VOCABULAIRE
De JFCM
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Accident[modifier]
- Dans la philosophie traditionnelle (antique, scolastique et au début de la philosophie moderne), le terme accident désigne les modifications non nécessaires qui affectent, plus ou moins provisoirement, un individu.
- Pour Aristote, l’accident affecte les substances constitutives du monde. Chez les scolastiques, l’accident tend à se confondre avec la qualité. Pour Descartes, l’accident se définit négativement de ne pas faire partie de l’essence d’un être.
- Dans cet usage philosophique, la notion d'accident joue sur une opposition entre un aspect princeps, qui subsiste, et quelque chose de secondaire qui change. Ce qui persiste est considéré comme substance ou essence, et les aspects changeants sont nommés les accidents. Ainsi définit, l’accident est un événement secondaire et particulier ; c’est ce qui dans la réalité est sujet à variations. Par exemple, la forme ou la couleur d'une chose change sous l'effet d'événements comme un choc ou un changement de lumière ; ce sont des accidents par rapport à la chose individualisable qui reste identique à elle-même.
- Dans le langage courant, on parle d’accident lorsqu’un événement fortuit nous concerne et provoque un effet remarquable. Un accident peut être heureux ou malheureux, mais la plupart du temps on désigne comme tel un dommage, une lésion. Il reste de l’usage philosophique ancien l’idée de quelque chose de secondaire, qui n’est pas essentiel, qui est associé à la contingence, au hasard ou à l’absence de volonté. Mais, il s’y ajoute (comme pour la notion de hasard) une dimension psychologique qui est l’intérêt porté à l'événement accidentel. Un événement fortuit, mais sans conséquence, n’est pas qualifié d’accident, c’est seulement lorsqu’il interfère avec nous qu’on le nomme ainsi.
Agent[modifier]
- Une définition de l'agent
- En latin médiéval, l’agens est celui qui agit, qui s’occupe d’une tâche. Lorsqu’une personne se pourvoit en vecteur d'un projet, on peut parler d’agent. On signifie par là que la totalité de la personne n’est pas engagée, mais, a contrario, qu’à un moment donné, elle agit d’une façon précise selon un rôle particulier. Elle se met en position d’agent. C'est une manière de questionner l'origine effective "de" quelque chose :*de l'action, de la pensée.
- Parler d’agent a plusieurs avantages, car le mot met en évidence :
- Le coté actif, l’effectuation, l'actant qui accomplit l'action (un agent agit).
- Le lien avec la situation, l’agent agit en vue d’une finalité dans un cadre donné.
- Le côté impersonnel, l’agent n’agit pas en tant que personne ; il met en œuvre certaines capacités en vue d’une action.
- Le terme d'agent remplace utilement celui de sujet lorsque "sujet" désigne l’origine de la pensée ou de l'action, car le terme sujet sous-entend d’autres significations très complexes et variables (voir la définition du sujet) qui viennent noyer le propos et le rendent imprécis.
- On peut amener une couche de sens supplémentaire en notant que, dans bien des cas, se positionner comme agent pour une personne demande une activité complexe afin d'avoir la disponibilité nécessaire pour exécuter les actions appropriées. Cette disponibilité impose généralement un retrait, une retenue, une mise en œuvre et une canalisation des capacités. Ce qui jouera dans le cadre de la connaissance.
- L'agent de la connaissance
- Le modèle habituel de la connaissance suppose un objet et un sujet, ce dernier ayant extériorité par rapport à l'objet conçu sur un mode réaliste. Le concept d'agent permet de raffiner la théorie de la connaissance sur deux points :
- On peut concevoir une interaction avec le domaine factuel étudié, ce qui est primordial dans les sciences humaines et sociales pour rectifier les biais introduits.
- On peut, en distinguant l'agent de l'individu, dire que ce dernier doit appliquer une méthode par laquelle il se dépouille de ses particularités pour jouer au mieux son rôle d'agent de la connaissance.
- Le scientifique dans sa pratique peut être considéré comme un agent. Il applique un paradigme qui ne lui est pas propre, car un paradigme est collectif, il appartient à la culture scientifique du moment. Dans son travail, le scientifique met en retrait ses goûts et préférences (il doit être impartial, ne pas choisir les résultats qui lui plaisent, il doit avoir un jugement axiologiquement neutre).
- Le philosophe, s'il prétend produire une connaissance philosophique, adopte aussi une posture d'agent de la philosophie. Il doit se distancier de ses préjugés, s'imposer une rigueur dans le raisonnement, avoir une réflexivité sur ses propos, définir une problématique. Ainsi, il se pourvoit comme agent de la philosophie, plutôt que d'être le porte parole de ses intérêts et de ses préjugés.
Alètheia[modifier]
- Dans la Grèce ancienne, le mot alètheia (ἀλήθεια) désignait le sens dispensé par les personnes investies d’une autorité, telles que les aèdes, devins, prêtres ou rois, et plus généralement les « Maîtres de vérité », selon l’expression de Marcel Détienne. On croyait à la parole sans preuve, parole qui se suffisait à elle-même, car émanant d’une autorité sacralisée. C'est un propos tenu pour vrai, poétique, assertorique, une croyance qui s'impose.
- Le contraire de l’alètheia n’est pas le faux ou le mensonge, mais le caché, l’oubli, ce qui est dans l'ombre (par opposition à la lumière). La déesse Léthé étant la déesse de l’oubli, pour la contrer, il fallait énoncer et mettre en lumière ce qui devait être su de tous.
- Pour Platon, « la divination permet de toucher en quelque manière la vérité ». C’est le dévoilement de ce qui est caché à l’appréciation ordinaire. L’alètheia procède de l'intuition immédiate ou de l'art divinatoire, procédés qui permettraient de connaître les intentions cachées des dieux, la destinée, ou plus prosaïquement la volonté des puissants.
- Le terme alètheia a souvent été traduit dans les textes religieux des monothéismes par vérité. Elle devient ce qui est énoncé-révélé par le prophète. Il a été repris par Martin Heidegger qui prétend retrouver le sens originaire de l'idée de vérité par sa métaphysique du dévoilement de l’être.
- L'assimilation de l'alètheia à la vérité a produit une ambiguïté, source de confusion. Cette assimilation a été rendue possible par l’aspect psychologique de la croyance, qui correspond à une adhésion affective. On adhère et valorise ce qui est considéré comme exact et non discutable (et inversement). C'est le statut primitif et affectif de la vérité parfaitement congruent avec l'alètheia. Croyance et vérité se confondent dans la pensée pré-moderne.
- Les conditions pour acquérir un statut d'affirmation crédible ont changé à la période hellénistique classique, puis avec la modernité. Alors que la parole magico-religieuse se situait dans un monde de forces et de puissances, on est passé à une réalité dépourvue de forces obscures ou cachées ; alors que la parole d'autorité valait dans les sociétés hiérarchisées autoritaires, elle a perdu sa crédibilité dans les sociétés démocratiques.
- Les critères du crédible par révélation, divination, argument d'autorité, critères attachés à l'alètheia, ont été démis de leur validité avec le laïcisation de la société et la sécularisation du monde. La vérité est devenue ce qui se montre ou se démontre. L’exigence d’une vérité démonstrative est une avancée civilisationnelle qui correspond à une progression du rationnel, mais la civilisation est un processus fluctuant, qui parfois régresse.
Anthropologie[modifier]
- Par anthropologie, on entend un savoir cohérent sur l'homme. Dans toutes les cultures, on trouve une conception de l’être humain, une anthropologie commune. Celle-ci joue un rôle important, car elle fonde l’identité collective et elle est généralement défendue avec âpreté. Spontanément reprise par chacun, elle est à la fois explicite et implicite. À côté d’elle, il existe une anthropologie savante qui prend deux formes, philosophique et scientifique.
- L’anthropologie scientifique appartient au domaine des sciences humaines et sociales et elle s’est majoritairement orientée vers l’étude empirique des organisations socioculturelles. L'anthropologie philosophique cherche à donner une vision synthétique de l'homme et de sa place dans le monde. Elle répond, de manière philosophique, à la question : qu'est-ce que l'homme ?
- Dans la modernité, Emmanuel Kant propose une voie : la connaissance de l'homme est une connaissance du monde qui prend deux formes, celle d'une connaissance physiologique et celle d'une connaissance pragmatique (Préface à l'anthropologie d'un point de vue pragmatique, 1798). Connaître les hommes d'un point de vue pragmatique, c'est étudier leurs conduites, c'est les considérer comme des êtres agissants en incluant le fait qu'ils soient capables de jugement et puissent agir librement.
- Un renouveau de l'anthropologie philosophique s'est produit au début du XIXe siècle. Il a mis à profit les enseignements des sciences de la nature ainsi que des sciences humaines et sociales naissantes pour tenter de cerner les caractéristiques de l’espèce humaine et sa position spécifique dans le monde. Au XXe siècle, Edmund Husserl, Martin Heidegger et Michel Foucault ont, pour des raisons différentes, contesté l'intérêt de l’anthropologie philosophique.
- Très curieusement, Heiddegger a, simultanément à sa critique de l'anthropologie, supposé un "être de l'Homme". L'attribution d'un être à une catégorie empirique (celle de l'Homme) est un procédé métaphysique. Foucault accuse l'anthropologie philosophique d'avoir provoqué une confusion de l'empirique et du transcendantal et d'avoir "endormi" la philosophie (Les mots et les choses, 1966).
- Les hommes pensent, évoluent au sein d'une culture, vivent en société. À titre individuel, chaque humain est capable de conduites finalisées tout en ayant conscience de lui et du monde. Tout ceci implique des capacités spéciales : capacité de penser et d’utiliser des langages diversifiés, capacité à communiquer et à transmettre sa pensée, à forger des institutions qui reflètent un ordre et organisent la société. L'anthropologie philosophique se doit de rendre compte rationnellement de cette spécificité et de l'articuler avec l'éthique.
Archéologie philosophique - Archéologie du savoir[modifier]
- Le terme d’archéologie philosophique a été utilisé pour la première fois par Emmanuel Kant dans sa dissertation sur « les progrès réels de la métaphysique en Allemagne depuis Leibniz et Wolf » (1793, publié en 1804). Comme il n’y a pas de définition communément admise, nous nous référerons aux auteurs qui emploient le terme d'archéologie.
- Michel Foucault utilise le terme « archéologie du savoir » pour différencier ses travaux de ce qu'il est convenu de nommer l’histoire des idées. Après avoir avancé le terme « d’épistémè » dans Les Mots et les Choses (1966), celui « d’archéologie » apparaît trois ans plus tard lorsqu’il explicite sa démarche.
- Dans l’ouvrage éponyme, L’Archéologie du savoir, il différencie énoncé, formation discursive et archive. Les énoncés organisés en formations discursives présentent une homogénéité. Il y aurait un « système général de la formation et de la transformation des énoncés » (L'Archéologie du savoir, p. 171). Le rôle de l’archéologie est de mettre à jour ce système de transformation qui serait « la condition de possibilité des énoncés » (à côté d’autres conditions, logiques, psychologiques, grammaticales, qui ne sont pas prises en compte).
- Dans une interview du 09/05/1969, Michel Foucault insiste pour définir les formes, le fonctionnement et la pratique du discours comme l’objet propre de l’archéologie. Ils seraient différents des pensées et différents des pratiques sociales, économiques, politiques. Il s'agirait de rendre compte de « ce que les hommes font lorsqu’ils parlent ».
- Mais, en même temps, Foucault définit l’archéologie comme « une histoire de ce qui rend nécessaire une certaine forme de pensée », ce qui n’est pas la même chose, car la pensée implique toujours la mise en œuvre de processus cognitifs associant des concepts et des formes de rationalité (ce qui s’oppose à une possible formation autonome des énoncés).
- C’est en ce sens qu'Alain de Libera reprendra le terme à Michel Foucault (Leçon inaugurale au Collège de France). Pour lui, il s’agit plus spécifiquement d’une archéologie philosophique (et non du savoir en général) visant à restituer une dynamique : les processus conduisant d’un événement de pensée à un autre.
