Université

De JFCM
Aller à : navigation, rechercher



La première université, celle qu'on appelle la « mère nourricière des études », Alma Mater studiorum, naît à Bologne au xie siècle. Certains maîtres de grammaire, de rhétorique et de dialectique (les arts libéraux du trivium hérité de l'Antiquité) entreprennent alors d'y commenter le droit justinien qu'ils viennent de redécouvrir dans des circonstances restées mystérieuses. La date de 1088 retenue conventionnellement correspond à cette première rupture avec l'école cathédrale, soumise à l'évêque. Bouleversant la transmission du savoir jusque-là entièrement soumis à l'autorité biblique, le droit romain est d'abord l'affaire de commentateurs privés, liés contractuellement à leurs étudiants, avec qui ils forment une société indépendante : universitas. Mais la première des sciences constituée est vite entraînée dans le conflit entre le pape et l'empereur. Trésor de notions, de distinctions, de modes de raisonnement oubliés de l'Occident, le corpus du droit civil ainsi exhumé, interprété, imité plus de 500 ans après sa création, fournit le patron de la modernité occidentale. La scolastique universitaire propagera une rationalité technicienne, systématique, réservée à des experts, de plus en plus morcelée en disciplines et foyers autonomes, derrière l'apparente et illusoire suprématie de la théologie, qui règne de plus en plus mal sur les deux droits, canonique et romain, la philosophie, la médecine et les autres arts, jusqu'au xviie siècle.

L'Université a longtemps constitué l'exemple presque parfait d'une «  institution » au sens traditionnel de ce terme, c'est-à-dire d'une organisation reposant sur des valeurs reconnues comme légitimes et centrales pour la société ; étroitement associée à la classe dirigeante et gérée selon des normes décidées par les autorités politiques centrales. Elle était alors davantage un lieu d'élaboration d'un code culturel qu'un instrument de production de connaissances nouvelles. Elle formait aussi un milieu relativement clos, bien qu'étudiants et enseignants aient toujours constitué dans des sociétés à participation politique très limitée des substituts de forces politiques populaires. Le rôle croissant de la connaissance, la rapidité des changements économiques et sociaux, l'extension de toutes les formes de participation et de contrôle social ont imposé au système universitaire des tâches plus diversifiées, si différentes même les unes des autres qu'on peut se demander si elles continueront à être remplies par la même organisation. N'ayant jamais été aussi puissantes et aussi centrales que dans les sociétés industrielles avancées, les universités n'y sont-elles pas aussi menacées de disparition ?

— Alain TOURAINE

Les universités aux XIXe et XXe siècles

Le terme « université », en tant qu'il caractérise une organisation d'enseignement, est employé en Europe depuis le Moyen Âge, servant à désigner alors l'Universitas magistrorum et scholarium parisiensium (1215), la future Sorbonne, en France ; Oxford (1249) et Cambridge (1284) en Angleterre ; Heidelberg (1386), Cologne (1388), Tübingen (1477), etc., dans les divers États germaniques ; Bologne en Italie au xiie siècle. Tous ces établissements étaient entièrement dépendants de l'Église, et la création, le développement ou le déclin de nombre d'entre eux ont coïncidé avec des débats théologiques ou de doctrine (cf. universitésmédiévales).

Mais les universités en tant qu'éléments d'un système d'enseignement, supérieur d'une part, pourvu d'une relative autonomie d'autre part, sont nées avec les sociétés industrielles, en une période où l'accumulation du capital et l'organisation de la production constituent le moteur du développement économique et social, l'enjeu des rapports de classe ; période où la bourgeoisie capitaliste est apparue comme une classe dirigeante montante. Nées au moment ou la créativité sociale se définit en termes de progrès – les débats de la philosophie des Lumières au xviiie siècle en avaient déjà montré, sur un plan théorique, nombre d'exigences et de conflits latents –, les universités contribuent à l'élaboration d'un nouveau modèle de connaissance, où la recherche, la diversification des disciplines commencent à jouer un rôle important et qui est plus systématiquement pris en considération.

Les universités créées ou réformées au xixe siècle sont, plus ou moins consciemment, en rupture avec les institutions qui, au Moyen Âge ou au temps de la monarchie absolue, portaient ce nom. La rupture semble, par exemple, très marquée en France, beaucoup moins en Angleterre. Ainsi, le contenu de l'enseignement ne constitue plus seulement un héritage, le but visé n'étant plus de transmettre les éléments d'un système de valeurs dominant, mais de participer au progrès, donc de créer. Le cursus universitaire devient alors plus diversifié. Les professeurs tendent à avoir une profession propre ; ils ne sont plus membres du clergé, mais philosophes, mathématiciens, anatomistes, etc. Enfin, les universités du xixe siècle sont des organisations assez complexes, se situant par rapport à d'autres enseignements, avec lesquels elles forment, de façon plus ou moins intégrée, un système. Dans ce système, elles sont un élément possible d'enseignement supérieur. Si l'Université est généralement apparue en premier, sa création a entraîné la définition d'un enseignement secondaire qui s'est progressivement constitué en préalable nécessaire à l'entrée dans l'enseignement supérieur. Au xixe siècle s'est donc manifestée une relative coordination entre les divers établissements d'enseignement – situation absolument nouvelle par rapport à celle du xviiie siècle, qui comptait des établissements d'enseignement multiples, mais dont chacun constituait par lui-même un tout. Les universités qui se créèrent au début et tout au long du xixe siècle étaient sans aucun doute liées aux groupes dirigeants et dominants ; mais elles n'en étaient pas les porte-parole destinés à transmettre l'idéologie propre au capitalisme ; elles orientaient un certain type d'action et s'exprimaient au nom du progrès. Par là, elles avaient une autonomie en ce qu'elles faisaient partie d'un système politique et n'étaient pas seulement un élément de domination d'un groupe social. Par ailleurs, elles ne furent pas, pour ce temps, des organisations centrales, les étudiants y étant d'autant moins nombreux qu'elles n'étaient pas d'accès aisé pour ceux qui ne faisaient pas partie de la classe dirigeante, et que, pour cette dernière, elles n'avaient pas une valeur déterminante, permettant, par exemple, de devenir chef d'entreprise. Leur autonomie n'en paraissait que plus grande.

Au xxe siècle, et surtout depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le développement de la connaissance est devenu un élément essentiel de la survie des sociétés fortement industrialisées ; il constitue une des dimensions fondamentales de leur pratique ; il est l'objet d'un débat. Par ailleurs, le besoin de diplômés est beaucoup plus important, tandis qu'une demande en éducation, plus ou moins clairement formulée, s'accroît. Le problème des universités est devenu central à plus d'un titre. Ce n'est donc pas la continuité organisationnelle qui est le fait majeur de l'histoire récente des universités – cette continuité paraît pourtant plus réelle qu'entre les universités du Moyen Âge et celles du xixe siècle –, mais le problème posé par cette histoire et qui pourrait être résumé de la façon suivante : une organisation qui correspond à une volonté de développer le progrès, mais qui est engagée dans tous les conflits que suscitent ce nouveau modèle de connaissance et le problème général de l'organisation sociale, peut-elle trouver en elle-même – étant donné les compromis auxquels elle se soumet et les diverses instances qui s'en réclament – les moyens d'assumer et de provoquer des transformations qui en feront le lieu d'un débat social, lieu à la fois central et critique, où les problèmes inhérents au développement de la connaissance comme pratique sociale seront posés ? Il n'y a pas d'université qui constitue un type idéal et sur l'organisation de laquelle les universités du xixe puis du xxe siècle auraient dû se modeler. La diversité des modalités de développement des universités en Europe et aux États-Unis a au moins deux raisons : d'une part, une université n'est jamais isolée d'une société et de ses divers nivaux de fonctionnement (cf. infra) ; d'autre part, une société peut être plus ou moins hétérogène dans son rapport à l'industrialisation et à la forte industrialisation.

L'Université et l'enseignement supérieur en France

Les faits les plus marquants de l'histoire des universités françaises sont les suivants : création du Conservatoire des arts et métiers, de l'École polytechnique, de l'École normale supérieure (1794) ; création de l'Université de France (1808) ; loi Falloux (1850) ; création de l'École pratique des hautes études (1868), création de l'École des sciences politiques (1871) ; création des universités comme établissements d'enseignement supérieur (1885-1896) ; création des écoles nationales supérieures d'ingénieurs, E.N.S.I., (1946) ; création des instituts universitaires de technologie, I.U.T. (1966) ; loi d'orientation de l'enseignement supérieur (1968).

Créée par décret impérial en 1808, l'Université de France apparaît comme une unité administrative qui établit le monopole de l'État sur la collation des grades plutôt qu'elle ne met en place un enseignement supérieur nouveau. L'Université de France regroupe en effet les trois ordres traditionnels de facultés – droit, médecine, théologie –, auxquels sont ajoutés deux ordres nouveaux – lettres et sciences. Les trois premières facultés, si elles donnent des diplômes d'État, restent principalement des établissements professionnels liés à leurs corporations propres. Celles de lettres et de sciences n'ont, en 1808 et pendant une bonne partie du xixe siècle, ni locaux propres ni étudiants. Elles constituent un cadre dans lequel vont être redéfinis (car ces diplômes existaient auparavant) le baccalauréat, la licence, l'agrégation, tous grades qui scanderont la préparation des professeurs d'une nouvelle organisation d'enseignement : les lycées, avatar très déformant des écoles centrales de la Révolution ; cette organisation dépendra de l'Université de France. Obtenu après des concours oraux (écrits et oraux après 1830), ces grades – auxquels il faut ajouter la thèse pour les rares professeurs de faculté – ne donnent cependant lieu à aucun cours spécifique.

L'Université de France n'a jamais coordonné l'ensemble des établissements d'enseignement. Ainsi, les écoles spéciales ou grandes écoles – Conservatoire des arts et métiers, École des ponts et chaussées (1775), École polytechnique, École des mines – ne lui sont pas liées. Or ces dernières forment un important ensemble d'enseignement supérieur, en particulier comme infrastructure du développement économique. L'intérêt du décret de 1808 réside surtout dans l'instauration des lycées et d'un corps propre d'enseignants. Les lycées ont alors au moins deux raisons d'être : l'une est de retirer à l'Église – ancien groupe dominant – le monopole de l'enseignement et de montrer l'importance d'un État qui diffuse l'idée du progrès, est capable de mobiliser et d'unifier les divers éléments d'une nation hétérogène et n'est apparemment ni le reflet de la vieille aristocratie foncière, ni celui de la bourgeoisie capitaliste ; l'autre raison d'être des lycées est qu'ils peuvent contribuer à la formation d'un appareil d'État : par la forme de discipline qui y a été instituée par le premier Empire – si ce n'est par le contenu de l'enseignement, semblable à celui que donnaient les Jésuites au xviiie siècle –, le lycée apparaît comme un préalable utile à la formation reçue dans les grandes écoles, lesquelles forment les cadres supérieurs, civils ou militaires, de l'État.

Ces deux raisons ne sont pas absolument coordonnées : pendant une grande partie du xixe siècle, les grandes écoles ont recruté pour élèves, autant que des lycéens, des jeunes gens formés par des précepteurs ou dans des collèges religieux. Lors de sa création, en effet, l'Université de France, pour s'imposer comme un monopole d'État, n'avait guère de lettres de créance ; son problème était donc d'en acquérir, compte tenu des nombreuses idées que la bourgeoisie avait émises à propos de l'enseignement, au xviiie siècle et pendant la Révolution (lorsque son pouvoir de domination était très limité), compte tenu également de l'expérience que l'Église avait acquise en ce domaine. C'est pourquoi le développement de l'Université de France est d'abord lié à un conflit entre l'État et l'Église catholique, à la recherche d'un compromis entre l'ancienne classe dominante et une nouvelle classe dirigeante. Ce compromis fut finalement réalisé par les professeurs que mit en place l'Université de France : ils définirent un contenu de l'enseignement (l'éclectisme de Victor Cousin, par exemple) ; à partir de 1830, ils étoffèrent une administration, donnant un sens nouveau au conseil de l'Université, bientôt renforcé par le développement de l'Inspection générale (second Empire). Ils se constituèrent en un corps qui, à partir de 1860, réclama, au nom du progrès de la science, mais aussi de l'ordre social et de la stabilité, la constitution d'organisations d'enseignement supérieur marquant l'importance des facultés de lettres et des facultés de sciences. C'est en 1885 que furent créées les facultés comme lieu d'enseignement spécifique où des étudiants suivent des cours ; mais ceux-ci furent définis en fonction des diplômes préparant à la profession d'enseignant. Les professeurs ne parvinrent pas, en 1893, à créer des lieux d'enseignement et de recherche qui eussent été de véritables universités ; et ce qui en prit le nom en 1896 ne constitua en fait qu'un rassemblement de diverses facultés dans une académie ; mais aucun lien n'est créé alors, qui eût permis des échanges ou évité une trop rigide division des disciplines.

