Russell and all.

De JFCM
Aller à : navigation, rechercher



Russell
[modifier]

Sa vie fut longue et lui permit d'être l'auteur de plus d'une quarantaine d'ouvrages concernant la philosophie des mathématiques, la philosophie des sciences, l'éthique et la politique. Il a laissé en logique une œuvre dont l'influence est fondamentale. Pacifiste convaincu il défendit avec fougue ses idées morales et politiques.

Les sources de sa pensée.[modifier]

Il prolonge les recherches des philosophes mathématiciens Boole, Schröder, Frege, Couturat, De Morgan et Peano. Il collabore avec Whitehead. On notera aussi l'influence de John Stuart Mill.

La vie de Russell[modifier]

Bertrand Russell naît à Trelleck (Pays de Galle) en 1872. Il est le fils cadet de Lord et Lady Amberley. Ses parents sont agnostiques. Orphelin très tôt, il est confié à Richmond à sa grand-mère, Lady John Russell, une femme austère.

Son éducation est à la fois aristocratique et politiquement libérale (il s'émancipe rapidement du puritanisme de sa grand-mère). Il fait ses études au Trinity College de Cambridge jusqu'en 1894 puis voyage en France, en Allemagne et aux Etats-Unis. Il devient ensuite enseignant au Trinity College d'abord comme fellow puis comme maître de conférence. Il a Wittgenstein comme élève.

En collaboration avec Whitehead, il écrit les Principia mathematica (1910-1913).

Quand éclate la première guerre mondiale, Russell se range dans le camp des pacifistes, raison pour laquelle il est évincé de Cambridge en 1916. En 1918, il est même emprisonné à Brixton. Il en sort convaincu de l'urgence des réformes en Grande-Bretagne. Il visite la Russie soviétique (1920) et fait un séjour dans la Chine du Kuomintang, enseignant à l'université de Pékin (1921-1922), ce qui le déconcerte. Décidé désormais à vivre de sa plume, il rédige les Principes de reconstruction sociale qui paraissent en 1926. Il milite alors au côté du Labour et défend notamment le suffrage des femmes et la législation de l'union libre. De 1928 à 1932, de retour en Grande-Bretagne, il dirige la Beacon Hill School, établissement privé expérimental pour jeunes enfants.

À la suite du décès de son frère aîné, il siège en 1931 à la Chambre des Lords.

De 1938 à 1943, il enseigne aux États-Unis successivement à Chicago, Los Angeles et Philadelphie mais est interdit d'enseignement au New York City College par la Cour suprême de l'Etat de New York parce qu'il avait attaqué la religion dans Ce que je crois (1925), défendu la liberté sexuelle dans Les Mœurs et principes moraux(1929), et fait preuve d'anticonformisme dans Education et ordre social (1932). Il rentre au Royaume-Uni en 1944 où il est réélu à Cambridge. Si ses positions pacifistes sont plus modérées durant la seconde guerre mondiale (il comprend alors que des valeurs morales vitales sont en jeu), elles reprennent toute leur force à partir de 1945 où il lutte pour l'arrêt des recherches nucléaires. En 1949, il est décoré de l'ordre du mérite par George VI. En 1950, il obtient le prix Nobel de littérature au titre de "porte-parole de la pensée libre, de la raison et de l'humanité".

Au début des années 60, il fonde avec Sartre le tribunal "Russell" destiné à juger les crimes de guerre commis par les Américains au Vietnam. La Fondation Russell pour la Paix vise à rendre impossible toute velléité d'agression et à obtenir la condamnation publique des agresseurs. Mais à plus long terme Russell veut promouvoir les conditions et institutions d'un gouvernement mondial. Il est incarcéré, à l'âge de 89 ans, à la suite d'une manifestation antinucléaire.

Il meurt en 1970.

Apport conceptuel.[modifier]

Russel procède avec Whitehead à une "logicisation" des mathématiques. Il veut montrer que toutes les opérations mathématiques peuvent être réduites à des principes logiques fondamentaux. L'arithmétique devient alors une simple extension de la logique qui est elle-même axiomatisée. "La logique est la jeunesse des mathématiques". Il réforme la logique et construit une logique formelle des relations. Alors que la logique classique, issue d'Aristote, est fondée sur l'opposition entre la substance et ses attributs, prenant pour éléments de base les termes et pour objet d'étude leurs relations, la logique fondée par Russel et Whitehead renverse cette manière de penser : ce sont les relations qui sont considérées comme éléments de base et il s'agit de penser les termes formés par ces relations. La logique n'est plus alors une explicitation des lois de la pensée mais une théorie de l'implication et un calcul. Les constantes logiques, trop primitives pour qu'on puisse en donner une définition, peuvent néanmoins être énumérées. Parmi les plus importantes figurent l'implication, la classe, l'appartenance à une classe, la notion de relation etc.

Suite aux travaux de Frege et de Peano, concernant la logique mathématique et aux contradictions inhérentes à la théorie des ensembles de Cantor, Russell examine les problèmes liés à la distinction entre classe d'objets et ensemble. En particulier il se pose la question de savoir s'il peut exister un ensemble de tous les ensembles. Dans l'affirmative, cet ensemble de tous les ensembles devrait appartenir à lui-même (puisqu'il est un ensemble) ce qui constitue une contradiction. La question est encore plus délicate si on considère l'ensemble de tous les ensembles n'appartenant pas à eux-mêmes. Russell pose la question au moyen d'un paradoxe resté célèbre : le barbier du régiment rase tous ceux qui ne se rasent pas eux-mêmes. Mais alors qui rase le barbier ? S'il se rase lui-même, il ne doit pas se raser et s'il ne se rase pas lui-même, il lui faut se raser. C'est ce qu'on appelle un paradoxe logique.

Pour Russell, la solution à ces phénomènes contradictoires est l'axiomatisation de la logique et le développement de la théorie des types permettant d'instaurer une hiérarchie dans le langage de la théorie des ensembles et de définir le concept de classe afin d'éliminer les paradoxes de la théorie des ensembles.

Russel défend la thèse de l'atomisme logique, thèse qui sera reprise par Wittgenstein. Le monde apparaît comme un complexe logique : les faits sont indépendants les uns des autres et leurs relations leur sont extérieures. Tout ce qui est complexe est composé de choses simples. Chaque fait peut être représenté par une proposition simple ou "atomique" et les propositions complexes ne sont que des combinaisons logiques de propositions simples.