- De Libera reprend à Robin George Collingwood le « constructive re-enactement » consistant à re-penser comme les auteurs étudiés en s’immergeant dans leur contexte. Il s'agit de reproduire les événements de pensée qui ont eu lieu. Pour cela, il faut reconstituer les Complexes de Questions-Réponses présents à l’époque et qui caractérisent la dynamique philosophique en cours. « L’archéologie montre comment les complexes questions-réponses s’enchaînent de manière ordonnée » (Séminaire, Collège de France, 26 juin 2014).
- Il reste à savoir si l’historicisation de la pensée que représente l’orientation "archéologique" doit être distinguée et séparée de l’histoire des idées.
Bien[modifier]
- Dans le langage courant, le bien désigne ce qui est jugé favorable, correct, que l’on approuve et qui apporte une satisfaction.
- La métaphysique a fait du bien une entité abstraite générale. Au IIIe siècle en Perse, les manichéens opposaient le bien et le mal. Dans la religion chrétienne, le bien a été situé comme ce qui continue l’œuvre de Dieu, jugée nécessairement bonne.
- Une philosophie réaliste et rationnelle rapporte le bien à l’homme et à ses actes. Mais cela ne suffit pas, la définition du bien demande une réflexion éthique, qui hiérarchise les principes et définisse le, ou les principes supérieurs, dont les autres découlent.
- Selon l'éthique adoptée (épicurienne, stoïcienne, kantienne, etc.), la définition du bien variera. Pour un épicurien, le bien consiste en un usage raisonné des plaisirs, pour un stoïcien dans l’exercice de la vertu, pour Kant, le bien consiste à agir selon des principes universalisables.
- La philosophie peut faire des propositions sur le bien pour l’homme, mais il faut reconnaître que les choix effectués dépendent de la personnalité du philosophe et de la civilisation qui le porte. Il doit avoir la modestie d’admettre que, même si sa démarche est rationnelle, elle repose sur des postulats indémontrables et qu'il ne peut prétendre à la vérité.
- Dans le cadre d’une éthique humaniste, faire le bien c’est agir individuellement et collectivement de façon à créer les conditions permettant la vie, la santé, la dignité, la sérénité, la liberté, pour chacun. Agir ainsi suppose une intentionnalité visant à respecter et, si besoin, à défendre les valeurs humaines (voir Humanité). Faire le mal c’est l’inverse, c’est détruire intentionnellement l’humanité en l’homme (voir Mal).
- Le bien, ainsi défini, n'est pas spontané, il demande des actes sous-tendus par une intentionnalité individuelle et soutenus par des lois et des institutions politiques.
Capital[modifier]
- Thomas Piketty propose comme définition du capital : "l'ensemble des actifs non humains qui peuvent être possédés ou échangés sur le marché" (Piketty Th., Le capital au XXIe siècle, Paris, Seuil, 2013 , p. 82).
- Il est intéressant de repérer, au sein de la masse patrimoniale globale, ce qui sert à un usage individuel (la richesse personnelle) et ce qui sert à un usage économique même si, en pratique, cette distinction est difficile à établir, car il y a des passages de l'un à l'autre.
- Le capital à usage économique est mobilisé en permanence pour un projet qui vise sa reproduction et son augmentation en passant par la production de biens et services. Le capital à usage personnel consiste en biens meubles et immeubles possédés pour leur usage à titre personnel ou familial. L'ensemble des deux constitue le patrimoine.
- La distinction tient au cycle des échanges et à leur finalité.
- À titre personnel ou familial, on vend une marchandise (y compris son travail), afin de toucher de l'argent pour acheter un autre bien. C'est un cycle : Marchandise → Argent → Marchandise, dont la durée tient à l'usage de la marchandise achetée. Une maison est utile pour y habiter et peut être conservée longtemps, voire plusieurs générations. Le temps du cycle est déterminé par la durée d'utilisation du bien.
- Concernant le capital mobile investi dans l'économie, l'agent économique achète une marchandise pour la revendre. C'est un cycle : Argent → Marchandise → Argent. La marchandise peut être elle-même de l'argent, ou un équivalent (actions, obligations, etc.). Ce qui est acheté n'est pas utilisé à titre personnel et sera conservé le temps de faire un bénéfice (temps qui peut être très court, inférieur à la seconde dans le trading haute fréquence). Les grands flux financiers mondiaux, la production massive de biens et services, les effets sociétaux et environnementaux de l'économie, sont dus au capital mobile.
Caractère[modifier]
- Caractériser, c’est trouver des traits distinctifs. Nous nous intéresserons ici uniquement à la notion de caractère lorsqu’elle concerne l’homme. Dans ce cas, elle signifie l’ensemble des traits qui spécifient un individu ou un groupe d’individu. L’approche caractérologique cherche à distinguer divers types humains en saisissant, de manière empirique, certains aspects jugé « caractéristiques ».
- L’effort de caractérisation concerne le domaine biologique, ou psychologique, ou cognitif, ou socio-culturel, pris séparément ou selon des tentatives de synthèse. L’approche peut être objectivante par des expériences ou des tests standardisés aboutissant à des mesures, ou subjective-phénoménologique, ou faite par la méthode clinique, selon le domaine considéré.
- La formation des types caractériels se fonde sur les régularités d’association de traits réputés stables. Elle se fait de deux manières : soit sous forme de tableaux types jugés parfaitement caractéristiques, soit en se fondant sur des régularités statistiquement significatives.
- Bien qu’ayant une validité empirique et un intérêt pratique, toute typologie a des limites. Les résultats sont relatifs aux traits considérés (et à ceux exclus), à la façon empirique de les évaluer et à la manière de les regrouper. Les résultats dépendent donc des présupposés anthropologiques et épistémologiques qui ont servi à élaborer la méthode de caractérisation.
- Quel que soit le domaine considéré (biologique, psychologique et cognitif, ou social) un certain nombre d’individus échappent aux classements dans lesquels on voudrait les faire entrer. Sans l’invalider, ceci peut être considéré comme une limite de la méthode typologique ou caractérologique.
- En ce qui concerne la personnalité humaine, les caractérologies ont tendance à privilégier un domaine particulier, mais avec la volonté de donner la partie (le caractère décrit dans ce domaine) pour le tout de la personnalité. C'est une attitude réductrice et à ce titre critiquable, car le concept de personnalité humaine ne se réduit pas au caractère de l’individu et encore moins dans un domaine particulier (aussi important soit-il). La concept de personnalité ne doit ni être parcellisé, ni détaché du contexte, ni rendu étranger à l’éthique, sauf à perdre sa pertinence. Contrairement au caractère, la personnalité humaine n’est pas un donné empirique, c’est une construction théorique complexe, et sa traduction factuelle, très vaste et diversifiée, dépasse les typologies empiriques quelles qu’elles soient.
- Du point de vue psychopathologique, on estime que le psychisme constitue une partie importante de la personnalité et que le caractère de la personne est l’une de ses expressions (à côté des comportements simples, des conduites finalisées et des symptômes). Par exemple, on décrit divers types de caractères, tels que le caractère anxiophobique, ou le caractère paranoïaque, considérés comme des manifestations cliniques des structures psychiques du même nom.
Cause - Causalité[modifier]
- La recherche des causes est une attitude intellectuelle qui pousse à trouver ce qui génère les faits et les événements. On a pu dire que la révolution intellectuelle, qui eut lieu en Grèce du sixième au quatrième siècle av. J.-C., tient au passage de la description du monde à la recherche des causes.
- La recherche des causes est l'un des fondements de notre connaissance du monde, mais les problèmes posés par l'idée de causalité sont nombreux. Nous nous contenterons d'évoquer la conception moderne (à partir du XVIIe siècle), laissant de côté les conceptions anciennes de la causalité (comme celle d'Aristote), car la causalité a changé de sens avec la révolution scientifique.
- Pour le philosophe empiriste qu'est Hume, la causalité est une habitude de l'esprit issue de la constatation d'une conjonction entre deux phénomènes successifs. Selon lui, cette manière de voir est trompeuse, car il n'y a pas de nécessité à cette succession qui, un jour, pourrait cesser. En effet, la consécution d'événements, aussi fréquente et répétée soit-elle, n'est pas forcément nécessaire et universelle. Elle peut être relative aux circonstances dont seule la stabilité permet cet enchaînement constant.
- Pour Kant, la causalité n'est pas une simple habitude associative, mais une forme fondamentale de notre entendement. C'est un concept utilisé a priori qui organise l'expérience et permet de connaître le monde. C'est, pour Kant, un des rares concepts synthétiques a priori, avec celui de permanence de la substance, qui soit recevable. Il faut noter que, si elle est une forme de notre entendement, elle n'est pas une composante du réel (il n'y a pas d'ontologie causale chez Kant).
- Dans le cadre scientifique moderne, la causalité est une manière d'expliquer la manifestation du déterminisme dans la réalité empirique. C'est le principe en vertu duquel un fait (la cause) engendre un autre fait (qui constitue son effet). La causalité désigne la consécution constante et nécessaire des deux. Ce principe causal se traduit par quelques énoncés traditionnels : tout fait a une cause et il n'y a pas d'effet sans cause ; les mêmes causes produisent les mêmes effets ; la cause précède ou accompagne son effet ; la disparition ou la cessation de la cause entraîne la disparition ou la cessation de son effet ; une cause entraîne un effet qui ne peut être lui-même sa propre cause.
- Dans cette acception, la notion de causalité désigne la succession nécessaire des faits empiriquement constatables. La détermination d'une cause demande une méthode d'expérimentation précise qui laisse les autres conditions strictement identiques (pour la tester, on fait varier la cause supposée, toutes choses étant égales par ailleurs). La recherche de causes a été un puissant moteur de l’évolution scientifique.
Civilisation[modifier]
- La définition présentée ici s’inspire étroitement des travaux de Norbert Elias. Par civilisation, on nomme le processus de transformation qui concerne simultanément la société, les individus et la culture (au sens large). Le processus n'est ni voulu ni planifié, et se ne déroule pas selon une finalité prédéfinie. Il suit, dans la longue durée, un mouvement continu que l'on peut décrire selon trois axes.
- 1. Dans ce mouvement général de civilisation, l'organisation sociale, c’est-à-dire les interdépendances entre les groupes humains et au sein des groupes constitués, va en augmentant et en se complexifiant. L'évolution conduit vers la recomposition d’entités politiques sans cesse plus larges. À cet égard, la genèse de l’État occupe une place centrale.
- 2. Au cour du processus civilisationnel, l’économie psychique individuelle s’affine. La répression et la sublimation des pulsions (d’agression, sexuelles et nutritionnelles) favorisent la pacification des relations interpersonnelles et engendre la civilité ; ce qui se traduit par les manières de se conduite et de ressentir plus douces, plus soucieuses d'autrui (une évolution des mœurs). La tendance à une maîtrise sans cesse plus raffinée et nuancée de soi-même permet le relâchement maîtrisé typique des sociétés permissives.
- 3. Les représentations collectives du monde changent, deviennent plus réalistes et raisonnables, les aspects scientifiques prennent de l’ampleur, les arts et la culture s'émancipent par rapport aux religions.
- Les acquis civilisationnels sont sans cesse à reconstruire individuellement et collectivement. Individuellement, par l’éducation qui transmet et accomplit en raccourci le processus civilisationnel. Collectivement, par le maintient d’institutions qui contribuent à l’élargissement des interdépendances et à la transmission du savoir. Ce qui a été acquis peut se perdre et les tendances régressives peuvent dominer plus ou moins massivement et plus ou moins longtemps.
Cognitif - Cognition[modifier]
- Cognitif et cognition ont trait à la capacité à connaître. Ces termes neutres, sans présupposés substantialistes, sont d’un emploi facile, car ils présentent peu d’ambiguïté.
- On peut rassembler sous le terme de cognition les capacités humaines d’intelligence, d’idéation, de langage, de calcul, d’invention, de jugement, de réflexion, etc. Une place particulière doit être faite à la représentation, c'est-à-dire à la capacité de présenter tout chose, en pensée ou en acte, indépendamment de la situation concrète.