L'enseignement supérieur en France, au cours du xixe siècle, s'est en fait développé dans trois directions : les écoles spéciales, les grands établissements scientifiques et les facultés. Les écoles spéciales, ou grandes écoles, sont des établissements d'enseignement et également de recherche. Un concours permet d'y entrer ; le contenu des études y est défini par un conseil de perfectionnement, et il est relativement lié au développement industriel, d'ailleurs lent et discontinu. Ces grandes écoles, qui furent créées tout au long du xixe siècle, et dont le Conservatoire des arts et métiers, l'École polytechnique, l'École centrale, l'École des chartes, l'École des sciences politiques, l'École des hautes Études commerciales sont parmi les plus célèbres, pratiquent, sauf l'École normale supérieure, une séparation totale entre les sciences et les lettres. D'autre part, du fait de leur implantation dans la capitale, la répartition des établissements d'enseignement supérieur entre la province et Paris est fortement déséquilibrée. Les grands établissements scientifiques (le Muséum d'histoire naturelle, le Collège de France, l'École pratique des hautes études sont les plus importants) ne s'adressent pas à un public particulier, mais abritent des laboratoires de recherche ; ils essaient de donner vie à l'idée de progrès : Michelet, Quinet, Bergson, professeurs au Collège de France, ont toujours refusé les compromis élaborés par les professeurs de faculté, tels Cousin et Lavisse. Les facultés sont devenues des lieux d'enseignement qui ne participent guère à la recherche, si ce n'est pas leurs professeurs pris individuellement et en dehors de leurs tâches d'enseignement.

La réforme de 1896 a en quelque sorte signé l'arrêt de mort des universités en tant qu'établissements d'enseignement et de recherche ; l'existence des grandes écoles et des grands établissements scientifiques pouvait d'ailleurs limiter provisoirement les conséquences de cet échec. Dès lors, le système d'enseignement supérieur se développa par sédimentation, ce qui n'exclut pas une diversification, mais interdit une cohérence, une action coordonnée et spécifique de l'ensemble de l'enseignement supérieur dans l'orientation de la connaissance, c'est-à-dire une politique d'enseignement. Les universités ont connu leur heure de gloire pendant la IIIe République, notamment parce qu'elles permettaient une reproduction de l'ordre social ; mais, progressivement, elles en vinrent à ne pouvoir reproduire qu'elles-mêmes. Le processus de sédimentation s'accroît alors : de nouvelles grandes écoles se créent, tandis que les établissements de recherche comme le Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S.) se développent parfaitement en dehors des universités – si les professeurs sont souvent des chercheurs, les deux activités continuent d'être séparées.

À partir de 1956, le nombre des étudiants s'accroît sensiblement, mais surtout dans les domaines littéraires, tandis qu'une pénurie de diplômés scientifiques rend urgentes des réformes ; les grandes écoles, dont l'organisation est moins lourde et moins rigide, se réforment plus rapidement ; d'autres sont créées, notamment dans le domaine de la gestion d'entreprises. Des instituts d'université – E.N.S.I., I.N.S.A. (instituts nationaux des sciences appliquées) pour les facultés de sciences, institut d'administration d'entreprises pour les facultés de droit – se modèlent plus sur les grandes écoles que sur l'Alma Mater, dont ils peuvent être relativement indépendants. Les facultés forment un ensemble disparate. Celles de lettres, conservant leurs normes, accentuant une rigidité qui aboutit à des contradictions : par exemple, seuls les étudiants qui y auront obtenu l'agrégation ou le C.A.P.E.S. posséderont un diplôme ayant une valeur reconnue ; mais le malthusianisme présidant à ces concours est tel qu'il ne permet plus de subvenir aux besoins en professeurs dans l'enseignement secondaire. Par ailleurs, des disciplines comme la sociologie souffrent de la structure éclatée où elles doivent s'intégrer. Les facultés de sciences peuvent acquérir, département par département, une autonomie, mais elles restent encore écartelées entre les exigences de la recherche et celles du corporatisme. Le système d'enseignement supérieur français n'a jamais eu d'unité ; cela ne signifie pas qu'il ne puisse être dans quelques cas efficace, mais il ne permet pas l'élaboration d'une politique d'enseignement, et son rôle critique, notamment face à l'interprétation du développement de la connaissance dans les sociétés fortement industrialisées, est très faible. L'une des exigences du mouvement de mai 1968 était que ce système fût critique à l'égard de la société, et donc qu'il fût reconnu comme pouvant, moyennant de profondes transformations, y jouer un rôle central. La loi d'orientation des universités conçue alors par Edgar Faure n'a pas réussi à rendre une cohérence au système, et son efficacité reste localisée et fragile.

Les universités allemandes

L'histoire récente des universités en Allemagne a été marquée par les créations de l'université de Berlin par Fichte et Humboldt, en 1809 ; de l'université de Bonn, avec la collaboration de Schlegel, en 1818 ; des universités technologiques d'Aix-la-Chapelle, de Darmstadt, de Baden, de Munich, de Stuttgart, au cours du xixe siècle ; de l'université de Francfort en 1914 ; de l'université de Hambourg en 1919.

L'université de Berlin est longtemps restée un modèle incontesté d'université, une référence à dépasser, bien qu'aucune des réformes universitaires opérées sur cet exemple n'ait réussi (cf. les réformes de 1885 et de 1896 en France, le rapide déclin de Johns Hopkins et le caractère très rapidement spécifique de Harvard, à la fin du xixe siècle, aux États-Unis). Le terme « université », dans le cas de l'université de Berlin et de celles qui se créèrent par la suite dans les États germaniques, désigne un organisme qui est absolument l'opposé de celui qui prévaut en France tout au long du xixe siècle. L'instauration de cette formule, qui se situe dans la ligne du mouvement des Lumières et du romantisme allemand, se fait dans un pays qui est peu unifié mais cherche à s'opposer aux guerres de domination napoléoniennes ; le nationalisme, qui est aussi une volonté d'unification des États germaniques, y est donc fort important. En 1809, par ailleurs, la bourgeoisie capitaliste exerce peu de pouvoir, tandis que l'aristocratie foncière, qui n'est plus absolument dominante, ne reste pas insensible à un développement théorique de l'idée de progrès, laquelle, de plus, est associée à l'idée de nationalisme.

L'université de Berlin ne détient pas le monopole des grades d'État ; elle n'est pas habilitée à définir le contenu de l'enseignement pour l'ensemble des universités d'État (aucun organisme administratif n'est investi de ces pouvoirs). Elle est, par contre, un lieu d'enseignement et de recherche où l'on trouve, avec des professeurs et des étudiants, un corps intermédiaire, celui des Privatdozenten, assistants préparant leur thèse. Un choix libre des enseignements, tant par les étudiants que par les professeurs, une concurrence entre les universités facilitent une diversification des disciplines. Si, au début du xixe siècle, l'intérêt se concentre sur la philosophie, qui compte de grandes figures tels Hegel et Schelling, les problèmes théoriques ainsi soulevés et les diverses demandes entraînent rapidement le développement de la physiologie, des mathématiques, de l'histoire, de la physique, des sciences naturelles. Mais plus ce développement s'accentue, plus l'Université devient nécessaire, plus son organisation s'alourdit et plus sa rigidité est perceptible. Les besoins de la recherche amènent à créer des instituts adjoints aux universités, leurs directeurs étant titulaires d'une chaire. Mais ces instituts prennent une certaine indépendance, car ils rassemblent un personnel permanent qui devient en fait difficilement interchangeable avec celui de l'Université. La dimension beaucoup plus théorique que « professionnalisante » des universités de type de celle de Berlin provoque, lorsque l'industrialisation progresse, un retrait des universités technologiques. Elle pèse également sur la formation des enseignants et n'est pas toujours appréciée pour la formation des fonctionnaires. Enfin, les professeurs d'Université, qui sont des fonctionnaires d'État sont peu à peu contraints à une sorte de neutralité, de sorte que la fonction de reproduction de l'ordre social joue de façon très importante au début du xxe siècle, ainsi que W. Benjamin l'a fait remarquer. Des écoles de recherche parallèles apparaissent (Francfort, en particulier, vers 1920). Le contenu de l'enseignement universitaire n'est pourtant jamais arrivé en Allemagne à un compromis aussi éloigné qu'en France du développement de la connaissance.

Pendant la période nazie, l'Université étant soumise à l'État et la vie intellectuelle paralysée, beaucoup d'enseignants s'enfuirent à l'étranger et le nombre des étudiants diminua fortement. Après la guerre, le développement des universités s'avéra évidemment fort différent suivant qu'il s'agit de l'Allemagne de l'Ouest ou de l'Allemagne de l'Est. Dans la République démocratique allemande, la tendance à la professionnalisation s'accentue et les universités y sont, pour la plupart, principalement scientifiques et techniques. Dans la république fédérale d'Allemagne, l'augmentation du nombre des étudiants et un allongement excessif de la durée des études provoquent une crise. Les étudiants dans les disciplines scientifiques sont trop peu nombreux, et le problème se pose d'opérer une refonte des universités technologiques, des écoles techniques supérieures et des universités. Depuis 1962, de nouvelles universités se créent, mais aussi des écoles de gestion. Actuellement, le rôle politique de l'Université en Allemagne de l'Ouest n'est absolument pas en accord avec la puissance économique de ce pays.

Les universités anglaises

De l'histoire des universités anglaises au xixe et au xxe siècle, il convient de signaler la création de la Royal Institution en 1802 ; la création, en 1828, de l'université de Londres (dont la charte complète paraîtra en 1898) ; en 1854, le début d'une série de réformes à Oxford ; en 1856, le début des réformes de Cambridge ; la création des civics universities, dont beaucoup étaient d'anciennes facultés de médecine (Manchester, Liverpool, Leeds, Birmingham, Newcastle), à la fin du xixe siècle ; la création du ministère de l'Éducation en 1870 ; le développement des training colleges (formation des enseignants de l'enseignement secondaire) et des colleges of technology dans une perspective plus liée à l'enseignement supérieur au début du xxe siècle ; la création de l'University Grants Committee (U.G.C.) en 1919 ; la création, en 1956, de dix colleges of advanced technology, tous transformés après 1964 en universités technologiques ; de 1949 à 1966, la création de dix nouvelles universités (Sussex, Essex, Warwick, etc.) ; la création des polytechnics en 1966 ; la création, en 1969, de l'Open University (enseignement reposant sur des cours télévisés et radiodiffusés et permettant d'acquérir des diplômes universitaires).

Les universités traditionnelles anglaises – Oxford et Cambridge, Édimbourg – étaient, au début du xixe siècle, les lieux de formation et de reconnaissance mutuelle des membres de l'Establishment. Mais des établissements financés les uns par les Églises (pour le recrutement du clergé non mondain) et les autres par les villes se développèrent parallèlement. Les seconds répondaient aux besoins techniques d'une industrialisation dont l'infrastructure était déjà fort importante. La création de l'université de Londres allait donner une cohérence à certains d'entre eux et établir les nouvelles bases d'un enseignement constitué en système. Établissement d'enseignement et de recherche, cette université pouvait conférer également des diplômes aux étudiants ayant subi des cours en dehors de ses collèges, et cela dans beaucoup de domaines techniques. Cette concurrence ainsi que le développement de la recherche provoquèrent la réforme d'Oxford et de Cambridge, qui devinrent des lieux plus préoccupés de problèmes contemporains, en particulier dans le domaine de la recherche scientifique. Enfin, les civics universities, établissements d'un type nouveau insérés dans les villes industrielles (au contraire d'Oxford et de Cambridge), maintiennent alors un caractère pluridisciplinaire, mais mettent l'accent sur la formation des ingénieurs et se montrent également plus ouvertes aux classes moyennes. Cet ensemble permet une reproduction de l'ordre social, mais plus dynamique, plus conforme aux transformations de la classe dirigeante qu'en France ou en Allemagne.

