point d’un système expérimental entièrement hybride, qui permet de modifier les cellules avec les dernières technologies d’ADN recombinant et de les tester en conditions industrielles, dans un fermenteur de plusieurs milliers de litres « offert » par l’industrie Alfa-Laval. Associé à des modèles informatiques et à des instruments d’analyse du métabolisme, ce système expérimental permet aux chercheur.euse·s de s’approprier les techniques d’ADN recombinant pour la création des premières voies métaboliques et de pouvoir les tester en conditions industrielles. Les locaux mis à disposition par le MIT ne sont pas choisis au hasard. Le BPEC occupe des salles situées entre le département d’ingénierie chimique et le département de biologie appliquée, inscrivant l’articulation entre chimie et biologie dans l’espace du laboratoire. Fermenteurs, instruments de chimie analytique ou encore laboratoires « humides » permettant la manipulation de micro-organismes, sont ainsi facilement accessibles depuis le BPEC. L’organisation de l’espace du BPEC est en partie confiée à C. Cooney, ingénieur des procédés du MIT qui, au même moment, participe à la conception de la première usine de production des protéines recombinantes de Genentech, avant de faire de même dans les environs de Boston auprès de Genzyme. Le BPEC se confronte néanmoins à une dotation relativement modeste de la NSF (dix millions de dollars sur dix ans), en raison du statut expérimental du projet au sein de l’agence fédérale, mais aussi de l’objectif même des ERC qui doivent prouver leur utilité en s’auto-finançant à hauteur de 50 % en concluant des partenariats avec des acteur·rice·s industriel·le·s. Le rôle du MIT est alors décisif dans la construction de la crédibilité du BPEC. Les ressources déployées par le MIT ne se sont pas uniquement centrées sur le dispositif expérimental. L’institut a mis également à disposition les services de valorisation et de l’événementiel qui assurent le dépôt de brevets, l’incitation à l’entreprenariat et l’organisation de dîners auprès des sponsors. Le BPEC et ses dirigeant·e·s s’appuient également sur les nombreux partenariats existants pour solliciter des industriel·le·s et pour fonder le consortium industriel exigé par le programme ERC [9] .
Au-delà d’un accès à d’importantes ressources financières et sociales, la localisation du BPEC sur le campus du MIT peut se lire comme la volonté de rendre crédible la construction des voies métaboliques et, plus largement, le rapprochement entre science et ingénierie porté par le programme ERC. Le choix du MIT tient en premier lieu à son implantation au sein de la ville de Cambridge (Massachussetts), qui est un lieu pionnier dans l’essor d’une façon de produire et de réguler le savoir scientifique spécifique aux biotechnologies, où les dimensions marchandes, mais aussi civiques, sont centrales (Joly & Gaudillière, 2006). Au début des années 1970, et alors que l’encadrement des nouvelles techniques d’ADN recombinant est discuté entre scientifiques et agences fédérales, le maire de Cambridge, Alfred E. Vellucci, s’oppose publiquement au fait que de telles recherches aient lieu sur les campus du MIT et de l’université d’Harvard sans consultation de la population locale (Kaiser, 2012). Un groupe de travail local – le Cambridge Experimentation Review Board (CERB) – est créé qui impose un moratoire de trois mois sur les recherches impliquant la manipulation d’ADN recombinant. Le CERB est aussi à l’origine de rencontres et de débats entre citoyen·ne·s de la ville et scientifiques qui aboutissent à rendre acceptables les pratiques de génie génétique à l’échelle de la ville. Ce contrat social local pose les conditions pour une explosion des activités des biotechnologies au sein de la ville, surnommée « Genetown » à partir du début des années 1980 en raison de la forte concentration d’acteur·rice·s de la recherche et de l’industrie des biotechnologies (laboratoires et centres de recherche, start-ups, département de R&D de la pharmacie) (fig. 4). La NSF ne choisit donc pas d’établir l’unique ERC consacré aux sciences du vivant au MIT, elle inscrit un centre de recherche au sein d’une ville qui fait des biotechnologies un nouveau trait identitaire.
Figure 4 : Représentation simplifiée de la distribution spatiale des entreprises de biotechnologies dans le Massachussetts produite au milieu des années 1990 et présente aujourd’hui dans les locaux du département de bioingénierie du MIT.
