Qu'est-ce que le Bien Commun ?
Qu’est-ce que le bien commun ?
Le bien commun vise l’épanouissement intégral des personnes et des groupes qui constituent la société : si le politique en est le responsable ultime, chacun en est responsable à son niveau et on ne peut espérer progresser vers lui que si les corps intermédiaires peuvent vraiment tenir leur place.
Sommaire
- 1 1.
- 1.1 Le bien commun est une notion complexe et ancienne
- 1.2 Les corps intermédiaires sont, en quelque sorte, deux fois dans le bien commun : en tant qu’objet et que condition
- 1.3 Il faut distinguer « le » bien commun de ce que l’on appelle « un » bien commun (bien collectif)
- 1.4 Il faut aussi distinguer entre « bien commun » et « intérêt général »
- 2 2.
- 3 3.
- 3.1 Le bien commun suppose donc un certain nombre de « conditions sociales » : l’éducation à la liberté responsable, la subsidiarité, etc.
- 3.2 De même, le plein épanouissement des personnes nécessitera que les personnes aient un revenu décent pour vivre et donc l’exercice d’un principe de solidarité
- 3.3 La prise en compte du bien commun inclut aussi le souci des générations futures
- 3.4 Enfin, le bien commun a une dimension spirituelle, comme le soulignait saint Thomas d’Aquin
- 4 4.
- 4.1 Les derniers papes insistent sur le fait que l’affaiblissement des corps intermédiaires et de la famille rend beaucoup plus difficile la réalisation du bien commun
- 4.2 Il y a donc un bien commun de l’entreprise, dont chacun est responsable, mais dont les dirigeants de l’entreprise sont, évidemment, les premiers responsables
- 4.3 Le politique n’est, dans un pays, que le responsable ultime du bien commun
- 4.4 Chacun a sa responsabilité dans la recherche du bien commun : il faut insister là-dessus
- 5 5.
- 5.1 La question qui se pose donc, et que posent les papes, est de savoir s’il existe a un bien commun universel, mondial, et si oui, qui en a la charge
- 5.2 Cette idée d’autorité politique mondiale n’a rien à voir avec un utopique gouvernement mondial
- 5.3 Benoît XVI avait donné une piste de réflexion en disant que cette autorité politique mondiale devait être, avant tout, une autorité morale
- 6 6.
- 7 Jean-Yves Naudet
1.[modifier]
Le bien commun est une notion complexe et ancienne. Jean XXIII le définit comme « l’ensemble des conditions sociales permettant à la personne d’atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement ». Vatican II apportera une définition plus complète en précisant qu’il s’agit de « l’ensemble des conditions sociales qui permettent tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée ». Il ne faut pas confondre « le » bien commun (ce qui est bon pour tous et pour chacun) avec ce que l’on appelle « un » bien commun (un avantage dont bénéficie une collectivité, mais que nul ne peut s’approprier) et il faut aussi distinguer entre « bien commun » et « intérêt général ».
Le bien commun est une notion complexe et ancienne[modifier]
C’est une notion complexe dans sa définition, notamment parce qu’elle a une dimension et une portée non seulement politique, mais philosophique, et même théologique. On peut faire remonter la notion de « bien commun » au Moyen Âge et à la théologie chrétienne, notamment chez saint Thomas d’Aquin. C’est l’idée que toute la création, et notamment les personnes humaines, sont orientées vers un bien : le bien suprême qui est Dieu, mais ce bien a aussi une dimension matérielle, sociale, politique. Les choses ont été précisées ou affinées dans la doctrine sociale de l’Église, à partir donc de Léon XIII. Si l’on veut chercher une définition simple du bien commun, dans la pensée sociale de l’Église, les deux définitions les plus claires se trouvent chez Jean XXIII et dans le Concile Vatican II. Chez Jean XXIII, c’est dans Mater et Magistra au paragraphe 65.
