Saussure
Sommaire
- 1 Fiche sur Saussure
- 2 Biographie
- 3 Travaux
- 4 Postérité
- 5 Bibliographie
- 6 Notes et références
- 7 Voir aussi
Fiche sur Saussure[modifier]
Il serait inexact de dire de Saussure qu'il est le fondateur de la linguistique scientifique contemporaine. L'enseignement qu'il a donné à l'université de Genève se plaçait en effet d'emblée, par sa nouveauté et sa rigueur, à un niveau que ses auditeurs n'avaient pas atteint, et il a fallu maturation et fécondation pour que s'en dégage la linguistique fonctionnelle et structurale d'aujourd'hui. Si Saussure n'a pas écrit lui-même le livre qui devait assurer sa survie, et si l'on relève dans sa correspondance des signes de découragement, c'est sans doute qu'il avait aperçu l'ampleur de la révolution nécessaire pour fonder la linguistique générale et l'impossibilité pour un seul homme, si génial fût-il, de la réaliser. L'influence exercée par la pensée saussurienne sur la linguistique et, par extension, sur les autres sciences de l'homme, a été si profonde qu'une ligne de clivage nette sépare les pays et les domaines où elle fait partie des fondements de la recherche de ceux qu'elle n'a atteint que tardivement et indirectement.
Un enseignement créateur[modifier]
Ferdinand de Saussure naît à Genève d'une vieille famille patricienne, illustrée par une lignée de savants, physiciens, chimistes ou naturalistes. D'une remarquable précocité, il anticipe, dès le gymnase, une découverte qui sera, beaucoup plus tard, un des plus beaux titres de gloire de K. Brugmann. Après un an d'études à l'université de sa ville natale, en 1876, à peine âgé de dix-neuf ans, il se rend à Leipzig, où la remarquable équipe des Junggrammatiker était en train de renouveler les études de grammaire comparée. Il y achève, à vingt-deux ans, un mémoire qui lui assure la notoriété et excite quelques jalousies. En 1880, il se rend à Paris où, dès l'année suivante, on lui confie, à l'École des hautes études, une conférence de grammaire comparée. Il comptera, parmi ses auditeurs, beaucoup de ceux qui seront les maîtres de la génération suivante. Il rentre à Genève en 1891 pour y assurer un enseignement de linguistique comparée des langues indo-européennes. À trois reprises, en 1907, 1908-1909 et 1910-1911, il donnera les cours de linguistique générale qui fondent sa renommée.
Le Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes (1879) du jeune comparatiste dégage ce qui va être reconnu comme le système vocalique de l'indo-européen commun, et, en posant l'existence d'un « coefficient sonantique » disparu par allongement de la voyelle précédente, il ouvre la voie à ce qui deviendra, plus tard, la théorie des « laryngales ». Pour la première fois, la reconstruction se fait « algébrique » en opérant, non plus avec des sons, mais avec des grandeurs oppositives et relationnelles.
Le Cours de linguistique générale (1916) qui est, avec le Mémoire, le seul ouvrage de quelque ampleur publié sous son nom, est une synthèse réalisée par deux collègues, C. Bally et A. Séchehaye, à partir de notes de cours. On a critiqué la conception même de l'ouvrage : l'opération de synthèse supprime la dynamique d'un enseignement qui, de deux ans en deux ans, n'a pas manqué d'évoluer. Cette dynamique nous est restituée dans les Sources manuscrites de R. Godel et l'édition critique du Cours par R. Engler. Ces ouvrages précieux sont venus à leur heure. Mais le parti choisi par les rédacteurs du Cours était le meilleur en ce qu'une présentation moins élaguée aurait rendu plus difficile l'accès à une pensée si neuve.