Pour savoir si une proposition est vraie ou fausse, il faut donc l'analyser, la décomposer en atomes logiques. Par exemple, la proposition "tous les hommes sont mortels", apparaît en réalité comme une proposition complexe cachant une implication et constituée de deux propositions atomiques. Elle peut se formuler ainsi : "si un x quelconque est un homme, alors x est mortel", ou encore "Pour tout x, si x est un élément de l'ensemble homme, alors x est mortel". Pour déterminer la valeur de vérité de la proposition "tous les hommes sont mortels", il faut savoir si les propositions atomiques qui la constituent sont toutes vraies. Il suffit d'un seul homme immortel parmi ceux qui ont existé, qui existent ou existeront pour que notre proposition soit fausse. On voit alors que, à moins d'être Dieu, il est impossible d'affirmer la vérité de la proposition "tous les hommes sont mortels".

Russell reprend la conception classique de la vérité. Il la définit comme la correspondance entre une croyance et un fait, les faits en eux-mêmes n'étant ni vrais ni faux. Se pose alors la question de l'induction. Je peux, en effet, être certain d'un fait dont j'ai l'expérience directe, par exemple "j'ai soif", mais comment l'être d'un fait non directement expérimenté, par exemple "tu as soif" ? La question avait déjà été soulevée par Hume et va, ici, recevoir une réponse analogue : il faut hiérarchiser les croyances vraies et admettre que certaines d'entre elles, même s'il n'est pas raisonnable d'en douter, sont moins certaines que celles qui font l'objet d'une connaissance directe et personnelle. Appliqué à la question de l'existence des objets extérieurs, ce raisonnement conduit à dire que ma seule certitude sont les données sensibles qui constituent notre expérience personnelle. Les apparences sensibles sont mon monde privé dans mon espace privé. Le monde est le système de toutes les apparences ou "perspectives". On peut alors penser qu'il existe des objets physiques permanents dans un espace commun, bien que ce ne soit pas une donnée de la perception. Ainsi, de même que Russell a décomposé les propositions complexes en propositions atomiques, il décompose la perception globale du monde extérieur en "données sensorielles" indépendantes qui constitueront chacune un "fait atomique". Il faut faire le tri entre ce qui nous est donné clairement par nos cinq sens et ce qui n'est qu'inféré par le sujet et manque alors de certitude.

Le projet de Russell est de mettre au jour une identité de structure entre les propositions atomiques et les faits atomiques, entre la logique et la réalité sensible. On peut alors résoudre certains problèmes traditionnels de l'empirisme et montrer que certains autres problèmes (par exemple celui de l'existence de Dieu) sont insolubles. La logique n'est plus alors seulement le fondement des mathématiques mais aussi celui de la philosophie: "tout problème philosophique soumis à une analyse et à une clarification indispensables se trouve ou bien n'être pas philosophique du tout, ou bien être logique"

Russell reprend la fameuse maxime du "rasoir d'Ockham" selon laquelle il ne faut pas multiplier les entités non nécessaires. Russell s'inscrit dans le courant nominaliste qui affirme que seuls existent dans l'expérience des êtres singuliers, les universaux (c'est-à-dire les concepts, les catégories générales) ayant un statut seulement logique et linguistique.

Russel refuse aussi de faire de la matière et de l'esprit deux substances indépendantes. Le monde mental et le monde physique sont alors deux expressions différentes d'une même substance neutre.

Les principales œuvres.[modifier]

  • Principes des mathématiques (1903)
  • En collaboration avec Whitehead, Principia Mathematica (1910-1913)
  • Notre connaissance du monde extérieur (1914)
  • La théorie et la pratique du bolchevisme (1920)
  • L'analyse de l'esprit (1921)
  • Ce que je crois (1925)
  • L'ABC de la relativité (1925)
  • Les principes de la reconstruction sociale (1926)
  • L'analyse de la matière (1927)
  • Les Mœurs et les Principes moraux (1929)
  • Education et Ordre social (1932)
  • Signification et vérité (1940)
  • Une histoire de la philosophie (1945)
  • L'impact de la science sur la société (1952)
  • Histoire de mes idées philosophiques (1959)
  • Crimes de guerre au Viêt-Nam (1967)
  • L'Autobiographie de Bertrand Russell (1967-1969)


Mill
[modifier]

Philosophe et économiste anglais, Mill représente plusieurs courants de pensée : la pensée libérale, l'utilitarisme, l'attirance vers le socialisme utopique. Il incarne la synthèse de tout cela, comprenant que la réalité est trop complexe pour être enfermée dans une explication théorique unique. Il se situe à la charnière entre les aspirations du XVIII° siècle pour la liberté, la raison et la science et les courants du XIX° siècle qui tendent vers l'empirisme et le socialisme.

Les sources de sa pensée.[modifier]

Il emprunte à l'empirisme de Hume, à l'utilitarisme de Bentham, à Saint-Simon, à Comte, à l'associationnisme de son père. L'idée d'une marche irrésistible de l'histoire vers la démocratie et le risque de la tyrannie de la majorité vient de Tocqueville.

La vie de Mill[modifier]

John Stuart Mill naît à Londres en 1806, aîné d'une famille qui comptera neuf enfants. Son père, économiste et philosophe, est un disciple de Bentham et Ricardo. D'origine écossaise, il est un précurseur de l'utilitarisme. Il est aussi, suivant ainsi Helvétius, persuadé que l'éducation est toute puissante dans la formation de l'individu et va faire de son fils une sorte de " machine à penser ". Il lui impose une discipline de fer. John Stuart apprend le grec dès l'âge de trois ans, à huit ans il a déjà lu Hérodote, Xénophon, Platon en partie. Il apprend le latin, doit l'enseigner à ses frères. Le jeune John Stuart n'a droit ni aux jouets, ni aux récréations. Tout au plus son père l'emmène-t-il dans ses promenades durant lesquelles… il doit lui résumer ses lectures de la veille et l'écouter parler d'économie et de politique. Le soir, il faut apprendre l'arithmétique. A douze ans, il étudie Aristote, Hobbes. A treize ans, il lit Ricardo.

A l'âge de quatorze ans, il fait un séjour d'un an en France, d'abord à Paris (où il est reçu par J-B Say), puis dans le Midi. Il gardera toute sa vie une tendresse pour ce pays.

A son retour, il se déclare disciple de Bentham et, en 1822, fonde l'Utilitarian Society. Il commence à écrire des articles. En 1823, il entre à la compagnie des Indes (sous les ordres de son père) où il fera toute sa carrière. Il en deviendra le chef contrôleur en 1856 et ne la quittera qu'à sa dissolution, en 1858.

