Qui a attaqué le premier et déclenché les croisades
Traduit à partir de la réponse de Helena Schrader sur Quora en anglais : Who attacked first to start the Crusades? Christians or Muslims?
La première attaque a été lancée par les musulmans dans la première moitié du VIIème siècle de notre ère. Jérusalem a été envahie par les forces musulmanes en 638. Elle a été conquise à la force des armes après un siège d'une année et non par une douce persuasion et une prédication éclairée (comme certains commentateurs modernes voudraient bien vous le faire croire). C’est donc 461 ans avant que la ville sainte ne retourne aux mains chrétiennes avec la Première Croisade en 1099.
Cet écart de plus de quatre cents ans entre la conquête musulmane et la libération chrétienne a conduit beaucoup à affirmer que
- 1) le christianisme se souciait peu de Jérusalem,
- 2) qu’après tant de temps, la ville était devenue musulmane et de conclure en disant que
- 3) la première croisade n'était pas défensive ou libératrice mais plutôt offensive et agressive.
Sommaire
Ville chrétienne[modifier]
Tout d’abord, rappelons à quel point Jérusalem fut chrétienne. C’est bien sûr avant tout le site de la crucifixion et de la résurrection du Christ et une petite population chrétienne a toujours vécu dans la ville depuis le temps du Christ. Jérusalem est toutefois restée une ville à majorité juive, malgré la destruction du Second Temple en 70 jusqu'à ce que les Romains expulsent l'ensemble de la population juive après une insurrection renouvelée en 135.
Bourg romain[modifier]
Jérusalem a ensuite été reconstruite par Hadrien, sous un nouveau nom (Aelia Capitolina) et des temples romains ont été construits sur le site de l'ancien temple juif et sur les sites sacrés des chrétiens. L'objectif était d'humilier à la fois les juifs et les chrétiens et, dans le cas des chrétiens, d'effacer le souvenir de l'association du Christ avec certains lieux. En outre, Juifs et chrétiens furent expulsés de Jérusalem et persécutés. Aelia Capitolina fut une ville païenne et, en tant que telle, ce n'était qu'un simple bourg provincial qui n'avait que peu d'importance pour l'empire romain.
= Helena, mère de Constantin[modifier]
Tout cela changea avec l'arrivée de l'empereur Constantin sur le trône impérial. Sa mère, Helena, était chrétienne et l’a persuadé de mettre fin à la persécution des chrétiens en 313. Malgré son âge déjà avancée, elle entreprit un pèlerinage en Terre Sainte et tenta de localiser les lieux de la nativité, de la crucifixion et de la résurrection du Christ. En construisant des temples sur les sites sacrés du Christianisme, les Romains avaient involontairement permis leur identification ce que ne manquèrent pas de rappeler la communauté chrétienne locale et la hiérarchie ecclésiastique en apportant leur soutien.
Un peu plus d'une décennie plus tard, un projet de construction de grande envergure fut lancé pour faire de Jérusalem une capitale chrétienne majeure. En 326, les travaux de deux magnifiques basiliques commencèrent: une à Bethléem sur le site de la Nativité et l'autre à Jérusalem sur le site de la tombe du Christ (le Saint-Sépulcre).
Pendant près de 300 ans, Jérusalem fut l'une des villes les plus importantes de l'empire romain d'Orient. Bien que incapable de concurrencer Constantinople et Alexandrie en termes de commerce et d’industrie, le site était vénéré pour ses traditions sacrées. Les pèlerins ont visité en masse les sites sacrés, constituant ainsi une base économique solide qui s'est reflétée dans la construction d'églises, de monastères, de boutiques, d'auberges et de résidences. Les habitants de cette ville revitalisée étaient essentiellement chrétiens, mais les Juifs étaient également autorisés à revenir. La population dépassa alors les 60 000 habitants soit une population très importante pour cette période.
Attaque perse[modifier]
En 614 un premier désastre a frappé. Une armée perse a encerclé Jérusalem et l'a prise après un siège de 21 jours. Avec l'aide d'alliés juifs, les Perses ont massacré environ 26 500 chrétiens et réduit 35 000 autres en esclavage. L'église du Saint-Sépulcre a été rasée. Ironiquement, l'église de la Nativité à Bethléem, située à proximité, a échappé à la destruction, car la mosaïque de l’Adoration des mages sur le portail décrivait les dits mages comme des rois perses, les troupes perses ne la rasèrent donc pas par respect pour les rois "Persans".