Mis en valeur par nos soins, le logo du BPEC est noyé au cœur des autres logos d’entreprises de biotechnologies (Genzyme, TKT, Pfizer, BBI etc.).
En second lieu, le statut de modèle attribué au MIT en matière de sciences de l’ingénierie est déterminant pour le programme ERC et pour la NSF. Contesté en interne de l’agence, le programme ERC est un dispositif expérimental qui cherche à développer un modèle organisationnel où l’industrie est au cœur de la recherche et de la formation. Ces deux missions n’entrent pas dans les objectifs traditionnels d’une agence réputée pour soutenir des recherches académiques dans des disciplines éloignées de l’ingénierie. En choisissant le MIT, les responsables du programme ERC cherchent ainsi à assurer sa pérennité au sein de la NSF. Comme l’évoque la responsable du programme de la NSF, l’établissement d’un ERC au sein de la célèbre école d’ingénieur·e·s de Cambridge est un investissement symbolique très fort :
- " Nous avons vu le financement [de Wang concernant l’ERC] comme une opportunité pour faire une percée au sein du MIT [...] le MIT est tellement central dans le milieu universitaire, alors que si vous financez quelqu’un, sans cette réputation académique, en province, il faudra beaucoup de temps pour que le reste du pays suive. Mais quand le MIT fait un grand changement : Wahou ! C’est pourquoi nous avons pensé que le reste du monde irait dans cette direction."
- Entretien avec Lynn Preston, janvier 2017.
On retrouve ici la dimension expérimentale du BPEC et le fait qu’un succès au sein de la référence mondiale pour les sciences de l’ingénierie opérerait comme la preuve qu’il est possible de refondre le pacte entre industries existantes et universités techniques, mais aussi de redéfinir les frontières entre science et ingénierie, comme l’atteste la déclaration du directeur de l’agence lors du colloque inaugural du BPEC :
- " Les biotechnologies se développent rapidement en tant que domaine, mais définir ce qu’elles englobent n’est pas facile : plusieurs domaines de la biologie, la chimie, le génie chimique et la physique etc. L’association de ces domaines exige une nouvelle sorte d’ingénieur·e·s (ou bien doit-on dire de scientifiques ?) capables de synthétiser les idées de ces domaines divers et de parler leurs langages."
- ERC Goals and Expectations Science and Engineering : A Continuum, Erich Bloch, Symposium d’inauguration du programme ERC, 1985 ; traduit par nos soins.
La citation ci-dessus rend également visible un point peu identifié par la littérature étudiant les reconfigurations entre universités et industrie au tournant des années 1980, à savoir que l’intrication de plus en plus forte entre les mondes académiques et les mondes économiques s’opère en partie sur une dissolution des frontières entre science et ingénierie. Dans le cadre des ERC, cette dissolution repose sur la notion de preuve de concept qui constitue la raison d’être du programme :
- é Les ERC visent à développer des ingénieurs innovants, diversifiés et compétitifs à l’échelle mondiale, pouvant mener des recherches interdisciplinaires et de rupture en ingénierie qui mènent à la preuve de concept (niveaux de préparation technologique [TRL] 1-3) et finalement à l’innovation technologique.é
- A New Vision for Center-Based Engineering Research, 2017 ; traduit par nos soins.
La localisation du BPEC sur le campus du MIT est un critère déterminant dans la crédibilité scientifique de l’ingénierie métabolique à ses débuts, en tant qu’il est à la fois le lieu de naissance du génie chimique et le berceau des biotechnologies contemporaines. Bien qu’aujourd’hui la référence au MIT ne soit plus aussi déterminante pour l’ingénierie métabolique, elle a été une ressource explicite pour établir la crédibilité de cette nouvelle spécialité scientifique lors de son émergence.