Le surmenage intellectuel vaut à John Stuart Mill une crise morale à l'âge de vingt ans. Il comprend alors la valeur du sentiment, de la poésie et son utilitarisme devient plus large que celui de Bentham. Bref, il s'éloigne de la doctrine de son père. En 1830, il tombe amoureux de Mme Taylor. Sa passion est aveugle, son amour exalté. Il considère qu'elle l'a révélé à lui-même. Il l'épouse en 1851, après la mort de M. Taylor. Lorsqu'elle meurt, en 1858, il la fait enterrer à Avignon et s'installe dans une petite maison, à Saint Véran, d'où il peut voir le cimetière.

Il publie de nombreux articles et livres. En 1865, il est élu à Westminster. Faisant fi des partis, invoquant ses principes, il n'est pas surpris de ne pas être réélu en 1868. Il restera, dès lors, à Saint Véran, avec sa belle fille, Helen Taylor, écrivant, discutant, lisant, faisant de la botanique.

Il meurt le 7 mai 1873. Ses dernières paroles furent les suivantes : " Vous savez que j'ai accompli ma tâche ". Il fut enterré à Avignon avec sa femme.

Apport conceptuel.[modifier]

Mill est d'abord considéré comme un utilitariste. Qu'est-ce que l'utilitarisme ? C'est la théorie qui fait de l'utilité le seul critère de la moralité. En d'autres termes, une action est bonne en ce qu'elle contribue au bonheur du plus grand nombre. Mais comment définir ce bonheur ? Mill répond " Par "bonheur", on entend le plaisir et l'absence de douleur ; par "malheur" la douleur et la privation de plaisir. " Comment définir le " bonheur du plus grand nombre " ? C'est ici que les théories de Bentham et de Mill divergent. Bentham considère que le bonheur est lié à la quantité de plaisir. Il en a donc une conception quantitative, arithmétique. Pour Mill, au contraire, ce qui importe est la qualité des plaisirs. Par exemple, les plaisirs de l'esprit sont plus importants que ceux du corps. Mieux vaut, par exemple, être un Socrate malheureux qu'un imbécile satisfait. Un savant ne saurait désirer devenir ignorant, pas plus qu'un être intelligent ne souhaite devenir un imbécile. Une seconde différence intervient entre Bentham et Mill. Bentham considère que le bonheur de l'individu s'identifie avec les intérêts de l'humanité. Au contraire, Mill souligne l'écart, dans l'état actuel de nos sociétés, entre le bonheur privé et le bien public. Il faut bien sûr œuvrer à réduire cet écart mais, en attendant, le sacrifice de l'individu pour le bien commun reste la plus haute des vertus. Ainsi, si Bentham représente l'utilitarisme égoïste, Mill représente l'utilitarisme altruiste. Le bonheur doit être celui de tous. Certes, le sacrifice de l'individu ne saurait avoir valeur en lui-même mais seulement en ce qu'il augmente ou tend à augmenter la somme totale du bonheur.

Mill a pu être dit le " non-conformiste de la liberté ". Il considère que " l'individu n'a pas de compte à rendre à la société pour ses actes tant que ceux-ci ne concernent les intérêts d'aucune autre personne que lui-même " Ainsi la société n'a pas sur ce point à légiférer. La liberté est la protection contre toute contrainte, la plus redoutable de toutes étant celle d'une opinion publique qui veut imposer ses coutumes et ses croyances. La liberté n'est pas la loi du nombre. L'individu doit, en revanche, rendre compte pour les actes préjudiciables aux intérêts d'autrui.

La liberté politique est d'abord participation au pouvoir et Mill est profondément démocrate. Il défend une démocratie représentative où tous les courants sont représentés et non pas seulement la majorité. Il faudrait que les minorités puissent être entendues avec une chance de triompher par la force de leurs arguments s'ils sont conformes à la raison.

L'Etat doit rendre l'éducation obligatoire même si Mill ne s'oppose pas à l'existence d'écoles privées de peur de l'uniformisation des idées.

Il faut coordonner l'intérêt individuel. Ainsi, le commerce doit-il être un acte social dont la fin est de servir l'intérêt général.

L'Etat ne doit pas avoir trop de tâches car ce serait augmenter son pouvoir. Les grandes sociétés sont donc à laisser au privé. Mill se méfie de l'Etat central d'où l'idée que les municipalités doivent assurer les tâches (entretien des routes, des canaux…). L'Etat doit aider les efforts individuels et apporter les secours nécessaires. Mill n'est pas un ultra-libéral : face à la faiblesse du peuple, l'Etat doit agir.

Il faut garantir l'égalité des chances. Ceux qui ont gagné davantage ne doivent pas être sanctionnés (par exemple par une taxe trop importante sur les grandes fortunes), mais, inversement, les enfants doivent fournir des efforts pour leur héritage. En l'absence d'héritier direct, les héritages doivent revenir à l'Etat

L'Etat doit prendre en charge la formation de la santé.

Mill se dévouera pour l'émancipation des femmes. La revendication du droit de vote pour les femmes fut d'ailleurs une des conditions posées pour accepter d'être candidat à Westminster en 1865. Il tiendra à démontrer la nécessité d'accorder aux femmes l'égalité avec les hommes à une époque où, en Angleterre, les maris considéraient leur épouse comme une chose qui devait servir à leur usage. Mill, lui, considère que le droit de vote accordé aux femmes aura pour double avantage de permettre aux femmes de s'intéresser à la politique et de leur faire prendre conscience de leur responsabilité. Mill reconnaît aux socialistes utopiques de l'époque (Saint-Simon, Owen, Fourier) le mérite d'avoir proclamé l'égalité totale des hommes et des femmes.

Mill apparaît donc comme un libéral influencé par des objectifs sociaux.

Outre les questions éthiques et politiques, l'œuvre de Mill aborde les problèmes de la connaissance : il est l'un des derniers empiristes anglais, pensant que le seul fondement de la connaissance est l'expérience.

Les principales œuvres.[modifier]

  • Système de logique inductive et déductive. (1843)
  • Principes d'économie politique. (1848)
  • De la liberté, écrit conjointement avec sa femme (1858)
  • L'Utilitarisme. (1861)
  • Le gouvernement représentatif. (1861)
  • De l'asservissement des femmes. (1869)


Wittgenstein
[modifier]

Ce logicien rigoureux n'a publié de son vivant qu'un seul livre, très court (75 pages), le Tractatus logico-philosophicus. Son influence a été néanmoins décisive au point qu'on le considère aujourd'hui comme un des philosophes majeurs du XXème siècle.