Jean XXIII définit le bien commun comme « l’ensemble des conditions sociales permettant à la personne d’atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement »
Il ajoute à cette idée que les corps intermédiaires doivent jouer un grand rôle et avoir une grande autonomie ; il y a donc un lien entre le bien commun et les « corps intermédiaires ». Dans la définition de Jean XXIII, on voit que le bien commun a pour but l’épanouissement des personnes. Cela permet de faire une distinction par rapport à d’autres notions, comme l’intérêt général, où c’est le bien collectif, au sens de l'intérêt de chacun, au sein d’un groupe qui est visé, en comptant que celui de chacune des personnes qui le composent est automatiquement assuré.
Vatican II l’explicite comme « l’ensemble des conditions sociales qui permettent tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée »
Le Concile Vatican II donne à nouveau une définition dans Gaudium et Spes, au paragraphe 26-1 : le bien commun est présenté comme « l’ensemble des conditions sociales » (on retrouve donc le même terme que chez Jean XXIII) « qui permettent tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée ». On voit ici une précision : l’épanouissement recherché n’est pas seulement celui des personnes, mais aussi celui des groupes, des communautés et des corps intermédiaires.
Les corps intermédiaires sont, en quelque sorte, deux fois dans le bien commun : en tant qu’objet et que condition[modifier]
Ils font partie des conditions du bien commun, car il faut une vitalité des corps intermédiaires pour que chacun puisse atteindre sa perfection et, en même temps, ils sont au centre du bien commun, car l’épanouissement recherché est celui non seulement des personnes, mais des groupes.
Il faut distinguer « le » bien commun de ce que l’on appelle « un » bien commun (bien collectif)[modifier]
À partir de ces définitions, on voit la différence par rapport à deux autres notions. La première, qui est une ambiguïté de vocabulaire, est la différence par rapport à ce que l’on appelle « un » , et non plus « le », bien commun. Cette notion d’« un » bien commun se trouve en particulier en économie pour ce que l’on appelle aussi parfois « des biens collectifs », c’est-à-dire des biens dont l’usage ne peut pas être privatisé, comme pour la plupart des autres biens. Ici, on appelle donc « bien commun » un « bien collectif » dans lequel il ne peut pas y avoir d’exclusion. C’est le « critère de non-exclusion » : personne ne peut être exclu de son usage, comme un éclairage public ou l’air que l’on respire. Cela peut avoir des conséquences économiques. Comme ce bien commun n’est pas forcément gérable par le marché, il peut être géré par l’État, mais aussi par des groupes intermédiaires. (Par exemple, pour un phare, par une association de marins pécheurs ou par une collectivité locale ou autre). Il faut donc bien distinguer « le » bien commun (dont on va parler ici) et « un » bien commun, cette notion économique qui n’a pas de lien direct avec la notion définie dans la doctrine sociale de l’Église et avec la philosophie morale.
Il faut aussi distinguer entre « bien commun » et « intérêt général »[modifier]
C’est une deuxième confusion que l’on fait souvent. On peut relever que quelqu’un d’aussi compétent et informé que le prix Nobel français d’économie Jean Tirole, qui a publié un ouvrage sur l’économie et le bien commun, définit ce dernier dans un entretien comme « l’intérêt général pour la société ». Il ajoute que c’est donc un « choix politique qui varie d’une société à l’autre ». Or le bien commun, à la différence de l’intérêt général, ne varie pas suivant les circonstances (lieu, époque, contraintes et opportunités conjoncturelles, changements politiques, etc.), comme le laisse entendre Jean Tirole, car il s'enracine dans la nature de l'homme et de la femme.
2.[modifier]
Le bien commun a pour but véritable l’épanouissement intégral des personnes et des groupes. Il doit donc viser leur développement matériel, moral et spirituel. Ce principe est vraiment au cœur de la doctrine sociale de l’Église et c’est même, d’une certaine façon, son premier principe.
