Qu'est-ce que la philosophie ?

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Qu'est-ce que la philosophie ?[modifier]

Face à l’interrogation et à l’appel des mystères de l’existence, de la vie, de la mort et de la nature, auxquels l’homme est confronté depuis toujours, la philosophie a élaboré une nouvelle approche, fondée sur la confrontation des croyances et des intuitions de chacun avec la raison et l’expression de notre intelligence.

La philosophie a permis de libérer l’homme de la foi aveugle, du fanatisme et de l’étroitesse. Bien qu’elle ne donne pas la réponse à tous les mystères, elle purifie l’homme en élargissant ses horizons. Elle l’ennoblit en le rendant moins sujet aux passions et aux réactions immédiates. Elle lui enseigne la liberté et le chemin du juste milieu.

La philosophie enseigne à l’homme à investir dans le moyen et le long terme, et pas seulement à réagir et à s’occuper de l’immédiat. Elle conduit à se délivrer de la fatalité, en découvrant le pouvoir de sa propre volonté, comme source libératrice de ses auto-limitations et de ses préjugés.

La philosophie est un chemin entre les choses. Elle apprend à marcher entre le blanc et le noir, entre lumières et ténèbres, car elle ne cesse jamais de percevoir le mystère qui la guide, qui l’encourage et qu’elle apprend à ne plus craindre. Elle permet à l’homme de décider par lui-même, d’ouvrir de nouveaux horizons, de créer et d’innover.

La philosophie, amour de la sagesse[modifier]

Au VIème siècle avant J.C., quelqu’un dit à Pythagore, illustre mathématicien grec : « Vous êtes un sage ». Pythagore répondit alors : « Non, je ne suis pas un sage, je suis seulement à la recherche de la sagesse. Je suis un ami de la sagesse. J’aime la sagesse. » Ainsi, naquit le mot philosophie.

Issu du grec, le terme philosophie (philos : amour et sophia : sagesse) veut dire amour de la sagesse. Le philosophe est donc un amoureux de la sagesse.

La modestie exprimée par Pythagore dans le mot « philosophe » nous apprend que la philosophie est quelque chose de dynamique. Elle est une tendance permanente, un processus tendant vers un but, la sagesse. Plus tard, Platon expliquera que le philosophe aime la sagesse car il ne la possède pas, mais il la cherche par tous les moyens. C’est pour cela qu’il questionne et analyse les réponses reçues. Il n’est pas un sage car il n’est pas arrivé au bout de sa quête.

Mais alors, qu’est-ce que cette sagesse, idéal et quête du philosophe? Le sens commun du mot sagesse désigne un savoir qui, s’il ne provient pas uniquement de l’expérience et de la pratique, doit être au moins éprouvé par elles. La sagesse désigne le plus souvent une vertu, un art de vivre, l’art de faire le bien, une attitude dictée par une connaissance intime et vérifiée des lois de la nature. En effet, la nature a toujours été perçue comme une intelligence à l’œuvre. En s’émerveillant de la beauté de la nature, les Anciens se sont interrogés sur les lois qui la régissent et qui se reflètent aussi en eux-mêmes. Ils se sont donnés la nature comme maître, en essayant d’apprendre d’elle, plutôt que de la juger ou de l’exploiter.

En Inde, la sagesse désigne la voie qui conduit à la libération en montrant à celui qui s’y engage les choses telles qu’elles sont. Il s’agit d’une expérience spirituelle en même temps qu’une compréhension intellectuelle, qui délivre de l’ignorance et de l’illusion. Comme toute sagesse, elle n’est pas seulement connaissance, mais elle entraîne une conduite et ne livre ses lumières qu’au terme d’une pratique quotidienne.

En Egypte ancienne comme en Mésopotamie, la sagesse ou les sagesses désignent des recueils d’enseignement d’un père à son fils ou d’un maître à son disciple, sur la manière de mener sa vie et d’y réussir, sur les rapports entre les hommes, sur le bonheur, le malheur, le destin, etc.

Revenons à la philosophie en tant qu’amour de la sagesse. Amour comme cette aspiration de l’âme vers ce qui est en haut, cette force réelle qui élance l’âme vers les sphères supérieures. Le philosophe est un disciple d’Eros, le dieu grec de l’Amour. C’est d’ailleurs ainsi que se présentait Socrate. « Je proclame que tout homme doit honorer Eros, que je l’honore moi-même et m’adonne particulièrement à son culte. » Platon, Le Banquet, 212-b.

C’est, en effet, l’extraordinaire message du Banquet de Platon. Socrate y raconte qu’une prêtresse du nom de Diotime lui révéla un jour la véritable identité d’Eros. Eros n’est pas un dieu, lui dit-elle, c’est un intermédiaire entre les mortels et les immortels : fils de Poros, dieu de la ressource, et de Pénia, déesse de la pauvreté, il n’est pas parfait tel un dieu, ni imparfait tel un mortel. Il est dans l’entre-deux : entre l’indigence et l’abondance, entre l’ignorance et le savoir, entre les hommes et les dieux. Comme sa mère, l’amour est toujours pauvre, sans domicile. Mais comme son père, il est toujours à la recherche de ce qui est beau et bon ; il est brave, résolu, ardent, amateur de science, plein de ressources, habile magicien. Le philosophe est un amoureux de sagesse, de transformation intérieure, d’élévation et d’amélioration de son être, même s’il perçoit toujours plus son ignorance. C’est pourquoi le philosophe développe l’humilité devant les richesses qu’il lui reste à découvrir.