Les universités anglaises, dès lors qu'elles ont reçu une charte royale les autorisant à décerner leurs propres diplômes, sont très autonomes, tant pour le choix de leurs professeurs (qui ne sont pas, comme en France ou en Allemagne, des fonctionnaires) que pour la détermination du contenu des cours. Leur financement fut longtemps assuré indépendamment de l'État ; mais celui-ci, lorsque le procédé perdit sa fiabilité, intervint par le truchement d'un organisme, l'U.G.C., qui, essentiellement composé d'universitaires, préserva ainsi la relative autonomie du développement des universités en devenant peu à peu un organisme planificateur de ce développement et en constituant en tout cas un organisme de réflexion. Après la Seconde Guerre mondiale, la demande à l'entrée des universités s'accrut beaucoup, tandis que les employeurs formulaient une demande nouvelle. Ayant un système de sélection très sévère et de fortes exigences pédagogiques, les universités anglaises offrent une résistance assez grande à la pression du nombre. Le Robbins Report s'en prit au problème d'une politique coordonnée de l'enseignement supérieur qui fût aussi une politique d'expansion. Posé en fait dans de multiples instances qui ne s'ignorent jamais totalement l'une l'autre, le problème de l'expansion de l'Université est surtout caractérisé, depuis 1966, par un développement de l'enseignement supérieur non universitaire avec les polytechnics. Mais les universités n'y restent pas indifférentes, et, d'une manière générale, beaucoup plus qu'en France ou en république fédérale d'Allemagne, une politique cohérente de l'enseignement supérieur semble s'être instaurée actuellement en Grande-Bretagne.

L'Université aux États-Unis

C'est à une tout autre échelle que se situe le développement des universités aux États-Unis : les établissements y sont si nombreux et si divers, les transformations si foisonnantes qu'on doit se borner ici à quelques indications. Dans la société peu intégrée que constituaient, au xixe siècle, les États-Unis, dominaient surtout des collèges techniques en tout genre, indépendamment de tout enseignement secondaire ; ils étaient loin de former l'ensemble de l'élite sociale ; c'est en vertu de telle ou telle conjoncture – économique, régionale – que peu à peu certains d'entre eux, à partir de 1860, assumèrent cette fonction. Le rôle des présidents d'université fut particulièrement important à cette époque où se mettaient en place les graduates studies, l'elective system (et donc certains éléments de sélection). Une diversité de disciplines techniques et professionnelles apparaît alors ; c'est ainsi que beaucoup d'écoles d'administration, par exemple, sont créées.

Au début du xxe siècle, les États-Unis prennent davantage la figure d'une nation et, à ce titre, ont souci de la reproduction. Le développement des grands établissements universitaires s'y poursuit par la mise en place d'une general education, mais aussi par l'élargissement de l'enseignement supérieur : la création des liberal arts colleges et des junior colleges amplifie le système de sélection ; par ailleurs, l'administration se développe, ainsi que les exigences de reproduction du système.

Depuis 1956, les universités américaines comptent parmi les lieux les plus importants de la production des connaissances et illustrent le rôle fondamental de cette dernière dans la survie d'une société fortement industrialisée. La professionnalisation des enseignants y est extrême. Les grands centres d'enseignement et de recherche – Harvard, Yale, Princeton, Berkeley, Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.), Chicago, entre autres – sont aussi traversés par des mouvements étudiants qui se caractérisent par une grande violence et sont chargés de multiples significations. Ces mouvements marquent à la fois le rôle central (par les exigences à l'égard du développement de l'Université) et critique (par les exigences à l'égard des orientations sociales et politiques, notamment en ce qui concerne le Vietnam) des universités américaines actuelles.

— Pascale GRUSON

La situation contemporaine

Depuis la fin des années soixante, les universités ont connu dans la plupart des pays de profondes transformations. Elles ont continué de subir les contrecoups d'un afflux d'étudiants sans précédent dans leur longue histoire. Cette croissance des effectifs s'est accompagnée d'une modification de la composition sociale et d'un changement de l'attente des demandeurs. En plusieurs pays, la loi a aussi modifié les institutions et introduit de nouveaux modes de gouvernement. Enfin, depuis 1973, la récession économique et le rétrécissement des débouchés offerts aux étudiants ont jeté le doute sur l'utilité de l'enseignement supérieur de type traditionnel, et les universités qui bénéficiaient d'un prestige et d'une autorité morale incontestables ont vu leur finalité remise en question et leur rentabilité pour la société contestée. Il est significatif que ces divers changements aient touché la plupart des nations développées : pareille simultanéité est une présomption qu'ils sont moins dus aux situations particulières qu'à des contraintes objectives et c'est aussi le signe qu'ils correspondent à des exigences nouvelles qui s'imposent à tous les pays.

Effectifs et débouchés

La croissance des effectifs, qui avait, dans les années soixante, submergé les établissements sous le nombre et fait craquer les cadres, s'est cependant nettement ralentie dès le début des années soixante-dix : de lui-même, le chiffre s'est stabilisé ; le renversement de conjoncture et l'incertitude qui pèse désormais sur les débouchés n'y sont pas étrangers. Pour la France, l'effectif global des étudiants est stationnaire autour de 900 000 ; soit un peu moins de 2 p. 100 de la population globale. Mais les conséquences de cette formidable poussée continuent de peser sur le fonctionnement des universités : dans les pays avancés, elles ont la charge d'une fraction de la jeunesse comprise entre 15 et 20 p. 100 d'une classe d'âge.

La démocratisation est allée de pair avec l'accroissement : à mesure que grandissait la proportion d'une classe d'âge à entrer à l'université, celle-ci recrutait dans des couches plus étendues. Sans être encore l'exacte reproduction de la société globale, la population étudiante n'est plus cette pyramide inversée qu'elle était auparavant : enfants de cadres moyens, d'employés, de petits fonctionnaires, de commerçants modestes y ont fait irruption. Cette mutation de la clientèle a modifié ses attentes : les nouvelles générations sont moins intéressées par l'acquisition d'une culture générale que préoccupées d'obtenir un diplôme qui leur assure un emploi et leur garantisse une position sociale. Et cela au moment même où l'évolution du marché de l'emploi restreint les débouchés. La substitution d'une attente d'ordre social à la demande intellectuelle traditionnelle a de grandes conséquences : elle contraint les universités, sous la pression conjointe des étudiants et de leurs familles, des employeurs, des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds, à faire une place croissante aux filières pratiques ; les universités sont ainsi l'objet d'un processus de professionnalisation qui les rapproche des écoles.

La concomitance contradictoire entre l'afflux à l'entrée et la réduction des débouchés à la sortie pose aux universités et aux responsables politiques un grave problème : doit-on maintenir l'accès ouvert à tout titulaire d'un diplôme de fin d'études secondaires (baccalauréat ou ses équivalents, tel l'Abitur) ou convient-il de proportionner le nombre des admis au volume présumé des débouchés probables ? Dans la plupart des pays, par des mécanismes différents, la formule a prévalu récemment d'une sélection, plus ou moins rigoureuse : ici a été adoptée la solution d'un numerus clausus ; ailleurs a été institué un examen de contrôle des aptitudes. Dans les démocraties populaires, le chiffre des étudiants est déterminé pour chaque discipline par les prévisions du plan. Dans les démocraties libérales, des mesures limitatives ont été adoptées. La France elle-même, qui avait écarté la sélection en 1968, y vient par étapes : elle l'a introduite dans quelques filières où la profession organisée redoutait l'engorgement des débouchés et l'abaissement consécutif des revenus : médecine, pharmacie, études dentaires, architecture. Peut-être inévitable, le recours à des formules de sélection ne règle pas entièrement le problème. Y a-t-il au reste une solution satisfaisante ? Il n'existe pas à l'heure présente de critères sûrs pour discerner les aptitudes des individus et, de surcroît, il n'est possible dans aucun pays de supputer avec quelque apparence de certitude le volume des besoins à l'échéance des quarante années qui définissent l'horizon de la carrière professionnelle des étudiants.

Le ralentissement, tantôt spontané, tantôt réglementé, de la croissance étudiante, succédant sans transition à l'irrésistible poussée des années soixante, a des effets désastreux sur la carrière des enseignants et l'avenir des établissements. Pour faire face à l'afflux, les universités avaient recruté massivement un personnel jeune : en France, l'effectif des enseignants a quadruplé en une quinzaine d'années. Le plein est fait pour trente ans. La stagnation de la demande suspend tout recrutement et la diminution de la natalité que connaissent la plupart des sociétés occidentales ferme tout espoir de voir la situation se renverser ou seulement s'améliorer. Une pyramide des âges avec une base très large et un sommet exigu interdit à la majorité des enseignants toute perspective de promotion. Cette situation engendre un malaise, tantôt diffus, tantôt explosif. Pour l'institution, c'est un risque de sclérose et de stérilisation : menace redoutable pour une institution dont la mission implique renouvellement et invention.

La diversification des missions

Depuis leur restauration au xixe siècle et en relation avec le développement de la scolarité, l'habitude était que les universités se consacrent principalement à la formation des adolescents : la préparation à la vie adulte était, avec la recherche, leur activité essentielle. Cette situation tend à se modifier : le développement de la formation des adultes, le recyclage, la reconnaissance du droit à la formation continue pour les individus, assortie, dans le cas de la France, d'une loi qui en fait une obligation pour la collectivité, créent de nouvelles tâches pour les universités. L'organisation d'activités pour le troisième âge étend leur champ d'action. Cette diversification des publics transforme les relations avec la société. La recherche exige des moyens sans cesse accrus. Les universités se voient aussi confier des missions d'animation culturelle. Si la multiplication des tâches resserre les liens, trop distendus, avec la nation, c'est un problème souvent difficile à résoudre d'établir entre elles une hiérarchie qui ne compromette pas les fonctions traditionnelles de culture, d'exercice critique du jugement et d'enrichissement du savoir désintéressé. Toutes ces activités sont onéreuses, et les gouvernements sont tentés de sacrifier les moins rentables à des critères d'utilité immédiate.

Le gouvernement des universités

Les universités étaient traditionnellement gouvernées par des institutions héritées d'un passé souvent fort ancien et où la coutume se mariait à l'application de textes séculaires. En France, elles étaient relativement jeunes : en effet, contrairement à ce qui est dit ordinairement, elles ne dataient pas de Napoléon Ier, qui n'avait fait que créer sur le papier une corporation à monopole, mais de la IIIe République, qui a été la véritable restauratrice de l'enseignement supérieur. Le gouvernement des établissements portait la marque d'un temps où les étudiants n'étaient pas nombreux et où les enseignants ne comptaient guère que des professeurs titulaires. Une modification des structures était devenue nécessaire pour conformer l'organisation aux nécessités du moment et associer les catégories qui avaient surgi depuis lors et que les dispositions traditionnelles excluaient de l'exercice de la responsabilité. En plusieurs pays d'Europe occidentale, en Allemagne, en Italie, des lois ont été votées dans les années soixante-dix par les parlements, qui ont apporté des changements importants au gouvernement universitaire. C'est en France que la mutation a été la plus radicale ; c'est en France aussi qu'elle s'est accomplie dans les délais les plus brefs : moins de six mois entre le point culminant de la crise universitaire – Mai-68 – et le vote de la loi d'orientation du 12 novembre. Les deux traits sont liés : c'est parce que la loi a été mise en chantier en pleine effervescence, pour donner une issue à une situation insurrectionnelle, qu'elle a adopté des solutions hardies et novatrices. Mais dans les autres pays les formules retenues s'inspirent de préoccupations analogues et obéissent à des principes voisins.

La loi de 1968 a été remplacée par une autre loi votée en 1983, la majorité de gauche arrivée au pouvoir en 1981 ayant estimé que le moment était venu d'adopter de nouvelles institutions. Mais la loi Savary s'inspire des mêmes principes que sa devancière et, tout bien pesé, les modifications qu'elle a introduites dans l'organisation des universités ne bouleversent pas le système dessiné en 1968. Que les changements de majorité politique aient ainsi des répercussions sur l'organisation de l'enseignement supérieur n'est pas propre à la France : en république fédérale d'Allemagne aussi, l'alternance a eu pour effet le vote d'une nouvelle loi universitaire. Le phénomène, s'il manifeste que les pouvoirs publics ne peuvent plus de nos jours se désintéresser des problèmes universitaires, ne laisse pas d'inquiéter pour l'indépendance des établissements, dont il est souhaitable qu'ils échappent aux vicissitudes des luttes politiques.