Le bien commun a pour but véritable l’épanouissement de chaque personne et il comporte donc une dimension matérielle et une dimension spirituelle
Cela permet de comprendre la différence avec l’intérêt général. En effet, l’intérêt général, d’abord, peut entraîner des conséquences négatives sur les personnes : à la limite, le sacrifice d’une génération (ou d’un groupe) pour la génération suivante, alors que le bien commun a pour but véritable l’épanouissement, en tant que perfection morale et pas simplement affective, de chaque personne : aucune ne peut être sacrifiée à une notion abstraite comme l’intérêt général (même si, ce qui est différent, on peut aller jusqu’à risquer ou sacrifier sa vie pour sauver sa famille ou son pays, au nom du bien commun). Une autre différence est que l’intérêt général porte sur des questions matérielles, liées à l’avoir, alors que le bien commun va beaucoup plus loin, car il a une dimension plus spirituelle, liée à l’être.
Le bien commun est au cœur de la doctrine sociale de l’Église et c’est même, d’une certaine façon, son premier principe[modifier]
Dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église, la notion de « bien commun » apparaît plus de cent fois. C’est l’une des notions les plus citées. Le principe du « bien commun » est présenté comme le premier principe de la doctrine sociale de l’Église – si l’on met à part, évidemment, la question de la dignité des personnes, qui est le fondement essentiel. Le principe du « bien commun », en tant que fin de tous et de chacun, est donc posé dans ce Compendium avant même la destination universelle des biens, la subsidiarité ou les autres notions-clés.
On en a confirmation si l’on passe en revue les encycliques sociales[modifier]
Dans la première, Rerum novarum de Léon XIII (1891), le « bien commun » est cité cinq fois. Chez Pie XI, dans Quadragesimo anno (1931), vingt fois. Chez Jean XXIII (l’un de ceux qui le cite le plus), la notion de « bien commun » est citée trente fois dans Mater et Magistra (1961), et quarante-quatre fois dans Pacem in terris (1963). Un peu moins chez Paul VI : cinq fois dans Populorum progressio (1967), huit fois dans Octogesima adveniens (1971). Chez Jean-Paul II, on voit à nouveau l’importance du bien commun : neuf fois dans son encyclique sur le travail, Laborem Exercens (1981), douze fois dans l’encyclique sur le développement, Sollicitudo rei socialis (1987), quatorze fois dans la grande encyclique qui fait une synthèse de toute la doctrine sociale, Centesimus annus (1991). Enfin, chez les deux derniers papes : chez Benoît XVI, dix-neuf fois dans Caritas in Veritate (2009) et chez le pape François, vingt-neuf fois dans laudato si’ (2015) sur l’environnement. Ce sont des données quantitatives, mais cela suggère bien l’importance de la notion.
Le point central est que l’objectif du bien commun est l’épanouissement « intégral » des personnes et des groupes : leur développement matériel, moral et aussi spirituel
Cela suppose évidemment le respect des personnes, de leurs droits fondamentaux. Mais la notion de « plein épanouissement » va bien au-delà des questions matérielles, économiques (même si cela joue un rôle) : c’est aussi le développement moral et c’est aussi le développement spirituel. On voit donc bien que ces conditions du bien commun ne peuvent pas se résumer aux notions économiques de croissance ou de développement. À la rigueur, s’il s’agissait de développement, il faudrait parler de « développement intégral », comme l’ont fait notamment Benoît XVI et le pape François.
3.[modifier]
Pour parvenir au bien commun, un certain nombre de conditions sociales sont requises, en rapport avec les principes de la doctrine sociale de l’Église : on doit favoriser la liberté responsable par l’éducation, le principe de subsidiarité, l’exercice de la solidarité assurant un revenu décent à chacun, et avoir le souci des générations futures. Enfin, le bien commun a aussi une dimension spirituelle fondamentale, comme le soulignait saint Thomas d’Aquin.