Les sources de sa pensée.[modifier]

Il fut l'élève de Bertrand Russell à qui il emprunte l'idée de l'atomisme logique. Il fut aussi influencé par le mathématicien, logicien et philosophe, Frege (1848-1925). Il a aussi lu Schopenhauer, Tolstoï et Les Évangiles.

La vie de Wittgenstein[modifier]

Ludwig Wittgenstein est né en 1889 à Vienne, huitième et dernier enfant d'une famille d'ascendance juive convertie au catolicisme très cultivée et milliardaire. Son père, Karl, avait fait fortune dans la sidérurgie. Ludwig est élevé dans une maison connue à Vienne sous le nom de "Palais Wittgenstein", où l'art tient une place de choix, notamment la musique. Éduqué à la maison par des précepteurs jusqu'à l'âge de 14 ans, il fréquente ensuite pendant trois ans une école de Linz. Il commence des études d'ingénieur en aéronautique à Berlin et, en 1909, part pour Manchester (Angleterre) effectuer des recherches en aéronautique. Il invente en 1912 un prototype de moteur à réaction. Ce travail exige bien sûr beaucoup de mathématiques et Wittgenstein est fasciné par la puissance de celles-ci (mais constate aussi ses faiblesses) au point qu'il délaisse ses recherches et s'oriente vers l'étude du fondement des mathématiques.

Sur les conseils de Frege, qu'il va voir à Iéna, il s'inscrit au Trinity College de Cambridge au cours de Russell qu'il va suivre en 1912 et 1913. Il se lie d'amitié avec son professeur qui lui conseille de renoncer à l'aéronautique et devient aussi l'ami du philosophe G. E. Moore et de l'économiste Keynes. Après cinq trimestres à Cambridge, il part en Norvège où il construit une hutte où il vit solitaire.

Durant la première guerre mondiale, Wittgenstein s'enrôle dans l'armée autrichienne et c'est sur le front qu'il rédige l'unique ouvrage qui paraîtra de son vivant, le Tractatus logico-philosophicus, paru en 1921 après avoir été communiqué à Frege et Russell. Son frère Paul, pianiste de talent, perd son bras droit durant la première guerre mondiale. C'est pour lui que Ravel composera le Concerto pour la main gauche.

Prisonnier de guerre en Italie à partir de novembre 1918, Wittgenstein, libéré, ne rentre à Vienne qu'en août 1919. Il a, depuis 1913, hérité de la fortune de son père mais il décide d'y renoncer au profit de ses frères et sœurs. Le Tractatus logico-philosophicus prétend que la philosophie, dans ses efforts pour montrer les pièges du langage, se condamne au silence. Jusqu'en 1929, Wittgenstein conforme sa vie à cette conclusion et renonce à la philosophie. Il devient alors instituteur de campagne (1919-1926) puis architecte (il sera l'architecte et le maître d'œuvre de la maison de sa sœur à Vienne). Il fait alors la connaissance de Moritz Schlick, futur fondateur du Cercle de Vienne. C'est avec lui et aussi Carnap, Waismann et Feigl qu'il reprend goût aux discussions philosophiques.

En 1929, il regagne le Trinity College de Cambridge où, ayant fait accepter son Tractatus comme thèse, il reçoit le grade de Docteur. Il va y enseigner comme fellow jusqu'en 1939 avec une interruption d'une année (1936) où il séjourne dans la cabane solitaire qu'il s'est construite en Norvège. Les cours de Wittgenstein sont uniques en leur genre. Il ne fait pas d'exposés magistraux mais réfléchit tout haut, souvent en suscitant la discussion avec ses étudiants qui se réunissent dans son appartement à Trinity College. Ces derniers apportent leur chaise ou s'assoient sur le plancher. Après son cours, Wittgenstein va au cinéma voir un Western pour se détendre. A partir des leçons de Cambridge, le bruit se développe qu'il élabore une philosophie très différentes de celle du Tractatus. Les étudiants de 1933-1934 ayant des notes de ses cours, des copies circulèrent sous le nom de Cahier bleu. Un autre manuscrit est élaboré l'année suivante, le Cahier brun

En 1939, il doit succéder à Moore comme titulaire d'une chaire de philosophie à Cambridge mais la guerre éclate. Naturalisé britannique depuis 1938, il est mobilisé dans les services de santé à Londres.

Après la guerre, Wittgenstein retourne enseigner à Cambridge jusqu'en 1947, année où il démissionne pour se consacrer à ses recherches. Ses orientations philosophiques ont changé au point qu'on parle de "seconde philosophie de Wittgenstein". De 1936 à 1949, il rédige ses Investigations philosophiques. Il se retire en Irlande pour écrire, voyage aux Etats-Unis (1949). Atteint d'un cancer incurable, il s'installe en 1951 chez son médecin à Cambridge pour y mourir le lendemain de son 62ème anniversaire. Ses derniers mots furent "Dites leur que cette vie a été pour moi merveilleuse". Ses nombreux recueils seront publiés à titre posthume: Le cahier bleu et Le cahier brun (1958), Remarques philosophiques (1964), De la certitude (1969).

Apport conceptuel.[modifier]

1) La philosophie du Tractatus.[modifier]

Le Tractatus logico-philosophicus est un ouvrage très court mais déconcertant car il se présente sous la forme d'une suite d'aphorismes. Il s'agit de répondre à la question "Que peut-on exprimer ?". Wittgenstein y montre que le seul usage correct du langage est d'exprimer les faits du monde, que les règles a priori de ce langage constituent la logique (celle issue de Frege et de Russell), que le sens éthique et esthétique du monde relève de l'indicible et que la philosophie, parce qu'elle essaie de montrer les pièges du langage, est condamnée au silence.

L'ouvrage est divisé en sept parties, d'où sept aphorismes principaux, numérotés de 1 à 7 :

  • "Le monde est tout ce qui arrive."
  • "Ce qui arrive, le fait, est l'existence d'états de choses."
  • "Le tableau logique des faits constitue la pensée."
  • "La pensée est la proposition ayant un sens."
  • "La proposition est une fonction de vérité des propositions élémentaires."
  • Le sixième aphorisme indique la forme générale d'une fonction de vérité.
  • "Ce dont on ne peut parler, il faut le taire."