Portée et limites d'une œuvre[modifier]
Le grand dessein de Saussure est d'étudier « la langue envisagée en elle-même et pour elle-même ». Latent ou exprimé, il existe chez un prédécesseur, l'Américain W. D. Whitney, et deux contemporains, les Polonais de Russie, Baudouin de Courtenay et Kruszewski, dont on sait que Saussure les tenait en grande estime. Mais, sans diminuer l'importance de la contribution de Baudouin à la genèse de la phonologie, on peut dire que c'est sur une base saussurienne que s'est développée, en Europe, la linguistique générale. Cette linguistique, Saussure la conçoit comme le chapitre central d'une sémiologie qui doit étudier les systèmes de signes. Ce qui distingue le signe du symbole est son caractère arbitraire. Des discussions, un peu vaines, se sont élevées au sujet de ce dernier terme. Il est clair, en tout cas, que les deux composants du signe, signifié et signifiant, indissociables comme les deux faces d'une feuille de papier, ont chacun, en tant que concept et en tant qu'image acoustique, sa propre substance, et il n'y a, entre les deux substances, aucun rapport naturel. Cet arbitraire établit le caractère social des faits linguistiques. Il est un des aspects d'une autonomie linguistique qui implique également le choix et la délimitation des signifiés. De là se dégage également la notion de valeur qui suppose « un système d'équivalence entre des choses d'ordres différents ».
L'opposition entre langue et parole, considérée comme fondamentale, oppose le social à l'individuel. Ce sont là les concepts saussuriens qui se sont le plus vite répandus et généralement imposés, inspirés qu'ils étaient par une sociologie durkheimienne à la mode. Ce sont aussi les plus mal définis, ceux sur la valeur exacte desquels on s'accorde le moins, et il n'est pas sûr que Saussure lui-même s'y retrouve toujours. Sur ce point, où il cède à la pression d'une autre discipline, il a failli à son programme d'étudier le phénomène linguistique en lui-même et pour lui-même. Le principe bühlérien de la pertinence permet de faire l'économie d'une dichotomie qui n'a rien gagné à se voir relayée par la compétence et la « performance » chomskyennes.
Beaucoup plus fertile est l'opposition de la synchronie et de la diachronie, à condition d'y voir des points de vue et non des réalités. Elle a eu l'insigne mérite d'assurer la légitimité de l'examen du fonctionnement des langues en tant qu'instruments de communication et, par contraste, de mieux cerner les problèmes que pose l'évolution linguistique.
Pour marquer la cohérence interne de la langue, Saussure emploie le terme de système. Ses formulations, en la matière, sont très catégoriques : les unités linguistiques sont fondamentalement oppositives et chacune est ce que les autres ne sont pas. C'est dans la même ligne qu'on doit comprendre la formulation sur laquelle se fonde la glossématique : « La langue est une forme et non une substance. » À côté de cela qui peut n'être qu'outrance verbale, on trouve des justifications de l'utilisation des traits de substance qui assurent le maintien des oppositions. Sur ce point, les phonologues peuvent se réclamer du Cours à l'égal de L. Hjelmslev. En revanche, les deux plans glossématiques de l'expression et du contenu restent dans la tradition saussurienne où tout est centré sur l'opposition signifié-signifiant, ce que ne fait pas la théorie de la double articulation. À la lecture du Cours, le phonologue croit à tout moment retrouver les notions qui lui sont familières. Mais Saussure ne fait jamais le pas décisif qui fondera la phonologie en reconnaissant expressément au phonème un statut linguistique. Les linguistes qui, aujourd'hui, se déclarent saussuriens sont souvent ceux qui n'ont pas compris la nature de la révolution phonologique.
C'est en partie par opposition à la conception schleichérienne de la langue comme une chose vivante « qui porte en elle-même sa loi d'évolution » qu'il faut comprendre l'antinomie que pose Saussure entre changement et système. Ici encore on pourrait trouver, dans le Cours même, des formulations qui indiqueraient que cette antinomie est surmontable.
Si Saussure n'a pas rédigé le Cours, c'est certainement parce qu'il était conscient du caractère approximatif, insuffisamment fondé, voire contradictoire de certains aspects de son enseignement oral. Sa grandeur est aussi dans ce renoncement. On se félicitera toutefois d'une initiative qui nous a valu l'œuvre qui, sur tant de points, a modelé de façon décisive la pensée contemporaine.
André MARTINE
Ferdinand de Saussure, né à Genève le 26 novembre 1857 et mort à Vufflens-le-Château le 22 février 1913 , est un Liste de linguistes|linguiste suisse. Reconnu comme le précurseur du structuralisme en linguistique, il s'est aussi distingué par ses travaux sur les langues indo-européennes.
On estime (surtout en Europe) qu'il a fondé la linguistique moderne et établi les bases de la sémiologie. Dans son Cours de linguistique générale (1916), publié après sa mort par ses élèves, il définit certains concepts fondamentaux (distinction entre langage, langue et parole, entre synchronie et diachronie, caractère arbitraire du signe linguistique, etc.) qui inspireront non seulement la linguistique ultérieure mais aussi d'autres secteurs des sciences humaines comme l'ethnologie, l'Théorie de la littérature|analyse littéraire, la philosophie et la psychanalyse Jacques Lacan|lacanienne.