Former une nouvelle génération d’ingénieur·e·s au sein du MIT[modifier]
Conjointement aux activités de recherche, le MIT s’appuie sur le BPEC pour former les futur·e·s professionnel·le·s de l’industrie au plus près des infrastructures de mise à l’échelle des procédés industriels. Le centre permet aux futur·e·s ingénieur·e·s d’accéder à cet espace industriel au sein duquel iels acquièrent les pratiques essentielles pour faire du génie métabolique. Un cours est créé où les étudiant·e·s du MIT sont invité·e·s à participer pendant plusieurs semaines à un projet industriel :
!" Nous [...] enseignions aux étudiants essentiellement comment se saisir de la biologie et fabriquer des choses. L’industrie était un client. Que faites-vous quand vous êtes à l’université ? Vous produisez des connaissances, vous produisez des personnes. Vous formez des personnes. Connaissance et personnes. C’est le modèle économique."
- Entretien avec C. Cooney, février 2016.
Entre 1985 et 1994, plus de 4000 étudiant·e·s du MIT assistent aux cours pour undergraduate du BPEC et plus de 2000 suivent les cours estivaux organisés par l’industrie. Une partie de ces étudiant·e·s rejoint ensuite des laboratoires de R&D de grands groupes pharmaceutiques où iels sont particulièrement recherché·e·s pour leurs compétences pratiques avec les infrastructures de recherche industrielles, comme en témoignent les lettres de soutien des industriels (tout particulièrement Merck) adressées à D. Wang pour la reconduction du financement de la NSF au début des années 1990 :
- " À mes yeux, le Centre [BPEC] a surtout favorisé la recherche dès le premier cycle. [...] Deux choses me semblent évidentes : 1) le MIT est certainement le meilleur endroit pour la formation des étudiants en génie biochimique, et 2) les étudiants en bioprocédés du MIT ont une meilleure maîtrise des aspects pratiques des procès biochimiques."
- Témoignage de Michael P. Thien dans une lettre de soutien adressée à Danny Wang le 9 septembre 1993 à l'occasion du renouvellement du financement ERC ; traduit par nos soins ; emphase dans le texte.
Le cursus pédagogique du BPEC s’appuie sur un dispositif existant au sein du MIT : l’Undergraduate Research Opportunity Program (UROP), un programme célèbre dans l’avènement du hacking et porteur d’un certain rapport entre savoir et pratique [10] . Le programme du BPEC hérite à son tour de la longue tradition d’innovation pédagogique du MIT souvent résumée par le slogan « Learning by doing » qui met la pratique au cœur de la démarche pédagogique (Kaiser, 2010).
L’administration du MIT participe aussi à la stabilisation des voies métaboliques et de l’ingénierie métabolique en offrant des carrières académiques dont l’entrée dépend du développement d’une preuve de concept, comme le montre le cas de Prather. En conditionnant la pérennité du poste de professeure à la production de preuves de concept (voir section 2), le MIT prend en charge une partie des risques du processus d’innovation et soutient le développement de voies métaboliques dont le produit n’est pas encore utilisé massivement par l’industrie. Enfin, le MIT mobilise les travaux du BPEC pour prolonger et réaffirmer des modalités de collaboration avec le monde académique établies depuis des décennies avec certain·e·s acteur·rice·s industriel·le·s. L’exemple de DuPont est le plus frappant. Tout comme il s’est montré déterminant dans la construction du génie chimique depuis le MIT au milieu du XXe siècle (Ndiaye, 2001), le géant de la chimie mondiale renouvelle sa collaboration avec le célèbre institut à travers le DuPont-MIT Alliance, un partenariat de 35 millions de dollars lancé en fanfare le 1er janvier 2001 [11] . Cet évènement et le soutien de l’ingénierie métabolique marquent plus largement une nouvelle étape dans l’implication de DuPont vis-à-vis des sciences du vivant. En effet, à la fin des années 1990, DuPont crée une nouvelle unité de recherche dédiée aux « biosciences industrielles » qui se construit peu à peu, notamment en menant la construction de la voie métabolique mentionnée plus haut autour du 1,3 propanediol.
En résumé, le MIT joue un rôle décisif dans l’établissement de la crédibilité du programme ERC, de l’ingénierie métabolique et de ses productions à travers la mise à disposition des services de valorisation et d’espaces conçus entre le laboratoire et le site de production, et à l’intersection des départements de génie chimique et de biologie appliquée, mais aussi à travers le développement de formations et de postes, la mobilisation du prestige de l’institut dans les sciences de l’ingénierie ou encore l’actualisation de partenariats publics-privés déjà existants. En d’autres termes, le cas du BPEC permet d’insister autant sur les conditions nécessaires pour que de nouvelles pratiques scientifiques gagnent en crédibilité que sur la dimension située de l’établissement de cette crédibilité.