On voit que les deux premiers aphorismes posent l'état du monde, que les quatre suivants pensent l'image du monde qui n'est autre que la pensée logique et que le dernier (qui clôt l'ouvrage) porte sur les limites du discours logique.

Sous chacun des aphorismes principaux (excepté le dernier) apparaissent des commentaires dont le niveau d'approfondissement est marqué par la numérotation. Par exemple 1.1 est le commentaire de 1, 1.11, 1.12 et 1.13 sont les commentaires de 1.1 etc.

a) De la logique de Frege à Wittgenstein[modifier]

Frege et Russel ont développé la logique propositionnelle. Qu'est-ce qu'une proposition ? En première approximation, il s'agit d'une phrase. Néanmoins toute phrase n'est pas une proposition. Un ordre "il faut aller te coucher" ou une question "d'où viens-tu ?" ne sont pas des propositions car elles ne peuvent être considérées comme vraies ou fausses. De plus, une phrase comme "si je deviens riche, alors je m'achèterai un château" est formée de deux propositions : "je deviens riche", "je m'achèterai un château" reliée par un lien de connexion "si… alors". Une proposition est donc un énoncé capable d'autonomie grammaticale. "Brutus tua César" et "Brutus occidit Caesarem" sont deux phrases différentes mais non deux propositions différentes puisqu'elles ont exactement le même sens. Une proposition est donc considérée selon sa signification et non comme un ensemble de sons.

Frege a inventé un système symbolique pour formaliser le langage ordinaire. La distinction grammaticale entre sujet et prédicat propre à la logique héritée d'Aristote est remplacée par une distinction entre fonction et argument. Par exemple, la phrase "César conquit la Gaule" signifie le résultat :

  • Soit de la fonction "x conquit la Gaule (complétée par "César" comme argument).
  • Soit de la fonction "César conquit x" (complétée par "la Gaule" comme argument).
  • Soit de la fonction "x conquit y (complétée par les arguments "César" et "la Gaule")

Pour Frege "César conquit la Gaule" dénote le vrai et "Pompée conquit la Gaule" dénote le faux ; les valeurs de la fonction "x conquit la Gaule" pour différents arguments sont toujours des valeurs de vérité (vrai ou faux).

Dans la théorie classique du syllogisme, la validité des inférences résulte de la disposition correcte du sujet et du prédicat :

Tout M est P
Or S est M
Donc S est P

Frege place au centre de la logique des types d'inférence qui ne dépendent plus de la division en sujet et prédicat. L'inférence "Si les oiseaux peuvent voler, c'est que les oiseaux ont des ailes ; or les oiseaux peuvent voler, donc les oiseaux ont des ailes" est donc de la forme "Si p alors q, or p donc q" Dans le calcul propositionnel apparaissent deux types de symboles : les variables (p, q, r etc.) et les constantes qui correspondent à des conjonctions telles que et, ou, si… alors etc.

Le calcul propositionnel permet de formaliser un grand nombre d'arguments. Par exemple :

Socrate est vivant ou mort
Or Socrate n'est pas vivant
Donc Socrate est mort

se formalise par "si p ou bien q et pas p alors q". Cet argument est toujours valide et sa validité n'a rien à voir avec Socrate, la vie ou la mort car quelles que soient les valeurs de p ou q, le raisonnement tout entier est toujours valide.

Frege a systématisé la logique propositionnelle. Il montre que toutes ces vérités logiques peuvent être organisées en un système axiomatique comme la géométrie euclidienne.

En lui-même, le calcul propositionnel n'est pas assez riche pour symboliser le syllogisme classique: Tous les hommes sont mortels Or Socrate est un homme Donc Socrate est mortel.

Cependant nous pouvons exprimer la proposition "tous les hommes sont mortels" par "Pour tout x, si x est un homme, x est mortel" à quoi on rajoutera "or x est un homme donc x est mortel". Ainsi, en ajoutant au calcul propositionnel le quantificateur universel (avec des règles pour son emploi), Frege développe un système de logique complet.

Wittgenstein, comme Frege, accorde un rôle fondamental en logique aux connectifs si… alors, non, et, ou bien, ainsi qu'aux quantificateurs. Il y ajoute le signe d'identité et les appelle les constantes logiques. Il a, de plus, inventé un procédé formel appelé tables de vérité qui permet de définir les constantes logiques. Par exemple :

p q p et q
V
F
V
F V
V
F
F V
F
F
F

montre que "p et q" est vrai quand p et q sont tous deux vrais et faux dans tous les autres cas. La valeur de vérité de "p et q" est déterminée sans ambiguïté par les valeurs des propositions qui la composent. De la même façon, on peut définir le "ou inclusif" de la façon suivante :

p q p ou q
V
F
V
F V
V
F
F V
V
V
F

En utilisant de façon répétée les connectifs on peut constituer de très longues expressions. Or, en construisant des tables de vérité pour des expressions complexes, nous découvrons que certaines d'entre elles prennent la même valeur de vérité quelle que soit la valeur de chacune des propositions :

p non p p ou non p
V
F F
V V
V

Une expression vraie pour toutes les possibilités de vérité de ses propositions élémentaires est appelée tautologie. Une proposition fausse pour toutes les possibilités de vérité est appelée contradiction Pour Wittgenstein, toutes les propositions de la logique sont des tautologies. Il est possible de montrer que toutes les formules du calcul propositionnel qui sont des tautologies d'après les tests de Wittgenstein sont, soit des axiomes, soit des théorèmes du système de Frege.

Quel rapport y a-t-il entre l'écriture formelle de Frege et le langage ordinaire ? L'écriture formelle est un moyen de distinguer des choses qui, dans le langage ordinaire, apparaissent comme confuses. Wittgenstein remarque, par exemple, que, dans le langage ordinaire, le mot "est" possède trois significations différentes qui correspondent à trois symboles différents. Parfois il est la copule reliant un sujet et un prédicat (Socrate est en train de philosopher), parfois le signe de l'identité (deux fois deux, c'est quatre), parfois l'existence (il est des démons). Les inférences de forme "S est P" différent selon le sens de "est". Ainsi nous avons besoin d'un langage qui n'emploie jamais le même signe avec des modes de signification différents, un langage gouverné par la logique. Mais, selon Wittgenstein, la notation de Frege échoue dans sa tentative d'exclure toute erreur.