- Plus spécifiquement, la cognition a trait aux nombreux et divers processus de traitement de données, qui concernent les données les plus simples comme les perceptions ou les plus complexes comme les concepts. Les processus en jeu sont très divers, basiques ou élaborés, rationnels ou irrationnels.
- Cette définition de la cognition évite les présupposés matérialistes ou spiritualistes concernant l’activité humaine de connaissance. Elle suppose que cette activité est le fait de processus de même nature qualifiés de « cognitifs » qui ont des caractères communs et sont interactifs les uns avec les autres.
- La cognition, selon la thèse du réductionnisme biologisant est générée par le niveau neurobiologique et, selon l'hypothèse spiritualiste-idéaliste, elle est attribuée à l'esprit. Il existe une autre possibilité consistant à supposer aux processus cognitifs une forme d'existence propre correspondant à l'émergence d'un niveau ontologique spécifique, le niveau cognitivo-représentationnel. Cette dernière thèse est plus heuristique que la thèse réductionniste, car elle permet d’envisager une autonomie de la cognition humaine, ce qui expliquerait la possiblité d'une rationalité et d'une validité des raisonnements.
Complexité[modifier]
- Par complexité, on désigne, dans le langage courant, les aspects compliqués, enchevêtrés, interactifs, et, par là, peu prévisibles du monde. Mais généralement, on parle de complexité dans le domaine scientifique seulement si celle-ci amène des qualités nouvelles par rapport au interactions simples.
- Sur le plan théorique, penser la complexité demande d'utiliser les concepts d'organisation, d'interaction, de système, de structure, ce qui permet de prendre en compte des entités composées. La pensée de la complexité renonce à ne voir que les lignées causales indépendantes pour considérer leurs interrelations. Elle pense en terme de système et accepte les prévisions incertaines de type statistique.
- Sur le plan empirique, prendre en compte la complexité amène à prendre en considération des faits volumineux, compliqués, sans chercher à les simplifier. Il faut renoncer à l'opposition classique entre qualités premières et qualités secondes et admettre des faits volumineux, car leurs caractéristiques spécifiques viennent de leur composition complexe.
- Depuis le milieu du XXe siècle, la manière d'envisager le monde sur un mode analytique, mécanique, linéaire et séquentiel de la science est concurrencée par une manière de voir globalisante, systémique, récursive et interactive. La compréhension déterministe et causaliste évolue actuellement vers une conception plus souple admettant la composition multicausale et l'aléatoire. Une vision globalisante consistant à prendre en compte les interactions, rétroactions et leurs conséquences, s'amorce dans différents domaines.
- Certains, comme Ervin Laszlo, voient dans la théorie des systèmes le point central de la révolution qui serait en cours dans la compréhension scientifique du monde. Le changement s’est amorcé avec les premières découvertes de la physique quantique et confirmé lors de la généralisation de la thermodynamique, puis avec la cybernétique et la biologie contemporaine.
- Le mouvement systémique du début du XXe siècle correspond à la recherche "de cadres théoriques solides dans les sciences non physiques (biologie, psychologie, économie, sociologie, etc.)", recherche rendue nécessaire par "l’inadéquation d’une pensée analytique ou atomiste souvent qualifiée de mécaniste afin d’appréhender les problèmes posés par la complexité organisée (Pouvreau D., "Systémologie générale", Sciences et techniques en perspective, vol.12, 2009). Les sciences humaines, plus que toutes autres confrontées au complexe, ont utilisé une conception systémique ou structurale dès les années 1950 (voir Structuralisme).
Concept[modifier]
- Nous laisserons de côté l'usage ordinaire et trompeur du mot concept, le plus souvent utilisé pour valoriser une idée quelconque et définirons le concept dans un cadre philosophique. Il faut d'abord noter que tout concept est pensé et qu'il n'existe pas de concept en dehors du mouvement de la pensée. À ce titre, nous récusons les formes d'idéalisme qui supposent aux concepts une existence autonome et indépendante de l'homme. Le concept existe par l'acte de penser, il ne trouve place, ni au ciel des idéalités platoniciennes, ni dans le troisième "royaume" fregéen, ni dans le troisième "monde" par Karl Popper.
- Il est intéressant de reprendre la différence classiquement admise, qui l'oppose au mot « notion ». Concept et notion désignent tous deux une idée générale, mais le concept est lié à une théorie construite et acquiert ainsi un sens précis, alors que la notion est, elle, considérée comme ayant un sens plus lâche et plus empirique. Une notion peut devenir concept, mais cette mutation exige une activité de pensée : une notion devient concept par un travail qui la clarifie, la précise, et l'inclut dans un ensemble théorique philosophique ou scientifique. Il a un caractère généralement abstrait, mais il existe une grande variété de concepts, dont le statut et la fonction varient selon le contexte de leur emploi.
- Au sens étymologique (cum-capio : saisir ensemble) et probablement originaire, le concept est la pensée qui rassemble le divers sous un même chef, qui saisit abstraitement ce qui est commun à plusieurs éléments ou événements. Dans cette acception classique, le concept se précise par sa "compréhension" (ce qui le caractérise) et son "extension" (l'étendue de ce qu'il recouvre). Emmanuel Kant a opposé les concepts a priori nécessaires à forger la connaissance (par exemple, unité, pluralité, causalité, etc.) et ceux, innombrables, issus de l’expérience, nommés concepts a posteriori.
- Un concept tisse nécessairement un réseau de relations stables avec d’autres concepts. C'est sa caractéristique essentielle : un concept n'existe pas seul, il fait partie d’une conception d'ensemble qui, en retour, le définit. Ainsi, par exemple, le concept de cellule en biologie a une définition qui peut être limitée, mais qui renvoie, pour être comprise, à un champ théorique précis. Sa définition n'est pas fixe et change au fil du temps, car la cellule constitue un objet de connaissance qui se complexifie au fur et à mesure que la biologie évolue et son concept suit le mouvement.
Connaissance et savoir[modifier]
- Le terme français "connaissance" vient du vieux français "conoistre" qui date du XIe siècle. Ce dernier dérive du latin cognescere et noscere qui veulent dire à la fois apprendre, connaître et savoir. Savoir dérive du latin sapere et sapio qui signifient avoir du goût, de l'intelligence, de la prudence. Dans le langage courant, connaissance et savoir sont plus ou moins synonymes.
- Il est cependant intéressant de distinguer le processus actif de production, que nous nommerons la "connaissance", de son résultat, que nous appellerons le "savoir". Il s'agit de faire jouer la différence entre l'action et son résultat, ce qui revient à dire que la mise en acte d'une connaissance produit du savoir.
- La connaissance est un rapport actif au monde qui vise à s’en faire une représentation et à l’expliquer. Cette activité associe généralement l’action et la réflexion. Il existe divers types de connaissances plus ou moins efficaces, fiables et réalistes.
- Le savoir acquis est le corpus des notions admises et transmises, l'ensemble organisé d'informations dans un domaine donné. Une partie du savoir acquis représente le monde d’une certaine manière et peut être utilisé à des fins pratiques. Il demande seulement à être appris et il se cumule au fil des générations constituant ainsi la culture.
- Il existe des savoirs de qualités bien différentes qui dépendent du processus de connaissance utilisé pour les produire. On peut distinguer le savoir issu de la réflexion philosophique, le savoir issu de la pratique scientifique, le savoir issu de la croyance religieuse, etc. La qualité des savoirs est variable et dépend du type de procédé (du type de connaissance) qui a été utilisé pour le constituer. La valeur du savoir dépend de la qualité épistémique du processus qui l'a engendré.
- Deux savoirs concurrents sur la même chose ne sont pas nécessairement départageables de prime abord. Par exemple, deux savoirs sur le monde, l'un affirmant que la Terre est au centre de l'Univers, et l'autre qu'elle tourne autour du Soleil, ne sont départageables que si l'on connaît le processus qui les a produit. Le géocentrisme est un savoir issu de l'observation ordinaire et de la tradition religieuse ; l'héliocentrisme demande des calculs mathématiques à partir d'observations astronomiques.
- Le contenu du savoir comme sa qualité dépendent du mode de connaissance qui a servi à le produire. Les procédés théorico-empiriques valides produisent des savoirs vrais, adéquats au monde, ceux qui ne le sont pas, des savoirs faux ou incertains.
Constructivisme[modifier]
- Le terme constructivisme s'emploie dans trois sens différents, ce qui peut prêter à confusion. L’un concerne la philosophie de la connaissance (il concerne l'expérience et la réalité), le second l’épistémologie (il concerne la formation de la connaissance et des savoirs scientifiques), et le troisième certaines disciplines comme l’anthropologie et surtout la sociologie (il concerne les faits humains et sociaux). Le terme a d’autres sens que nous laisserons de côté.
- Emmanuel Kant le premier a signalé dans la Critique de la raison pure que nous connaissons la réalité par l’expérience qui est « un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de ce que notre propre pouvoir de connaître produit de lui-même ». C’est l’amorce d’un constructivisme empirique pour lequel la réalité naît de l’interaction entre le monde et l’activité de connaissance.
- Le constructivisme s’est véritablement développé avec la psychologie de la connaissance, dont Jean Piaget a été le pionnier. Cet auteur a montré que la connaissance ordinaire se construit progressivement chez l’enfant dans son interaction avec le réel et avec la participation du symbolique, par un jeu d’assimilation et d'accommodation. Il a aussi montré aussi que ce qui est considéré comme la réalité, avec ses caractéristiques, se construit (elle n’est pas toujours déjà présente comme le voudrait le réalisme naïf).
- C'est à Gaston Bachelard que l’on doit le développement d'une épistémologie constructiviste. Les scientifiques construisent des questions et des problèmes, inventent des concepts, des raisonnement et des expériences. Gaston Bachelard considère que la science construit ses objets qui ne sont pas des choses présentes d’évidence. Elle les construit dans un projet qui les remanie au fil des avancées théoriques et de l’évolution des méthodes, nous ajouterons, pour en faire des interfaces efficaces de connaissance du réel. Dans les sciences : " Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit ", écrit-il dans La Formation de l'esprit scientifique en 1938.
- Tout autre est le constructivisme en sociologie, apparu dans les années 1960, en opposition à ce que l'on a appelé le réalisme social. Selon cette dernière doctrine, les faits sociaux, les traits anthropologiques, peuvent être définis par certaines caractéristiques objectivables qui seraient indépendantes des circonstances. Le constructivisme sociologique considère que ce sont les dynamiques sociales et les acteurs sociaux, au travers de leurs discours et de leurs actions, qui produisent les faits sociaux, ce qui introduit une historicité et une relativisation de ceux-ci aux circonstances.
- Le constructivisme peut prendre une tournure absolue et antiréaliste, aboutissant à nier l'existence autonome des référents concrets autonomes, mais il s'agit là d'une forme extrême de constructivisme.
Corps - Esprit[modifier]
- Concernant l'homme, dans le langage courant, le corps est son apparence concrète vivante et l'esprit correspond à ses productions intellectuelles mentalisées. C’est une conception spontanée, adaptée à la vie ordinaire. Dans la conversation courante, il est souvent nécessaire de les utiliser à titre de catégories empiriques communément admises.
- Dans la philosophie d'inspiration cartésienne, l’esprit est l'ensemble des sensations, sentiments, pensées, rapportés à une substance spirituelle et le corps l'apparence concrète et les phénomènes vitaux, rapportés à la substance étendue. Cette attitude répond au dualisme des substances.
- Fréquemment, on assiste au mélange de la conception ordinaire et cartésienne. Le corps est alors considéré comme une substance matérielle saisissable concrètement (objectivement) et l’esprit une substance spirituelle se manifestant subjectivement. C’est une conception qui engendre le problème insoluble du rapport des deux.
- Le problème de la relation entre corps et esprit est a priori insoluble, puisqu'il est posé selon le postulat initial d'une séparation radicale entre les deux. Et, de fait, depuis Descartes, le problème philosophique des rapports entre le corps et l’esprit (le «mind-body problem» de la littérature anglo-saxonne) est resté sans solution.