La philosophie, application d’un idéal de vie[modifier]

Pendant longtemps, on a cru que la philosophie n’existait qu’en Occident. Depuis peu de temps, on redécouvre l’existence d’une philosophie orientale à travers les écoles de philosophie de l’Inde. Elles avaient développé six voies ou points de vue, embrassant tout le spectre philosophique que l’Occident développa par la suite, avec les courants spiritualistes et matérialistes. Nous apprenons ainsi qu’une partie de l’enseignement des moines bouddhistes inclut la logique, la dialectique et la rhétorique, comme dans toute véritable école de philosophie. Sans parler des écoles d’Extrême-Orient, de Chine ou du Japon.

La voie philosophique est donc universelle. Ceci est naturel, car du moment où nous nous interrogeons sur qui nous sommes et vers où nous allons, l’étincelle du philosophe naît en chacun de nous, si toutefois nous ne cherchons pas de réponses toutes faites ni ne nous laissons entraîner par la superstition et le fanatisme.

Lors de la dernière décennie, la philosophie est devenue à la mode. Les cafés philosophiques, les rencontres, les ouvrages de philosophie se multiplient et l’on peut constater que, dans cet Occident qui se vide de son âme, une quête métaphysique renaît apportant d’authentiques réponses individuelles aux problèmes collectifs et personnels. Mais il ne suffit pas d’étudier l’œuvre des philosophes comme partie de la riche diversité de la pensée humaine. L’essentiel, et ce sur quoi ont insisté tous les fondateurs d’écoles de philosophie à la manière classique, est de pouvoir vivre en philosophes.

En étudiant les philosophies, on peut avoir une idée de la philosophie. Mais la philosophie ne se confond pas avec l’histoire des philosophies, si l’on entend par « philosophies » les discours et les systèmes théoriques des philosophes. A côté de cette histoire, il y a place en effet pour une étude et un vécu des comportements et attitudes philosophiques.

Comme l’écrit si bien Pierre Hadot, « l’option pour un mode de vie ne se situe pas à la fin du processus de l’activité philosophique, comme une sorte d’appendice accessoire, mais, bien au contraire, à l’origine de la voie philosophique.(…) Le discours philosophique prend donc son origine dans un choix de vie et une option existentielle et non l’inverse. En second lieu, cette décision et ce choix ne se font jamais dans la solitude : il n’y a jamais ni philosophie ni philosophes en dehors d’un groupe, d’une communauté, en un mot d’une « école » philosophique, et précisément, une école philosophique correspond avant tout au choix d’une certaine manière de vivre, à un certain choix de vie, à une certaine option existentielle, qui exige de l’individu un changement total de vie, une conversion de tout l’être, finalement à un certain désir d’être et de vivre d’une certaine manière. Cette option existentielle implique à son tour une certaine vision du monde, et ce sera la tâche du discours philosophique de révéler et de justifier rationnellement aussi bien cette option existentielle que cette représentation du monde.

Le discours philosophique théorique naît donc de cette option existentielle initiale et il y reconduit, dans la mesure où, par sa force logique et persuasive, par l’action qu’il veut exercer sur l’interlocuteur, il incite maîtres et disciples à vivre réellement en conformité avec leur choix initial. Il est en quelque sorte la mise en application d’un certain idéal de vie ». Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? p. 18

Le propre des écoles de philosophie classiques, d’Orient ou d’Occident, a toujours été de proposer un enseignement théorique et pratique, une quête de la sagesse pour pouvoir agir, sur soi-même et sur son propre environnement. Que ce soit le Musée de Pythagore, l’Académie de Platon, le Lycée d’Aristote, le Jardin d’Epicure ou encore le Portique des Stoïciens, toutes ces écoles ont formé des philosophes et n’ont pas seulement enseigné la philosophie. Les propositions et les voies ont été très diverses, mais le propre de l’approche classique est la nécessité de réunir le mental, les sentiments et le corps. Au-delà de la multiplicité des voies, c’est le point commun qui les relie toutes : penser et agir dans la même direction.

Le but ultime de la philosophie classique est de se transformer à travers l’action de la vie quotidienne en un individu, c’est-à-dire une personne capable de se penser soi-même et d’agir comme une unité.

C’est pourquoi Nouvelle Acropole se définit comme une école de philosophie à la manière classique, car pour nous, l’essentiel est d’encourager chacun à retrouver son unité, en s’inspirant de cet esprit classique, universel et atemporel des écoles de philosophie d’Orient et d’Occident.

L'application de cet idéal de vie est ce que J.A.Livraga appelle la vie morale, par opposition à la vie intellectuelle.

« Aujourd'hui, est considéré philosophe celui qui pense, même si sa vie intellectuelle ne se reflète pas dans son attitude. L'homme est conçu comme un être multiple qui pense d'une manière, ressent d'une autre et agit encore d'une autre manière. Cet éclatement conduit l'homme à des états d'angoisse devant tant de variations de « modes de vie » où il ne peut trouver sa véritable identité.

Certes, nous ne méprisons pas la vie intellectuelle, mais nous pensons que, seule, elle est insuffisante. Car à quoi servent de grandes théories si on ne peut les appliquer ?