Le bien commun suppose donc un certain nombre de « conditions sociales » : l’éducation à la liberté responsable, la subsidiarité, etc.[modifier]
Le bien commun a pour but l’épanouissement des personnes, mais cela suppose un certain nombre de conditions sociales, puisqu’il est défini comme l’ensemble des conditions sociales qui vont favoriser le plein épanouissement des personnes et des groupes. Parmi ces conditions, on voit d’abord l’éducation, qui joue un grand rôle dans l’épanouissement des personnes et leur apprentissage d’une liberté responsable. C’est là que l’on voit que la notion de « bien commun » est aussi liée à la notion de « subsidiarité ». En matière d’éducation, il est clair que les familles sont les premières responsables de l’éducation qui permettra le plein épanouissement de leurs enfants. Mais cela nécessite des conditions qui peuvent aller au-delà de la famille elle-même. Par exemple, le libre choix de l’école des enfants par les parents peut nécessiter des conditions financières qui, selon le principe de subsidiarité, remontent, par exemple, à des associations, à une collectivité locale ou même à l’État. On peut ainsi assurer ces conditions financières par des systèmes d’association, par des fondations, par des bourses privées ou publiques, par des chèques ou bons scolaires, etc. Cette liberté responsable, condition du bien commun, concerne aussi le secteur économique, où elle a toute sa place, comme l’ont montré toutes les encycliques sociales. La subsidiarité doit en effet s’appliquer dans la vie économique comme dans les autres domaines pour favoriser le bien commun.
De même, le plein épanouissement des personnes nécessitera que les personnes aient un revenu décent pour vivre et donc l’exercice d’un principe de solidarité[modifier]
Ce revenu décent est d’abord gagné par l’activité économique de chacun : par son salaire ou par son activité d’entrepreneur, etc., ce qui est favorisé par le « droit à l’initiative économique », selon l’expression de Jean-Paul II. Ce droit est donc une condition du bien commun. Mais on voit bien, là aussi, que l’élément individuel peut ne pas suffire, par exemple en raison du chômage, de la vieillesse, de la maladie, d’un handicap, etc., et que, à nouveau selon le principe de subsidiarité, le bien commun peut nécessiter une intervention d’un niveau supérieur pour assurer la solidarité qui va permettre à chacun d’avoir un revenu décent favorisant son plein épanouissement : solidarité privée (associative, caritative, de proximité), assurances sociales, solidarité publique via la redistribution…
La prise en compte du bien commun inclut aussi le souci des générations futures[modifier]
Le pape François le redit dans Laudato si’ au paragraphe 159. Il y pense en matière de préservation de la planète entière, en matière de préservation des ressources non renouvelables aussi. On peut penser également au souci des conditions d’existence : le bien commun conduit alors, par exemple, à ne pas transmettre aux générations suivantes une dette publique excessive dont le remboursement pénaliserait leurs conditions d’existence. La prise en compte du bien commun nécessite enfin un souci de l’existence même des générations à venir, de leur venue à la vie, et donc nécessite le respect de la vie humaine dès sa conception.
Enfin, le bien commun a une dimension spirituelle, comme le soulignait saint Thomas d’Aquin[modifier]
On voit bien, là encore, que, si le politique peut jouer un rôle, notamment en favorisant la liberté religieuse, le politique ne peut pas, en revanche, se substituer aux personnes et aux groupes (y compris évidement aux groupes religieux) pour permettre le développement spirituel de chacun et pour lui permettre de rejoindre le but ultime du bien commun (ou sa dimension la plus élevée), qui est Dieu lui-même.
4.[modifier]
La question est de savoir qui est responsable du bien commun : on croit souvent que c’est l’État, mais, en réalité, nous en sommes tous responsables, à tous les niveaux de la société. Les derniers papes insistent sur le fait que l’affaiblissement des corps intermédiaires et de la famille rend beaucoup plus difficile la réalisation du bien commun, qui doit être recherché pour chaque famille comme pour chaque entreprise et pour chaque groupe humain. Les corps intermédiaires sont, en quelque sorte, deux fois dans le bien commun : en tant qu’objet et que condition. Le politique n’est, dans un pays, que le responsable ultime de ce qui permet le bien commun. Plus on a de pouvoir, plus on a de responsabilités, et cela est normal. Mais chacun a sa responsabilité, il faut insister là-dessus.