Biographie[modifier]
Issu d'une famille Genève|genevoise d'illustres savants, Ferdinand de Saussure est né en 1857. Il est le fils de Henri de Saussure, entomologiste et de Louise de Pourtalès, le frère de Léopold de Saussure et de René de Saussure, esperanto|espérantophone. On peut également noter dans sa généalogie Horace-Bénédict de Saussure, naturaliste et géologue, son arrière-grand-père, considéré comme le fondateur de l'alpinisme, et le fils de ce dernier Nicolas Théodore de Saussure, chimiste et botaniste. Il se marie avec Marie Famille Fesch ou Faesch|Faesch (1867-1950). Ils ont trois enfants, Jacques de Saussure, Raymond de Saussure, médecin et psychanalyste, et André de Saussure.
Après avoir achevé ses études secondaires au collège de Genève, il se rend en 1875 à Leipzig où se trouvait la plus célèbre université de philologie de l'époque, puis un semestre à Berlin avec Heinrich Zimmer (celtologue)|Heinrich Zimmer et à Paris. En 1877, Ferdinand Saussure communique à la Société de Linguistique de Paris son premier article qu'il développera dans son Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes[1] paru à Leipzig. Deux ans plus tard, il présente également à Leipzig sa thèse de doctorat : De l'emploi du génitif absolu en sanscrit. La carrière française de Ferdinand de Saussure a commencé à Paris, avec l'enseignement de grammaire comparée qu'il a donné à l'École pratique des hautes études|École Pratique des Hautes Études de 1881 à 1891, entre ses vingt-quatre et trente-quatre ans, et qui a eu pour le développement de la linguistique française une importance décisive[2]. Il y enseigna la linguistique Langues indo-européennes|indo-européenne, avant de retourner en Suisse. Il enseigna à l'université de Genève jusqu’à sa mort, le sanskrit, le lituanien et la linguistique générale entre autres. Il mourut en 1913 à Vufflens-le-Château dans le canton de Vaud d’une maladie pulmonaire, probablement un cancer du poumon[3].
Ferdinand de Saussure est l'un des linguistes les plus cités au monde, ce qui est remarquable car il n'a guère publié de son vivant. Même ses quelques articles scientifiques ne sont pas sans problème. Ainsi, par exemple, sa publication sur la phonétique lituanienne[4] est prise en gros d'après les études du chercheur lituanien Friedrich Kurschat, avec qui Saussure a voyagé, en - date-|août 1880- en Lituanie pendant deux semaines et dont Saussure avait lu les livres en langue allemande[5]. Saussure, qui avait étudié la grammaire de base de la langue lituanienne à Leipzig pendant un semestre était néanmoins incapable de parler la langue, et était donc dépendant de Kurschat. On peut également se demander dans quelle mesure le Cours lui-même est dû à Saussure (seulement). Des études ont signalé qu'au moins la version actuelle et son contenu trouvent plus probablement leur origine chez les éditeurs Charles Bally et Albert Sechehaye[6]. Les travaux de Ferdinand de Saussure et ses successeurs Bally et Sechehaye, pris comme un ensemble forment l'école linguistique de Genève, ou simplement, l'école de Genève[7]- ,- [8].
Travaux[modifier]
Les Anagrammes[modifier]
Avant de travailler au Cours de linguistique générale, Saussure se livre à des études sur la poésie antique (vers saturnien, poésie homérique, poésie latine, métrique védique). Il cherche à montrer l'existence de contraintes phoniques particulières en plus des règles de métriques et de quantité. Son intuition est qu'un mot sous-jacent (hypogramme) détermine la configuration des sons dans les poèmes. Chaque vers doit reprendre les phonèmes présents dans le mot déterminant. Par exemple, le vers oraculaire « Ad mea templa portato », rapporté par Tite-Live, contient l'anagramme d'Apollon (Apolo). Apo se lit dans « templa portato », le l dans « templa », le o long dans « portato »[9]. Le premier éditeur de ce texte, Jean Starobinski, n'a pas manqué de signaler le caractère douteux d'une telle méthode, qui peut mener à trouver partout des « hypogrammes », en les projetant dans le texte[10].