Le nouveau régime repose sur trois principes. Celui de pluridisciplinarité, qui dérive de l'interdépendance croissante des savoirs autant que des nécessités sociales, a entraîné la disparition des facultés traditionnelles constituées sur la base d'un découpage qui datait, lui, de Napoléon. Les nouvelles universités doivent être pluridisciplinaires : dans la pratique, elles le sont plus ou moins ; certaines sont restées attachées aux anciens partages, et la pluridisciplinarité rencontre la résistance des pesanteurs institutionnelles et des particularismes intellectuels. Le deuxième principe est celui de la participation : il donne satisfaction à la revendication des catégories que le régime antérieur tenait à l'écart. Il introduit dans les institutions universitaires les principes qui régissent la société démocratique : représentation de tous les intéressés et désignation des responsables par l'élection. Conformément à son inclination habituelle, la France est allée plus loin dans l'application en posant le principe de la parité entre les représentants des étudiants et ceux des enseignants permanents. Les Conseils d'université exercent les prérogatives d'un organe législatif : définition des enseignements, détermination des règles pédagogiques, vote du budget, répartition des moyens entre les unités constitutives élémentaires. Ils élisent pour cinq ans le président ; celui-ci, qui ne peut être révoqué par les autorités de tutelle ni faire l'objet d'un vote de défiance du Conseil, dispose de grands pouvoirs : il réunit ceux que la société politique distribue ordinairement entre chef d'État, chef du gouvernement et président d'assemblée. Ses pouvoirs sont à la mesure de l'autonomie qui définit le troisième principe inspirateur du nouveau régime.

C'est l'innovation la plus notable du nouveau système. Elle va en effet à l'encontre des habitudes françaises de centralisation administrative. Les nouvelles universités, au lieu de reproduire en de multiples exemplaires identiques le modèle arrêté par l'administration centrale, ont une certaine marge d'initiative. Cette autonomie, naturellement bornée, l'est par trois types de limitations : l'absence de ressources propres qui met les universités dans une dépendance presque exclusive des moyens alloués par le budget de l'État ; le statut de la fonction publique qui garantit au personnel la stabilité mais soustrait à l'initiative locale la carrière des personnes ; le caractère national des diplômes, enfin, que toutes les parties prenantes ont souhaité préserver bien que l'inspiration de la loi allât plutôt à des diplômes d'université qui eussent permis une plus grande diversité et une meilleure adaptation aux besoins des régions. Le nouveau statut n'en présente pas moins un assouplissement appréciable de la centralisation : à cet égard, les universités ont précédé la décentralisation de l'administration française, qui n'a été décidée qu'après la victoire de la gauche en 1981 ; l'autonomie des universités, qui s'était trouvée exposée en avant-garde pendant une douzaine d'années, devrait se trouver désormais confortée par la généralisation du même principe, pour peu qu'il parvienne à triompher des habitudes séculaires.

Le problème ne se posait pas dans les mêmes conditions pour les autres pays où les traditions administratives étaient différentes et où les universités avaient préservé leur autonomie. Les expériences nationales tendent néanmoins à se rapprocher : dans le temps où les universités françaises se diversifient à la faveur de l'autonomie, les universités allemandes sentent le besoin de se concerter, et la nouvelle législation leur impose des contraintes qui les subordonnent davantage à l'autorité du gouvernement. Ainsi, partant de prémisses opposées, les deux systèmes, en suivant des démarches contraires, sont aujourd'hui plus proches qu'ils ne l'étaient hier. Et pourtant l'enseignement supérieur est peut-être le domaine où les institutions nationales demeurent le plus fermées sur elles-mêmes : la construction européenne n'y a fait aucun progrès.

La crise des universités

Les universités sont partout en crise pour plusieurs raisons. Sous le poids du nombre, du fait des changements qui leur imposent un effort nécessairement douloureux d'adaptation, mais aussi à cause de l'incertitude sur leur avenir et leurs raisons d'être. La société s'interroge à leur propos. La certitude de leur utilité fondamentale est aujourd'hui ébranlée. La charge budgétaire s'alourdit jusqu'à devenir insupportable : le renversement de conjoncture qui a fait succéder la pénurie à l'abondance retentit sur les conditions de leur fonctionnement ; la part des dépenses d'enseignement dans le budget global a sans doute atteint un point extrême. On est conduit à opérer des choix en fonction de critères d'utilité qui sont chose nouvelle et d'emploi malaisé dans l'enseignement supérieur. Au surplus, l'inadéquation entre le nombre des diplômés et les possibilités d'emploi comme la discordance entre le contenu des enseignements dispensés et les exigences des professions ainsi que la forte proportion d'abandons et d'échecs affectent la confiance dans la qualité et la rentabilité du système.

L'université est aujourd'hui l'objet de critiques convergentes qui lui viennent de points opposés idéologiquement. Les esprits soucieux d'efficacité, préoccupés de rentabilité et de technicité, lui font grief d'une formation trop théorique et ignorante des réalités ; leurs préférences vont à des écoles professionnelles, à un enseignement technique ou à une formation acquise « sur le tas ». Les critiques de la société contemporaine pour des raisons idéologiques lui font un tout autre reproche : celui d'être un « appareil idéologique d'État », de reproduire la hiérarchie et de diffuser l'« idéologie dominante », c'est-à-dire celle de la bourgeoisie capitaliste et de perpétuer les inégalités sociales en intériorisant leurs postulats intellectuels. Dans le même temps, les hommes d'ordre continuent à tenir l'université pour une institution dangereuse, car ils la soupçonnent de ruiner les principes sur lesquels repose l'ordre social. Il est enfin des esprits plus radicaux, tel Ivan Illich, qui entreprennent de démontrer que la société n'a pas besoin d'enseignement, qu'un système éducatif est un luxe inutile et même un obstacle au bonheur individuel comme au développement naturel de la société.

La confrontation des changements considérables dont les universités ont été le lieu dans la plupart des sociétés depuis dix ans et des critiques articulées contre elles attestent, quelque forme qu'elles prendront dans l'avenir, que les universités vivent présentement un temps de mutation décisive pour leur organisation interne, l'exercice de leurs missions et leur relation à la société globale.

— René RÉMOND

Université et société

La fonction de reproduction

Une université est un conservatoire. Elle garde les anciens livres, elle enseigne l'histoire et les œuvres des sociétés d'autrefois. Plus encore, elle contribue grandement à créer une image des civilisations passées ou lointaines en accord avec les intérêts de sa propre société, c'est-à-dire de son ordre dominant, qui a besoin d'être transformé en discours impersonnel. Ce rôle est d'autant plus consciemment assumé que l'Université a plus clairement conscience de former une élite sociale, responsable de conduire la société mais aussi d'interpréter l'ensemble des informations disponibles. Cette fonction d'interprétation n'est donc pas séparable du maintien des inégalités sociales. Il n'est pas toujours possible de dire que l'Université aggrave ces inégalités. Dans le cas de la France, par exemple, il n'en est rien. Les chances d'accès à l'enseignement supérieur sont tellement inégales (inégalité qui, au cours des années récentes, se maintient ou s'accroît au lieu de diminuer) que les étudiants de milieu populaire forment un groupe hautement sélectionné dont les résultats scolaires ne sont pas inférieurs et sont parfois même supérieurs à ceux de la moyenne des étudiants de milieu riche. Des études américaines montrent, au contraire, que l'inégalité sociale continue à se renforcer à l'intérieur de l'université. Mais l'essentiel est que le système universitaire doit de plus en plus maintenir une sélection sociale alors que la demande en enseignement supérieur se répand très rapidement. Ce maintien peut être assuré par deux mécanismes principaux. Aux États-Unis, le système universitaire s'est diversifié : un nombre rapidement croissant d'étudiants est dirigé vers des établissements à cycle court (junior ou community colleges) qui les garantit contre une chute sociale et leur permet de participer, mais sans ascension sociale, à l'élévation générale du niveau moyen d'éducation. Ce système permet à certains d'accéder à des cycles longs et à des établissements de haut prestige. Surtout, il assure la protection des institutions supérieures qui sont à la fois professionnellement excellentes et socialement élitistes. En France, au contraire, la différenciation du système est faible. Il existe bien quelques grandes écoles, de niveau élevé et de recrutement social étroit, mais, en dehors d'elles, qui accueillent quelques milliers seulement d'étudiants, le monde immense des universités est très indifférencié. Le détournement de la poussée s'opère alors de manière beaucoup plus brutale, par l'abandon en cours d'études, qui frappe plus de la moitié des étudiants et même, dans certaines disciplines, une proportion beaucoup plus élevée encore.

Ces deux ordres d'analyse doivent cependant être fortement nuancés. Ils montrent à l'évidence que l'image complaisamment répandue de l'enseignement comme instrument d'ascension personnelle, de progrès social et comme sélection des meilleurs, indépendamment du milieu social d'origine, est très éloignée de la réalité. Mais on ne peut pas en conclure que l'Université, considérée dans sa fonction de reproduction, est un instrument direct de défense de l'élite sociale. Celle-ci ne détient pas son pouvoir des études et ne l'exerce pas avant tout dans l'ordre idéologique. Les universitaires n'assument cette fonction de reproduction que dans la mesure où ils sont une « classe de service » : légistes et administrateurs, enseignants et idéologues au service de l'ordre social dominant et souvent, plus directement, de la classe dominante elle-même, ils n'en possèdent pas moins une certaine autonomie, ne serait-ce que parce qu'ils n'appartiennent pas eux-mêmes aux catégories dirigeantes. Dans un enseignement supérieur de masse, on voit ainsi se former un milieu professionnel qui peut assurer la reproduction de l'ordre culturel et social tout en se considérant comme un groupe social très indépendant, de classe moyenne, formé lui-même par mobilité sociale ascendante et se sentant des intérêts matériels et culturels très opposés à ceux de la classe dirigeante. Ce conservatisme frondeur est d'autant plus accusé que les enseignants se trouvent plus éloignés des activités économiques, et donc des milieux dirigeants.

La fonction d'adaptation

La fonction d'adaptation de l'Université est la plus évidente, semble-t-il, et pourtant c'est celle qui est le moins clairement remplie. L'Université doit préparer à des emplois futurs. Elle doit donc aussi redéfinir constamment le tableau des formations professionnelles et l'importance relative de chacune pour s'adapter par avance aux modifications prévisibles de l'emploi.

En fait, les formations données par les universités sont de trois types principaux : des fonctions professionnelles définies en fonction d'une demande extérieure à l'Université ; des formations non professionnelles, du type de liberal arts ; des formations professionnelles définies par les activités des universités et du système scolaire dans son ensemble. L'inadaptation de l'Université est évidemment extrême dans ce dernier cas. Les anciennes facultés des lettres ou des sciences en France ont préparé environ 56 p. 100 des étudiants français en 1970 dans des filières définies surtout par les catégories de l'enseignement du second degré. Leur inadaptation aux demandes externes est évidente et les débouchés dans l'enseignement ou la recherche sont naturellement très insuffisants pour absorber tous les diplômés. Une formation professionnelle définie par l'ensemble des activités sociales est beaucoup mieux adaptée ; mais, dans une économie en changement de plus en plus rapide, il est très difficile de prévoir dix ou vingt ans à l'avance l'état du marché du travail pour les emplois de niveau élevé. Une formation générale, donnant une importance centrale à l'acquisition de méthodes générales d'analyse et d'expression, assure certainement la meilleure adaptation aux emplois futurs. Il est étrange que l'opinion publique en France soit constamment saisie des dangers de la culture générale et de la nécessité de professionnaliser davantage les étudiants, alors que le regard le plus rapide sur l'organisation des universités montre qu'elles sont très étroitement professionnalisées. Au contraire, les colleges américains luttent systématiquement contre une professionnalisation précoce.

La fonction d'adaptation va bien au-delà de la préparation à l'emploi. L'Université est l'instrument d'une adaptation beaucoup plus globale de la société à ses changements. Elle a été aux États-Unis un puissant moyen d'unification, en obligeant les étudiants à sortir d'une collectivité enfermée dans sa sous-culture nationale, régionale ou religieuse. L'Université est le lieu où se forment des modèles de relations sociales, de communication, de hiérarchie. Il est difficile d'isoler les conséquences propres d'une inadaptation de l'Université, du retard de celle-ci en matière de modernisation ou de son incapacité à produire quelque modèle de relations sociales et d'expressions culturelles que ce soit. Mais c'est à juste titre, semble-t-il, que Taine ou Renan ont accusé le système universitaire français d'être responsable de certains des retards de la société française à la fin du second Empire. À l'inverse, les universités en Europe ou en Amérique latine ont joué un rôle essentiel dans le développement, au xixe et au xxe siècle, d'une classe moyenne « modernisante » et nationaliste. Enfin, dans la France contemporaine, les voix les plus diverses ont dénoncé l'inadaptation de l'Université, qui freine, au lieu de la promouvoir, la recherche de nouvelles formes de connaissance et de communication.