- Différentes propositions philosophiques consistant à rompre avec le dualisme sont apparues, propositions permettant d'éliminer ce type de problème. Spinoza définit l'homme comme l’union de deux modes, un corps et une âme, récusant une nature substantielle à chacun. Les deux entités corps et esprit se fondent, mais leur statut et leurs relations restent définies de manière métaphysique. L'alternative au dualisme la plus répandue, le matérialisme, ne considère qu'une unique substance matérielle constitutive du corps. L'esprit, rapporté à des états ou phénomènes mentaux, est une fonction du corps ou un épiphénomène des processus neuronaux.
- Compte tenu des différences dans les conceptions philosophiques, il est préférable de rapporter les notions de corps et d'esprit au contexte dans lequel elles prennent sens et de les référer aux auteurs qui les emploient.
- Dans les sciences, à la notion ordinaire de corps, se substituent les objets des différentes sciences biologiques et médicales (anatomie, physiologie, cytologie, immunologie, biochimie, etc.) et à la notion d’esprit les objets des sciences de l’homme (psychisme, cognition). Ces objets épistémiques sont radicalement différents des notions ordinaires et ne peuvent être assimilés à des substances.
Détermination - Déterminisme[modifier]
- La détermination, en général, correspond à ce qui dans le monde produit des enchaînements nécessaires et se suffisant à eux-mêmes, ce qui exclut toute intervention extra-mondaine (de type divine ou surnaturelle). On comprend la détermination selon le principe du "déterminisme". Il faut distinguer le déterminisme et la causalité. Le déterminisme est un principe général et qui n'implique pas nécessairement l'idée de cause.
- La ferme croyance au déterminisme est le propre de la modernité et elle s'est répandue au XVIIIe siècle. Si le monde était chaotique, hasardeux et instable, la possibilité de le connaître serait réduite à néant. Si le monde était arbitrairement gouverné par Dieu ou par des forces surnaturelles, il serait illusoire de chercher à le connaître. Pour se lancer dans une entreprise de connaissance scientifique du monde, il faut croire au déterminisme et admettre que ses effets sont accessibles à la raison. Les résultats des sciences, jusqu'à aujourd'hui, montrent que les enchaînements nécessaires supposé exister sont bien au rendez-vous.
- Dans la science moderne, qui culmine à la fin du XIXe siècle, la déterminisme est conçu de manière rigide, comme absolu et universel. Cela aboutit, avec Laplace, à la prétention d’une prédictibilité totale. « Nous devons envisager l’état de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre » (Œuvres, Gauthier-Villars, vol VII, p.VI). Pour une intelligence suffisamment vaste, rien n’est incertain. Il y a là un refus de considérer l'aléatoire et les bifurcations dans les enchaînements historiques. Les lois, formulées en langage mathématique, nous prédisent des faits certains et précis.
- Le doute viendra au début du XXe siècle lorsque la physique classique sera ébranlée d'abord par la théorie de la relativité, puis par la mécanique quantique. De Broglie écrit, en 1947, l'évolution des corpuscules "ne peut être réglée par un déterminisme rigoureux, tout au moins un déterminisme que nous puissions atteindre et préciser" (Physique et microphysique, Albin Michel, 1947, p. 217). Ce qui s’est amorcé dans les années 1920 avec les premières découvertes de la physique quantique s'est confirmé dans la décennie 1970-1980 avec l'adoption d’explications probabilistes, la thermodynamique généralisée et l'application de modèles cybernétiques, puis systémiques au vivant et à l’homme.
- Dans la science contemporaine, la détermination des faits est conçue de manière souple. On admet l’aléatoire, le chaotique, les récursivités complexes, ce qui, dans certaines circonstances, ne permet qu’une prédictibilité partielle sous forme statistique. Sans renoncer à la détermination, il a fallu admettre qu’elle ne soit ni simple, ni absolue.
- On peut supposer que, dans la plupart des domaines connus, il y ait bien des enchaînements nécessaires constants. Cependant, on ne peut démontrer qu'ils soient absolus et éternels. Dans les champs complexes, on doit concevoir des probabilités d'occurrences du fait d'une multidétermination et parce que les mêmes conditions ne se retrouvent pas toujours (la clause ceteris paribus ne peut être réalisée). La temporalité y joue un rôle et apporte une irréversibilité. Si le déterminisme continue d'être un principe crédible et indispensable à l'abord scientifique, il doit être conçu avec souplesse.
Émergence[modifier]
- La notion sera définie dans son usage ontologique, c'est-à-dire concernant la constitution du monde. Elle impose de considérer que le réel est organisé selon une complexité croissante. Dans ce cadre précis, l'émergence désigne la formation d'entités complexes par un degré supérieur d'organisation. Ces entités complexes se différencient de leurs constituants élémentaires par des propriétés spécifiques et se manifestent par des faits observables spécifiques. Par exemple, les propriétés spécifiques des molécules ne viennent pas des atomes, mais de leur liaison et de leur agencement selon une organisation stable ayant une autonomie et une persistance.
- Une entité émergente peut être de nature physique, chimique, électronique ou autre, il importe seulement qu'elle soit un composite de divers éléments qui sont liés de manière intégrative entre eux. Par exemple, en biologie, les tissus, par rapport aux cellules qui les composent, sont des entités émergentes. On considère que l'entité "tissu" amène des propriétés nouvelles. Inversement, si on dissocie l'entité en ses éléments constitutifs (les cellules isolées), les propriétés spécifiques disparaissent.
- D'une manière générale, on considère que toutes les entités du même degré de complexité forment un "niveau d'organisation". La partie du monde ainsi désignée a une homogénéité, car elle est formée selon un même mode d'organisation. Par exemple, le niveau moléculaire par rapport au niveau atomique. Le concept d'émergence désigne la formation du niveau considéré, on dit qu'il émerge du niveau précédent.
- Si l'on admet ce principe général d'émergence, la question se pose, pour chaque niveau de complexification, de savoir s'il est vraiment nécessaire de l'individualiser. En effet, le but de la connaissance est de trouver le nombre de niveaux utiles pour comprendre le monde, sans en supposer de superflus, ni en éliminer qui soient utiles. Rien n'est fixé en ce domaine qui évolue sans cesse.
- La thèse de l'émergence est compatible avec un réductionnisme de méthode modéré (choix d'un niveau plus simple jugé plus pertinent). Il est incompatible avec un réductionnisme ontologique qui prétend que seul le niveau le plus élémentaire existe, comme le voudrait le matérialisme réductionniste.
- Pour comprendre le concept d'émergence, il faut remplacer la notion de substance par celle d'organisation. Cela étant, l'émergence est le concept par lequel on explique le passage d'un type d'organisation à un autre de complexité supérieure. Nous dirons qu'un mode d'organisation quelconque émerge du mode immédiatement inférieur en complexité. L'émergence est une façon de désigner et concevoir le rapport entre les deux.
Empirique - Empirisme[modifier]
- Empirique veut dire qui vient de l’expérience, qui se fonde sur l’expérience, ou qui a trait à l'expérience.
- Par exemple, un savoir est qualifié de purement empirique s'il vient d’observations répétées, mais sans qu’on ait l’explication théorique de ce qui produit les phénomènes constatés. L'expression "d'un point de vue empirique" signifie que le propos concerne l'expérience et la réalité.
- L’empirisme philosophique suppose que la connaissance savante (philosophique ou scientifique) vient entièrement de l’expérience. Une telle attitude a été défendue principalement par John Locke, David Hume. Elle présente des variantes importantes selon la manière dont on conçoit l’expérience. L’expérience peut être considérée de deux manières : soit comme pure réception (attitude sensualiste), soit comme interactivité construisant ses objets (attitude constructiviste).
- Les idéologues du XVIIIe siècle (Destut De Tracy, Étienne Bonnot de Condillac) ont défendu un empirisme sensualiste strict, l'expérience serait constituée par des impressions sensibles. Il donnent la primauté aux sensations desquelles tout dériverait.
- Emmanuel Kant avance l'idée d'une interaction en affirmant que l'expérience dépend de formes et concepts a priori (espace et temps) dont dépend la perception et la construction des objets. Pour Kant, des formes conceptuelles présentes antérieurement à toute expérience la façonnent.
- Cette interaction entre l'homme et le monde comme fondement de l'expérience deviendra au XXe siècle la doctrine "constructiviste" qui prendra diverses formes.
- Le constructivisme interactif (Gaston Bachelard, Jean Piaget) demande de différencier le référent (ce qui existe) et l’objet construit par interaction entre lui et l’activité de connaissance. Selon le linguiste Émile Benveniste « Le langage re-produit la réalité. Cela est à entendre de la manière la plus littérale : la réalité est produite à nouveau par le truchement du langage ».
- Faire l’expérience d’un cube jaune demande qu’une chose colorée existe (le référent), mais aussi une action cognitive reposant sur sa perception, la distinction de la couleur jaune, l'usage des termes "cube" et "jaune", la possession du concept de cube et enfin un jugement situant le référent dans la réalité concrète. Le constructivisme interactif met en évidence l'activité de l'agent connaissant dans l'expérience d'où naît la réalité, tout en conservant l'idée d'un réel indépendant.
- Il y a aussi un courant constructiviste radical qui tend à gommer le référent pour supposer une prépondérance de l'activité cognitive, ce qui représente une exacerbation litigieuse du savoir au détriment du réel.
- Le sens du terme empirique varie aussi selon le domaine d'expérience concerné. L’expérience ordinaire et l’expérience scientifique n'ont pas du tout les mêmes caractéristiques. La première est immédiate et spontanée, la seconde est encadrée par une méthode qui peut être dans certains cas très sophistiquée.
Épistémè[modifier]
- Michel Foucault, durant une période que l'on peut approximativement situer entre 1965 et 1977, a développé et utilisé le concept d'épistémè. Le mot épistémè vient de la racine grecque επιστήμη qui signifie savoir ou connaissance.
- L’intention de Michel Foucault est de « saisir les transformations d'un savoir à l'intérieur à la fois du domaine général des sciences et, également, à l'intérieur du domaine en quelque sorte vertical que constitue une société, une culture, une civilisation à un moment donné » (Entretien avec Noam Chomsky, 1971). Au premier abord, l'épistémè d'une époque renvoie à une façon de penser, de se représenter le monde qui s’impose à la communauté savante en général. L'inspiration structuraliste est présente dans l'élaboration du concept.
- Michel Foucault reviendra sur cette façon de voir et déportant sa recherche de la pensée vers la pratique du discours (énoncés, énonciation, formations discursives) inspiré par la philosophie du langage anglophone. Il restreindra l’extension du concept en le restreignant aux seules sciences, renonçant ainsi à une approche culturelle globale.
- Épistémè sous-entend que tout scientifique d’une période considérée, qu'il en soit conscient ou pas, raisonne à partir de concepts et d'une vision du monde qui définissent des problématiques obligées, des objets de la connaissance précis, des manières de théoriser contraignantes.
- Une épistémè, c'est l'ensemble des catégories et raisonnements présents durant une période historique donnée et qui forment un système contraignant pour la pensée. L’ambition n’est pas simplement descriptive, elle est de mettre en évidence une contrainte structurelle dans la genèse du savoir qui permet de dépasser les « opérateurs synthétiques » évoqués traditionnellement : volonté, intentionnalité, génie de l’auteur ou encore sujet du discours ou sujet transcendantal.
- Décrire une épistémè, c'est retrouver et résumer la cohérence de ces manières de penser et de pratiquer qui saturent l'espace intellectuel à un moment donné de l'histoire des sciences. L'épistémè ainsi conçue mettrait en évidence les conditions de genèse des connaissances scientifiques du moment.
Épistémologie - Philosophie des sciences[modifier]
- La philosophie des sciences, l'histoire des sciences, l’épistémologie, l'épistémologie historique forment un ensemble de savoirs complémentaires concernant la connaissance savante. Chacune a une orientation propre et impose une méthode de travail, mais une même étude peut mélanger toutes ces démarches, si bien que leur différenciation n'est pas toujours possible.