Reconstruction impériale[modifier]
Treize ans plus tard, en 627, l'empereur Herakleios reprit le contrôle de Jérusalem aux Perses après les avoir vaincus de manière décisive à la bataille de Ninive. Le traité qui a suivi la bataille obligeait les Perses à se retirer de tous les territoires conquis, y compris la Palestine et donc Jérusalem. Cependant, alors que le contrôle byzantin de Jérusalem était restauré, la destruction des monuments sacrés de la ville et le massacre ou l'esclavage des habitants ne purent pas être surmontés aussi facilement. Tout ce que l’empereur pouvait faire fut de lancer un programme de reconstruction et de réinstallation. Par ailleurs, pour punir leur rôle dans le massacre et la destruction de la population chrétienne treize ans plus tôt, les Juifs furent de nouveau expulsés de Jérusalem et interdits d’entrée.
Prise de Jérusalem[modifier]
Ainsi, lors de la conquête musulmane, la ville était exclusivement chrétienne. De plus, le fait que malgré les terribles pertes et destructions, la ville tint pendant une année entière avant de se rendre aux armées du calife Omar Ier témoigne de la vigueur avec laquelle les défenseurs chrétiens ont résisté à l'attaque musulmane. À la fin, ils étaient trop faibles comme ce fut le cas de tout l'empire romain d'Orient.
Déploiement de l'Islam[modifier]
Pendant les trois cents années suivantes, l'Islam continua à se développer par l'épée. En effet, au cours des quinze premières années seulement, la Syrie, la Perse, l’Anatolie, l’Égypte et la Libye tombèrent. Ces pertes paralysèrent l’économie de l’Empire romain d’Orient et, en 655, la marine byzantine fut également détruite lors d’un engagement important qui empêcha Constantinople de fournir un soutien aux avant-postes très éloignés de l’Empire oriental.
L’année suivante, la scission entre chiites et sunnites entraîna la première guerre civile au sein de la Maison de l'islam (Dar al-Islam), qui dura de 656 à 661. À peu près au même moment, les envahisseurs arabes se heurtèrent à une forte résistance des Berbères en Afrique du Nord. En 678, cependant, les forces de l'Islam sont à nouveau si puissantes qu'elles lancent un assaut sur Constantinople même. Les Byzantins ont combattu l'assaut à l'aide de leurs murs massifs et l'utilisation d'une nouvelle arme, connue sous le nom de feu grégeois, une substance ressemblant au napalm et livrée dans des vases en poterie qui se se cassent à l'impact, ce qui provoque des incendies ne pouvant être éteint par l'eau.
Les assaillants Arabes ont subi de telles pertes qu'ils vont accepter une trêve de trente ans à la suite de la défaite. Constantinople est temporairement sauvée, mais l'Empire romain d'Orient n'est pas en position de défendre ses derniers territoires méditerranéens et encore moins de lancer une offensive pour récupérer ce qui a été perdu. En 698, la puissante ville (chrétienne) de Carthage est tombée aux mains des forces musulmanes en progression et, vers l’an 700, l'Islam est prêt à réorienter sa tactique violente de "conversion" en Europe occidentale.
Des attaques contre la Sicile et la Sardaigne ont été enregistrées dès 704 et la Corse est tombée en 713. Plus important encore, l'invasion de la péninsule ibérique a commencé en 711. En 719, trois villes de Septimanie, Narbonne, Béziers et Nîmes sont assiégées, prises, pillées et occupées. En 720, les musulmans ayant forcé les défenseurs chrétiens à se terrer dans les montagnes du nord-ouest de l’Espagne et ne les considérant plus comme une force de combat viable, traversent alors les Pyrénées pour commencer à soumettre le pays des Francs.
En 732, en dehors de Tours, une armée franque triompha résolument des envahisseurs musulmans dans une bataille défensive désespérée. Les Francs continuèrent en outre de combattre les envahisseurs, les refoulant finalement dans les Pyrénées une génération plus tard en 769. En 795, Charlemagne emmène ses forces dans les Pyrénées pour aider également les chrétiens espagnols à reconquérir leur territoire. La Reconquista a commencé dès le VIIIème siècle. Les chrétiens occidentaux se sont joignent aux chrétiens orientaux pour s'opposer aux invasions brutales dirigées contre eux au nom de l'islam.