Quand nous parlons de vie morale, nous nous référons au fait d'être bon. La vie morale implique de vivre chacune des idées que nous acceptons comme conformes à l'éthique. Tout ce que nous pensons, tout ce qui nous est intelligible exige une mise en application immédiate, même si cela demande un effort. L'effort consiste alors à vaincre les obstacles qui nous empêchent d'agir dans nos vies de la manière dont nous l'idéalisons.

Dans la tradition orientale et occidentale, la connaissance est liée à l'idée d'une nouvelle naissance, d'un éveil des plans plus subtils de la conscience. De même que pour naître à la vie physique, il faut un père et une mère, pour naître à la vie spirituelle, il faut aussi celui qui enfante. Il est appelé Maître et celui qui est enfanté est le disciple. L'élève est le sujet caractéristique de la vie intellectuelle, celui qui emmagasine des connaissances sans rechercher de changement intérieur. Seul le disciple est capable de comprendre intimement l'enseignement du Maître et d'appliquer sur lui-même cet enseignement. Le disciple essaie de vivre ce que nous appelons une vie morale. Il ne se contente pas de la simple captation mentale de l'instruction qu'il reçoit mais il s'efforce de l'appliquer pour transmettre et transmuter son être intérieur.

La vie morale est indispensable pour parler de disciple. Ainsi, le disciple qui a fait siens les enseignements de son Maître est capable de transmettre à son tour ce qu'il a reçu, créant la chaîne magique qui unit les dieux aux hommes. » Jorge Angel Livraga, Manuel d'introduction à la philosophie

D'où viennent les idées ?[modifier]

par Brigitte Boudon, enseignante en philosophie, fondatrice des Jeudis Philo à Marseille, auteur des ouvrages : Les voies de l'immortalité dans la Grèce antique, Symbolique de la Provence, Symbolisme de l’arbre, Symbolisme de la croix.

Dans un dialogue très célèbre de Platon, le Ménon, Socrate discute avec un esclave ignorant et parvient à lui faire énoncer par lui-même, grâce à plusieurs questions-réponses, un théorème de géométrie assez complexe, une application du fameux théorème de Pythagore.

Comment l’esclave y est-il parvenu ? C’est l’occasion pour Platon d’expliquer sa théorie de la réminiscence. Si l’esclave est arrivé à cette connaissance, c’est qu’il s’est rappelé une connaissance que son âme avait contemplée dans une vie antérieure. En effet, l’âme humaine étant immortelle, elle aurait contemplé des vérités éternelles avant de s’incarner dans une forme physique.

Le questionnement de Socrate a donc simplement permis à l’esclave d’accoucher de connaissances qu’il possédait déjà en lui-même, mais qu’il avait oublié. C’est le fondement de la maïeutique, cet art de l’accouchement des âmes que pratiquait Socrate. Une autre manière de le dire est donnée par Platon lui-même : savoir, c’est se souvenir.

Depuis l’époque de Platon, de nombreux philosophes, pour ne pas dire tous, se sont demandés où se situe la pensée, d’où viennent les Idées, soit en reprenant la conception de Platon soit en s’y opposant. De manière très schématique, deux grandes orientations se dessinent, l’orientation idéaliste et l’orientation empiriste. Et entre les deux, il existe de très nombreuses prises de position intermédiaires.

L'orientation idéaliste[modifier]

surtout développée par les philosophes allemands, Kant en est un des plus représentatifs, et dans sa Critique de la raison pure, il explique qu’il existe un cadre a priori dans lequel les objets nous sont originairement donnés et qui permet leur représentation. C’est ce qu’il nomme l’intuition pure,

a priori, c’est-à-dire non mêlée d’expérience. Selon Kant, même si on enlève à un objet toutes ses caractéristiques extérieures (sa couleur, sa dureté, sa divisibilité), il en reste toujours quelque chose : l’étendue et la figure, qui constituent la forme pure d’un objet, indépendante de toute expérience et de toute sensation. Ce cadre a priori de l’intuition, c’est ce qu’il nomme les formes a priori de la sensibilité, l’espace et le temps. L’existence de ces formes pures de l’intuition est une condition nécessaire pour que l’être humain puisse se constituer des connaissances synthétiques a priori. Kant justifie ainsi que l’esclave de Ménon ait pu trouver la connaissance géométrique en question dans le dialogue de Platon, car elle ferait partie de son entendement, depuis sa naissance. L’argument de Kant s’applique tout particulièrement aux notions géométriques, mais pas à l’ensemble des idées, comme chez Platon.

L'orientation empiriste[modifier]

particulièrement développée par les philosophes anglais, elle prétend que l’expérience est la source de nos connaissances et que la nature humaine est instinct, sensation, expérience, plus que raison. La raison investigatrice elle-même est une sorte d’instinct qui pousse l’homme à faire la lumière sur ce qu’il accepte ou croit de façon instinctive. David Hume, peut-être le plus célèbre, explique que toutes les perceptions humaines se divisent en deux classes qui se distinguent par le degré de force et d’intensité avec lequel elles impressionnent l’esprit. D’abord, les impressions entrent dans la conscience avec le plus de force et de netteté, ce sont les sensations, les émotions et les passions au moment même où nous les expérimentons. Ensuite, les images affaiblies de ces impressions s’appellent les idées ou pensées. La différence entre l’impression et l’idée est semblable à celle qui existe entre un fait concret et le souvenir que nous en gardons. D’où la primauté de l’impression sur l’idée, puisque toute idée est une impression affaiblie, comme un reflet. Tout comme Locke et Berkeley ses prédécesseurs, David Hume nie l’existence des idées abstraites : seules existent les idées particulières que l’on utilise comme signes généraux d’autres idées particulières semblables aux premières. Pour expliquer ce processus, Hume recourt à un principe qui se répète plusieurs fois dans son analyse : l’habitude. C’est l’habitude qui nous pousse à considérer comme unies des idées différentes désignées par un seul nom. Ce seul et même nom suscitera non seulement une de ces idées mais l’habitude que nous avons de les voir reliées.