- Épistémologie
- Le mot épistémologie a été utilisé pour la première fois en 1906 dans le supplément du nouveau Larousse illustré et il est utilisé par Émile Meyerson dans Identité et réalité (1908). Actuellement, on désigne par épistémologie la description et l’examen critique des procédés (théoriques et pratiques) sur lesquels se fondent les sciences.
- L'épistémologue s'intéresse aux modes de connaissance (grands principes, méthodes d'investigation et d'expérimentation) et aux savoirs produits par les disciplines scientifiques. Elle étudie les conditions permettant à une connaissance d'avoir (ou pas) un statut scientifique et de produire un savoir considéré comme valide.
- Une manière de procéder consiste à distinguer, dans une science donnée, les principes ontologiques qui la guident (ce qui existe, le réel), les principes gnoséologiques qu'elle applique (les manières de connaître) et enfin ses méthodes au sens pratique (les formes d’expérimentation et les techniques employées). L’épistémologie s’efforce de formaliser les paradigmes scientifiques (ensemble des principes admis par la communauté et servant de modèle pour une science, à un moment de son évolution).
- L'épistémologie est le fait des philosophes qui s'intéressent aux sciences, mais aussi des scientifiques eux-mêmes dans leur activité lorsqu'ils réfléchissent sur leur discipline. Cette réflexion interne au domaine de recherche peut, à certain momenrts, prendre un aspect critique et inviter à dépasser de paradigme en vigueur.
- L’épistémologie historique (terme proposé par Dominique Lecourt en 1969) vise à éclairer non seulement l’émergence des concepts scientifiques, mais aussi des « rationalités » plus larges qui les rendent possibles. Un débat a lieu pour savoir si ces rationalités doivent être étudiées à l’intérieur d’une logique exclusivement scientifique ou comme étant des modes de raisonnement inscrits plus largement dans la culture savante. L’historicisation de l’épistémologie est accusée d’entraîner un relativisme ; bien à tort, car la relativisation des connaissances scientifiques à leurs conditions de possibilité ne préjuge pas de leur validité. C'est une autre discussion.
- Philosophie des sciences et de la connaissance
- C'est sous la plume d'Auguste Comte et d'Augustin Cournot que le terme de philosophie des sciences est apparu au XIXe siècle. Cette approche large précède l'épistémologie proprement dite et continue d'être pratiquée. La philosophie des sciences cherche à donner une vision générale de la science (sa valeur, ses manières de procéder, ainsi que ses évolutions). Elle s'intéresse à la vision du monde produite par les sciences et aux récits culturellement partageables qui en découlent, à la place des sciences dans la société, à leurs effets sur la société, ainsi qu'aux problèmes d’éthique qu'elles engendrent, directement ou indirectement.
- La philosophie des sciences s'intéresse aussi aux diverses formes du savoir et précise leurs différences. En distinguant des types de savoirs ou de non-savoirs (de méconnaissances) et leurs sources, elle permet un jugement qualitatif sur leur validité dont les conséquences sont pratiques. On peut y associer l'histoire des idées. Elle permet de situer les connaissances scientifiques dans l’ensemble des savoirs et dans leur histoire. Elle montre ainsi qu'ils n'en sont pas dissociés, participant d'une même "épistémè" (M. Foucault). La philosophie des sciences prolonge de façon critique et réflexive l'activité scientifique.
- La théorie de la connaissance (en général) est encore plus ancienne et remonte à la révolution scientifique du XVIIe siècle. Les auteurs ont eu besoin, dès ce moment, de caractériser et de différencier la philosophie naturelle de la théologie. La théorie de la connaissance s'attache à démonter les mécanismes producteurs du savoir, à identifier les présupposés théoriques et les implications métaphysiques qui en règlent l'exercice. Elle interroge les dimensions ontologiques, métaphysiques et éthiques que révèle tout acte de connaître. L'étude critique des savoirs non scientifiques (des principes et procédés de telle ou telle pensée se présentant comme un savoir) n'a pas de nom précis, mais elle existe et permet de proposer des démarcations entre mythe, idéologie, métaphysique, philosophie, savoirs empiriques, etc.
- Histoire et sociologie des sciences et des savoirs
- L'histoire des sciences commence avec Fontenelle et ses comptes-rendus dans le Journal de l’Académie des sciences qui comporte une partie « histoire » à partir de 1702. Il réfléchit (aspect épistémologique ) et met en contexte ce qui est présenté dans les Mémoires publiés par l'Académie.
- On distingue une approche « internaliste », qui s'intéresse à la logique propre aux évolutions scientifiques, et une l'approche « externaliste », qui prend en compte l'environnement socioéconomique, politique et les institutions dont dépend le développement des sciences. Les deux peuvent se conjuguer lors de la description de l’évolution au cours du temps d'une science selon les conditions sociales et politiques.
- Thomas Kuhn a apporté un nouveau style de philosophie des sciences qui la rapproche de l'histoire des sciences tout en incorporant des considérations sociologiques. Le terme de paradigme scientifique auquel il a donné un sens nouveau est resté célèbre.
- Les évolutions dans le temps sont complexes et l’historien va s’efforcer de les restituer fidèlement en vérifiant ses sources. L'histoire des sciences diffère des synthèses épistémologiques qui "lissent" les péripéties, mettent de côté les reculs et les impasses et négligent les aspects biographiques. Ces dernières intéressent l'historien qui peut tenter de replacer les découvertes dans l'histoire individuelle du savant.
- La sociologie des sciences s'intéresse aux conditions sociales (générales ou institutionnelles) de la science. Son approche est externaliste, elle cherche les conditions politiques, économiques, techniques, qui permettent la pratique scientifique. La science n'est pas considérée comme une construction autonome, mais comme une activité sociale dans son contexte historique et ayant des conséquences sur la société.
- Ce champ comporte aussi un nouveau domaine qui porte sur la construction, la circulation et la transmission des savoirs les plus divers dans les sociétés humaines. On cherche comment ces savoirs sont investis de valeurs et d'autorité et ce qui a permis leur circulation et leur efficacité sociale. On est plutôt dans le cadre d'une l’histoire et d'une anthropologie des savoirs.
Esprit[modifier]
- Le terme d'esprit est polysémique et difficile à employer sans provoquer de confusion. Même en s'en tenant aux époques moderne et contemporaine, il est impossible de définir l'esprit de manière simple et univoque, car c'est une notion qui dépend totalement de l'auteur et du contexte.
- Le terme esprit désigne généralement une forme d’existence immatérielle, spirituelle, transcendante, qui n'est pas factuelle (phénoménale), mais substantielle. Dans cette optique métaphysique et religieuse, l'esprit est en rapport avec le divin, l'Idéalité absolue à laquelle l'homme accéderait partiellement.
- Le terme désigne aussi des aspects de l’activité humaine empiriquement identifiables qui peuvent être individuels ou collectifs. À titre individuel, l'esprit est diversement nommé mental, pensée, subjectivité, il correspond à des états, événements et processus qui vont de la sensation à la pensée abstraite en passant par les divers types de représentations concrètes.
- À titre collectif, l’esprit est produit par l'ensemble des hommes en tant qu’espèce et/ou corps social. C’est une création collective impersonnelle, une mentalité de groupe, une caractéristique socio-historique ; on parle alors de l'esprit d'une époque, d’état de la pensée (par exemple, les trois états d’Auguste Comte) ou de mentalité (Lucien Lévy-Bruhl, Émile Meyerson, Hélène Metzger, etc.) ou encore d'a priori historique et d'épistémè (Michel Foucault).
- Dans la philosophie d'inspiration cartésienne, l’esprit est la substance non étendue, non matérielle, qui se manifeste chez l'homme par la pensée. Pour Hegel, l'Esprit se réalise dans le monde culturel et social et dans l'histoire. Il se traduit dans l'ensemble des lois régissant la conscience collective et il se concrétise dans la culture (art, littérature, philosophie), ainsi qu'en politique (dans l'État). Avec l'école spiritualiste française, l'esprit est un principe transcendant pourvu d'une existence autonome. À cet ensemble de propositions, les matérialistes répondent que l’esprit n’existe pas, que c’est une fiction, et les béhavioristes que c’est une supposition sans fondement, un « fantôme dans la machine », pour reprendre l’expression de Gilbert Ryle.
- Le terme d'esprit renvoie tantôt à une substance métaphysique transcendante, tantôt simplement à la pensée et à la cognition humaine, il est tantôt individuel et tantôt collectif, il est tantôt pourvu d’une existence autonome, tantôt considéré comme produit par l’activité humaine. On a assisté au cours des XIXe et XXe siècles à une progressive sécularisation et déspiritualisation de l'esprit, pour y voir une capacité intellectuelle de l'homme (intelligence, pensée, représentation) vivant en société. Afin d'éviter des malentendus, il serait préférable de placer ces capacités dans la catégorie du cognitif, terme plus précis et qui n'est pas source d’ambiguïté métaphysique, comme celui d'esprit.
Éthique - Morale[modifier]
- Les sens de ces deux termes est si fluctuant et interchangeable qu’il est difficile de les départager. Quoi qu’il en soit, il est important de distinguer la réflexion sur le bien et le mal de celle portant sur les règles de conduite. Les enjeux sont très différents.
- La désignation du bien et du mal propose les finalités à poursuivre qui sont jugées favorables ou défavorables pour les hommes. Les définitions du bien et du mal varient nettement même si elles jouissent d’une certaine évidence pour la plupart des hommes. Le domaine des règles de conduite est différent, puisqu’il s’agit d’édicter ce qu’il faut faire et ne pas faire. Les règles ont un aspect prescriptif et normatif. Il existe entre les deux domaines de réflexion des relations complexes.
- Les règles de conduite sont considérées soit comme une conséquence de la vertu (Aristote), soit une application pratique du bien (épicurisme stoïcisme), soit comme un préalable (universalisme kantien appelé aussi déontologisme), soit comme relatives à leurs conséquences quant au bien et au mal (conséquentialisme dont la version la plus connue est l’utilitarisme).
- En énonçant des règles morales, la philosophie est confrontée au problème de la relation de ces règles avec les lois juridiques, avec les règles religieuses, avec les normes sociales et éducatives préexistantes. Elle doit aussi considérer l’origine et la genèse de l’ordonnancement social, ou encore d’un ordre symbolique général, et des acquis civilisationnels, problèmes auxquels l’historien, l’anthropologue, le sociologue, le psychologue sont plus aptes à répondre que le philosophe. D’où l’idée de défendre un minimalisme moral en philosophie.
- Si une réflexion philosophique sur le bien est sans conteste du domaine philosophique, il n’est pas sûr que la prescription de règles de conduite en fasse partie et qu’il ne faille pas plutôt se limiter à quelques principes prudents, dont celui de tenir compte des conséquences de ses conduites.
Être[modifier]
- Dans l'usage courant, "être" veut dire que la chose empirique dont on parle existe, qu'elle n'est pas une fiction sans consistance. L'emploi verbal rejoint l'usage logique. Dans l'usage logique, le verbe « être » constitue la copule qui indique les qualités, caractères, etc. du sujet en le liant à ses attributs. « A est b » est une proposition qui attribue la qualité b au sujet logique A.
- Dans un usage métaphysique, le nom « être » signifie que l’on suppose un fondement derrière les « étants » concrets (les choses, les personnes) ou les fictions théoriques (L’Un, Dieu, etc.). Le terme être désigne une existence indéterminée, indifférenciée et inconditionnée. Dans ce cas, l’emploi du terme est connoté implicitement par l'idée d'une transcendance et il est noté avec une majuscule : Être. La métaphysique prétend en avoir connaissance par intuition directe ou par le raisonnement, ce qui la conduit à questionner ou porter des jugements sur l’être de diverses manières. Elle se veut la connaissance du fondement inconditionné du monde.