Pendant ce temps, Constantinople se battait toujours pour sa survie même. En 717, une nouvelle force musulmane par terre et par mer est apparue devant Constantinople et un siège d'un an s'en est ensuivi. Après une lutte désespérée, la capitale de l’Empire romain d’Orient a repoussé les assiégeants, mais reste plongée dans une lutte pour sa survie et ne peut envisager de libérer un objectif aussi lointain que Jérusalem alors que l'Anatolie est constamment envahie et pillée. Ce n'est qu'en 740 que la victoire byzantine à Acroinon fournit à l'empire romain d'Orient une certaine sécurité dans le cœur de l'Anatolie.
La victoire byzantine à Acroinon a notamment coïncidé avec un déclin général du pouvoir et de la force de la dynastie des Omeyyades, qui était également aux prises avec les Perses sur ses frontières orientales. Cela a enfin permis à l'Empire romain d'Orient de réaliser sa propre "Reconquista". En 746, Constantinople a ainsi repris le contrôle de la Syrie et de l'Arménie, mais, dès 781, les Byzantins sont de nouveau sur la défensive. Au cours du demi-siècle suivant, l’empire byzantin va être de nouveau plongé dans une nouvelle lutte acharnée en Anatolie.
Situation des Chrétiens[modifier]
Pendant ce temps, le règne arabe sur les territoires chrétiens conquis de la Syrie à l’Espagne est caractérisé par la brutalité, l’oppression et l’humiliation pour la majorité de ses sujets chrétiens. (Voir Le mythe du paradis andalou.) La petite élite arabe a d'abord régné sur des populations à prédominance chrétienne mais en raison de la lourdeur des impôts sur les infidèles, des humiliations et de l'oppression, de plus en plus de chrétiens ont choisi d'abandonner leur foi pour espérer une amélioration de leurs conditions de vie. Néanmoins, la conversion fut un processus beaucoup plus lent que l'invasion et l'occupation. De nos jours, même après 1 400 ans de règne musulman, il existe encore d'importantes minorités chrétiennes en Syrie, au Liban et en Égypte. Les historiens reconnaissent généralement qu'après quatre cents ans d'occupation, les habitants de territoires autrefois chrétiens étaient encore à peu près à moitié chrétiens, mais comme le dit Ellenblum dans son ouvrage fondateur Frankish Rural Settlement in the Latin Kingdom of Jerusalem (Cambridge University Press, 1998), même cette estimation est peut être trop basse. Elle suggère que dans une grande partie de la Palestine, les chrétiens sont restés la majorité.
La situation critique des chrétiens opprimés - qu'ils soient majoritaires ou appartenant à une grande minorité - demeure donc une motivation pour la reconquête du territoire perdu. Au milieu du IXe siècle, l'Empire romain d'Orient avait recouvré une force suffisante pour lancer une "Reconquista" soutenue.
En 853, Constantinople envoya une flotte attaquer Damiette dans le delta du Nil. Par la suite, malgré quelques revers, les Byzantins ont continué à reprendre le territoire perdu jusqu'au milieu du siècle suivant. En 943, ils ont libéré la Mésopotamie et sa population arménienne à prédominance chrétienne. En 961, ils ont récupéré la Crète et en 965 Chypre. En 969, Antioche est enfin libéré de l'autorité musulmane et Alep rend hommage à Constantinople afin d'éviter un destin similaire.
Le rétablissement de Jérusalem semble désormais possible et Constantinople est déterminée à regagner la ville la plus sacrée de toutes les villes chrétiennes. Une série de campagnes ont été lancées pour récupérer systématiquement les côtes du Levant, notamment Beyrouth, Sidon, Tibériade et Nazareth. Acre et même Césarée ont été rendues à l'Empire d'Orient, mais Jérusalem est restée hors de portée.Malheureusement, à la fin du Xe siècle, les Byzantins ont perdu leur élan et leur tentative de reconquérir leurs territoires perdus a échoué.
Valifat Chiite[modifier]
La phase suivante sera la pire pour les chrétiens restés en Palestine. Le nouveau et puissant califat chiite fatimide a repoussé ses rivaux sunnites et pris le contrôle de la Palestine, y compris de Jérusalem. Le calife al-Hakim, qui gouverne de 996 à 1021, persécute les chrétiens et les juifs et détruit ce qui reste de l'église du Saint-Sépulcre. En Occident, les revers ont commencé plus tôt que pour l'empire d'Orient. En 827, la conquête musulmane de la Sicile a commencé et finira par aboutir même si elle ne s’achève qu'en 902.