Si nous revenons à l’exemple de l’esclave du Ménon à la lumière des empiristes, l’esclave pourrait comparer des carrés de différentes tailles à partir d’expériences concrètes de formes géométriques qu’il aurait eues au préalable, et Socrate aurait seulement facilité son travail en lui proposant des associations d’idées. Cette explication suppose que l’esclave a pu au préalable avoir des expériences suffisamment fortes de la ligne droite, du carré, de la surface, pour que ses sens les aient gardé en mémoire et restitué avec le moins de déformations possibles. Or l’on sait que nos sens sont limités et nous trompent. Alors, la question du Ménon reste ouverte…

Qu'est-ce que la philosophie antique ?[modifier]

par Brigitte Boudon, enseignante en philosophie, fondatrice des Jeudis Philo à Marseille, auteur des ouvrages : Les voies de l'immortalité dans la Grèce antique, Symbolique de la Provence, Symbolisme de l’arbre, Symbolisme de la croix.

=Le cadre géographique et historique[modifier]

La philosophie antique comprend la naissance de la philosophie au 6ème siècle avant J-C. sur les côtes ioniennes, puis l’élaboration de la pensée des grands philosophes classiques, Platon, Aristote, les Stoïciens, les Epicuriens, les Sceptiques, les Cyniques et les philosophes néoplatoniciens ( à partir de Plotin aux débuts de l'ère chrétienne). Elle s'arrête pour certains à la fermeture de l’Ecole d’Athènes en 529, ou à l'œuvre de Saint Augustin au 5ème siècle.

Elle a duré plus d'un millénaire. Grâce à sa fécondité, elle a servi de source d’inspiration et de référence à tous les philosophes ultérieurs, mais aussi à tous les penseurs politiques, scientifiques, métaphysiciens, religieux etc.

Son cadre géographique est celui de la Méditerranée. Née sur les rivages d'Asie Mineure (Ephèse, Milet), elle s'est déplacée vers la Sicile, avant de se fixer à Athènes. Ensuite, Rome et Alexandrie seront de grands carrefours des divers courants de la philosophie antique.

Tous les domaines philosophiques se sont constitués à cette époque : la métaphysique, la physique, l’éthique, la logique, la théorie de la connaissance, la philosophie du langage, la philosophie de l’esprit, l’anthropologie et la cosmologie, la philosophie politique, l’esthétique ou la philosophie des sciences. Tous ces domaines étaient considérés comme interdépendants, et la philosophie antique a élaboré une grande variété d’approches, de théories et de stratégies d’argumentation qui constituent encore de nos jours des points de référence incontournables de la réflexion philosophique.

Quelques concepts essentiels de la philosophie antique[modifier]

1. Les notions de Logos et de Cosmos[modifier]

Le terme grec logos a de nombreuses significations. Il vient du grec legein, qui veut dire rassembler, unir, recueillir. Par extension, il renvoie à la raison, au discours, au langage, qui lient les choses entre elles et font apparaître leurs relations.

Pour les Anciens, vivre selon le Logos ou selon la raison voulait dire vivre dans l'harmonie, pas seulement l'harmonie cosmique ou l'harmonie sociale, mais vivre dans l'harmonie créée à la suite d'une prise de conscience de sa vie. Cette vie selon la raison prend le nom de philosophie, "amour de la sagesse". Le logos implique le rassemblement sur soi, l'union avec soi-même.

Comme le dit Héraclite, l'homme qui n'est pas éveillé vit replié dans son monde. L'homme éveillé vit au contraire ouvert au monde commun des hommes. Cette ouverture, il la doit au logos.

D'où vient ce concept de logos ?[modifier]

La philosophie n'est pas née de rien. Avant elle, existait le monde du mythe, le mythos. La philosophie est issue du mythe. Un mythe, nous dit Mircéa Eliade, le grand historien des religions, est un récit qui nous raconte comment les choses se sont passées à l'origine. Avec des mots humains, le mythe décrit ce qui s'est passé avant que l'homme ne soit là. Le mythe est tourné vers ce qui dépasse l'homme. C'est la raison pour laquelle il s'exprime par des images et des symboles. Seuls les images et les symboles permettent d'avoir accès au monde du mythe, en nous donnant des comparaisons que nous pouvons comprendre.

Les mythes grecs mettent en scène une force divine, le Theos, qui organise le monde. Les Grecs décrivent les manifestations de cette force à travers la mythologie qui raconte l'histoire des dieux. Un dieu est une manifestation particulière de la force divine universelle organisant toute chose. Dire qu'il y a des dieux voulait dire que cette force est présente partout, dans la terre, dans la mer, dans le feu ainsi que dans toutes les activités humaines. Le divin faisait partie de la vie quotidienne. Il était présent dans chaque geste. Le Theos organise le monde, il ne le crée pas, il est ce qui permet de passer du Chaos au Cosmos, l'univers organisé, intelligent et intelligible.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, c'est la présence du mythe qui explique la naissance de la raison, du logos.