Chez Frege, "Socrate" et "le professeur de Platon" sont traités comme la même sorte de symbole. Déjà Russell avait soutenu que c'était une faute. "Socrate" est un nom propre, "le professeur de Platon" n'est pas un nom puisque cette expression se divise en parties. Ainsi, "l'auteur de Hamlet était un génie" n'est pas de même forme que "Shakespeare était un génie" puisque, pour que la première phrase soit vraie, il faut qu'un et un seul individu ait écrit Hamlet. Russell analyse la phrase ainsi :

(1) x écrivait Hamlet
et (2) pour tout y, si y écrivait Hamlet, y est identique à x
et (3) x était un génie
(1) exprime qu'au moins un individu a écrit Hamlet et (2) qu'au plus un individu a écrit Hamlet.

Pour comprendre l'intérêt d'une telle analyse, il faut examiner des phrases non vraies :

(A) Le souverain de la Grande Bretagne est de sexe mâle
(B) Le souverain des États-Unis est de sexe mâle

Aucune de ces deux phrases n'est vraie mais pour des raisons très différentes. Pour la première, c'est parce que c'est une femme, pour la seconde, parce qu'il n'existe pas de "souverain" des Etats-Unis. Si on analyse (A) et (B) selon la technique précédente, (A) est faux à cause de la proposition (3), alors que B est faux à cause de la proposition (1). Pour Russell, la phrase (B) est positivement fausse car sa négation "Le souverain des Etats-Unis n'est pas de sexe mâle" est tout aussi positivement fausse. Une phrase du style "Zotlicus était un génie" n'est pas réellement une phrase et n'est donc ni vraie ni fausse puisque jamais personne de ce nom n'a existé.

b) La philosophie de la logique et la théorie de la représentation.[modifier]

Aux yeux de Wittgenstein, les seules propositions qui trouvent leur place en logique sont des tautologies qui n'expriment rien au sujet du monde car elles sont vraies à propos de n'importe quoi. Par exemple "il pleut ou il ne pleut pas" ne me dit pas quel temps il fait mais montre que "il pleut" et "il ne pleut pas" se contredisent l'un l'autre. La distinction entre "dire" et "montrer" est fondamentale.

Soit les énoncés suivants : "Si c'est dimanche, les magasins sont fermés"; "c'est dimanche"; "les magasins sont fermés". L'ensemble de ces trois propositions est une tautologie qui ne me dit rien du monde mais qui montre quelque chose concernant les propriétés du langage. Elle montre que la troisième proposition est une conséquence des deux premières. Pourquoi affirmer que ce ne peut pas être dit ? Pour que quelqu'un comprenne ce que nous avons écrit il faut qu'il considère ce qui est mis entre guillemets comme des phrases françaises et non comme une succession de signes sans signification. Mais pour cela, il faut qu'il connaisse le français et donc les règles qui régissent cette langue. Mais s'il connaît ces règles, il sait déjà que la troisième phrase est la conséquence des deux premières et donc, en réalité, aucune information ne lui a été donnée. Notre tautologie n'a rien dit.

Toute proposition montre ses propriétés logiques mais les propositions du langage ordinaires ne le montrent que de façon obscure. La philosophie de la logique doit construire une symbolique qui n'utilise jamais le même signe pour des symboles différents.

Le Tractatus propose comme idée fondamentale que les constantes logiques n'ont pas de sens propre c'est-à-dire qu'elles ne sont pas des substituts d'une réalité.

D'abord, rien dans la réalité ne correspond au signe de négation. Si nous sommes tentés de penser autrement, c'est que nous confondons le fait que p ne se passe pas avec ce qui se passe en lieu et place de p (par exemple, confondre le fait négatif que la rose n'est pas rouge avec le fait positif qu'elle est blanche).

Ensuite, les connectifs "et", "ou" etc. n'expriment que des relations. La preuve en est qu'ils nécessitent des parenthèses pour exprimer leur étendue et que, de plus, ils peuvent être définis l'un par l'autre.

Les quantificateurs, eux aussi, peuvent se définir entre eux et doivent donc disparaître dans la symbolique idéale.

Enfin, le signe d'identité (=) n'est pas une relation entre les objets. Dire que deux choses sont identiques est un non-sens et dire qu'une chose est identique à elle-même, c'est ne rien dire du tout. Certes, dans la vie de tous les jours, un homme peut avoir plusieurs noms et plusieurs hommes peuvent porter le même nom mais nous parlons ici de principes de notation idéale.

Le Tractatus introduit la théorie de la "proposition-représentation. Les représentations sont les peintures, les photos etc. mais aussi les sculptures, les modèles tridimensionnels. Toute représentation peut être exacte ou inexacte. Il faut considérer toute représentation selon deux points de vue : celui de ce que représente la représentation et celui de la manière correcte ou incorrecte dont elle représente.

Pour que A représente B, A ne peut être identique à B (sinon il s'agirait de B et non de sa représentation) mais il ne peut être entièrement différent de B (sans quoi il ne le représenterait pas). Ce que A a en commun avec B est "la forme de représentation" ; ce qui fait que A diffère de B, c'est le "mode de représentation". Par exemple, un dessin d'un paysage a pour forme de représentation la spatialité commune au paysage et au dessin ; le mode de représentation, lui, appartient en propre au dessin, indépendamment du sujet représenté : les conventions d'échelle, de perspective, d'ombres etc. Une représentation est plus ou moins semblable à ce qu'elle représente mais il y a toujours un minimum que les deux doivent avoir en commun : la forme logique. Les éléments de la représentation doivent donc pouvoir se combiner les uns avec les autres selon le modèle de relations qui existe entre les éléments de la réalité. Par exemple, dans une partition l'ordre des notes de gauche à droite dans l'espace représente l'ordre des sons dans le temps. L'arrangement spatial fait partie du mode de représentation (les sons ne sont pas dans l'espace) mais la succession est commune.

La représentation est vraie lorsque son sens s'accorde avec la réalité et fausse dans le cas contraire. C'est dire qu'aucune représentation ne montrer par elle-même si elle est vraie ou fausse : pour cela il faut la comparer avec la réalité.

Pour Wittgenstein, les pensées sont les représentations logiques par excellence. De la même façon que nous ne pouvons faire la représentation spatiale de quelque chose qui enfreindrait les lois de la géométrie, la pensée ne peut représenter quelque chose qui contredirait les lois de la logique. Mais alors la pensée ne peut se représenter la logique car c'est au contraire la logique qui est forme de représentation de la pensée.