Saussure émet également l'hypothèse que la métrique védique a recours aux anagrammes pour insérer, sous toutes ses formes grammaticales, le nom du dieu auquel les vers sont consacrés. La poésie védique serait ainsi liée selon lui aux premiers linéaments de la science du langage indienne[11].
Sources[modifier]
Le Cours de linguistique générale constitue le document le plus important dont le - s-|XX- dispose pour connaître la pensée de Saussure. Cependant ce texte n'est pas rédigé par Saussure, mais par deux disciples qui, en se fondant sur les notes des étudiants, rédigèrent un texte censé rendre compte de sa pensée.
Ce n'est que dans les années soixante que commence à se développer une étude plus précise des sources, visant à identifier, à partir de ses propres manuscrits, les idées appartenant à Saussure.
Langage, langue et parole[modifier]
La fin ultime de Saussure est de proposer une théorie cohérente du langage, qui sera à même de saisir son objet avec la plus grande rigueur et netteté possibles, en distinguant le phénomène linguistique de tout phénomène connexe. Cela amène Saussure à distinguer le langage des langues.
Par langage, Saussure entend la faculté générale de pouvoir s'exprimer au moyen de signes. Cette faculté n'est pas propre aux langages naturels mais elle caractérise toute forme de communication humaine. Par langue, Saussure entend en revanche un ensemble de signes utilisés par une communauté pour communiquer : le français, l'anglais ou l'allemand, pour ne citer que quelques exemples.
Mais au-delà de cette distinction, Saussure différencie en outre la langue et la parole. La parole est, pour lui, l'utilisation concrète des signes linguistiques dans un contexte précis. Par ce concept de parole, Saussure tente de distinguer l'usage concret du langage de la langue elle-même, entendu comme ensemble de signes.
Synchronie et diachronie[modifier]
La langue a une dimension diachronique (évolution des signes au cours du temps) et une dimension synchronique (rapports entre les signes à un instant donné). C'est dans l'étude de ce second aspect que Saussure a particulièrement innové. Selon lui, la perspective diachronique doit être étudiée, certes, mais elle ne permet pas de rendre compte du fait que la langue est un système. Elle prend en effet uniquement en compte les modifications au cours du temps ; l'approche synchronique montre, elle, que la signification des signes dépend de la structure de l'ensemble de la langue.
La langue comme système[modifier]
La théorie linguistique de Saussure est nettement sémiotique dans la mesure où elle interprète la langue comme un ensemble de signes. Le linguiste distingue dans le signe linguistique|signe deux éléments : le signifié et signifiant|signifié et le signifiant. Ainsi que l'écrit Saussure : « Le signifié et le signifiant contractent un lien »[12]. Pierre Legendre (juriste)|Pierre Legendre, qui analyse la « facture institutionnelle du langage » relève à ce propos que le rapport entre le signifié et le signifiant est un « rapport d'obligation », il s'agit d'un « lien de légalité ». Est posée la nécessité logique d'un garant, autrement dit d'une instance tierce, qui vienne accréditer le rapport signifié–signifiant[13].
Signifié[modifier]
- Article détaillé|Signifié et signifiant- Le signifié désigne le concept, c'est-à-dire la représentation mentale d'une chose. Contrairement à une idée répandue, la langue n'est pas un répertoire de mots qui refléteraient les choses ou des concepts préexistants en y apposant des étiquettes. Si c'était le cas, les mots d'une langue, mais aussi ses catégories grammaticales auraient toujours leur correspondant exact dans une autre. Cette observation conduit Saussure à distinguer signification et valeur : « mouton » et « sheep » ont le même sens, mais non la même valeur, puisque l'anglais pour sa part distingue sheep, l'animal, de sa viande, mutton ; il en est aussi ainsi de l'opposition passé défini (simple)–passé, et indéfini (composé)-passé qui expriment une opposition d'aspect en anglais ou en castillan et une valeur d'usage (écrit–oral) en français contemporain. Ainsi le contenu (le signifié) est un concept défini négativement du fait de l'existence ou de l'absence dans une langue d'autres concepts qui lui sont opposables.