La fonction de production

Très limitée pendant longtemps, la fonction de production de l'Université a connu récemment un développement spectaculaire. Celle-ci est souvent le principal organisme de recherche. Dans certaines universités, les fonds de recherche constituent l'essentiel des ressources. C'est le cas de certains des établissements les plus renommés des États-Unis, comme le Massachusetts Institute of Technology. La préparation à la recherche, assurée par l'Université, ne conduit pas seulement à des fonctions universitaires. Aux États-Unis, la majorité des Ph. D. scientifiques est employée en dehors de l'Université. L'économiste F. Machlup a pu parler des Knowledge Industries, ensemble, il est vrai, hétéroclite, mais réunissant des activités économiques qui traitent de l'information et non des matières premières « naturelles ». De l'informatique au cinéma, de l'enseignement aux soins médicaux, ces activités représentent plus du quart du produit national des États-Unis – et probablement de l'Union soviétique – et croissent plus rapidement que tout autre type d'activité. La notion de « tertiaire » reçoit enfin un sens clair et utile si, au lieu d'amalgamer tous les types de « services », elle désigne les activités dont la croissance dépend avant tout de la production et de l'utilisation de la connaissance. Une telle société donne à l'instruction un rôle nouveau comme principe de hiérarchisation sociale. Il est vrai que l'instruction semble avoir déjà ce rôle dans les bureaucraties anciennes, et en particulier en Chine. Mais ce rappel montre plutôt toute la distance qui sépare une reproduction au service d'un appareil d'État et d'un ordre social et culturel et une production qui devient le moteur, le principe de changement d'une société de plus en plus technocratique et donc « méritocratique ». Si la fonction de reproduction fait de l'Université un agent de la classe dirigeante, sa fonction de production fait d'elle plus directement un élément de la classe dirigeante. D'une part, en effet, cette œuvre de production requiert des ressources, des crédits de recherche, qui sont accordés en fonction des besoins des grands appareils économiques et politiques ou en fonction de l'influence politique des divers groupes sociaux, ce qui renforce l'inégalité de traitement des divers ordres de connaissance. Les liens ainsi établis entre l'Université, les grandes entreprises et les opérations militaires du gouvernement ont été dénoncés, surtout aux États-Unis, par le mouvement étudiant. D'autre part, l'Université agit elle-même comme appareil dirigeant. Elle tend à monopoliser les ressources que la société consacre à l'éducation, à développer sa propre puissance au détriment de l'élévation optimale du niveau d'éducation ou de l'égalisation des chances. La plupart des pays industrialisés sont arrivés au moment où il leur faut choisir entre le développement de systèmes universitaires et la création d'une éducation permanente qui serait vraiment destinée à redonner des chances à ceux qui ne les ont pas eues ou à protéger ceux qui sont menacés par des changements technologiques et économiques.

Les chercheurs s'identifient parfois à la classe dirigeante ; plus souvent, ils se contentent de chercher à développer leurs moyens de travail, la puissance de leurs laboratoires, sans s'interroger sur les implications sociales de leur action. Surtout, leur rôle de production de connaissance tend à les professionnaliser de plus en plus et, par conséquent, à leur faire créer une « rhétorique » centrée sur le rôle culturel de la science et indifférente aux conditions sociales d'exercice de celle-ci. Cette rhétorique résiste aux pressions exercées par les détenteurs du pouvoir politique et économique ; elle résiste aussi, et plus vivement en général, à une contestation de sa « pureté » et aux demandes des étudiants, en matière d'éducation ou de relevancy sociale des recherches. Dans le système américain, cette double réaction a dominé le comportement des professeurs au cours de la crise universitaire, les enfermant dans un libéralisme abstrait, qui s'est presque toujours traduit par une attitude conservatrice. Une minorité de chercheurs a poussé très loin la critique de la recherche et de l'activité scientifique elle-même.

Triomphe ou déclin de l'Université

Les fonctions que tout système universitaire doit combiner de quelque manière pour exister sont assez différentes les unes des autres pour que la prise en charge simultanée par la même unité organisationnelle soit très difficile. On peut imaginer facilement un éclatement du système universitaire qui ferait se juxtaposer des instituts de recherche, des écoles professionnelles, de liens de transmission de l'héritage social et culturel. Mais ces trois fonctions peuvent, au contraire, se superposer. Un niveau de base, correspondant à une prolongation de l'enseignement secondaire, assurerait la fonction de reproduction. Telle fut, par exemple, l'idée centrale de R. Hutchins dans sa réforme du collège de l'Université de Chicago dans les années trente. Tel est le rôle des classes de préparation aux grandes écoles ou des instituts d'études politiques en France. Au-dessus viennent les études graduées, de plus en plus professionnalisées ; enfin, les instituts de recherche. Mais ces fonctions peuvent être indépendantes les unes des autres.

On voit ainsi s'opposer deux types extrêmes : le type franco-soviétique, défini par la séparation organisationnelle des fonctions ; le type américain, caractérisé par leur coexistence à l'intérieur des mêmes unités universitaires.

La situation de la Grande-Bretagne et de la république fédérale d'Allemagne est intermédiaire, mais, en fait, plus proche du type français. Elle est surtout dominée par la résistance de l'organisation universitaire à une expansion rapide et, en conséquence, par la création d'un système dualiste : universités et polytechnics en Angleterre, universités et technische Hochschulen en Allemagne. La fonction de reproduction est ici prédominante dans les centres universitaires ; la fonction d'adaptation est considérée comme inférieure et la fonction de production de la connaissance est de plus en plus assumée par des instituts indépendants. En France, l'éclatement est presque total. Il reste très marqué, même dans le domaine des sciences de la nature, où cependant les anciennes facultés des sciences jouent un rôle important dans la recherche, alors que les anciennes facultés des lettres ne jouent en cela qu'un rôle négligeable limité aux disciplines économiques et sociales. La médecine, depuis la création des centres hospitalo-universitaires (C.H.U.), offre un exemple, de tendance inverse, de réunification de plusieurs fonctions dans la même unité organisationnelle.

Le cas des États-Unis est le plus important : aucune nation n'a poussé aussi loin la généralisation de l'enseignement supérieur ; les réalisations scientifiques de ce pays le mettent au premier rang dans tous les domaines, et non seulement dans certains comme en Union soviétique ; enfin, la multiplicité des formations professionnelles y reste aujourd'hui fidèle à l'esprit de « station-service » proclamé par les grands réformateurs du système universitaire américain à la fin du xixe siècle. Quelles sont les implications de ces formules si diverses ? L'éclatement du système universitaire indique une suprématie de l'élite dirigeante et du pouvoir étatique de la société. Le monde de la production domine le monde professionnel et assure le contrôle idéologique de la population grâce à la fonction reproductrice de l'Université. Celle-ci n'est capable ni d'adaptation autonome, ni de débat politique et culturel : elle est soit essentiellement conservatrice, soit réduite à un service administratif. Dans l'un et l'autre cas, elle n'a pas de poids dans la conduite de la société. Tout au plus les enseignants-chercheurs interviennent-ils pour défendre certains avantages ou certaines libertés pour eux-mêmes. C'est seulement l'interdépendance des trois fonctions dans le même ensemble qui permet à l'Université de limiter sa dépendance à l'égard du pouvoir. L'héritage du passé sert alors de défense contre l'emprise du pouvoir présent ; l'adaptation au changement est une réponse aussi au conservatisme des instances dominantes qui cherchent à maintenir l'ordre social et culturel qu'elles contrôlent. L'existence d'un système universitaire intégré apparaît ainsi comme un signe capital de la démocratisation ; et le mouvement étudiant peut être regardé, dans de nombreux cas, comme une protestation contre son démembrement et comme un effort pour lui donner plus d'indépendance. Il est vrai que, dans un système universitaire profondément décomposé, comme en France, ce mouvement étudiant est lui-même atteint par cette décomposition et, souvent, l'aggrave. Une société ne possède un système universitaire que dans la mesure où elle a un projet politique de développement ; un tel projet lui fait défaut lorsqu'elle baptise objectivité et indépendance l'acceptation aveugle de l'emprise des forces dirigeantes et la réduction de la défense de la liberté par l'Université à la défense des libertés corporatives des universitaires. Il ne convient pas de dire que l'on assiste, dans la société moderne, au déclin général des universités ; mais il est vrai qu'à l'Ouest comme à l'Est l'Europe, où naquit (à Berlin) et se diffusa le modèle universitaire dominant du xixe siècle, semble entraînée aujourd'hui dans une impuissance générale à entrer consciemment dans la société postindustrielle, ce qui la conduit à renoncer de plus en plus à cet indispensable instrument d'action responsable qu'est l'Université.

— Alain TOURAINE

Université et politique du savoir

L'Université n'est pas faite pour qu'une classe privilégiée se reproduise indéfiniment. Elle n'est pas faite non plus pour que le pouvoir des amphithéâtres se joigne au pouvoir de la rue contre le pouvoir des élus (mais la révolte étudiante est toujours le signe d'une crise plus générale, qu'elle exprime et qu'elle attise, sans la créer). Ni bastille de caste ni foyer d'insurrection, l'Université est faite pour l'élaboration critique du savoir, pour la transmission méthodique du savoir, pour la remise en question perpétuelle du savoir.

L'Université en France, l'une des plus libérales qui soient au monde, a failli périr non de son libéralisme mais de son archaïsme. C'est curieusement dans le domaine du savoir, de la conception et de l'organisation du savoir, non dans le domaine du prestige et de l'autorité, qu'elle a faibli, qu'elle aurait pu être emportée. Les contradictions de notre société se sont réfléchies en elle, s'y sont exacerbées, mais elle n'était nullement prête pour les résoudre.

Le vrai est qu'elle était désadaptée (et qu'elle n'est pas encore réadaptée). Insensiblement, elle avait décollé et du processus de production réelle de la science et du processus de diffusion réelle des connaissances.

Production de la science

Depuis des années, la production réelle de la science ne passe plus par la division des lettres et des sciences, ni même par la distinction des sciences humaines et des sciences exactes ou naturelles (maints épistémologues observent qu'un même « patron » logique tend à s'imposer pour les unes et pour les autres).

Surtout, ce qu'on appelle «  culture générale » n'est plus qu'une culture résiduelle, à l'heure où l'essor des sciences et des techniques change le visage de l'homme et substitue au monde de la perception un monde du calcul (et des applications du calcul).

Enfin, par l'effet d'une spécialisation croissante, les tâches d'initiation et d'enseignement se laissent de plus en plus distancer par les tâches de recherche et d'approfondissement. D'où une triple nécessité : en premier lieu, articuler autrement les disciplines, ce qu'on a commencé à faire après 1968. En deuxième lieu, forger pour un nouveau type de savoir un nouveau type de sagesse : les notions d'université critique, de savoir critique postulent que les praticiens de la science soient aussi ses théoriciens et que ses théoriciens deviennent ses juges ; une philosophie de la vie personnelle et sociale est à réinventer, à partir de chaque science, de chaque branche ou de chaque forme du savoir. Enfin, redéfinir le rapport de deux fonctions distinctes : celle d'enseignant et celle de chercheur ; il est d'excellents pédagogues qui ne cherchent rien, pas même en pédagogie, et il est des chercheurs qui sont de mauvais pédagogues ; en admettant qu'un chercheur ait intérêt à enseigner, ne serait-ce que pour clarifier ce qu'il sait, il n'est pas sûr que chercher et enseigner doivent se faire dans le même temps : les deux tâches pourraient alterner au cours d'une même carrière.

Pratiquement toutes les sciences, mais aussi toutes les techniques, tous les arts et métiers et chacun des beaux-arts sont mûrs aujourd'hui pour une intégration à l'enseignement supérieur. Il devrait donc y avoir des universités de tout, et ces universités pourraient toutes être professionnelles (problème des débouchés) pourvu qu'aucune ne soit que professionnelle (chacune ayant à inclure son supplément critique et son secteur de pointe).

La difficulté est de faire voisiner dans une même université un conservatoire culturel (héritages du passé, sciences cumulatives et documentaires), des écoles d'apprentissage (et aussi bien de recyclage), des instituts de recherche fondamentale. Cette variété est pourtant indispensable pour que des traditions, des habilitations et des inventions se fécondent mutuellement. De plus, ce mélange ne fortifierait aucun conformisme, bien au contraire. Avec les ghettos littéraires, on a eu des velléités de révolution par la générosité du rêve et la rhétorique de l'injure. Avec des universités réalistes et critiques, on aurait une éclosion moins bruyante mais plus efficace de projets de société, de programmes d'action morale, sociale et politique.