Après avoir considéré ces exemples, la question est de savoir qui est responsable du bien commun : on croit souvent que c’est l’État seul, mais ce sont en réalité tous les niveaux de la société
Là aussi, il y a une confusion fréquente où l’on considère habituellement que le politique est « le » responsable unique du bien commun. Or le politique est le responsable ultime du bien commun. Tous les papes, y compris le pape François, insistent donc sur le fait que la responsabilité du bien commun incombe à chacun des groupes qui, chacun à sa place et à son niveau, composent la société. Il est très important de prendre conscience que nous sommes tous responsables du bien commun de la société car, à chaque niveau de décision, la question doit se poser de savoir si l’on agit pour le bien commun. Par exemple, quand on vote aux élections, le souci du bien commun, et pas seulement de son bien propre, devrait être déterminant dans les choix politiques, évitant ainsi les motivations purement catégorielles ou corporatistes. Le bien commun ne détruit pas la dimension personnelle, mais prend en compte aussi l’existence des autres personnes. C’est cela, l’équilibre. Il n’y a pas un refus de chercher son bien propre, mais on doit chercher comment concilier son bien propre avec celui des autres personnes. Pour le dire autrement, chaque droit est accompagné de devoirs. L'ensemble des relations sociales et politiques doit ainsi permettre la réalisation du bien de tous et de chacun, le bien commun.
Les derniers papes insistent sur le fait que l’affaiblissement des corps intermédiaires et de la famille rend beaucoup plus difficile la réalisation du bien commun[modifier]
Pour permettre le développement des corps intermédiaires, à nouveau, le principe de subsidiarité joue un rôle important. Cela signifie qu’il y a, par exemple, un bien commun au niveau de la cellule de base de la société qui est la famille. Si l’on revient à la définition, c’est l’ensemble des conditions, y compris à l’intérieur du groupe familial, qui vont favoriser le plein développement – le développement intégral – de chacun des membres : les parents comme les enfants. On voit bien que ces conditions peuvent changer d’une famille à l’autre, suivant les situations : par exemple, en fonction du nombre d’enfants, en fonction du fait qu’un des enfants peut avoir des difficultés ou un handicap... Dans ce cas, les décisions à prendre dans la famille, quant au travail ou non des deux parents, par exemple, ou quant au mode d’organisation du fonctionnement de la famille, peuvent varier. Le bien commun implique aussi que la famille s’inscrive dans la durée, offrant un cadre stable aux enfants ; en sens inverse, tout ce qui fragilise ou remet en cause la cellule familiale est donc contraire au bien commun.
Les conditions peuvent varier mais l’objectif est toujours le même : c’est le plein épanouissement de l’ensemble des membres de la famille, du groupe considéré, de l’entreprise, etc.
On peut donc appliquer cette notion à tous les groupes intermédiaires. Il y a donc un bien commun d’une association (sportive, caritative, culturelle ou cultuelle), d’une école ou d’une université, d’un groupe de jeunes, d’une collectivité locale, d’une entreprise, etc. C’est toujours le même critère : qu’est-ce qui va favoriser le mieux le plein épanouissement de chacun des membres de ce groupe ? C’est une notion particulièrement importante en économie à travers l’entreprise.
Il y a donc un bien commun de l’entreprise, dont chacun est responsable, mais dont les dirigeants de l’entreprise sont, évidemment, les premiers responsables[modifier]
Le plein épanouissement de chacun dans l’entreprise veut dire naturellement ceux qui y travaillent, donc les salariés, mais aussi tous ceux qui ont un lien avec elle. On voit bien les conséquences que cela peut avoir sur les fournisseurs, sur les clients et sur tous ceux que l’on appelle plus généralement les « parties prenantes ». Les décisions que doivent prendre les chefs d’entreprise doivent tenir compte de cette question du plein épanouissement de chacun. Même chose pour les collectivités locales : il y a donc un bien commun – si l’on prend l’organisation française – d’une commune, d’un département ou d’une région.
Tout le monde – et Rerum novarum le disait déjà – a donc le droit et le devoir de participer au bien commun dans une mesure proportionnelle à son rôle, à son importance
Dans son encyclique Laudato si’, le pape François insiste lui aussi sur le fait que celui qui a le plus de pouvoir a le plus de responsabilités vis-à-vis du bien commun. Mais il faut bien garder à l’esprit que chacun joue un rôle essentiel dans le bien commun : on ne peut donc pas se débarrasser de cette notion sur le politique au sens le plus élevé, comme si nous n’avions pas, chacun à notre place, un rôle à jouer en vue du bien commun.