Signifiant[modifier]
- Article détaillé|Signifié et signifiant- Le signifiant désigne l'image acoustique d'un mot. Ce qui importe dans un mot, ce n'est pas sa sonorité en elle-même, mais les différences phoniques qui le distinguent des autres. Sa valeur découle de ces différenciations. Chaque langue construit son lexique à partir d'un nombre limité de phonèmes, caractérisés comme les signifiés, non par leur qualité propre et positive, mais par ce qui les oppose : rouler un « r » en français est sans conséquence pour la compréhension ; ne pas le faire en arabe conduit à des confusions, puisque cette langue comporte à la fois une apicale vibrante [r] (« r » roulé) et une fricative vélaire sonore [ġ] (proche du « r » grasseyé français). Les mots rasīl (messager) et ġasīl (lessive) ne se distinguent que par l'opposition r–ġ.
Le signe pris dans sa totalité[modifier]
L'idée fondamentale de Saussure est que la langue est un système clos de signes. Tout signe est défini par rapport aux autres, par pure différence (négativement), et non par ses caractéristiques propres (positivement) : c'est pourquoi Saussure parle de « système ». Nommé pourtant (après sa mort) « père du structuralisme », il n'a jamais, à aucun moment, et c'est notable, utilisé le terme de « structure » : il a toujours parlé de « système ».
Arbitraire du signe[modifier]
Le langage découpe simultanément un signifiant dans la masse informe des sons et un signifié dans la masse informe des concepts.
Le rapport entre le signifiant et le signifié est arbitraire et immotivé : rien, a priori, ne justifie, en français par exemple, qu'à la suite de phonèmes [a-R-b-R] (le signifiant, en l'occurrence, du signe « arbre ») on associe le concept d'« arbre » (le signifié). Aucun raisonnement ne peut conduire à préférer [bœf] à [ɒks] pour signifier le concept de « bœuf ». Saussure se situe, du point de vue épistémologique, dans le nominalisme.
Deux axes : rapports syntagmatiques et rapports associatifs[modifier]
Unité linguistique[modifier]
Un discours étant composé d'une succession de signes, Saussure pose la question de la délimitation du signe, indispensable à la compréhension de la chaîne parlée (l'oreille ne peut le distinguer s'il relève d'une langue inconnue). Il est ainsi amené à définir l'unité linguistique comme une tranche de sonorités qui est, à l'exclusion de ce qui précède et de ce qui suit, le signifiant d'un certain concept (le signifié). Ainsi le segment sonore : [ʒ(ə)lapʁɑ̃] (en alphabet phonétique international) est analysé par un francophone en trois unités linguistiques : « je/la/prends/ », ou « je/l/apprends » (le choix entre ces découpages se faisant en fonction du contexte). Pour parvenir à cette analyse, la langue établit entre les unités de sens deux sortes de rapports, indispensables l'un à l'autre.
Rapports syntagmatiques[modifier]
Les unités linguistiques s'enchaînent l'une à l'autre dans le déroulement de la chaîne parlée et dépendent l'une de l'autre. Toute combinaison de deux ou plusieurs signes linguistiques constitue un syntagme. Tout signe placé dans un syntagme tire sa valeur de son opposition à ce qui précède, à ce qui suit ou aux deux : « re-lire », « contre tous », « s'il fait beau » sont des syntagmes composés de deux unités linguistiques ou davantage. On parle de rapports syntagmatiques.
Rapports associatifs (ou paradigmatiques, dénomination post-saussurienne)[modifier]
Les éléments ainsi combinés sont par ailleurs associés chez le locuteur à d'autres qui appartiennent à des groupes multiformes : « enseignement » est relié aussi bien à « enseignant » par parenté qu'à « armement », « chargement »… par suffixation identique ou qu'à « apprentissage », « éducation »… par analogie des signifiés. Alors que les rapports syntagmatiques sont directement observables (in praesentia), les rapports associatifs sont virtuels, sous-jacents (in absentia).
Ces deux types de rapports coopèrent ; la coordination dans l'espace (rapports syntagmatiques) contribue à créer des associations (rapports associatifs) et celles-ci sont nécessaires au repérage et à l'analyse d'un syntagme. Dans le segment sonore [kevuditil] (Que vous dit-il ?), [vu] (vous) est analysé comme unité de sens parce qu'il s'associe à « me », « te », « lui »… qui lui sont opposables : ils pourraient se substituer à [vu] et s'excluent mutuellement. Mais sans la présence de ce qui précède et suit (rapport syntagmatique), [vu] ne peut être perçu comme unité linguistique : c'est le cas dans le syntagme [jəlevu] parce que la combinaison [levu] ne constitue pas un syntagme.