Diffusion des connaissances

La diffusion réelle des connaissances ne passe plus par l'école, le collège ou l'université classique. L'accès à la connaissance se fait par bien d'autres canaux, et il devient ridicule de délimiter un temps d'acquisition des connaissances, quand on sait que le plus important de nos jours n'est pas d'avoir appris, mais de pouvoir sans cesse apprendre et réapprendre (formation continue, éducation permanente).

En outre, la relation de l'enseignant et de l'enseigné se rapproche d'un modèle égalitaire : non que les compétences soient à égalité, mais parce que l'acte d'enseignement n'est fructueux que s'il préserve une égalité de dignité, en supposant ou en suscitant un désir réciproque d'échange, de communication ; c'est en quoi l'école contrainte est un genre faux, en quoi l'enseignement des adultes est paradoxalement plus naturel, plus authentique (l'adolescent et même l'enfant contemporains exigent qu'on les traite en adultes, bien qu'à l'occasion ils se conduisent encore de façon puérile).

Enfin, il est regrettable, il est stupéfiant que l'Université de France n'ait pas « accompagné » l'expansion de l'enseignement de masse. Elle s'est contentée d'ajouter à la « massification » du secondaire la « massification » du supérieur, tout en gardant (à peu de chose près) des méthodes humanistes, « élitistes », dont le rendement sur la masse est forcément médiocre.

Le sens de l'évolution était pourtant clair : de même que l'allongement de l'obligation scolaire conduisait à une « secondarisation » massive, de même l'afflux dans l'enseignement secondaire et la baisse de qualité qui en résulte devaient conduire (auraient dû conduire) à un prolongement original du côté de l'enseignement supérieur, non seulement à un supérieur de masse, mais à un supérieur capable d'accueillir et de promouvoir la masse. Parce que les âges de maturation psychique n'étaient plus les mêmes, parce que les effectifs enflaient, parce que, aussi, les filières de formation se compliquaient, il fallait modifier d'un coup l'ensemble des cycles d'étude. En particulier, il est néfaste de maintenir trop longtemps le lycée à clôture et il est vain de déverser dans les universités des bacheliers qui n'y sont pas préparés.

Quand le secondaire s'ouvre à tous, le supérieur ne peut que s'ouvrir à son tour, se démocratiser comme les autres degrés ; mais il doit commencer plus tôt, les lycéens âgés ne supportant plus la tutelle, et il doit se différencier, admettre une progressivité, inculquer la méthode de travail qui lui est propre, avant de décréter sa mise en œuvre. Il devrait désormais se faire à deux niveaux : un niveau de perfectionnement secondaire ; un niveau d'approche, puis de pratique de la science avancée. On avait prévu et hiérarchisé la communale, le lycée, la faculté. Il convient d'introduire la préfaculté, car il y a place pour une étape intermédiaire entre le lycée et l'université ; il y a place pour un secondaire supérieur qui assurera la transition du secondaire au supérieur ou qui, dans de nombreux cas, servira de terminus (provisoire ou définitif). La fondation de collèges universitaires, regroupant la dernière année de lycée et les deux premières années de faculté, eût dispensé de multiplier les universités, de les disséminer, mais elle eût propagé utilement des centres de culture supérieure, puisqu'il paraît inéluctable qu'un enseignement supérieur de premier niveau s'implante dans toutes les villes. Une solution de ce genre répondrait aux exigences conjointes de la psychologie des jeunes, de la sociologie de l'éducation, de la démographie, de la géographie urbaine.

Autonomie et création

L'idée d'université est ambiguë depuis l'origine. Une communauté de savants administrant eux-mêmes la totalité du savoir évoque en effet une défense de prérogatives par des réflexes corporatistes. Mais l'intention première était autre : la science n'est la science que si elle se gère elle-même, si elle est libre. Dans ce sens, université et autonomie sont synonymes.

Toutefois, cette autonomie n'est justifiée que si elle est féconde et créatrice, apte à se contester autant qu'à se défendre. Car à quoi bon l'immunité, l'exemption, les franchises, si la liberté du corps universitaire ne concerne en rien la liberté de tous, si elle n'est le symbole et la garantie que pour tous les hommes l'union du doute et de la connaissance, de l'inquiétude et du progrès peut être libératrice ?

De plus, l'autonomie des universités n'a pas besoin d'être insulaire pour tenir en lisière ou en échec des intérêts étrangers à la science. Il suffit à l'Université de ne coopter que des partenaires qui souscrivent à sa charte. Elle a décidé de faire participer les étudiants et de recevoir en ses conseils quelques non-universitaires. C'est un premier pas (d'ailleurs hésitant, et malhabile dans certaines de ses modalités). Un second pas reste à franchir : instituer le pouvoir universitaire comme tel, car le savoir, la possession et le partage du savoir représentent plus que jamais une force d'avenir, mais instituer ce pouvoir (ce sixième pouvoir réel, après le législatif, l'exécutif, le judiciaire, l'économique, l'informatif) de façon que tous les citoyens d'une région ou d'un pays aient à déterminer ses grandes options et à protéger son indépendance. Non, les élèves n'éliront pas leurs professeurs. Mais c'est la population entière qui, demain, aura vocation pour apprécier directement et approuver distinctement une politique du savoir. L'Université ne sera plus une enclave quand un peuple hautement scolarisé et cultivé prendra sur lui de déchiffrer et d'assumer tout ce qu'impliquent les responsabilités de la pensée. Il y faudra un long parcours. Mais, à échéance, ce droit de regard est acquis.

Au xiie siècle, c'est à Montpellier et à Salerne que siégeaient les principales écoles de médecine d'Occident. La grande et prospère cité languedocienne entretenait des contacts avec la médecine hébraïque, représentée dans de nombreuses communautés juives du Midi, et une ouverture vers la médecine arabe, notamment par l'Espagne musulmane. En 1181, le comte Guilhem VIII accorda à quiconque le désirait le droit d'ouvrir une école de médecine à Montpellier. Peu à peu, ces écoles s'organisèrent en une corporation. En 1220, le légat pontifical Conrad donna à l'université de médecine de Montpellier ses premiers statuts officiels ; elle était placée sous la juridiction de l'évêque de Maguelone, mais le chancelier devait être pris parmi les docteurs eux-mêmes. Par la suite apparurent des universités d'arts (vers 1240), de droit (vers 1260) et de théologie (1421) ; elles restèrent très inférieures en réputation à l'université de médecine ; néanmoins, l'université de droit, dont les premiers professeurs avaient été formés à Bologne, contribua au succès du droit romain en France, et certains des grands « légistes » du roi, comme Guillaume de Nogaret (1260 ?-1313), en sont issus. L'université de médecine recevait des étudiants de tout l'Occident. Tout étudiant en médecine devait avoir suivi une formation préliminaire en arts ; les études de médecine proprement dites duraient cinq ou six ans. Le pape Clément V en fixa définitivement le programme en 1309 ; l'essentiel était la lecture des principales autorités (Hippocrate, Galien, Avicenne) et des commentaires de certains médecins juifs, arabes et salernitains (Constantin l'Africain). Une place plus grande qu'à Paris était, cependant, faite aux exercices pratiques : pendant l'été, les futurs médecins devaient effectuer des stages à Montpellier ou au-dehors auprès de praticiens ; à partir de 1340, l'université reçut, tous les deux ans puis tous les ans, le cadavre d'un supplicié pour organiser une dissection. Les médecins les plus célèbres du xive siècle, qui soignèrent les princes et les papes, furent presque tous formés à Montpellier car les écoles de Salerne étaient alors tombées en complète décadence. Citons Arnaud de Villeneuve, très versé aussi en alchimie, Bernard de Gordon, Gui de Chauliac, dont la Grande Chirurgie (1367) montre qu'à l'inverse de ses collègues parisiens il ne méprisait ni l'anatomie descriptive ni la pratique chirurgicale. Enfin, l'université de médecine contrôlait, comme ailleurs, l'exercice légal de la médecine et surveillait les corporations de chirurgiens et de barbiers. De 1380 à 1480 environ, l'université de Montpellier semble avoir connu de graves difficultés (concurrence des nouvelles universités ou absence de salaires fixes pour les professeurs ?) ; ses effectifs tombèrent à quelques centaines d'étudiants. Après 1498, elle retrouva vigueur grâce à des subventions royales et sut se montrer accueillante aux humanistes (Rabelais y enseigna). Elle souffrit beaucoup des guerres de religion. Sous Henri IV, elle passa pendant quelques années sous le contrôle des calvinistes qui lui fournirent, en droit et en arts, des professeurs remarquables comme les humanistes Pacius et Isaac Casaubon. Puis vinrent la réaction catholique et le déclin. Les Jésuites mirent la main sur les classes de lettres et de théologie. L'université de médecine resta, cependant, la meilleure de France car elle sut introduire dans son enseignement les disciplines scientifiques modernes (botanique, chimie) et compta au xviiie siècle quelques professeurs illustres comme Bordeu et Barthez. La Révolution supprima l'université de Montpellier en 1792, mais on y rétablit dès 1795 une école de médecine. Cela témoigne de la permanence d'une vocation intellectuelle, et principalement médicale, dont le rayonnement s'est poursuivi jusqu'à l'actuelle université montpelliéraine.

— Jacques VERGER, « MONTPELLIER UNIVERSITÉ DE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 16 novembre 2018. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/universite-de-montpellier/

Les universités qui apparaissent et se multiplient au cours des trois derniers siècles du Moyen Âge sont des institutions profondément originales à tous égards. Le mot universitas signifie, dans le latin médiéval, « communauté ». L'universitas studiorum est une forme originale de communauté, qui se régit elle-même et échappe aux contraintes du droit commun. Non moins originale est la tentative d'une approche universelle de la connaissance, d'universalisme de la pensée et du raisonnement, réalisée par la scolastique universitaire à son apogée. Les conséquences – tantôt heureuses, tantôt malheureuses – en sont l'insertion du monde universitaire dans toutes les fonctions sociales. L'université joue un rôle politique, mais elle est elle-même un élément des politiques et des nationalismes naissants. La même scolastique, en quoi s'étiole rapidement la spéculation théologique, est l'instrument d'une rénovation de la pensée scientifique et s'ouvre en définitive sur l'humanisme.

La corporation universitaire

L'indépendance

C'est d'un besoin d'indépendance que sont nées les universités. Indépendance envers l'autorité ecclésiastique, tout d'abord : la plupart des universités de la première génération, celles de Bologne, d'Oxford ou de Paris, se sont constituées en réaction contre l'évêque qui, par l'intermédiaire de son écolâtre ou de son chancelier, gouvernait les écoles établies à l'ombre de sa cathédrale ; les maîtres et les écoliers se plaçaient hors du clergé hiérarchisé et situaient leurs spéculations hors des contraintes épiscopales. Indépendance, aussi, envers le pouvoir laïque : toutes les armes furent bonnes, grève ou sécession dans une autre ville, pour faire reconnaître l'exemption de la juridiction laïque et l'indépendance intellectuelle que consacrèrent des statuts octroyés par le Saint-Siège. Car c'est à l'appui pontifical que les universités doivent d'avoir gagné leur indépendance. Les papes y trouvaient – de même que dans la fondation des ordres mendiants, à peu près contemporaine – le moyen d'assurer leur autorité et de contrôler directement la formation des clercs et la pureté de la foi. C'est dire le rôle déterminant joué, dans la fondation des premières universités, par les légats pontificaux.

Universités médiévales : naissance des Universités médiévales

Universités médiévales : naissance des Universités médiévales

tableau

Date de fondation des universités du XIIe au XVe siècle.

Crédits : Encyclopædia Universalis France

Les princes comprirent vite qu'ils avaient intérêt à s'accommoder de la corporation universitaire, pépinière d'administrateurs, de juges et de conseillers, dont le prestige rejaillissait sur la ville et sur le prince. Les créations des xive et xve siècles sont souvent le fruit des ambitions princières et des rivalités régionales. Assurées en droit de leur indépendance, elles étaient en fait de plus en plus liées aux gouvernements laïques. Le lien qui les unissait au Saint-Siège s'estompait facilement en un temps où celui-ci était disputé, voire attaqué par les conciles réformateurs. Les universités de Plaisance ou de Pise concouraient à la gloire des Visconti ou des Médicis, celle de Paris aux œuvres du régent Bedford. Il n'était plus question d'indépendance.