Le politique n’est, dans un pays, que le responsable ultime du bien commun[modifier]
Le politique joue donc un rôle effectivement très important, éclairé par ce qu’ont dit les papes, et notamment le pape François, puisqu’ils ont plus de responsabilités et ils ont plus d’engagements à avoir vis-à-vis du bien commun, qui est le bien de l’ensemble des habitants du pays et de l’ensemble des groupes et communautés qui sont dans ce pays. Quand on reprend l’expression de « conditions sociales », on voit donc bien, là aussi, le rôle considérable que les pouvoirs politiques peuvent jouer pour établir des conditions de respect des droits fondamentaux, de la liberté, de l’incitation à la responsabilité et aussi – puisque le bien commun a une dimension spirituelle – de la liberté religieuse : favoriser par exemple la pleine liberté des religions et leur place dans la société.
Chacun a sa responsabilité dans la recherche du bien commun : il faut insister là-dessus[modifier]
Il faut insister toujours sur l’importance des corps intermédiaires, car c’est la seule façon de sortir du débat individualisme/collectivisme. S'il n'y a que l'État, qui interdit, comme au 19° siècle en France, l'essentiel du tissu associatif, ou encore les syndicats, on tombe forcément ou dans le collectivisme (on charge l’État de tout). Ou bien on dérive vers son contraire : le chacun-pour-soi et l’individualisme radical. La seule façon d’en sortir par le haut, c’est par toute la palette des corps intermédiaires, c’est par le renouveau et le dynamisme de la « société civile » au sens de Tocqueville : tout ce qui se situe entre l’individu et l’État, et qui fait que l’individu devient une personne, s’épanouissant au contact des autres.
5.[modifier]
Il y a aussi un bien commun mondial, même si cette notion doit être bien comprise : la paix, le respect de la planète et de la nature, le commerce libre et équitable en font partie. La question est donc de savoir qui est en charge du bien commun universel. Cette notion d’une responsabilité politique à l’échelle planétaire n’a rien à voir avec un utopique gouvernement mondial. Les trois papes qui en ont parlé (Jean XXIII, Benoît XVI et François) insistent sur le fait que cette autorité mondiale doit être réglée par le droit pour favoriser le développement humain intégral. Benoît XVI avait donné une piste de réflexion en disant que cette autorité politique mondiale devait être, avant tout, une autorité morale.
Il y a aussi un bien commun mondial, même si cette notion, elle aussi, doit être bien comprise : la paix, le respect de la planète et de la nature, le commerce libre et équitable en font partie
Il faut regarder cette question un peu délicate, qui a en réalité été ouverte par Jean XXIII, reprise par Benoît XVI dans Caritas in Veritate au paragraphe 67, puis par le pape François dans Laudato si’. Cet élément a surpris beaucoup de lecteurs comme étant une nouveauté de François, alors qu’il existe au moins depuis Jean XXIII : c’est la question d’un bien commun mondial. Aujourd’hui, où les frontières sont moins fermées et la mobilité des personnes et des biens est évidemment plus grande, il y a indiscutablement une dimension planétaire du bien commun. On le voit bien dans des questions aussi fondamentales que la paix : la paix dans le monde est évidemment une condition fondamentale du bien commun pour favoriser l’épanouissement des personnes. On le voit aussi chez François avec les questions écologiques, qui dépassent en général les frontières des pays.
La question qui se pose donc, et que posent les papes, est de savoir s’il existe a un bien commun universel, mondial, et si oui, qui en a la charge[modifier]
Depuis Jean XXIII, l’idée est dans l’air d’une autorité politique au niveau mondial. On s’est demandé quelles conséquences ou quelle signification cela pourrait avoir. Les papes suggéraient-ils, par exemple, un gouvernement mondial, ce qui semblerait bien utopique quand on voit les difficultés à gérer des zones beaucoup plus restreintes, comme l’Europe ou la zone euro à l’intérieur de l’Union Européenne ?