Linguistique et sémiologie[modifier]
Ferdinand de Saussure a toujours insisté sur les rapports entre linguistique et sémiologie. Par sémiologie, il entend la science sociale qui étudie les signes de manière générale. La linguistique n'était aux yeux de Saussure qu'une branche de la sémiologie. Cependant la linguistique en constitue la branche la plus développée, et la plus importante, en raison de la complexité du langage humain.
Postérité[modifier]
La postérité de Saussure fut immense et on reconnaît en lui, généralement, le fondateur du structuralisme, bien que ce mot lui soit postérieur (il parle de la langue comme système). Le structuralisme fut un mouvement de pensée représenté dans différentes branches des sciences humaines : Claude Lévi-Strauss, en ethnologie, Louis Hjelmslev, en linguistique, Tzvetan Todorov, en analyse littéraire, Jacques Lacan, en psychanalyse[14]- ,- [15] et Michel Foucault et Jacques Derrida en philosophie, s'y illustrèrent. Dans le cadre de l'anthropologie dogmatique, Pierre Legendre (juriste)|Pierre Legendre élabore son analyse du langage à partir des apports de Saussure :
- citation bloc|[O]n sait comment au début des années soixante-dix les althussériens français ont érigé Saussure en fondateur de la linguistique contemporaine. Maintenant que l'on connaît mieux l'histoire de la linguistique au tournant du siècle […], on peut se demander si cette coupure épistémologique n'était pas une version à peine laïcisée du Grand Soir[16].-
Bibliographie[modifier]
Les publications de Saussure de son vivant sont le Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes, sa thèse De l'emploi du génitif absolu en sanscrit, et de nombreux articles réunis dans le Recueil des publications scientifiques.
Le Cours de linguistique générale a en fait été rédigé après sa mort, par deux de ses collègues sur la base des notes des étudiants, prises aux cours de linguistique générale donnés par Saussure. Toutefois, il existe un important fonds de manuscrits saussuriens à la Bibliothèque de Genève et la famille a donné en particulier un ensemble de documents tout récemment, en 1996 et en 2008. Ces manuscrits ont été publiés depuis 1958 par plusieurs auteurs, notamment Rudolf Engler, qui publia également une toute petite partie des nouveaux documents en collaboration avec Simon Bouquet dans le livre Écrits de linguistique générale chez Gallimard en 2002.
La revue Langage (édition Larousse) a proposé un ensemble de contributions importantes sous la direction de Jean-Louis Chiss et Gérard Dessons (Daniel Delas, Claire Joubert, Henri Meschonnic, Christian Puech et Jürgen Trabant) à propos de cette publication dans numéro 159 (« Linguistique et poétique du discours à partir de Saussure ») en septembre 2005.
Poèmes et contes écrits par Saussure dans son adolescence, ainsi qu'un ensemble de lettres de jeunesse ont paru dans la biographie réalisée par C. Mejia Quijano en 2008.
Auparavant, Jean Starobinski a publié des inédits de Saussure se rapportant à sa passion pour la littérature latine :
- Jean Starobinski, Les mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Saussure, éd. Flammarion, 1971, coll. « Chemin », - ISBN|2070280691- .
- Œuvres
- Cours de linguistique générale, éd. Payot, 1995.
- Phonétique: - Langue|it|il manoscritto di Harvard- , Houghton Library bMS Fr 266(8), édition Maria Pia Marchese, Firenze, Unipress, 1995.
- Écrits de linguistique générale, établis et édités par Simon Bouquet et Rudolf Engler (avec la collaboration d'Antoinette Weil), Paris, Gallimard, 2002.
- Anagrammes homériques, édition Pierre-Yves Testenoire, Limoges, Lambert Lucas, 2013.
- Une vie en lettres 1866 – 1913. Diachronie dressée par Claudia Mejía Quijano, ed. Nouvelles Cécile Defaut, 2014, - ISBN|978-2-35018-336-7- .
- El primer curso. Lingüística general de Ferdinand de Saussure, Louis Caille y Albert Riedlinger. Édition bilingue par Claudia Mejía Quijano, Daniel Jaramillo et Alexander Pérez. Medellín, Editorial Semsa, 2019 - ISBN|978-958-52098-0-0- .
- Études
- Sémir Badir, Saussure : la langue et sa représentation, Paris, L’Harmattan, 2001.