L'organisation

L'université médiévale est organisée en établissements qui se gouvernent eux-mêmes. Les facultés des « arts », que l'on rencontre partout, ont pour fonction l'enseignement secondaire, celui des « arts libéraux ». Les étudiants, jeunes (de 14 à 20 ans environ) et nombreux (plusieurs milliers dans les grandes universités du xve siècle), sont souvent répartis en groupes linguistiques et nationaux. Les autres facultés, correspondant à l'enseignement supérieur, sont inégalement établies, et inégales en réputation : ainsi, Paris, célèbre pour les arts et la théologie, n'a pas de faculté de droit civil, cependant que Montpellier brille pour la médecine et le droit civil, et Bologne par ses enseignements juridiques.

Tous ces établissements se gouvernent selon des statuts différents. À Bologne, les écoliers régissent matériellement l'université. À Paris, au contraire, les maîtres ont la réalité d'un gouvernement auquel sont associés les écoliers. Partout, procureurs, recteurs, doyens, chanceliers sont élus, et les maîtres sont choisis par leurs pairs. Maîtres et écoliers du xiiie siècle sont souvent itinérants, établis pour quelques années dans une université ou dans une autre, ce qui donne à la formation universitaire un caractère universel. La multiplication des universités et le rétrécissement de leur aire de rayonnement met fin à cette itinérance.

L'université dispose parfois, surtout à la fin du xve siècle, de locaux propres, mais l'enseignement se dispense plus généralement au domicile des maîtres, dans les salles ou chapelles des couvents, dans les collèges enfin. Ces collèges ne sont pas autre chose que des résidences pour écoliers boursiers. Fonder un collège en le dotant d'un certain nombre de bourses est une des formes du mécénat. Des collèges sont devenus célèbres, comme celui que fonda à Paris en 1257 le chapelain de Saint Louis, Robert de Sorbon, ou comme le collège d'Espagne fondé à Bologne en 1364 par le cardinal Albornoz. D'autres restèrent plus modestes : au xve siècle, Paris en comptait une cinquantaine, où ne vivaient qu'une faible partie des étudiants, la plupart logeant à l'auberge ou chez l'habitant.

Dès le xiiie siècle, la fonction enseignante s'érige en profession. Les maîtres vivent de la rétribution que versent leurs auditeurs et du revenu de leurs bénéfices ecclésiastiques. L'intrusion des ordres mendiants, qui récusent le principe d'une rémunération du savoir, fait donc scandale. L'enseignement est-il un moyen de gagner sa vie, ou une façon de prêcher la parole de Dieu ? La crise est aggravée du fait que les Mendiants jouissent du prestige des ordres neufs et qu'ils détournent vers leurs maisons vocations et offrandes. On assiste donc à une éviction progressive, par les maîtres séculiers, des Dominicains et des Franciscains, qui auraient pu être un ferment de renouvellement en matière théologique.

Les fonctions universitaires

L'enseignement traditionnel

La scolastique est une technique qui fonde sur la compréhension des textes faisant autorité une analyse formelle conduisant à l'énoncé de la vérité et à ses applications. Analyse grammaticale et sémantique, d'abord, qui précise le sens littéral d'où l'on s'élèvera à l'interprétation symbolique et morale. L'enseignement est avant tout une lecture commentée, un essai d'interprétation, de clarification et d'harmonisation des textes. La lecture conduit à une discussion originale des propositions tirées des autorités. Les étudiants y jouent un rôle fort actif, le maître se réservant de poser la « question », de redresser les jugements et de rassembler les arguments pour la synthèse finale. La scolastique à ses débuts fut l'instrument grâce auquel les universitaires clarifièrent la pensée médiévale. Aux aristotéliciens du xiiie siècle, Thomas d'Aquin en premier lieu, elle a permis de tenter une rationalisation de la foi en mettant en accord la pensée antique et la doctrine chrétienne. Les maîtres d'Oxford ont jeté les bases d'une conception rénovée de la connaissance, et Roger Bacon a montré l'unité du savoir, théologie comprise. Au xive siècle, Guillaume d'Ockham fondait à Oxford la logique expérimentale, Jehan Buridan pressentait à Paris les lois de la physique et les juristes organisaient un droit cohérent.

La sclérose guettait. Elle fut l'un des fruits du dogmatisme. Elle fut aussi la conséquence de la piété mystique qui se développait et rejetait toute conciliation de la raison et de la foi, celle-ci étant une connaissance en soi. La scolastique elle-même portait ses propres germes de sclérose, car la dialectique devenait une fin et un simple jeu de l'esprit. Le formalisme l'emportait. L'université souffrait aussi du mal auquel avaient été sujets les grands ordres monastiques : elle était devenue riche et puissante, elle s'était compromise dans les affaires du monde. Les maîtres formaient une aristocratie privilégiée ; les docteurs de Bologne avaient des armoiries et ceux de Paris jouaient aux hommes d'État. Quant au rayonnement universel qui avait auréolé les grandes universités du xiiie siècle, il était incomparable avec les universités provinciales du xve. Presque partout, la sclérose s'aggravait d'un rétrécissement des horizons.

Fonction politique

Les écoles du xiie siècle avaient fourni aux princes nombre de leurs plus efficaces collaborateurs. Les universités ne pouvaient que prendre une part déterminante à la vie politique, alors que grandissait à travers toute l'Europe le rôle des administrateurs. On trouva désormais maîtres et anciens élèves de l'université dans les conseils et les principaux rouages de l'État. Disposer d'une telle pépinière était donc pour les princes une nécessité, qui contraria la vocation universaliste de l'enseignement universitaire. Il fallait contrôler l'instrument de la formation d'une élite frottée de logique et de droit. À cette fin répond la création de bien des universités des xive et xve siècles : Prague et Cracovie, Turin, Aix, Dole et Louvain. C'est pour ne jamais dépendre des universités étrangères à leur domination – le droit civil s'enseignait à Orléans, et non à Paris – que Bedford et Henry VI créèrent celles de Caen et de Bordeaux, cependant que Charles VII suppléait à la perte de Paris en créant celle de Poitiers.

Le Grand Schisme (1378-1417) donna aux universitaires l'occasion de se mêler de politique en tant que corps. Ils donnèrent sur la légitimité des papes une opinion plus ou moins écoutée et s'affrontèrent pour jouer un rôle dans la détermination des souverains à l'égard de Rome ou d'Avignon. Les maîtres parisiens se posèrent en défenseurs des « libertés de l'Église », c'est-à-dire de leurs privilèges et de leurs bénéfices. Ils méritèrent ainsi une grande audience devant les Conciles de Constance (1414-1417) et, surtout, de Bâle (1431-1449). Mais les palinodies d'un concile qui dura dix-huit ans, souvent dans l'anarchie, minèrent la réputation des universitaires qui le dominaient par le nombre et la loquacité. À la même époque, le procès de Jeanne d'Arc avait usé le crédit des Parisiens. On ne tint plus guère compte de leur avis.

Vie littéraire et culture

L'université n'était pas, comme les anciennes écoles épiscopales ou monastiques, un simple organe de préparation aux fonctions cléricales. Des jeunes gens qui se pressaient dans les facultés des arts, seul un petit nombre se destinait à la théologie. Dès le xive siècle, les marchands de Florence envoyaient leurs fils compléter à l'université le rudiment acquis dans les écoles laïques. Par besoin intellectuel ou par souci de carrière, le monde laïque se pressa à l'université.

La scolastique supposait la lecture des textes par tous, donc la multiplication des copies à bon marché. Copistes et libraires des universités diffusèrent le goût des livres parmi les laïques. À côté des manuscrits précieux qui continuaient une longue tradition, il y eut des manuscrits maniables et de petit format, sans calligraphie ni enluminures. Jusque-là objet d'art, le livre n'était plus qu'instrument de culture. L'imprimerie, qui multipliait les exemplaires sans diversifier les fautes de copie, trouva donc dans les milieux universitaires un accueil favorable. C'est à la Sorbonne que fut installée par le recteur Guillaume Fichet la première presse parisienne.

Les maîtres de droit et, surtout, des arts s'ouvrirent plus volontiers que les théologiens aux courants nouveaux de pensée. Familiers de la rhétorique antique, ils découvrirent les philosophes en tant que tels. Soucieux de critique textuelle, ils allèrent aux originaux grecs. Il y avait cinq chaires de grec à Bologne en 1465. Dès le début du xve siècle, l'enseignement des humanités était assuré à Bologne et Padoue. On enseigna la poésie latine à l'université médicéenne de Pise. Lefèvre d'Étaples enseignait à Paris la grammaire et Robert Gaguin le droit canonique. À la fin du xve siècle, les universités étaient, avec les cours princières et en liaison avec celles-ci, les grands foyers de l'humanisme.

— Jean FAVIER

Bibliographie

M. Bayen, Histoire des universités, coll. Que sais-je ?, P.U.F., Paris, 1973

S. Irsay, Histoire des universités françaises et étrangères depuis les origines jusqu'à nos jours, Paris, 1933

J. Le Goff, Les Intellectuels au Moyen Âge, Paris, 1957

H. Rashdall, F. M. Powicke & A. B. Emden, The Universities of Europe in the Middle Ages, 3 vol., Oxford, 1936

P. M. Renucci, L'Aventure de l'humanisme européen au Moyen Âge (IVe-XIVe siècle), Paris, 1953

J. Verger, Les Universités au Moyen Âge, P.U.F., 1973.

Pour citer l’article

Jean FAVIER, « MOYEN ÂGE - Les universités médiévales », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 16 novembre 2018. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/moyen-age-les-universites-medievales/

Université

Sauter à la navigation

Sauter à la recherche

Cours de mathématiques à l'université technologique d'Helsinki.

Une université est une institution d'enseignements supérieurs, d'études et de recherches, constituée par la réunion de divers établissements nommés suivant les traditions « collèges » ou « facultés », « instituts », « départements », « centres », « sections », « unités » ou écoles spécifiques, mais aussi bibliothèque ou atelier, médiathèque ou musée… formant un ensemble administratif cohérent avec un statut de droit défini, public, privé ou éventuellement mixte. Sous cette égide légale et administrative sont ainsi rassemblées ou monopolisées la production (recherche), la conservation (publications et bibliothèques) et la transmission (études supérieures) de différents champs choisis d'études et de connaissance.

Le mot universitas attesté entre 1214 et 1218 en latin médiéval, dans la pratique de juristes, désigne une communauté, une assemblée ou une corporation, ici, de maîtres et/ou d'élèves universitas magistrorum et scolarium, il est emprunté au vocabulaire des organisations marchandes, en particulier des guildes de commerce et corporations régulant des activités de services marchands1,2. Ces corporations universitaires spécifiques ne caractérisent les premières et rares concentrations d'écoles d'enseignement supérieur de l'Europe méridionale et occidentale qu'à partir de la fin du premier tiers du XIIIe siècle. Il s'agit d'un statut qui permet de faire face aux autorités de l'école ecclésiastique, aux bourgeois de la ville réunis en assemblées ou en communes, voire au besoin à l'autoritarisme régalien ou papal3.

Aux États-Unis, au moment où les universités de ce pays commençaient leur ascension qui devait les mener au niveau qu'elles ont aujourd'hui, Peirce4, un philosophe américain, a défini en 1891 l'université comme « une association d’hommes […] dotée et privilégiée par l’État, en sorte que le peuple puisse recevoir une formation [guidance] intellectuelle et que les problèmes théoriques qui surgissent au cours du développement de la civilisation puissent être résolus ». La définition de Peirce renvoie au latin classique où l'expression universitas hominorum (« association d'hommes ») désigne ce que nous nommons aujourd'hui une personne morale ou une personne juridique5.

L'entrée à l'université est généralement restreinte à ceux qui ont préalablement un diplôme d'enseignement secondaire. Le nombre d'étudiants dans les universités du monde est monté en flèche pendant tout le XXe siècle, spécialement depuis la Seconde Guerre mondiale. De nos jours un bon fonctionnement des universités et plus généralement de l'enseignement supérieur peut être considéré comme un atout économique6. Aussi les grands pays européens, pour soutenir la compétition internationale, se sont-ils lancés depuis une dizaine d'années dans un mouvement de réflexion et de réforme de leurs universités7.

Temps modernes : marquage religieux et étatisation des universités

Au début du XVIe siècle, il existe une cinquantaine d'universités. Bologne, Paris et Oxford les plus anciennes et les plus recherchées ont été incontestablement les plus prestigieuses, la première en matière de droit juridique et la seconde en matière de théologie et de droit religieux.

Après le désenclavement du monde, les universités se répandirent très lentement en Amérique latine puis en Amérique du Nord.