Conclusion[modifier]
Notre enquête sur l’ingénierie métabolique identifie une manière originale d’établir la crédibilité scientifique dans les sciences de l’ingénierie, où la preuve de concept est considérée comme un vecteur de crédibilité central. Nous avons pour cela proposé de revisiter le cycle de crédibilité de Latour et Woolgar, en substituant l’étape la plus souvent mise en avant (l’article) par la preuve de concept. Insistons à nouveau qu’il ne s’agit pas de mettre au jour une économie de la crédibilité radicalement différente de celle qui a été bien renseignée par la littérature mais, d’une part, de spécifier les processus d’accumulation de la crédibilité dans les sciences de l’ingénierie et, d’autre part, de voir comment les preuves de concept sont le support de l’actualisation de relations existantes entre académie et industrie à l’ère de la science entrepreneuriale.
Nous avons montré que l’accumulation de la crédibilité scientifique par la preuve de concept était le fruit d’un travail d’articulation entre académie et industrie qui s’opérait à toutes les étapes du cycle : dans la quête des financements, dans la mise en place du dispositif expérimental (adaptation du fermenteur et choix des micro-organismes) et dans le recrutement du personnel, dans la production de données (calibrée aux conditions industrielles), dans la production d’arguments (la quantité de composé produit et non plus la trace), dans les publications (article académique et brevet) et enfin dans la reconnaissance des pair·e·s (par la citation mais aussi par la réalisation de projets sans publication). En conséquence, le fait d’occuper une position intermédiaire entre monde académique et monde industriel est décisif pour accumuler de la crédibilité. Ce travail d’articulation est cependant déterminé par les besoins et par la structure des circuits de production, ainsi que par les stratégies des industriel·le·s qui ne sont pas ou peu remises en cause. En effet, les voies métaboliques produites ont pour objectif de remplacer des procédés chimiques existants, à condition d’être aussi productives que ces derniers et de produire des composés similaires. Le travail d’articulation ne s’effectue pas non plus dans n’importe quel espace, mais depuis des universités techniques possédant une longue tradition de collaboration avec l’industrie. La preuve de concept permet à la fois de maintenir des anciens modes de production de connaissances entre académie et industrie, bien connus de la littérature, mais aussi de les étendre à de nouvelles pratiques et à de nouveaux espaces ouverts par la science entrepreneuriale. D’abord, l’extension des droits de propriété intellectuelle au vivant et aux recherches financées sur fonds publics, permet aux scientifiques de publier des brevets sur la conception de nouvelles voies métaboliques, qui font aussi l’objet d’une publication académique. Ensuite, l’essor de l’entreprenariat dans le monde académique ouvre des espaces dans lesquels les voies métaboliques conçues au sein des laboratoires peuvent être testées dans des conditions industrielles et ainsi accroître leur crédibilité. Enfin, le développement des preuves de concept et la formalisation d’un programme de recherche associé ont été le vecteur du renouveau du partenariat entre acteurs historiques comme le sont le MIT et le géant DuPont.
Le cas particulier de l’ingénierie métabolique invite à un triple élargissement. Tout d’abord, cet article appelle un prolongement vers la question de la généralisation de la preuve de concept au sein d’autres spécialités des sciences de l’ingénierie et plus largement dans l’ensemble des spécialités académiques. Il serait intéressant de mener une enquête sur un autre domaine que celui des sciences du vivant, comme les sciences informatiques, où la notion de preuve de concept est fréquente et où certaines figures scientifiques (Yann Le Cun) occupent des positions de prestige au sein de l’académie (Professeur au Collège de France sur la chaire Informatique et sciences numériques en 2015-2016 ; lauréat en 2018 du Prix Turing, décerné par l’Association for Computing Machinery et comparé au prix Nobel pour l’informatique), ont une activité de publication importante, tout en étant des chercheur·se·s industriel·le·s (directeur de la recherche sur l’Intelligence Artificielle chez Facebook, Facebook AI Research). Cela permettrait de voir dans quelle mesure le caractère hybride des trajectoires des membres du core-set, mis au jour par le cas de l’ingénierie métabolique, est généralisable.