- Sandrine Bédouret-Larraburu, Gisèle Prignitz, En quoi Saussure peut-il nous aider à penser la littérature ? (articles de Michel Arrivé, Gérard Dessons, Pierre-Yves Testenoire, Francis Gandon, Daniel Delas, Jaeryong Cho, Serge Martin, Chloé Laplantine, Laurent Mourey, Jean-Gérard Lapacherie), Presses Universitaires de Pau, 2012.
- Simon Bouquet, Introduction à la lecture de Saussure, Payot, 1997.
- Federico Bravo, Anagrammes, Sur une hypothèse de Ferdinand de Saussure, Lambert-Lucas, 2011, 280 p.
- Louis-Jean Calvet, Pour et contre Saussure : vers une linguistique sociale, Payot, 1975
- Marc Décimo, Sciences et pataphysique, t. 2 : Comment la linguistique vint à Paris ?, De Michel Bréal à Ferdinand de Saussure, Dijon, Les Presses du réel, coll. Les Hétéroclites, 2014 - ISBN|978-2-84066-599-1- .
- Françoise Gadet, Saussure, une science de la langue, PUF, 1987.
- Robert Godel, Les sources manuscrites du Cours de linguistique générale, Droz, 1969.
- Michel Arrivé, À la recherche de Ferdinand de Saussure, PUF, 2007.
- Louis de Saussure, Ferdinand de Saussure et son héritage: une dynastie de savants, Bulletin trimestriel de l'ANRB, Bruxelles, - n°|298- , avril 2019.
- Michel Arrivé, Du côté de chez Saussure, Lambert-Lucas, 2008.
- Claudine Normand, Ferdinand de Saussure, critique et interprétation, Les Belles Lettres, 2000.
- Maurice Pergnier, De Saussure à Saussure, Lausanne, l'Âge d'Homme, 2012
- Claudia Mejia Quijano, Le cours d'une vie, Portrait diachronique de Ferdinand de Saussure, t. 1 : Ton fils affectionné, France, Cécile Défaut, 2008.
- Claudia Mejia Quijano, Le cours d'une vie. Portrait diachronique de Ferdinand de Saussure, t. 2 : Devenir père, France, Cécile Défaut, 2011.
- Pierre-Yves Testenoire, Ferdinand de Saussure à la recherche des anagrammes, Limoges, Lambert Lucas, 2013.
- Arild Utaker, La Philosophie du langage, Une archéologie saussurienne, Paris, « Pratiques théoriques », PUF, 2002.
- Dimitar Vesselinov, Les étudiants bulgares de Ferdinand de Saussure, Sofia, Ciela, 2008, 400 p.
- Études en Anglais
- Henri Wittmann, Historiographia Linguistica, New tools for the study of Saussure's contribution to linguistic thought, 1, 1974, - pp.|255-264- .
Notes et références[modifier]
- Références|colonnes=-
Voir aussi[modifier]
Articles connexes[modifier]
- Communication
- Langue | Parole
- Linguistique
- Sémiologie
- Sens (linguistique)|Sens | Signe linguistique|Signe | Signifié et signifiant|Signifiant | Signifié
- (13580) de Saussure
Liens externes[modifier]
- Autres projets|wikisource=Auteur:Ferdinand de Saussure|commons=Category:Ferdinand de Saussure-
- - Autorité-
- - Bases recherche-
- - Helveticat-
- - Dictionnaires-
- - Bases littérature-
- Bibliothèque de Genève numérique, Ferdinand de saussure (1857-1913)
- - lien web|url=http://www.infotheque.info/ressource/7403.html%7Ctitre=Le cours de linguistique générale de Saussure : Le rôle de la langue vis-à-vis de la pensée- Sandrine Tognotti, Université de Genève, 1997.
- Célèbre texte écrit par Algirdas Julien Greimas|Greimas sur le Cours de linguistique générale.
- Texte en ligne à propos du Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes
- Texte de Louis Hjelmslev|Hjelmslev à propos de la distinction saussurienne entre langue et parole
- Site du Cercle Ferdinand de Saussure, association savante qui promeut l'étude de la pensée saussurienne et de ses développements.