Je ne partage pas le point de vue de ceux qui disent que le logos a tourné le dos au mythos ou a remplacé le mythos. En fait, le logos est la continuité du mythe et c'est pourquoi mythe et logos vont coexister. L'œuvre de Platon en est un exemple parfait.

Pourquoi ? Le mythe dit que tout a du sens. Il invite l'esprit à faire attention à tout. C'est de cette attention donnée à tout que la raison est née.

Hegel a bien résumé cette naissance en disant que la raison est née le jour où l'esprit humain a donné du sens au fait de donner du sens, en essayant de comprendre cette activité au lieu de simplement la vivre inconsciemment. Au lieu d'être traversé passivement par des images, des rêves, l'homme se met à produire activement des significations. Il pense. Il sait ce qu'il fait, ce qu'il vit, ce qu'il perçoit. La raison permet de comprendre le mythe.

Le cosmos grec est pensé comme une création divine. C'est un univers organisé selon certaines lois qu'il est possible de connaître et de comprendre. Le cosmos est un univers intelligible. Les notions de cosmos et de logos sont donc reliées entre elles.

La question métaphysique de l'Etre et du devenir. L'invention de la dialectique[modifier]

Au commencement de la pensée : la question de l'être. La première question que les penseurs anciens se sont posée est celle de savoir ce qu'est la réalité. Cette question, les philosophes l'ont intitulée par la suite la question de l'être. C'est elle que l'on trouve au cœur de la métaphysique, cette discipline qui s'efforce de connaître le fondement ultime de ce qui est.

C'est entre autres ce que s'est demandé Parménide d'Elée au 6ème siècle avant J.C. qui écrit dans son Poème que l'être est, que le non-être n'est pas et que l'être et la pensée sont une seule et même chose.

Dire que l'être est, cela veut dire que l'être est plein de sens. Il n'est pas muet ni vide. L'être est premier et stable.

Héraclite, pour sa part, affirme le mouvement de toutes choses. Il pose aussi la question sur la nature du réel. La réalité n'est pas tant dans ce qui est, dans ce qui est immuable et stable que dans ce qui bouge et devient.

Le feu, la guerre sont des principes de métamorphose et de vie. L'être devient être en se métamorphosant, en se transformant sans cette. D'où l'importance de ne pas rester figé, immobile. Parménide et Héraclite pose ces deux principes essentiels de l'Etre et du devenir.

C'est ce que Platon va reprendre plus tard, avec sa discipline maîtresse, la dialectique. Discipline d'aller-retour permanent entre les mondes intelligible et concret, entre le monde des Idées ou des principes et celui des objets ou des opinions. Cette dialectique s'opère à travers le dia-logue, l'échange entre deux logos, entre deux intelligences.

Aristote montrera aussi qu'être, c'est s'accomplir en s'actualisant, et non demeurer à l'état de simple possible en dehors de tout mouvement. Le passage de la puissance à l'acte.

Les Anciens ont médité sur l'être qui est immobile et sur le devenir qui est en mouvement. En apparence, tout les oppose. En fait, tout les relie, dès lors qu'on réalise qu'ils construisent à eux deux le langage. Le langage, c'est le fait de lier et de délier sans cesse du sens à travers les mots. En même temps, le langage fixe le sens des choses et fait évoluer ce sens, sans que les deux opérations ne se contredisent.

La parole ou logos permet de réconcilier l'être et le devenir, l'Un et le multiple. Un être humain est multiple et divers, et pourtant, il est le même.

2. La conscience de soi : Connais-toi toi-même ! =[modifier]

Réaliser que la vie est pleine de sens et se mettre à vivre de façon mesurée et responsable. Sur le temple d'Apollon à Delphes, on pouvait lire cette sentence : Gnoti seauton. Connais-toi toi-même !

Socrate a repris cette exhortation et fait de l'homme le cœur de son enseignement.

Sommes-nous sûrs de savoir qui nous sommes ?[modifier]

Etre conscient, se connaître soi-même, ce n'est pas se replier sur soi, afin de se regarder et s'analyser, mais s'ouvrir sur soi, et à partir de cette ouverture, s'ouvrir sur le monde. Il ne s'agit pas d'exalter le moi, mais avant tout sortir de la complaisance vis-à-vis de soi, afin de vivre une réelle expérience d'ouverture.

Pour Socrate, l'homme véritable est celui qui sait ce qu'il fait, qui est conscient de ce qu'il est et fait. Accéder à cette conscience ne va pas de soi. Pour y parvenir, il faut accepter que son identité provient d'une présence profonde et secrète en soi. Elle est plus invisible qu'on ne le pense. D'où la nécessité de faire le deuil d'une image évidente de soi pour renaître sur un autre plan. Il convient d'accoucher de soi-même. C'est l'apport essentiel de Socrate à la philosophie de l'Occident, la maïeutique. Il a cherché à accoucher les âmes de son temps, en les éveillant par des questions. Conscience de soi. L'homme devient conscient grâce à une présence en lui qui l'inspire.

= La question du destin, de la responsabilité, de la vertu. L'invention de l'éthique, reliée à la logique et à la physique.[modifier]

De même que la philosophie est issue du mythe, elle est aussi issue de la tragédie.

Les tragédies grecques de Sophocle, Eschyle, Euripide montrent les hommes face aux dieux. Ces tragédies avaient pour objectif une catharsis, dont le spectateur ressortait lavé et purifié. La tragédie éait l'occasion d'apprendre que l'homme ne doit pas céder à la démesure, à l'ubris, par exemple en voulant faire sa loi, en se prenant pour un dieu. Alors, il devient ivre de lui-même, se comporte comme un tyran et sombre dans le délire.