Cette idée d’autorité politique mondiale n’a rien à voir avec un utopique gouvernement mondial[modifier]
On le voit bien dans toutes les définitions de la doctrine sociale de l’Église : ce bien commun mondial ne peut pas être correctement assuré, de manière directive, par les grandes organisations internationales actuelles, comme les Nations-Unies, le FMI pour les questions monétaires, l’OMC pour le commerce, l’Organisation Internationale du Travail pour les conditions sociales, etc. Cela ne correspond pas aux vœux de l’enseignement social de l’Église, car, bien souvent, les Nations-Unies, par exemple, prennent des décisions contraires au plein épanouissement des personnes (on peut penser au respect de la vie), ou encore n’assurent pas la paix mondiale, qui est aussi une condition du bien commun. Ces organismes, dans leur mode actuel de fonctionnement, sont souvent critiqués par l’Eglise, car ils assurent mal le bien commun mondial.
Les trois papes qui en ont parlé (Jean XXIII, Benoît XVI et François) insistent sur le fait que cette autorité mondiale doit être réglée par le droit pour favoriser le développement humain intégral
C’est déjà un élément de la définition chez Benoît XVI : d’abord se conformer au principe de subsidiarité (cela ne peut donc pas être un gouvernement centralisé qui serait, de toute façon, impossible à réaliser), et au principe de solidarité ; ensuite être ordonnée à la réalisation du bien commun à l’échelle du monde entier ; enfin s’engager à favoriser le développement humain intégral (on est donc bien dans la logique du bien commun) inspiré par les valeurs de l’amour et de la vérité. On est bien loin des organisations internationales actuelles telles qu’elles fonctionnent.
Benoît XVI avait donné une piste de réflexion en disant que cette autorité politique mondiale devait être, avant tout, une autorité morale[modifier]
Avec ce dernier exemple – comme avec l’ensemble de cette notion de bien commun –, on voit bien la palette considérable de ce que l’Église entend par le « développement intégral des personnes » ou par le « plein épanouissement des personnes », qui va bien au-delà des conditions matérielles. Les conditions matérielles, économiques, sociales jouent un grand rôle dans le bien commun. Elles favorisent le plein épanouissement des personnes, mais on voit bien que ce plein épanouissement a aussi une dimension morale et même spirituelle. Le bien commun inclut donc cette dimension morale par rapport au bien, au mal et donc par rapport au respect de la vie, par exemple, ou aux droits fondamentaux des personnes, à la liberté humaine, à la responsabilité, à la liberté religieuse, etc. Cela signifie que l’autorité qui serait responsable devrait être avant tout une autorité morale, ayant ainsi vraiment le souci du bien commun.
6.[modifier]
Les réponses pratiques pour la recherche du bien commun ne sont pas forcément toujours faciles à trouver, car il s’agit de prendre en compte le bien commun de chacun. Il faut en général rechercher le bon et raisonnable équilibre entre les différentes solutions et les intérêts divergents.
La recherche du bien commun, au niveau d’une entreprise, invite à être loyal, à prendre en compte le bien commun des autres entreprises et de toutes les parties prenantes, et à rechercher ce qui est équitable
Dans une entreprise, les parties prenantes incluent aussi les concurrents, avec réalisme : il ne s’agit pas, au nom du bien commun de l’ensemble des autres entreprises, de détruire l’entreprise elle-même. C’est clair. En économie de marché, on est dans un système de concurrence. Mais, effectivement, cela implique une compétition, une concurrence loyale. En concurrence, tous les coups ne sont pas permis, tous les moyens ne sont pas légitimes et il faut respecter les règles du jeu et les droits des autres.