- Le jugement métaphysique le plus courant consiste à déclarer l’être substantiel. Une des manière de faire de la métaphysique consiste à se demander quel est le mode d’être de tel étant qui, en tant que phénomène, serait une apparence. Dès lors, il s’agirait de dévoiler l’être caché derrière l’apparence, le « dévoiler ». Par exemple, selon Martin Heidegger, le mode d’être du Da-sein (l’homme) se trouverait en répondant à la question « qui est ? » et celui des choses en répondant à la question « quoi ? ».
- Il semble naïf de supposer que, partant de l’expérience ordinaire et subjective, on puisse, par un raisonnement, accéder au fondement du monde. Les réponses aux questions posées à la réalité empirique ne peuvent s’appliquer à une entité générale, abstraite et indifférenciée comme l’être.
- Dans une perspective ontologique prudente, on utilisera le concept d’existence à la place d’Être pour signifier que l’on porte un jugement affirmatif et positif sur le monde (il existe). Si l’on fait allusion à un fondement possible de la réalité empirique, le terme de réel est plus adapté. L’opposition de l’être à l’étant se résorbe alors dans la relation du réel à la réalité.
Existence[modifier]
- Dans la métaphysique idéaliste (platonicienne), l’essence ou l'Idée d’une chose n’implique pas son existence concrète constatable. Cette manière de penser sera reprise dans la perspective chrétienne (Thomas d’Acquin, Wilhelm Leibniz) pour expliquer que la Création puisse faire passer le monde de l’essence à l’existence.
- À partir de Nicolas Berdiaeff, puis Martin Heidegger, on a appelé la vie humaine « existence », ce qui correspond à son déroulement, à la façon dont chacun éprouve son histoire, l'assume et lui donne un sens. Existence désigne le déroulement conscient de la vie humaine par opposition au néant. Cet emploi a donnée les divers courants dits « existentialistes ».
- Laissant de côté ces aspects, nous retiendrons seulement deux sens pour le concept d'existence, selon deux points de vue : empirique et ontologique.
- Sur le plan empirique, existence qualifie la réalité concrète, attestée par l’expérience commune. Le terme s’oppose à inexistant ou encore illusoire. Il différencie également la réalité des représentations et fictions. La question « est-ce que ça existe » sous-entend qu’il s’agit de la réalité concrète. Une ambiguïté surgit, car on peut considérer qu’une représentation existe dans réalité mentale ou subjective. La question de l’existence empirique doit préciser à quel aspect de la réalité on a affaire.
- Sur le plan ontologique, l’existence est la supposition primitive et générale qu’il y a quelque chose et non pas rien ou le néant. Ce que l’existence désigne dans ce cas est neutre et indéterminé. C'est la simple affirmation « il y a », sans préciser quoi ni comment.
- L’ensemble de ce qui existe constitue le monde. L’existence du monde est un postulat indémontrable de la philosophie réaliste. Il n’admet pas l’ambiguïté ou la demi-mesure, la réponse est oui ou non. Le concept d’existence étant indéterminé, celui de réel vient le compléter en désignant le fondement des déterminations que l’on pense découvrir dans le monde.
Expérience ordinaire - Expérience scientifique[modifier]
- L’expérience construit ce qui est pour nous la réalité et la fait apparaître comme telle. Selon la qualité de cette expérience, c’est-à-dire selon son adéquation au monde, les résultats seront différents. En ce qui concerne la connaissance, on doit distinguer l’expérience ordinaire (commune) qui produit la réalité ordinaire et l’expérience méthodique qui produit la réalité scientifique.
- L’expérience ordinaire est limitée par nos possibilités sensitives, nos capacités de perception et de compréhension. Elle est déformée par la subjectivité, les conventions culturelles. La réalité ordinaire n’est pas universalisable, elle ne donne pas une information valable partout et de tous temps, car elle est étroitement liée à nos besoins, à notre subjectivité, à notre culture. Elle est limitée et surtout déformée de telle sorte quelle n'apporte que des indications partielles sur le monde.
- L’expérience scientifique améliore l'adéquation au monde par des techniques et une méthode. Liée au raisonnement, elle est contrôlée : on mesure, on simplifie les conditions, on élimine les facteurs perturbateurs. Elle ne prend pas en compte le vécu, les impressions ou états d’âme. Du fait des moyens techniques employés, elle s’étend au-delà de ce qui est accessible à l’expérience commune. La réalité scientifique issue d’une expérience encadrée par une méthode appropriée donne de meilleures indications sur le monde.
- Prenons l’exemple classique de la chute des corps. L’expérience commune, acceptée par Aristote et par la philosophie scolastique, montre que les corps légers chutent plus lentement que les corps lourds. Cette conception est adaptée à la vie courante sur Terre, car elle conduit, par exemple, à éviter très rapidement un corps lourd risquant de chuter. L’expérience scientifique, elle, montre que les corps chutent tous à la même vitesse. Elle est adaptée à une connaissance générale et objective du monde.
- La différence de qualité entre expérience ordinaire et expérience scientifique implique qu’on ne puisse prétendre aux mêmes résultats selon que l’on part des données de la réalité ordinaire ou de la réalité scientifique pour penser le monde.
Faisceau[modifier]
- Un faisceau rassemble des éléments séparés de même type. Il y deux manières de considérer un faisceau, soit comme un tout ayant des propriétés spécifiques, soit comme un ensemble d'éléments rassemblés en une collection qui n'a pas d'existence propre.
- En philosophie, on parle de théorie du faisceau pour désigner la conception ontologique de type empiriste, due à David Hume, pour laquelle ce qui existe est constitué uniquement de collections de propriétés. Cette doctrine est en opposition avec l'ontologie substantialiste. Contrairement à celle-ci, la théorie du faisceau postule qu’il n’existe pas de substance ou substratum dans laquelle résideraient les propriétés saisissables empiriquement.
- Selon cette théorie, un objet se compose de ses propriétés et réciproquement, il ne peut exister d'objet sans propriétés. Les substances n’existent pas, ce sont des fictions qui tiennent au langage. En effet, celui-ci impose d'utiliser un nom ou un sujet grammatical qui peut recevoir des prédicats, chacun d’eux désignant une propriété. Les noms sont substantifiés sans motif, car ce qui existe ce sont seulement les propriétés.
- Il faut noter qu'il s'agit d'une théorie empirique portant sur le concret particulier, identifiable comme individu composé (chose ou personne), et non une théorie des formes d'existence du monde (générale, transverse, concernant le réel), sauf négativement pour récuser le substantialisme.
- L'application psychologique de la « théorie du faisceau » développée par David Hume dans son Traité de la Nature humaine (1738) le mène à considérer le « moi » comme une fiction, une entité métaphysique inexistante et à douter de l'identité personnelle.
- La théorie du faisceau met en question, à juste titre, le concept de substance. C'est à un moment de l'histoire des idées où il n'existe pas d'autre alternative, hormis le nominalisme, mais de nos jours, la supposition du réel n'implique pas de le substantifier.
Folie - Maladie mentale[modifier]
- Le mot « folie » fait partie du vocabulaire littéraire et philosophique (philosophie morale). Il qualifie les conduites déraisonnables, absurdes, outrancières, inefficaces, qui nuisent à soi-même et à autrui, ou disconviennent à l’ordre social. La folie est généralement associée à la peur, mais aussi, curieusement, parfois valorisée comme si elle dévoilait une profondeur cachée et sacrée de l’homme, révélant génialement une dimension cachée. Comme représentation socioculturelle, la notion de folie est de nature idéologique. Elle s’intègre au corpus normatif d’une époque désignant l’anormal, l’inconvenant, ce qui génère un désordre.
- Reprise dans le domaine médical au XVIIIe siècle, la notion a été progressivement démantelée en diverses folies partielles, puis abandonnée pour des maladies plus précises : manie, mélancolie, névroses, psychoses, etc. De nos jours, en psychiatrie, on parle de "maladie mentale". Ce terme est tout aussi critiquable, car il fait référence au « mens », à l’esprit, qui serait atteint d’une maladie. Or, l’existence de maladies de l’esprit est pour le moins discutable. Comment l'esprit, au sens d'une substance spirituelle, pourrait-il être malade ? Et si ce n'est pas une telle substance, qu'est-ce qui est malade : la pensée, le vécu, l'entendement, le cerveau ?
- En ce qui concerne le domaine de la psychopathologie, les deux termes de maladie mentale et de folie sont inappropriés et il paraît préférable d’utiliser une périphrase désignant précisément ce à quoi on s'adresse, c'est-à- dire aux dysfonctionnements psychiques entraînant une souffrance et une invalidation. L'usage en est moins simple, mais aussi moins litigieux.
- De tels dysfonctionnements ont pour conséquence un vécu émotionnel pénible, des relations aux autres difficiles, un défaut de socialisation, une invalidation, des symptômes et des traits de caractère pathologiques. L'origine de la pathologie psychique est variable. Elle peut être événementielle et relationnelle, biologique et génétique, ou encore d'origine sociale ; tous ces facteurs pouvant d'ailleurs se combiner et se cumuler.
- Pour une vue d’ensemble du domaine de la psychopathologie, voir l’article : Comment se repérer en psychopathologie ?
Hasard[modifier]
- Lorsque des séries de faits indépendantes les unes des autres concourent à un événement remarquable, on parle de hasard. La dimension psychologique, c'est-à-dire l’intérêt porté à l'événement, est essentielle, car des déterminismes divers interfèrent sans cesse de par le monde sans que nous y prêtions attention. Un événement lointain et sans conséquence ne fait pas parler de hasard, c’est seulement lorsqu’il interfère fortement avec nous que vient cette idée. Le terme "hasard" dénote que l’événement (comme une rencontre importante, un accident grave) qui se produit sans intention ni volonté nous touche. On est ainsi confronté à ce paradoxe que le monde pourtant neutre et indifférent interfère avec nos vies ; le contingent nous affecte. Il en résulte, selon la conséquence heureuse ou malheureuse, une joie, un étonnement, une indignation, un désespoir, une résignation.
- Du point de vue scientifique, le mot hasard désigne l’impossibilité de prévoir avec certitude un fait, il est synonyme d’imprévisibilité (on parle de fait aléatoire). Cette imprévisibilité a des raisons différentes. Ce peut être parce que les facteurs mis en jeu sont trop nombreux, ou ne sont pas mesurables avec précision. Un cas plus subtil apparaît lorsque la combinaison des facteurs (dans les systèmes complexes) tends vers l’infini, ou que l'évolution du système dépend de variations infimes (dans les états instables), ou qu'une évolution autonome du système provoque des bifurcations importantes et irréversibles. Enfin, un fait peut dépendre d’un déterminisme engendrant plusieurs occurrences également possibles ; il est alors intrinsèquement aléatoire. Selon le formalisme quantique, les particules élémentaires peuvent se trouver dans des états où plusieurs de leurs paramètres (position, vitesse, polarisation) ne peuvent être précisés.
- Le hasard n'invalide pas le déterminisme, il demande à ce que l'on conçoive le déterminisme de manière assouplie. Admettre le hasard ne veut pas dire que le monde soit incohérent et chaotique, mais que la détermination existant dans tel domaine n'aboutit pas nécessairement à des états stables, exclusifs et parfaitement prévisibles. Devant des faits imprévisibles avec précision, le calcul des probabilités permet d’indiquer des pourcentages pour quantifier les chances qu'ils se produisent.
Histoire des idées[modifier]
- On peut faire remonter le projet d'une histoire des idées à Giambattista Vico qui, dans sa Scienza nuova (1744), appelait à une nouvelle forme d’histoire qui serait une « histoire des idées humaines ». Divers auteurs, tels Benedetto Croce en Italie, Wilhelm Dilthey, Max Weber ou Georg Simmel en Allemagne, ont associé des considérations historiques à la sociologie et à la philosophie. L’histoire des idées, bien que cela n’ait rien d’obligatoire, est plutôt positionnée sur le champ culturel. Au XXe siècle, le philosophe américain Arthur Oncken Lovejoy, enseignant de philosophie à l'Université Johns Hopkins à Baltimore, a jeté les bases de la discipline avec son ouvrage The great chain of being (1933). Il a créé en 1940 le Journal of the History of Ideas.