On connaît le destin d'Icare qui a chuté dans la mer après avoir voulu voler près du soleil avec ses ailes en cire.

La volonté d'être responsable et mesuré dans ses actes est l'exigence que l'on trouve dans la philosophie. L'homme s'affranchit de la fatalité du destin en le prenant en main.

Par la pensée, la philosophie antique invite les hommes à la responsabilité au lieu de rester dans une irresponsabilité inconsciente.

L'homme est guidé par un principe de justice, comme l'univers et la Cité. L'homme est un microcosme, un univers miniature.

3. Le rôle essentiel de la Cité comme méso-cosme[modifier]

Un des grands apports de la philosophie antique est le lien entre ces trois univers, le macrocosme, le microcosme et le méso-cosme.

La Cité est le lieu par excellence de la transformation des êtres. Les interrogations des Anciens ont convergé vers les questions de la Cité, de la justice, puisque la Cité est par excellence le lieu des échanges, mais aussi de la transformation des hommes, notamment à travers l'éducation.

. La question de l'éducation, de la Justice. L'invention du politique[modifier]

La philosophe antique est une philosophie politique où les interrogations sur l'être sont indissociables des questions sur la Cité, sur la meilleure gouvernance, les meilleurs lois, les meilleures constitutions. Un des ouvrages majeurs de Platon s'appelle La République. Aristote ne pourra pas concevoir le bonheur de l'homme en dehors de la Cité. C'est un aspect qui va se transformer au Moyen Age, pour donner la priorité à l'éthique individuelle, la Cité étant remplacée par la Cité de Dieu. Cet aspect politique de la philosophie réapparaîtra beaucoup plus tard, aux 16ème et 17ème siècle.

Pour l'instant, nous avons vu es apports liés à une certaine vision du monde. Mais les Anciens vont aussi apporter

4. La philosophie du doute, avec le scepticisme. La suspension du jugement.[modifier]

La question posée par Socrate sur l'homme a eu d'immenses conséquences. Et notamment, celle du doute. En se demandant qui nous sommes vraiment, Socrate a fait apparaître que l'image que nous nous faisons de nous-mêmes ne correspond pas vraiment à ce que nous sommes. Il peut y avoir de l'ignorance, des illusions de la conscience, des fausses images que nous véhiculons à propos de nous-mêmes. D'où la nécessité de critiquer et de remettre en question les idées-images que nous pouvons nous faire de nous. En ce sens, Socrate, par ses questions, a ouvert la porte à une critique possible de la conscience et des idées. C'est tout du moins ainsi que l'a interprété Pyrrhon, au 3ème siècle avant J.-C., le fondateur du scepticisme antique.

Pyrrhon a invité les hommes de son temps à suspendre leur jugement en pratiquant une mise entre parenthèses de celui-ci.

Le scepticisme est infiniment riche, comme en témoignent ses trois illustres successeurs :

. Montaigne, a fait du doute une morale et une sagesse préparant à la rencontre avec l'absolu, par l'apprentissage de la relativité de toutes choses.

. Descartes a fait du doute une méthode de recherche de la vérité fondée sur l'exclusion de tout ce qui n'est pas évident et clair pour la conscience.

. Husserl a fait de la suspension du jugement le moyen par excellence de pouvoir redevenir attentif au vécu et créer la science du vécu sous la forme de la phénoménologie.

II . La philosophie antique comme art de vivre[modifier]

Pour les Anciens, la philosophie n'était pas une chose abstraite, mais une pratique. Une pratique de la vie belle et bonne.

"Qui est sage ? Celui qui sait beaucoup de choses parce qu'il a une culture encyclopédique ? Ou celui qui sait bien se conduire dans la vie et qui vit dans le bonheur ? Les penseurs de l'Antiquité n'ont pas séparé les deux choses, parce que selon eux la sagesse a résidé avant tout dans une manière de vivre. Ils ont philosophé en pensant que le vrai savoir est un savoir-faire et le vrai savoir-faire un savoir faire le bien." Pierre Hadot, Qu'est-ce que la philosophie antique ?

Comme le fait remarquer Pierre Hadot, on ne comprend rien à la pensée antique si l'on n'a pas à l'esprit que les Anciens ont vécu pour savoir parce qu'ils ont en fait voulu savoir pour vivre. Pas un savoir abstrait, mais un savoir qui aide à vivre.

Comme l'écrit Platon, "une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue".

La connaissance de soi n'est donc pas une connaissance abstraite, mais un acte pratique. Inversement, la pratique n'est pas l'absence de toute pensée, mais la pensée même. Un mot le symbolise très bien, celui de theoria, qui signifie contemplation.

Aujourd'hui, la théorie signifie un discours abstrait qui produit une sorte de modèle idéal de la réalité. Pour les Anciens, la théorie signifiait la contemplation, une perception active des choses, voir, exercer son regard, vivre autrement selon ce nouveau regard. Avec toujours en ligne de mire, obtenir l'harmonie intérieure.

La philosophie antique : un choix de vie… dont le discours théorique constitue la justification

Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, Merleau-Ponty pose le même constat. « Le philosophe moderne est souvent un fonctionnaire, toujours un écrivain, et la liberté qui lui est laissée dans ses livres admet une contrepartie : ce qu’il dit entre d’emblée dans un univers académique où les options de vie sont amorties et les occasions de la pensée voilées».