Puisque, pour déterminer si elle est vraie ou fausse, toute représentation doit être comparée à la réalité, il ne peut y avoir une pensée dont la vérité puisse être reconnue à partir de la pensée elle-même. La pensée apparaît comme le trait d'union entre les propositions et les états de choses. Le signe propositionnel (la phrase écrite ou parlée) est une projection d'un état de choses possible. La pensée transforme le signe propositionnel en proposition, raison pour laquelle Wittgenstein parle parfois de la proposition comme d'une pensée et pas seulement comme l'expression d'une pensée.

Dans un langage idéal, les éléments d'une proposition correspondraient aux éléments de la pensée qui, à leur tour, correspondraient aux objets de l'état de choses. Dans le langage quotidien la forme de la pensée est masquée par les phrases car " les conventions de notre langage sont extraordinairement compliquées ". Une analyse philosophique est nécessaire pour révéler la forme logique réelle derrière les apparences du langage ordinaire.

Un nom ne peut avoir qu'un seul lien avec la réalité : ou il désigne quelque chose ou il n'est pas un symbole signifiant. Une proposition, en revanche, ne cesse pas d'avoir une signification quand elle cesse d'être vraie. Les deux pôles d'une proposition (cas de sa vérité, cas de sa fausseté) constituent le sens d'une proposition. Comprendre un nom, c'est comprendre sa référence, comprendre une proposition, c'est comprendre son sens. Pour qu'on puisse comprendre la référence d'un nom, celle-ci doit être expliquée ; ce n'est pas le cas pour le sens d'une proposition : la compréhension d'une proposition surgit de la compréhension de ses parties constituantes. C'est pourquoi nous pouvons comprendre une proposition que nous n'avons jamais entendue et dont nous ignorons la valeur de vérité.

Une proposition, à la différence d'un nom, doit avoir des parties qui peuvent avoir des occurrences dans d'autres propositions. Mais un simple ensemble de mots ne peut exprimer un sens. Pour avoir un sens, les mots doivent être mis ensemble d'une façon déterminée. Parmi les éléments de la proposition, il y a les signes simples, non analysables : les noms. La connexion entre un nom et ce qu'il désigne est une question de convention arbitraire. Une proposition n'est pas seulement un ensemble de noms. En plus de relier les noms aux objets nous devons mettre les "relations" entre les noms dans la proposition en corrélation avec les relations entre les objets dans les faits, là aussi par une règle arbitraire. Une fois ces conventions établies, une convention nouvelle n'est plus nécessaire. C'est ainsi qu'il est possible de comprendre une proposition nouvelle sans explication.

Chaque proposition a des particularités accidentelles et essentielles. Les particularités accidentelles résultent des conventions propres au langage particulier. Les particularités essentielles sont celles sans lesquelles la proposition ne peut exprimer son sens et sont constituées par la forme logique que la proposition a en commun avec la situation qu'elle représente. La relation entre la proposition et la situation n'est pas causale ou contingente mais interne. La structure logique d'une proposition est une propriété interne c'est-à-dire qu'il est impensable qu'une proposition reste la même avec une structure différente.

Quelque chose ne peut être dit que si un auditeur est capable de saisir ce qui est communiqué sans connaissance préalable de sa valeur de vérité. En conséquence, la possession d'une relation interne n'est pas quelque chose qui peut être dit. S'il est impensable qu'une chose n'ait pas telle ou telle propriété, on n'ajoute rien en disant qu'elle a cette propriété. Les relations internes doivent être montrées et non dites.

Chaque proposition décrit un état de choses possible mais pas nécessairement un état de choses réel. Ceci dit, une proposition étant donnée, il est clair que, soit elle-même, soit sa négation décrit un état de chose réel. Il n'y a pourtant aucun moyen de découvrir à partir de la proposition elle-même si elle est vraie ou fausse. Pour ce faire, on doit la comparer à la réalité. Une proposition peut être vraie ou fausse et elle est indépendante de l'état de choses réel qui, si elle est vraie, lui donne sa vérité. En d'autres termes, une proposition ne peut contenir son sens sans quoi elle serait toujours vraie. C'est la réalité de son sens qui la rend vraie. Une proposition ne pourrait être vraie a priori que s'il était possible de reconnaître sa vérité en n'étudiant que la proposition sans la comparer au monde. Ceci est incompatible avec la thèse de l'indépendance des propositions par rapport à la réalité. Toutes les propositions authentiques sont contingentes (elles peuvent être vraies ou fausses), ce qui n'est pas le cas des tautologies (qui, nous l'avons vu, sont toujours vraies). Les propositions logiques ne disent rien (elles sont, en langage kantien, analytiques). Une tautologie ne peut être dite vraie puisqu'elle ne peut jamais être fausse, puisqu'on ne peut la comparer à la réalité.

c) L'ontologie et la connaissance.[modifier]

Le monde est, dit Wittgenstein, "l'ensemble des faits, non pas des choses". Ces faits peuvent être plus ou moins complexes mais on peut les découper en faits simples (on songe aux faits atomiques de Russell). A chaque paire de propositions contradictoires (par exemple, "il pleut", "il ne pleut pas") correspond un et un seul fait par rapport auquel une des propositions est vraie et l'autre fausse. L'existence d'un fait atomique est un fait positif, sa non-existence un fait négatif. Ces faits simples, ou atomiques, Wittgenstein les appelle "états de choses" et l'état de choses est lui-même "une liaison d'objets". Un objet est donc un constituant possible d'un fait atomique ou, pour le dire autrement, les choses sont données dans une certaine relation (par exemple la relation entre un objet et une couleur), l'ensemble de ces relations formant la structure logique du monde.

Par nos paroles, nous nous faisons des "tableaux" des faits c'est-à-dire que nos représentations sont une transposition de la réalité où les éléments sont aussi reliés les uns aux autres.

Tout ce que peut faire le langage est donc d'énoncer des faits : "la tomate est rouge", "le vase est sur la table" etc. et, pour que ce que nous disons corresponde à la réalité, il faut que le langage ait une structure commune avec le réel. Cette structure est la logique qui n'est donc pas seulement ce qui gouverne le langage mais aussi ce qui limite notre monde.

Aux états de choses qui sont des enchaînements d'objets simples correspondent des propositions élémentaires qui revendiquent l'existence d'états de choses. Le monde peut être entièrement décrit en répertoriant toutes les propositions élémentaires et en répertoriant ensuite celles d'entre elles qui sont vraies et celles qui sont fausses.

Le seul usage correct du langage est d'exprimer les faits du monde.