En outre, ce souci des parties prenantes peut, par exemple, passer aussi, comme le souligne la doctrine sociale de l’Église, par des éléments concrets comme le commerce équitable. Ce qui est intéressant dans le commerce équitable, c’est qu’il prend en compte toutes les parties prenantes, et notamment des communautés (par exemple, dans le Tiers-Monde, puisque le commerce équitable a démarré avec le café ou d’autres domaines comme celui-là) : c’est-à-dire assurer un prix qui permette aux producteurs locaux non seulement d’être décemment rémunérés, mais même d’avoir un certain développement local, de contribuer à construire des équipements collectifs ou sociaux qui peuvent aider au développement. Mais, et c’est essentiel, la particularité du commerce équitable est qu’il se fait sur une base volontaire (personne n’est obligé d’y recourir) et qu’il y a une contrepartie : le prix peut être plus élevé que sur un marché habituel, mais la qualité des produits est garantie.
Les réponses pratiques ne sont pas forcément faciles, car il s’agit de prendre en compte le bien commun de chacun et de trouver un équilibre[modifier]
Doit-on prendre en compte le bien des Chinois quand on est en France et ne pas faire de barrières douanières, par exemple ? Si l’ouverture sans précaution des frontières, alors que certains partenaires ne respectent pas les règles du jeu, truquent leurs taux de change ou subventionnent artificiellement leurs entreprises, entraîne des drames dans l’économie nationale, il est sûr que ce n’est pas conforme au bien commun. Cela nécessite donc des règles du jeu, une certaine équité dans les échanges. Mais il est vrai aussi que, par exemple, le pape Benoît XVI avait dit, dans une lettre au G20, que le protectionnisme pouvait être une forme d’égoïsme. Il y a donc effectivement un équilibre à trouver : on ne peut pas souhaiter le développement du Tiers-Monde (ce qui permettra de contribuer au bien commun des habitants de ces pays) et, en même temps, refuser absolument d’acheter leurs produits en leur fermant nos frontières.
La participation au commerce mondial – Jean-Paul II l’avait bien montré – est ce qui a permis à un certain nombre de pays du Tiers-Monde de se développer et, dans ces pays-là, de faire émerger une classe moyenne. Que ce soient des grands pays, comme la Chine, ou des pays plus petits, comme la Corée du Sud, on voit bien que c’est le commerce mondial qui leur a permis de se développer, ce qui contribue ainsi au bien commun dans les pays émergents, mais avec toujours l’idée que cela ne peut pas se faire au détriment des habitants de nos pays (donc l’échange doit être gagnant-gagnant), ni au prix de mesures de concurrence déloyale ou faussée. D’où la nécessité de règles du jeu. L’économie de marché, soulignait Jean-Paul II, ne peut se dérouler dans un vide juridique, sans institutions, sans un « cadre juridique ferme », donnant des règles du jeu respectées par tous. Ces institutions contribuent donc elles aussi au bien commun. De plus, le commerce libre et équitable entre nations (le « doux commerce » au sens de Montesquieu), peut être un facteur de paix, contribuant ainsi lui aussi au bien commun.
Jean-Yves Naudet[modifier]
Jean-Yves Naudet est professeur émérite d'économie à la Faculté de Droit et de Sciences politiques de l'Université d'Aix-Marseille. Il y dirige le Centre de Recherches en Éthique économique et des Affaires, ainsi que le Département d'Économie et la chaire Banque et Mutualisme. Par ailleurs, il enseigne la doctrine sociale de l'Église au séminaire Saint-Luc d'Aix en Provence et au séminaire Jean-Marie Vianney d'Ars. Il préside l'Association des Économistes catholiques, et il est vice-président de l'Association internationale pour l'Enseignement social chrétien. Il est également membre du Corps académique de l'Académie catholique de France.
Ses livres[modifier]
- La Doctrine sociale de l'Église, une éthique économique pour notre temps, tome 1 Presses universitaires d'Aix-Marseille (PUAM), 2011.
- Propos d'éthique, PUAM, 2012
- La Subsidiarité, (collection du Centre d'Éthique économique), PUAM, 2014
- L'Ethique de l'entrepreneur, PUAM 2015
- La Doctrine sociale de l'Église, une éthique économique pour notre temps, tome 2, PUAM, 2015
- Les rythmes de la vie en société, (publication collective des économistes catholiques), PUAM, 2016,