Après Socrate, chacune des six grandes écoles philosophiques qui ont dominé le monde antique, le platonisme, l’aristotélisme, le stoïcisme, l’épicurisme, le cynisme et le scepticisme, s’est caractérisée par le choix d’une manière de vivre particulière, qui fait sa spécificité. Ainsi Aristote prônait un mode de vie « théorétique » : la vie du savant, vie consacrée aux études, qu’il considérait comme la forme de vie la plus haute et la plus proche du modèle divin.

Le discours rationnel a toujours constitué un aspect important de la philosophie antique, dans la mesure où il avait pour mission de justifier le choix de vie qu’elle prônait.

Prenons l’exemple de la physique des Stoïciens. Pour eux, l’étude de la physique – en tant que connaissance du système de la nature - avait pour unique fonction de fonder la possibilité d’un choix existentiel. Selon les stoïciens, le monde ou cosmos était conçu à l’image d’un grand être vivant comme un agencement bien réglé au sein duquel tout a rapport avec tout, tout est dans tout, tout a besoin de tout. Harmonieux, le monde des stoïciens était également juste et bon.

Mettre en pratique la physique consistait alors, dans une première étape, à s’ouvrir à la dimension cosmique : se replacer soi-même et replacer chaque événement dans la perspective de l’univers tout entier. Dans une seconde étape, l’homme devait apprendre à accepter et à aimer le monde tel qu’il est : dire « oui » à l’univers dans sa totalité, vouloir ce qui arrive, même si ce qui arrive semble contraire à ses désirs. Le consentement à l’univers représentait l’aspect essentiel de la physique vécue. La vie bonne, pour les stoïciens, c’était la vie réconciliée avec ce qui est.

Le premier devoir est de revenir à soi, de s’appliquer à soi-même, d’avoir souci de sa propre vie. C’est un tel souci que revendique Socrate dans son Apologie lorsqu’il rappelle à ses juges qu’il a consacré toute sa vie à la pratique de l’examen, c’est à dire à la mise en question de soi-même. Avant de chercher à acquérir richesse, réputation ou honneurs, il convient de s’occuper de soi-même, c’est à dire de son perfectionnement moral et intellectuel. Seules une telle vigilance et une telle attention à l’égard de soi-même peuvent donner un sens à la vie.

Ce thème de l’examen ou du souci de soi constituait déjà l’essentiel de l’exhortation faite par Socrate à Alcibiade dans le dialogue qui porte son nom. A Alcibiade qui veut tenir des discours à l’Assemblée du peuple, donner des conseils à ses concitoyens, et, dans son ambition sans bornes, exercer sa domination de la Grèce à l’Asie, Socrate rappelle qu’avant de réaliser toutes ces fins, il doit d’abord revenir à lui-même.

C’est sans doute chez Epictète que cette exigence du retour à soi connaît sa plus haute élaboration philosophique. L’homme est le seul être vivant qui ait été doté par la nature de la faculté de raisonner. Ce privilège a pour corollaire un devoir : alors que les animaux n’ont pas à s’occuper d’eux-mêmes, puisque la nature guide d’avance toutes leurs conduites, l’homme en revanche a l’obligation de veiller à lui-même, parce qu’il doit faire librement usage de sa raison.

S’il convient de faire retour sur soi-même, c’est dans le but d’opérer un véritable travail de transformation de soi, qui est à la fois une transformation de sa vie et de son rapport au monde.

Transformation de sa vie d’abord. C’est bien le sens que la plupart des interlocuteurs de Socrate donnaient à ses fameux examens, comme en témoigne Nicias dans le Lachès. Quant à Alcibiade, il avouera dans Le Banquet le trouble et la honte qui s’emparaient de lui à l’écoute des discours de son maître, parce qu’ils lui faisaient prendre conscience de l’état d’esclavage auquel il était réduit et de son incapacité à changer sa propre vie.

Cette transformation de soi passe également par une transformation du rapport au monde tout entier.

Ainsi les Stoïciens appellent-ils l’homme à modifier d’une manière radicale sa manière de voir les choses et les jugements de valeur qu’il porte sur la réalité. Ils enseignent que toutes les passions humaines trouvent leur origine dans des erreurs de jugement et de raisonnement. Or l’homme est maître de ses représentations. Si leur contenu ne dépend pas de lui, il demeure libre de leur donner ou non son assentiment. Le travail auquel l’homme est convié est alors une véritable discipline de la raison, qui doit être dressée à se contrôler elle-même.

Opérer une transformation aussi radicale impliquait un effort considérable, qu’il fallait renouveler chaque jour à travers la pratique assidue de ce que Pierre Hadot propose d’appeler des exercices spirituels (en grec askesis).

Le terme regroupe un ensemble de pratiques volontaires et personnelles : des exercices physiques, des lectures, dialogues, méditations, contemplations.

Parmi ces diverses pratiques, les exercices d’ascèse, qui ont été proposés par presque tous les philosophes de l’Antiquité, tenaient une place importante.

Ainsi l’ascèse platonicienne exigeait du philosophe un travail de détachement et de purification. Il lui fallait se désencombrer de tout ce qui n’est pas essentiel : le bien de l’âme, et pour ce faire, la purger des « masses de plomb » qui l’alourdissent en l’enchaînant au sensible. C’est pourquoi le Phédon pourra définir la philosophie comme un exercice de mort. Si la mort est la séparation de l’âme et du corps, le véritable philosophe est celui qui s’y est préparé durant toute sa vie, en travaillant à se séparer du corps, des mille tracas qu’il lui cause, des passions qu’il engendre et des besoins auxquels il l’asservit.