- Le terme "histoire des idées" peut sous-entendre une autonomie des Idées au sens idéaliste. Mais, les Idées vraies étant éternelles, leur historicisation serait sans objet et le propos contradictoire. Afin éviter ce problème, on doit bien préciser que le terme idée correspond à un contenu de pensée et ainsi l'histoire des idées devient la reconstruction des évolutions de la pensée collective, de la culture, des mentalités.
- La pensée, considérée comme collective et partagée, se construit selon une dynamique autonome au sein d’un contexte socioculturel qui en détermine la possibilité et en conditionne la réception. La mise en œuvre rationnelle d’un ensemble de concepts et principes conduit nécessairement à certaines conclusions. Mais, le devenir collectif du travail de recherche dépend de facteurs sociaux. Ces deux dynamiques combinées provoquent des continuités, des ruptures franches ou des bifurcations, car certains aspects sont mis en avant ou répudiés de manière changeante au fil du temps.
- L'histoire des idées étudie les discours, les productions littéraires et philosophiques, les conceptions du monde répandues dans la culture à une époque donnée ainsi que leurs variations au cours du temps. Elle s'intéresse à l'apparition et à l'évolution des idées dans différents champs, mais aussi à celles qui les traversent tous à une époque donnée.C'est un domaine situé à l'intersection de l'histoire, de la philosophie et de l'étude des civilisations. L'un des thèmes de l'histoire des idées est de montrer qu’une même façon de penser peut passer d'un domaine à un autre. Comme le note Marc Angenot, ce qui fait "histoire", c'est que les idées sont collectives : elles sont reprises par un petit groupe, puis se déplacent dans une partie de l’opinion publique, et, à un moment donné, se traduisent par des actions socialement efficaces.
- On a reproché à l’histoire des idées de négliger l’action, de tracer une histoire linéaire et enfin de postuler une dynamique autonome des idées sans tenir compte du contexte ; mais de nombreux auteurs procèdent au contraire de manière globalisante.
Historicisme[modifier]
- L'historicisation de la pensée montre que la pensée est liée au contexte historique, ce qui conduit à privilégier l'étude des influences externes sur le développement des processus de connaissance, de la transmission des savoirs, des modes de pensée ou des normes et valeurs sociales. Elle trouve ses principaux critiques du côté de philosophes comme Wilhelm Dilthey, Edmund Husserl, Martin Heidegger, sous le qualificatif "d'historicisme".
- L’historicisme est une accusation, un reproche grave, vis-à-vis des doctrines considérant que la pensée est liée à une situation historique contextuelle. Ses tenants, en privilégiant l'étude des conditions de possibilité de la pensée, rateraient la valeur propre de la pensée, son autonomie. Le terme "historicisme" contient le reproche d’un relativisme sans demi-mesure, mais ce reproche vient généralement d’auteurs prônant un idéalisme critiquable.
- Si l’historicisation de la pensée s’accompagnait d’un scepticisme radical, l’accusation serait justifiée. Cependant, le plus souvent, l’évocation des diverses conditions (épistémiques, sociologiques, économiques, politiques, etc.) n'entraîne pas la suspicion supposée par le terme « historicisme ». Rapporter la pensée à une époque et à sa culture n’exclut pas de juger intrinsèquement de son intérêt ou de sa valeur.
- Une idée dont on admet qu'elle est produite historiquement est certes "relative" à son époque, mais elle n’est pas pour autant suspecte et remplaçable indifféremment par toute autre. La relativisation de la pensée aux conditions qui la permettent n’impose pas un relativisme excluant le jugement.
- D’autre part, l’étude de facteurs externes sur le développement des processus de connaissances et de transmission des savoirs (facteurs sociaux, culturels, politiques) n’exclut pas - et ne doit pas exclure - la prise en compte de leur dynamique propre et de leur logique interne. C'est un équilibre qui est assez bien réalisé par Thomas Khun grâce au concept de paradigme.
Holisme[modifier]
- Le holisme est une manière de penser qui envisage le monde, ou certains de ses aspects, de manière globale. Il peut s'appliquer à bien des choses et de bien des manières mais, nous le considérerons ici uniquement dans le cadre de la philosophie des sciences et de la connaissance.
- Le mot « holisme » a été introduit par Jan Smuts en 1926 pour qui il désignait la tendance de la nature à former des entités plus grandes que la somme des parties.
- Le holisme est un principe général, une façon de penser, une logique au sens très large du terme, qui suppose deux aspects :
- Il existe des relations entre parties de la plupart des entités individualisables et ces relations où au moins certaines relations affectent les propriétés des parties comme de l’ensemble.
- Certaines des propriétés manifestées par l’entité ne sont pas dérivables des propriétés de ses parties, car elles dépendent des relations évoquées précédemment.
- On peut ainsi considérer des ensembles organisés (ou structurés) et les considérer comme des entités aux propriétés nouvelles. L’organisation a une vertu constitutive, elle apporte par elle-même une forme d’existence différente et non négligeable, car si les parties sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes. Ce principe permet d’accorder un statut ontologique aux entités complexes et leur conférer une forme d’existence réelle.
- Le caractère de totalité des entités considérées fait que si les parties peuvent penser séparément les unes des autres, par contre, l’ensemble organisé ne peut pas être simplement expliqué par leur somme ou leur agrégation et, une fois constitué, il interfère avec ses parties.
- Le holisme a été un intérêt en biologie, car il permet d'appréhender des objets d'étude comme des unités fonctionnelles visant à préserver leur existence. En écologie, il permet de considérer l'ensemble du système constitué par l'objet d'étude situé dans son environnement. La doctrine considérant les domaines scientifiques comme un tout a été défendue par Duhem. Pour cet auteur, ce n'est jamais un énoncé scientifique isolé, mais la science dans son entier qui affronte le verdict de l'expérience.
- Le mot est également utilisé dans les sciences sociales. Émile Durkheim est souvent présenté comme le fondateur de l’approche holistique, mais lui-même n'utilisait pas ce terme qui était surtout employé par ceux qui le critiquent. Durkheim a cherché à définir l'objet de la sociologie. C'est en définissant des objets spécifiques que la sociologie peut devenir une science. Mais, tout ce qui est social n’est pas nécessairement sociologique. Les objets de la sociologie sont ceux qui subissent exclusivement un déterminisme social.
- Pierre Bourdieu, lui aussi qualifié de "holiste", adopte l'attitude inverse. Pour lui, tout phénomène susceptible d’être influencé par l’environnement social peut faire l’objet d’une explication sociologique.
- Le terme de holisme est d'un emploi difficile, car il est sujet à polémique et souvent interprété de manière péjorative comme un principe fantaisiste.
Humanisme[modifier]
- On a appelé «Humanisme», à partir du XIXe siècle, le mouvement intellectuel apparu avec la Renaissance italienne et qui s'est propagé dans toute l'Europe au XVe et au XVIe siècle. Il a contribué à transformer la civilisation occidentale. Nous verrons ici uniquement le sens philosophique contemporain.
- L'humanisme, au sens philosophique, suppose que l'homme (individuellement et collectivement) a une potentialité de développement optimal, sous réserve qu'il en ait la possibilité ; ce qui suppose de respecter la dignité et la valeur de tous les individus humains et de lutter contre les diverses formes d'asservissement. Dans cette perspective, l'humanisme consiste à faire en sorte que l'humanité optimale, possible chez l'homo-sapiens, advienne. C'est un projet éthique d'accomplissement de l'humain.
- L'humanisme a plusieurs visages, car il dépend de la conception de l'homme sur laquelle il s'appuie. Il prendra des formes différentes selon que l'on considère l'homme comme un être spirituel, matériel ou social, et l'humanité optimale comme le développement de l'un ou de plusieurs de ces aspects. Les moyens d'une promotion de l'humain seront, dans ces divers cas, bien différents. C'est une difficulté pour définir l'humanisme.
- On peut considérer que chaque humain résulte de la synthèse individualisante d'aspects biologiques, psychologiques, culturels et sociaux. Il y a donc une pluralité ontologique de l'homme. À partir de là, l'humanisme consisterait à respecter la pluralité de l'homme, à le considérer selon toutes ses dimensions. L'humanisme s'oppose, par conséquent, aux doctrines cherchant à réduire ou à parcelliser l'homme.
- Il faut aussi considérer que l'homme est issu de divers processus évolutifs : à l'échelle de l'espèce, à l'échelle de l'individu (qui passe de l'enfance à l'âge adulte), et à celle des sociétés et des cultures (qui changent profondément avec l'histoire). L'homme n'est pas figé, mais en devenir. Son accomplissement aussi.
- "L'humanité", au sens d'une manière d'être, se définit généralement par la dignité, la sagesse altruiste, la sociabilité, le respect, la culture. On peut supposer qu'elle résulte d'une empathie ancrée en l'homme, mais aussi et principalement des acquis éducatifs. Sa réalisation correspond en partie à la "common decency" décrite par Orwell, ou encore à ce que les moralistes, depuis l'Antiquité, considèrent comme des vertus.
- L'humanisme n'implique pas une attitude complaisante ou compassionnelle envers l'homme, ni un anthropocentrisme, mais seulement un respect des conditions nécessaires à l'accomplissement de l'humanisation.
Humanité[modifier]
- Le mot « humain » est tantôt utilisé comme une catégorie descriptive par rapport à l’espèce humaine (ce qui la constitue, la caractérise) et tantôt utilisé dans un sens éthique, désignant alors les qualités telles que le respect, la dignité, la bienveillance, la sociabilité. Ces deux sens sont bien différents, car une activité typiquement humaine peut en effet être dégradante pour les individus qui la subissent, et par là, inhumaine.
- Au sens éthique, l'humanité est une manière de se conduire, une forme possible du devenir de chaque homme. "Hommes, soyez humains, c'est votre premier devoir" écrivait Jean-Jacques Rousseau, en 1762, dans Émile ou de l'éducation. Humanité et humanisme désignent les vertus de l’homme lorsqu’il se montre altruiste et sociable, maîtrisé et empathique, digne et respectueux (sur ce sujet voir l’article Humanité ou sagesse ?), en un mot civilisé.
- Certains hommes sont étrangers à l'humanité au sens évoqué ici, ce qui implique l’affirmation paradoxale que des hommes ne seraient pas humains.
- Parler de "l’humanité" sans précision risque d’induire un raisonnement fallacieux conduisant à négliger la part nuisible de l’homme et à la rejeter ailleurs, chez l’autre, l’étranger, le barbare. L’homme, en tant qu’individu du genre homo, a des potentialités agressives, perverses et nocives. Il s'ensuit qu'il est préférable de le préciser lorsque que le termes "humain" et "humanité" sont employés dans les sens de civilisé, éduqué, équilibré. L’humanité en ce sens-là est une possibilité pour l’homme, mais elle n'advient pas toujours.
- On pourrait utiliser des périphrases et parler de sagesse altruiste, de sociabilité accomplie, de décence et de dignité. On pourrait évoquer une potentialité empathique ancrée dans ce qui constitue l’homme (ses premières identifications), sa réalisation correspondant à la « common decency » décrite par Orwell, ou encore à ce que les moralistes depuis l’Antiquité considèrent comme des « vertus ». Mais, d'un autre côté, ces périphrases alourdiraient le discours, alors que l'on a un terme communément admis et facile d'emploi.
- Il y a aussi une autre raison pour garder le terme "d’humanité", tout en sachant qu’il ne recouvre que l’une des possibilités de la condition humaine, c'est qu'il valorise et généralise ce qui chez l'homme permet l’épanouissement de l’individu et la vie en société. Il donne une universalité à ce qui n'en a pas toujours, mais devrait en avoir une. Cette manière de parler correspond à une position éthique. On désigne par « humain » ce que devrait être l’homme, par « humanité », les qualités qu’il devrait avoir. Cette tradition langagière est acceptable, car il y a légitimité à promouvoir l’humanisme.
Hypothético-déductive[modifier]
- La démarche intellectuelle dite "hypothético-déductive" part d’hypothèses et en déduit les conséquences. Le terme, selon qu’il concerne la connaissance théorique pure ou les sciences empiriques, a deux sens différents.