- ____
- ↑ - Ouvrage |prénom1=Ferdinand de (1857-1913) Auteur du texte |nom1=Saussure |titre=Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes |sous-titre=par Ferdinand de Saussure |éditeur=B. G. Teubner |année=1879 |lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k729200 |consulté le=2018-02-14-
- ↑ - Article|auteur1=Émile Benveniste|titre=Ferdinand de Saussure à l'École des Hautes Études.|périodique=École pratique des hautes études. - 4e|section- , Sciences historiques et philologiques Volume 97 Numéro 1|date=1964|lire en ligne=http://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1964_num_1_1_4796%7Cpages=pp. 20-34- .
- ↑ La Tribune de Genève, « Ferdinand de Saussure, linguistique mon amour ».
- ↑ Ferdinand de Saussure, « Aaccentuation lituanienne ». In : Indogermanische Forschungen. Vol. 6, 157 – 166
- ↑ - Ouvrage |prénom1=Friedrich |nom1=Kurschat |titre=Beiträge zur Kunde der littauischen Sprache. Erstes Heft : Deutsch-littauische Phraseologie der Präpositionen. Königsberg 1843, Zweites Heft : Laut- und Tonlehre der littauischen Sprache. Königsberg 1849 |date=1843, 1858 |lire en ligne=https://books.google.de/books?id=8mpbAAAAQAAJ&printsec=frontcover&dq=Kurschat- .
- ↑ Jürgen Trabant, « Saussure contre le Cours ». In: Francois Rastier (Hrsg.): De l'essence double du langage et le renouveau du saussurisme. Limoges: Lambert-Lucas. - ISBN|978-2-35935-160-6-
- ↑ - Article |prénom1=Pierre-Yves |nom1=Testenoire |titre=L’école de Genève vue de la Société de Linguistique de Paris |périodique=Histoire Epistémologie Langage |volume=37 |numéro=2 |date=2015 |issn=0750-8069 |issn2=1638-1580 |doi=10.1051/hel/2015370204 |lire en ligne=http://www.hel-journal.org/10.1051/hel/2015370204 |consulté le=2019-08-27 |pages=53–70 -
- ↑ - Ouvrage |langue=fr |prénom1=Anamaria |nom1=Curea |titre=Entre expression et expressivité : l’école linguistique de Genève de 1900 à 1940 |éditeur=ENS Éditions |lieu=Lyon |année=2015 |pages totales=377 |isbn=978-2-84788-689-4 |isbn2=9782847886900 |lire en ligne=http://dx.doi.org/10.4000/books.enseditions.3878 |consulté le=2019-08-27-
- ↑ - Ouvrage|auteur1=Jean Starobinski|titre=Les mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Saussure|passage=70-71|lieu=Paris|éditeur=Gallimard|date=1971-
- ↑ - Ouvrage|auteur1=Jean Starobinski|titre=Les mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Saussure|passage=115|lieu=Paris|éditeur=Gallimard|date=1971-
- ↑ - Ouvrage|auteur1=Jean Starobinski|titre=Les mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Saussure|passage=36-38|lieu=Paris|éditeur=Gallimard|date=1971-
- ↑ Cours de linguistique générale, Wiesbaden, Harrassowitz, 2, 1968, - p.- 272.
- ↑ Pierre Legendre (juriste)|Pierre Legendre développe cette analyse dans ses Leçons I (1999), - p.- 129-136.
- ↑ - Article|langue=fr|auteur1=Maurice Corvez|titre=Le structuralisme de Jacques Lacan|périodique=Revue Philosophique de Louvain|éditeur=Persée|volume=66|numéro=90|année=1968|pages=282-308|doi=10.3406/phlou.1968.5434|url texte=http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1968_num_66_90_5434?_Prescripts_Search_tabs1=standard&%7Cconsulté le=16 mars 2015- , - p.|283- .
- ↑ - Ouvrage |langue=fr |auteur1=Marcel Drach |directeur1=oui |auteur2=Bernard Toboul |directeur2=oui |et al.=oui |titre=L'Anthropologie de Lévi-Strauss et la psychanalyse |éditeur=La Découverte |lieu=Paris |année=2008 |pages totales=331 |isbn=978-2-7071-5198-8 |présentation en ligne=http://www.cairn.info/l-anthropologie-de-levi-strauss-et-la-psychanalyse--9782707151988.htm- .
- ↑ François Rastier, 1993, « La sémantique cognitive. Éléments d'histoire et d'épistémologie », Histoire Épistémologie Langage, 15, 1, - pp.|153-187- .