Entre temps, en 837, une armée musulmane a débarqué sur le continent italien, ironiquement à la demande du duc de Naples, qui cherchait de l'aide dans ses conflits avec ses ennemis locaux. Pendant le reste du siècle, les différentes villes italiennes sont restées divisées et prêtes à accepter l'aide des musulmans, ce qui a ouvert la porte aux mercenaires musulmans qui vont mettre à sac, piller et lancer des opérations de piratage depuis leurs bases en Italie. En 846, Rome elle-même fut attaquée par une armée musulmane et la basilique Saint-Pierre fut pillée mais non détruite.
Trois ans plus tard, une plus grande flotte musulmane entreprit d'attaquer de nouveau Rome. Une flotte combinée de chrétiens la repoussa. Ce qui s’ensuivit ne fut pas la paix mais plutôt une longue lutte pour le contrôle du continent italien. En effet, les musulmans avait réussi à établir une base pour des raids sur la côte provençale à La Garde-Freinet vers 888. (Dans ce qui s’appelle toujours le massif des Maures) Alors que ni ces raids italiens ni même la Provence ne sont comparables aux grandes conquêtes musulmanes du VIIème siècle, ils n’en constituaient pas moins une menace pour les voyages et les échanges qui vont forcer la chrétienté occidentale a rester sur la défensive.
Cela ne prit fin qu'en 915, quand une alliance des forces romaines et byzantines chassa les derniers fiefs musulmans du continent italien. Toutefois, pendant un certain temps, les musulmans ont continué à attaquer les villes côtières italiennes. En 934/35, Gênes fut pillée, sa population masculine massacrée et les femmes et les enfants emmenés en esclavage. Pise repoussa les attaques en 1004, 1011 et 1012. Quatre ans plus tard, Salerne fut assiégée et ne fut sauvée que par un groupe de Normands, notamment lors d'un pèlerinage armé à Jérusalem.
XIème siècle[modifier]
Ce n'est qu’au début du XIème siècle, que le vent a commencé à tourner en faveur des chrétiens d'Occident. Les cités italiennes gagnaient suffisamment d'argent pour financer des défenses plus fortes. En 1034, les Pisans lancèrent une attaque contre l'Afrique du Nord musulmane. Une génération plus tard, les Pisans ont de nouveau attaqué le territoire musulman, cette fois à Palerme en 1062 et 1063. Enfin, en 1087, une force combinée formée de Pise, de Gênes, de Rome et d'Amalfi a frappé la base principale des nombreuses attaques de pirates musulmans contre des villes ou des navires italiens à savoir Mahdia dans ce qui est maintenant la Tunisie. L’expédition a eu un tel succès qu’elle a permis aux vainqueurs de libérer des prisonniers, d’obtenir d’énormes paiements de réparation et des privilèges commerciaux. Plus important encore, après le raid sur Mahdia, les attaques musulmanes contre l'Italie cessèrent presque totalement.
Mais au moment où les chrétiens occidentaux reprenaient de la force, l’empire romain d’Orient traversa une nouvelle crise. Les Turcs Seldjoukides s'étaient convertis à l'islam et, avec la passion des nouveaux convertis et les compétences de guerriers nomades, ils vont entreprendre d'établir leur domination sur la Syrie, puis l'Arménie, la Cilicie et le Levant, chassant les Byzantins avant de frapper l’Anatolie. L'empereur byzantin Romanus IV Diogène rassembla ses forces et se porta à la défense de ce cœur vital mais fut vaincu de manière décisive le 26 août 1071 à la bataille de Manzikert.
Appel à l'aide de Byzance[modifier]
Peu de temps après, les Byzantins assaillis ont commencé à lancer des appels au secours de l’Occident apparemment plus fort. Un quart de siècle plus tard, cette aide se concrétisait sous la forme de ce que nous avons appelé la première croisade.
En résumé, la première attaque a été perpétrée par les musulmans contre le cœur et le berceau du christianisme, Jérusalem, en 638. Les attaques contre le territoire et le peuple chrétiens se sont poursuivies pendant plus de quatre cents ans, avant le lancement de la première croisade. En outre, tout au long des quatre cent ans qui se sont écoulés entre la chute de Jérusalem en 638 et la première croisade en 1095, la chrétienté s'est battue sans cesse - et souvent désespérément - pour sa survie même. La première croisade n'était donc pas une réponse "tardive" à la chute de Jérusalem, mais plutôt la première tentative réussie de reprendre la ville de la passion du Christ, que la chrétienté n'avait jamais oubliée ne serait-ce qu’un jour.