Les particularismes religieux qui apparaissent en Europe (Église anglicane, protestantismes) affectent les disciplines enseignées ainsi que les modalités d'enseignement. De plus les structures politico-religieuses en France, en Allemagne ou en Angleterre par exemple, (re)prennent progressivement le contrôle des universités, qui y perdent alors en autonomie (au moins par rapport à l'État). Ces évolutions signent la fin de la peregrinatio academica et réduit « l’éventail social » des étudiants au sein des universités.

Aussi, il n'est pas surprenant qu'en pleine Renaissance, les institutions universitaires aient été largement contestées et critiquées, tant sur leurs fonctionnements que sur leurs rôles. Le siècle des Lumières soulève la question de l'utilité des enseignements dispensés. Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, ceux-ci se limitent aux mathématiques, à la médecine, à la théologie et aux langues mortes (latin-grec) ; les autres disciplines, dont la physique, sont étudiées dans d'autres institutions, telles que la Royal Society à Londres, fondée en 1660, ou l'Académie des sciences en France, fondée en 1666. Il s'agit de savoir si l'université a pour ambition de produire des compétences profitables à tous ou si elle doit assurer aux titulaires des diplômes dispensés un rang social élevé. On regrette le manque d'assiduité des étudiants autant que des professeurs ; on suspecte la qualité et la valeur des diplômes délivrés ; on constate la fraude et la complaisance...

Éradication révolutionnaire et républicaine

En France, la Convention nationale supprima les universités le 15 septembre 1793 et créa les grandes écoles spéciales : l'École polytechnique, le Conservatoire national des arts et métiers, l'École normale supérieure (France), l'École des beaux-arts... La plupart de ces institutions existent encore13.

XIXe siècle : universités héritières de la réception kantienne des Lumières ?

L'Université Humboldt en 1850.

Les courants libéraux qui parcourent l'Europe entraînent de profondes réformes. Lors de la Révolution française, l'abolition des universités de l’Ancien Régime entraînera pour un temps leur fermeture. La domination napoléonienne sur une large partie du Vieux Continent aura de profondes conséquences sur les universités occidentales. Le Premier Empire suscite un regain d'intérêt pour les sciences et les technologies, encore mal représentées dans les universités. Parallèlement, l'empereur réorganise le système universitaire et nomme explicitement les Professeurs. Le morcellement des connaissances, dispensées au sein d'écoles distinctes, sera alors parfois perçu comme l’engagement de la France dans une impasse14…

En 1806, la Prusse vaincue par l'Empire français réforme une partie de ses institutions dont son université. Elle fonde un corps des maîtres de l'enseignement public des divers degrés, et organise un contrôle maîtrisé de l'enseignement à partir des centres universitaires réputés. Désormais, l'Université moderne devient le garant institutionnel de l'ensemble des fonctions du système éducatif et de l'enseignement public.

C'est aussi à cette époque que commence (notamment en Allemagne) l'enseignement de disciplines nouvelles, comme la philologie, les mathématiques et la physique. L’Allemagne, par le biais de l'université Humboldt de Berlin fondée par Wilhelm von Humboldt, promeut un nouveau modèle pour l'université : elle n'est plus pensée comme la division d'une philosophie en domaines spécialisés, mais comme la collection universelle des connaissances et des recherches15.

Aux États-Unis aussi le système universitaire se réinvente et devient profondément différent de celui hérité du temps des colonies anglaises. Le développement rapide du pays et l'importante immigration supportent un enseignement supérieur de masse, dynamique et hétérogène. Sans que ce soit explicite, il suivra pour l'essentiel le modèle allemand, en pensant l'université comme le lieu de la confrontation de tous les savoirs.

L'Université de Tokyo ouvrit en 1877 sur le modèle occidental à la suite des enseignements de la mission Iwakura.

Le modèle de l'université occidentale se propage à l'Asie de l'Est par plusieurs biais. Les puissances étatiques sont l'un de ces vecteurs. Le Japon impérial de l'ère Meiji récupère ainsi ce modèle à la suite des enseignements de la mission Iwakura de 1871, et ouvre en 1877 l'université impériale, établissement qui sert de modèle à d'autres universités ouvertes par la suite par le Japon impérial. Selon les matières et les compétences, quatre nations ou entités universitaires sont prises pour modèle, la Grande-Bretagne, l'Allemagne impériale, l'Italie et la France.

Le continent asiatique maintient son ancien système d'éducation. En Chine, l'université de Pékin est instaurée par l'empire à la suite de la réforme des Cent Jours en 1898, et en Corée, l'université Korea est créée en 1905 par un proche de la famille royale.

Le modèle occidental est aussi diffusé via des missionnaires, qui ouvrent dans la région des établissements de ce type, comme l'université l'Aurore ouverte à Shanghai en 1903 par un prêtre catholique, l'université Yonsei ouverte par un docteur presbytérien à Séoul en 1885, ou l'université Rikkyō ouverte à Tōkyō en 1874 par un missionnaire de l'Église épiscopale des États-Unis.

Enfin, d'autres établissements déjà existants se modernisent en adoptant le modèle de l'université occidentale, par exemple l'université Keiō ouverte à Tōkyō en 1858 et qui ouvre sa première formation universitaire en 1890.

Du XXe siècle à nos jours : l'université contemporaine

En France, 43 % des étudiants restent concentrés à Paris en 1914. En Angleterre, Oxford et Cambridge restent prédominantes jusqu'au milieu du XXe siècle. En Allemagne, l'arrivée de pouvoirs autoritaires provoque une crise grave du « modèle allemand ». Dans la « mise au pas de l’enseignement supérieur par le régime nazi », un tiers du corps enseignant est touché par l’épuration, qui s’en va renforcer notamment les universités américaines, et beaucoup de ceux qui restent perdent honneur et probité.

Université de Groningue (Pays-Bas).

C'est aussi au XXe siècle que le modèle de l'enseignement supérieur au sein d'universités se généralise partout dans le monde (en Asie, en Afrique). À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le développement universitaire est perçu comme l'un des principaux critères du rayonnement politique, économique et culturel des pays civilisés (notamment durant la guerre froide). À l'aube du XXIe siècle il est considéré par les économistes comme un indicateur de référence pour la stabilité économique d'un pays. Les États poussent les universités à être utiles aux développement économique et à l'employabilité des étudiants au détriment de missions comme (a) la transmission de connaissances critiques quant à l'évolution du monde contemporain, (b) la production de connaissances dans des disciplines peu propices au développement technique et/ou économique16.

L'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté à New York le 16 décembre 1966 par l'Assemblée générale des Nations unies stipule que : « L'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité ».

Structures et statut des universités

Le mot université vient du latin Universitas magistrorum et scholarium qui désigne à l'origine la corporation des enseignants et des étudiants d'une même ville. Les universités sont aujourd'hui divisées en départements académiques, écoles ou facultés (appelés en France de nos jours Unités de Formation et de Recherche). Aux États-Unis, certains établissements qui seraient classés, en France, sous l’appellation « grande école » sont intégrés à des universités ; par exemple, une école de commerce telle que la Harvard Business School est l'équivalent d'une faculté de l’Université Harvard. Cela amène Jacques Mistral17 à voir Harvard comme une fédération de grandes écoles (Harvard Law School, John F Kennedy School of Government, Harvard Medical School, Harvard School of Public Health, Graduate School of Design, etc.).

Une université peut être :

   soit publique, autrement dit contrôlée et financée par une collectivité publique, système largement pratiqué en France par exemple où l'enseignement supérieur reste essentiellement du domaine de l'État, celui-ci leur conférant une certaine autonomie. Paradoxalement l'État en France ne confie pas la formation de son personnel aux universités mais depuis le milieu du XVIIIe siècle aux grandes écoles administratives ;
   soit privée. Ce fut sous cette forme que furent créées les premières universités. Le système reste très répandu dans certains pays, notamment aux États-Unis d'Amérique. Dans ce pays, de nombreuses universités appartiennent à des fondations, des associations ou des congrégations — on dit qu'elles sont « à but non lucratif » en ce sens que si elles ne sont pas la possession d'une collectivité locale ou d'un État, leur but n'est pourtant pas de faire du profit. Il peut aussi exister des universités cherchant à dégager des bénéfices.

À noter l'existence des « franchises universitaires », par lesquelles les forces de police en France avaient l'interdiction de forcer l'enceinte des facultés18, mais qui réglaient également, par la franchise juridictionnelle, la légalité du pouvoir disciplinaire19.

À Amiens, sur le campus de l'université, existait par exemple dans les années 1980 une « Salle des Franchises », salle de fêtes réservées aux étudiants, non soumise aux taxes habituelles de ce genre d'endroit, où se tenaient plusieurs fois par semaine les soirées étudiantes, localement dénommées « Zinzin ».[réf. nécessaire]

Cette question des franchises universitaires reste apparemment d'actualité à Abidjan en Côte d'Ivoire20, ou en Algérie21. En France, si leur existence est oubliée de beaucoup, leur existence reste l'objet de débats19.

Universités et croissance économique

Les universités, et plus globalement l’ensemble des établissements d'enseignement supérieur, sont de nos jours considérées par les économistes comme pouvant être des vecteurs de croissance économique (théorie de la croissance endogène). Des études récentes[réf. nécessaire] ont insisté, d'une part sur le fait que selon que le pays était proche ou loin de la « frontière technologique », les caractéristiques du système d'enseignement supérieur devaient évoluer et d'autre part, sur l'importance des relations entre les universités et leur environnement géographique sans pour autant perdre les échanges avec les autres environnements géographiques (notion de pôle de compétitivité).

Approche de la frontière technologique et évolution des universités

Article détaillé : Frontière technologique.

D’une étude de 2004, intitulée Éducation et croissance économique, de Philippe Aghion et Élie Cohen, il ressort que, selon que le pays est loin ou proche de la « frontière technologique » c’est-à-dire, de nos jours, du niveau technologique des États-Unis, les exigences en matière de système éducatif varient. Dans le premier cas, le pays est en phase de rattrapage, comme l’a été la France après la Seconde Guerre mondiale. Ce qui compte alors c’est d'abord l’enseignement secondaire. Au contraire, dès que l’on approche de la frontière technologique, l'enseignement supérieur, notamment les universités, devient beaucoup plus important. En effet, alors le pays n'est plus dans l'imitation mais dans la création, dans l'invention des produits et des services de demain. D'où l'intérêt pour les pays, tels que la France, qui se rapprochent de la frontière technologique, d'avoir des universités de rang mondial davantage orientées vers la recherche et la créativité. Cela passe aussi parfois par des changements organisationnels destinés à rendre les universités plus réactives et plus proches des acteurs économiques. De nos jours le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) renforce ce trait. Depuis le début des années 2000, l'organisation des universités et le financement préférentiel des projets de développement instrumentaux conduisent à un changement du modèle universitaire tourné plus vers les entreprises et la production de techniques que vers l'ensemble des connaissances (y compris les « humanités » : philosophie, littérature, etc.) et l'autonomie22.

Universités et pôle de compétence

Articles détaillés : Grappe industrielle et Pôle de compétitivité (France).

Silicon Valley (Vallée du silicium).

Pour Christian Blanc23 « l’économie repose sur l’échange de deux types de savoir : d’une part le savoir formalisé, codifié, écrit, c'est-à-dire l’information et d’autre part le savoir tacite, qui permet d’utiliser l’information, d’en juger la qualité de l’appliquer à un problème concret, ou connaissance. La connaissance est nécessaire à la création ». Or si l’information circule mondialement, la connaissance comme définie plus haut reste plus localisée. C’est l’idée qu’il y a derrière le terme américain de « cluster » que Michael Porter24 a défini comme « un groupe d’entreprises et d’institutions partageant un même domaine de compétence, proches géographiquement, reliées entre elles et complémentaires ». Parmi les exemples célèbres de Clusters, il est possible de citer la Silicon Valley autour de l’Université Stanford. Les universités jouent dans le cas des « clusters » (appelés en France pôles de compétitivité) un rôle clé car c’est sur elles que reposent en très grande partie les capacités d’innovation. Pour Blanc25, pour qu’un pôle de compétitivité soit efficace, il faut que les leviers de la compétitivité soient entre les mains des autorités qui gèrent les périmètres locaux, comme c’est le cas en Catalogne espagnole par exemple, et que les universités aient elles-mêmes une autonomie forte qui les rendent capables d’« assumer des responsabilités importantes »26. Aussi, aujourd’hui, dans les pays développés (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France, Italie, Espagne…), comme d’ailleurs dans les autres (l’Inde autour de Bangalore…), les relations entre les grandes écoles ou les universités, les centres de recherche et développement, et les entreprises tendent à être organisées dans des bassins d'emploi territoriaux, dans le cadre de pôles de compétence et de projets d'intelligence économique territoriale.