Les mathématiques énoncent des propositions "dénuées de sens". Ce sont en effet des tautologies. Par exemple, dire "2+2=4" est vide de sens. 4 n'ajoute rien à 2+2 qui n'est qu'une autre façon de dire 4.

Puisque le seul usage correct du langage est d'exprimer les faits du monde, seules les sciences de la nature sont habilitées à dire ce qui est vrai ou faux. Elles comprennent en effet en majorité des propositions véritables. La loi de l'induction, par exemple, est une proposition véritable et non une tautologie. Que le soleil se lèvera demain est une hypothèse incertaine.

Tout ce qui est hors de ces faits (les valeurs, le bien, le beau, Dieu), bref tout ce qui relève de l'éthique ou de l'esthétique, ne peut être objet de science. Ainsi, tout ce qui est en réalité le plus important dans la vie réside en dehors du monde et, à strictement parler, ne peut être dit (c'est-à-dire être dit d'une façon qui fasse sens), est impensable. Nous ne pouvons dire le beau ou Dieu. Wittgenstein ne vise nullement ici à discréditer la métaphysique (contrairement à ce que voudront lui faire dire les penseurs du Cercle de Vienne) mais il veut montrer l'importance de l'indicible et de l'impensable de manière mystique.

Qu'en est-il alors de la philosophie ? La philosophie essaie de dire ce que justement le langage ne peut pas dire. La philosophie n'est pas qualifiée à dire quelque chose du monde parce que le langage qu'elle utilise n'a pas la clarté du langage logique. Les philosophes deviennent la proie des pièges que la langue leur tend. Il faut donc au philosophe une langue claire et précise et, pour Wittgenstein, la philosophie doit être cette activité de clarification du langage. La philosophie doit montrer la forme logique de la réalité mais, nous l'avons vu, "ce qui peut être montré ne peut pas être dit". En voulant montrer l'indicible, le philosophe se condamne au silence, comme en témoigne l'aphorisme qui clôt le Tractatus

On peut du reste appliquer ceci au Tractatus lui-même. Il est écrit dans une langue. Que dire des phrases qui cherchent à dire ce qui ne peut être dit ? Elles sont aussi dénuées de sens.

2) La "seconde philosophie de Wittgenstein".[modifier]

Wittgenstein s'aperçoit que le langage a d'"innombrables et diverses sortes d'utilisation.". Il ne s'agit donc plus de fixer l'usage correct du langage (dont le modèle idéal était celui de la logique symbolique) mais d'étudier les multiples façons dont les hommes l'utilisent.

À l'image du langage comme "tableau" se substitue l'idée du "jeu".

En logique, on ne considère que les énoncés déclaratifs : "cette fleur est jaune", "Aujourd'hui il fait beau" etc. Mais il existe bien d'autres façons d'utiliser le langage. Par exemple je peux exprimer un commandement ou une requête ("Viens ici", "reste tranquille"), faire des conjectures, inventer une histoire, remercier, saluer, prier etc. Généralement la situation me permet de comprendre de telles phrases sans problème. Si, par exemple, je dis "passe-moi le sel" c'est parce que je suis à table avec des convives et il n'y a pas d'ambiguïté. Cependant il existe des phrases ambiguës. Si je dis, par exemple, "Pierre a monté une horloge dans son grenier", cela signifie-t-il que Pierre a déplacé l'horloge d'un lieu à un autre ou qu'il a un atelier d'horlogerie dans son grenier ? Pour que l'énoncé ne soit pas ambigu, il nous faut d'autres informations. Qui énonce la phrase ? Dans quelles circonstances ? Wittgenstein insiste sur les dimensions non linguistiques du langage. En parlant, nous ne faisons pas qu'énoncer des faits. Wittgenstein présente le langage comme un éventail de jeux dont chacun possède ses propres pièces et ses propres règles. Reprenant la comparaison énoncée par Saussure, on peut dire que, de même qu'au jeu d'échec la valeur d'une pièce est donnée par l'ensemble de ses relations aux autres pièces, la valeur d'un mot n'a de sens que dans le cadre du "jeu" dans lequel il apparaît. Parler une langue fait toujours partie d'un ensemble d'activités communes, d'une manière de vivre en société que Wittgenstein appelle une "forme de vie". C'est par les jeux de langage que le langage est lié à la vie. Même un simple nom n'est un nom que dans un jeu de langage. La signification d'un signe est son rôle dans un tel jeu. Wittgenstein fait la liste des jeux de langage. Parmi ceux-ci citons-en quelques exemples : le commandement, la description, la formation et l'examen d'une hypothèse, l'invention d'histoires, la découverte d'énigmes, la traduction d'une langue dans une autre, l'expression d'une sensation etc. Il faut étudier les usages du langage à partir du contexte d'une forme de vie. Il faut faire attention aux différents usages des phrases car c'est cela qui constitue un jeu de langage.

On pourrait imaginer un langage privé dans lequel une personne exprimerait ses expériences intérieures pour son seul usage. Un langage privé est un langage dont les mots "se rapportent à ce qui ne peut être connu que de la personne qui parle : à des sensations personnelles immédiates."

Certaines doctrines philosophiques (notamment empiristes) pensent que nous ne pouvons connaître que nos propres expériences et que, donc, un langage privé est possible.

Pour Wittgenstein la notion de langage privé repose sur deux erreurs :

  • La première erreur est de croire que toute expérience est personnelle. Wittgenstein critique la théorie selon laquelle quelqu'un ne saurait ce que signifie la douleur qu'à partir de ses propres expériences douloureuses car alors on ne pourrait enseigner la signification du mot "douleur" à un homme. On peut certes donner un nom à une sensation mais ceci suppose une préparation qui n'est possible que dans un langage public.
  • De plus, qui pourrait alors vérifier que cette personne qui aurait un langage privé respecte les lois de son propre langage ? Si j'utilise un mot incorrectement, autrui peut me le faire savoir, ce qui n'est pas le cas dans le langage privé.

Le langage privé est donc un mythe et le subjectivisme est un leurre. La signification des mots n'est pas un acte interne et personnel du locuteur.

Les jeux du langage ont leurs règles et c'est la tâche du philosophe que de décrire la "grammaire" de nos jeux de langage.

Les principales œuvres.[modifier]

  • Tractatus logico-philosophicus (1921)
  • Investigations philosophiques (1936-1949, publiées en 1953)
  • Le cahier bleu et Le cahier brun (1933-1935, publiés en 1958)
  • Remarques Philosophiques (publiées en 1964)
  • De la certitude (1950-1951, publié en 1969)