Chez les Stoïciens, l’appel au bon usage des représentations donnait lieu à des exercices de logique appliquée. Marc Aurèle, par exemple, s’était forgé une méthode imparable pour démystifier les représentations des séductions de l’apparence et des faux prestiges. Il conseillait de dépouiller l’objet - événement ou chose – qui se présentait au jugement de toute considération subjective ou passionnelle. Ainsi mis à nu, celui-ci se trouvait réduit à sa seule réalité et à son peu d’importance.

En fait, le paradoxe de l’idéal antique est que l’indépendance ou un certain détachement vis à vis du monde n’exclue nullement l’engagement au service des autres.

Encore une fois, l’exemple de Socrate en témoigne. Socrate a durant toute sa vie fait preuve d’un souci permanent des autres, qui l’a conduit à négliger ses affaires privées. Pour l’expliquer, il invoque dans son Apologie une mission qui lui a été confiée par le dieu. Celui-ci l’a attaché à la cité d’Athènes afin qu’à la manière d’un « père » ou d’un « frère aîné », il interpelle ses concitoyens pour les exhorter à s’examiner et à devenir meilleurs.

Le paradoxe avait déjà été soulevé par Aristote. L’autosuffisance, en effet, est une des caractéristiques principales de la vie théorétique, c’est à dire de la vie proprement philosophique selon Aristote. Prenant modèle sur la divinité, celui qui se consacre aux activités de l’esprit ne dépend que de lui seul. Affranchi des dépendances matérielles, il n’est pas davantage tributaire d’autrui.

Doit-on pour autant en conclure que la vie philosophique est une vie solitaire ?[modifier]

Aristote récuse fermement une telle perspective, au nom de la différence essentielle entre l’homme et Dieu. Si Dieu jouit d’une autosuffisance absolue, l’autosuffisance du sage n’est que relative. C’est pourquoi une vie humaine pleinement accomplie sera à la fois une vie contemplative et une vie amicale.

C’est là le type de vie qu’Aristote a tenté de réaliser au sein du Lycée, Platon à l’Académie, et Epicure dans son Jardin.

On peut se demander si ces grands modèles de vie proposés par la philosophie antique gardent un sens pour l’homme d’aujourd’hui, s’ils peuvent encore l’aider à diriger sa conduite et à trouver un certain équilibre dans sa vie.

Ont-ils toujours une actualité, en dépit de la distance qui nous sépare d’eux ? Pierre Hadot affirme que les attitudes existentielles prônées par les philosophies antiques « sont toujours valables aujourd’hui, ce sont des modes de vie possibles » même si « il est bien évident que les théories qui ont été imaginées pour les justifier sont périmées. »

C’est aussi par la pluralité des modèles existentiels qu’elle offre à notre choix que la philosophie antique nous est précieuse.

Sans doute ne s’agit-il pas de la concevoir comme une invitation à « faire son marché dans l’éclectisme le plus total ». Une telle diversité, cependant, nous donne la possibilité de comparer différents types d’expériences existentielles, et sans avoir à faire un choix exclusif, d’emprunter à telle ou telle école des éléments de l’art de vivre, en fonction des circonstances, de notre constitution intellectuelle et de nos besoins profonds.

En dépit de leur diversité, les attitudes face à l’existence et à ses grandes questions – par exemple comment trouver le bonheur, comment se comporter face à la souffrance ou à la mort – ne sont pas en nombre illimité. Il existerait ainsi, selon Pierre Hadot, des attitudes permanentes et fondamentales qui s’imposeraient à tout être humain lorsqu’il cherche la sagesse et qui constitueraient « des sortes de modèles constants et universels qui se retrouvent sous des formes propres à chaque civilisation dans les différentes aires culturelles de l’humanité. »

Prenons l’exemple du « regard d’en haut », expérience mentale très pratiquée par les philosophes de l’Antiquité. Il s’agissait, par un effort de l’imagination et de l’intelligence, d’accéder à une vision surplombant toutes les choses afin d’embrasser par le regard la totalité de la réalité. Des hauteurs où il s’élève, le philosophe, lorsqu’il porte son regard sur le monde et les hommes, prend conscience de la petitesse ridicule de toutes les préoccupations et affaires humaines.

L’exercice spirituel du regard d’en haut, constate Pierre Hadot, est à l’origine d’une tradition d’une richesse immense. Et il est encore valable aujourd’hui.

Conclusion : une pensée toujours neuve[modifier]

Leur route croise la nôtre sans cesse.

Pour René Thom, mathématicien, rien n'est plus moderne que la vision du monde en devenir que l'on trouve chez Héraclite. Pour Michel Serres, la vision atomiste du monde d'un Lucrèce ouvre sur une approche fluide de l'Univers qui est d'une rare actualité.

Cela veut-il dire que l'on n'invente jamais rien ? Nullement. Il y a une permanence de l'origine. Tout est dans les commencements.

Penser, c'est s'éveiller, et s'éveiller, c'est être toujours neuf. Les Anciens sont les plus vieux de nos sages parce qu'ils sont les plus jeunes et ils sont les plus jeunes parce qu'ils sont les premiers à avoir voulu vivre éveillés.