Une deuxième piste fertile pourrait être d’étudier la façon dont le programme ERC essaime au cours du temps sur le territoire états-unien et au-delà. En effet, il a servi de modèle pour un autre programme porté par la NSF – les Science and Technology Center (STC) – ainsi que pour tout un ensemble de centres de valorisation de par le monde, comme la Science Foundation of Ireland (SFI) (Bozeman & Boardeman, 2004). Il s’agirait alors d’analyser les modalités de circulation ainsi que la manière dont ces centres généralisent (ou non) la structuration de communauté scientifiques autour d’enjeux industriels institutionnalisant ainsi une articulation entre logiques économiques et économie de la crédibilité scientifique. De plus, comme l’indique le cas du programme ERC, il s’agirait de s’interroger plus profondément sur l’extension des sciences de l’ingénierie dans l’académie, en particulier dans un contexte d’injonction à l’interdisciplinarité en vue de la résolution de problèmes. Les travaux de S. Louvel indiquent à cet égard que les sciences de l’ingénierie s’appuient sur la malléabilité de leurs frontières pour produire des savoirs interdisciplinaires et obtenir des ressources (Louvel, 2015). On peut alors se demander dans quelle mesure les preuves de concept ne vont devenir un horizon structurant de la recherche par projets, ce qui pourrait mettre à mal certains domaines et rebattre les hiérarchies disciplinaires.
Une troisième piste de prolongement de l’article serait de poursuivre l’étude de la dimension spatiale de la crédibilité scientifique à l’ère de la concentration des activités scientifiques ou bien des politiques de « clustering », qui visent à rassembler sur un même site des scientifiques, des industriel·le·s, des sociétés de service, des hôpitaux etc., dans le but de favoriser l’interdisciplinarité et l’innovation. La littérature a pour l’heure abondamment étudié l’origine et l’inscription de cette « promesse relationnelle » dans les politiques d’innovation (Vallier, 2021), et il serait bienvenu d’étudier plus finement les effets de cette organisation spatiale sur l’établissement de la crédibilité scientifique. On pourrait en particulier se demander dans quelle mesure cette proximité favorise (ou dessert) l’engagement des scientifiques dans différentes économies de la crédibilité. Une entrée possible serait alors d’enquêter depuis les lieux appelés « démonstrateurs » qui cherchent à associer les modes de généralisation et de standardisation du laboratoire et de l’usine.
Ces trois pistes invitent plus largement à revisiter les interprétations sur les convergences entre industrie et académie – bien décrites dans la littérature –, au-delà des questions de l’autonomie des sciences (Lamy & Shinn, 2006) ou du changement des modes de production des savoirs (Gibbons et al., 1994), et davantage depuis la spécificité des disciplines.
Je remercie toutes les personnes qui ont accepté de me consacrer un peu de leur temps pendant mon enquête, tout particulièrement Kristala Prather pour son accueil et sa disponibilité. Merci également à Jean-Paul Gaudillière qui a accompagné les premières versions de cet article. Je remercie enfin les relecteur.rice·s de la RAC ainsi que Fabrizio Li Vigni et Séverine Louvel pour leurs commentaires et lectures avisés.
Bibliographie[modifier]
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Annexe[modifier]
Annexe 1 Affiliations institutionnelles et engagements envers le monde économique des trente scientifiques les plus centraux Auteurs
Pour citer cet article[modifier]
Référence électronique[modifier]
Benjamin Raimbault, « Faire avec l’industrie », Revue d’anthropologie des connaissances [En ligne], 17-2 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 09 juillet 2023. URL : http://journals.openedition.org/rac/30114 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rac.30114
Auteur : Benjamin Raimbault
Enseignant en sociologie des sciences et des techniques à l'ESIEE Paris et chercheur au sein du Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (LISIS).
ORCID : https://orcid.org/0000-0003-0240-6410
Adresse : LISIS, 3 All. Jean Renoir, FR-93160 Noisy-le-Grand (France).
Courriel : benjamin.raimbault[at]esiee.fr
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Droits d’auteur[modifier]
CC-BY-NC-ND-4.0
Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0
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