- Concernant la théorie seule, il désigne le fait de partir d’une axiomatique et d’en déduire des conséquences logiques. Les mathématiques, qui partent d’un ensemble d’axiomes et de règles pour en déduire les conséquences formelles, sont l’exemple type d'une démarche hypothético-déductive abstraite.
- Dans les sciences empiriques, la méthode hypothético-déductive est une façon de conduire la recherche qui associe théorie et pratique selon une séquence définie. Il s’agit :
- 1. de poser une hypothèse
- 2. d’en déduire des implications concernant les faits
- 3. d’expérimenter ou observer afin de voir si les faits prédits correspondent
- 4. de faire retour sur l’hypothèse à partir des résultats d’expérience.
- La démarche consiste à faire des prévisions précises à partir d’une hypothèse théorique, afin de la confirmer ou de l'infirmer. Cette démarche, typique de la science moderne, organise une confrontation à la réalité, car elle s’en remet au verdict des faits. Ces derniers viendront corroborer ou invalider (réfuter) l’hypothèse.
- Une hypothèse réfutée peut être soit abandonnée, soit modifiée. Son abandon conduit à faire rebondir la recherche par une autre hypothèse. Après Karl Popper, on considère qu’une hypothèse corroborée par les faits est juste, mais qu'elle n’est pas vérifiée à titre définitif. Elle est vraisemblable au vu de l'état actuel de la connaissance.
Idéalisme[modifier]
- Il existe de nombreuses philosophies se déclarant idéalistes et il est impossible de les citer toutes. Si ce type de pensée existe depuis l'Antiquité, le terme date du XVIIe siècle, formé par opposition à celui de matérialisme.
- On peut définir l'idéalisme par trois points :
- les idées existent,
- elles ont un rôle essentiel dans le monde,
- l'homme, par sa pensée et sous certaines conditions, accède aux idées.
- L'idéalisme affirme l'existence des idées et leur attribue un rôle principal. Mais, sur ces deux points, les positions varient selon les idéalismes. Pour les uns, les idées existent dans et par l'esprit humain, elles sont subjectives, pour les autres, elles sont réelles et constituent le monde.
- Tous les auteurs de ce courant supposent que les Idées, l'Esprit conditionnent la réalité factuelle, mais de façon différente.
- Dans l'idéalisme platonicien, les idées sont premières et réelles, alors que les aspects factuels en sont les réalisations transitoires (voir idéalisme réaliste).
- Dans l'idéalisme de George Berkeley, les idées conditionnent complètement la réalité qui n'a pas d'existence sans elles, ce qui conduit à une négation de la matière et à un doute sur la réalité empirique.
- Dans l'idéalisme transcendantal kantien, la réalité empirique est seulement relativisée à des formes a priori de notre entendement et les objets construits grâce aux concepts, mais il n'y a aucun irréalisme.
- Dans l'idéalisme Hégélien, l'homme participe à l'Esprit se réalisant dans le monde et dans l'Histoire humaine. L'Esprit est extérieur à la pensée subjective humaine. L'idéalisme hégélien est dit absolu, car il considère que tout ce qui existe résulte du développement de l'Esprit, de l'Idée Absolue.
- L'idéalisme est fréquemment associé à une perspective religieuse et théologique. Dans ce cas, les Idées ou l'Esprit correspondent en dernier ressort à Dieu. Dieu devient la condition qui permet de concevoir l'esprit humain. Pour la majorité des idéalistes, les idées, le spirituel, se confondent avec Dieu et gouvernent la substance étendue ou la réalité.
Idéalisme et réalisme[modifier]
- Dans l'article Idéalisme du Vocabulaire, nous avons évoqué l'idéalisme en général. L'idéalisme peut aussi bien adopter une attitude réaliste que la refuser et déclarer le monde illusoire et entièrement dépendant de la subjectivité (comme dans l'immatérialisme de Berkeley). Certains idéalistes affirment que ce qui existe réellement et indépendamment de nous (en soi) est idéel. C'est un idéalisme réaliste, mais l’association des termes est litigieuse.
- L'exemple princeps est l'idéalisme Platonicien. À la question qu’est-ce qui est véritablement ? Platon répond : « Les Idées ». Dans cette configuration, le concret phénoménal dans lequel nous nous trouvons (la réalité des choses tangibles) s'oppose au monde des Idées qui est véritablement réel. C'est le monde de l’eidos pour Platon ou le règne logico-mathématique pour Gotlob Frege. Cette forme d'existence, qu'elle soit conçue comme idées, essences ou autre, constitue une entité indépendante de l'humain.
- On retrouve ce type de problème dans la querelle des Universaux (philosophie scolastique), les "réaux", affirmant l’existence des Idées abstraites, se sont opposés au nominalistes, affirmant seulement l’existence des individus désignés par le mot (Guillaume d’Ockham).
- Cette forme d'idéalisme trouve son expression contemporaine la plus pure chez Gottlob Frege et Bertrand Russell. La connaissance vraie s'obtient par la mise en relation (en adéquation) entre la pensée et les Idées, c'est-à-dire par la correspondance univoque entre la pensée humaine et les Idées de la sphère idéale qui constituent le fondement réel des phénomènes empiriques. De nombreux mathématiciens sont réalistes au sens où ils croient en l’existence d'entités mathématiques indépendantes de la pensée et présentes dans le monde.
- Cet idéalisme est une doctrine métaphysique, car il affirme connaître la nature idéale de l'être sans démonstration et sans vérification empirique possible, puisque l'idée est première. La pensée humaine accéderait directement aux idées ou essences constitutives du monde, ce qui se passe, évidemment, de démonstration empirique. Que la pensée accède directement aux Idées déterminantes et constitutives du monde ne tient pas compte que la pensée est produite historiquement par des humains et que son adaptation au monde est très imparfaite.
- Le terme réalisme est justifié au sens où il y a une affirmation sur le réel, mais son emploi est litigieux, car réaliste signifie aussi avoir un référent identifiable, ce qui n'est pas les cas des Idées au sens métaphysique.
Idée[modifier]
- Les Idées platoniciennes sont définies comme des entités absolues, éternelles, immuables, de nature substantielle. Les théologiens ont retenu du platonisme la fonction archétypale des idées et leur ont assigné pour lieu l’intellect divin. Descartes, tout en reconnaissant qu’elles sont des formes de l’entendement divin, déclare qu’il ne connaît pas de terme plus apte à désigner « ce qui est conçu immédiatement par l’esprit ». Dans la philosophie moderne, l’idée est chose de l’esprit ou de l’âme en tant qu’il (elle) invente, conçoit, et non en tant qu’il sent ou perçoit.
- Nous laisserons de côté ces approches pour aller vers une définition qui situe les idées comme étant produites par l’activité de penser humaine. L’homme, en pensant, forme des idées qui sont des ensembles finis, individualisables, nommables, transmissibles. La notion est nécessairement floue, car son extension est vaste : il y a toutes sortes d’idées. Il serait vain de les classifier, mais, à titre d’exemple, on peut dire qu’elles sont plus ou moins abstraites, plus ou moins générales, plus ou moins fantaisistes, et qu’elles peuvent toucher tous les domaines du savoir.
- Du point de vue philosophique, on peut distinguer les « notions », vagues et peu définies, et les « concepts », abstraits, précis, interagissant entre eux. Emmanuel Kant différencie l’idée du concept, ce dernier étant vérifiable par l’expérience, alors que l’idée naît lorsque la raison tente d’aller au-delà de ce qui est vérifiable.
- Il paraît préférable de laisser au terme sa généralité. La vaste extension de la définition des idées est utile pour disposer d’un vocable facilement utilisable, d’une catégorie, qui désigne les différents contenus de pensée pour peu qu’ils soient identifiables et transmissibles et dépassent le stade de la perception.
- Les idées ne sont pas concrètes, mais elles ont une forme d’existence ; elles participent du niveau cognitivo-représentationnel. En étant transmises et partagées, elles s’intègrent dans la sphère culturelle. Elles changent et évoluent au fil du temps et l’on peut ainsi faire une histoire des idées.
Identité[modifier]
- D’un point de vue formel, l’identité renvoie à une similitude absolue (notée, par exemple, A=A), mais, dans la réalité, l’identité renvoie à une similitude relative (telle chose A est, sous certains points de vue, identique à la chose B) ou à une permanence relative (la chose A reste identique à elle-même un certain temps).
- L’identité ne peut être séparée du changement, car peu de choses sont immuables. Autrement dit, le concept d'identité cherche à cerner l’unité, la singularité et la permanence d’une entité réelle, bien que des changements l’affectent. Cela pose immédiatement une série de problèmes, à savoir, comment l’identité se constitue, se maintient, évolue.
- La biologie applique le concept d'identité à des êtres vivants de taille et de complexité variables (cellule, organe, individu, espèce). Elle cherche à cerner ce qui fait qu'une entité vivante reste la même au cours du temps, alors que ses constituants se renouvellent sans cesse. Il s'agit de trouver des marqueurs de permanence pour les suivre au cours du temps et éventuellement noter leur transmission.
- Identifier un élément vivant particulier implique de le distinguer des autres. L'identité impose une différenciation qui permette de repérer des entités se distinguant les unes des autres. En poursuivant la recherche vers des distinctions de plus en plus fines, on aboutit à une différenciation qui distingue complètement une entité d'une autre, lui donne une individualité.
- Identité et différence cernées par des traits empiriquement identifiables renvoie à l'idée de caractère ou de caractéristiques qui permettent de définir une spécificité de genre, ou d'espèce. Ainsi, les cellules nerveuses se distinguent par des traits caractéristiques des cellules musculaires, mais elles ont en commun d’être des cellules. La notion d'identité en biologie tient compte à la fois qu'une entité vivante est singulière et qu'elle partage des caractéristiques communes avec d'autres.
- En ce qui concerne l'identité humaine, l'affaire se complexifie. L'unité et la permanence ne concerne pas seulement la biologie humaine, mais aussi les aspects cognitifs, psychiques et socioculturels des individus.
- Sur le plan psychique, l’identité peut être expliquée par la fonction de synthèse qui rassemble et unifie activement les identifications successives, les variations évolutives et les tendances contradictoires. La société donne à chacun une place, un nom, un rôle, elle assigne des règles de conduite, qui, assimilés individuellement via le psychisme et contrôlés collectivement, contribuent à l’identité humaine.
- L’ensemble peut être mis en défaut, ce qui produit des vécus de flottement, de dédoublement, de perte d’identité ou des réactions défensives d’affirmation identitaire. L’identité est aussi un outils politique visant à identifier et repérer chaque personne pour la contraindre et lui imputer une responsabilité. L’identité renvoie aux concepts de personnalité et de caractère.
Idéologie[modifier]
- Pour Ludwig Feuerbach, auteur de l'Essence du christianisme, l'idéologie est l'ensemble, plus ou moins cohérent, de représentations, de valeurs et de principes moraux que génère une société. Elle apporte un réconfort aux hommes déchirés par les difficultés de la vie. Au travers de leur idéologie, les individus traduisent involontairement leur condition sociale et leurs aspirations. De plus, une idéologie n'est pas neutre politiquement, elle poursuit un but, même si elle prétend le contraire, qui correspond à la défense des intérêts du groupe social.
- L'idéologie peut se définir comme l'ensemble des opinions partagées par un groupe social, opinions qui ont des effets collectifs au-delà de la sphère privée. L'idéologie est liée aux nécessités inhérentes à l’action collective. Elle est véhiculée et fréquemment réitérée par les membres du groupe, ce qui influence son contenu (qui se simplifie) et sa forme rhétorique (qui se fige au fil du temps). L'idéologie véhicule un ensemble de croyances adossées à des intérêts. Elle n'est pas neutre, ni socialement, ni politiquement.
- L'idéologie est toujours floue et ne constitue pas une doctrine bien définie et circonscrite. Elle véhicule à la fois des valeurs, mais aussi des leurres. Ce n'est pas un discours qui a pour critère la vérité démonstrative ; elle veut imposer une vision de la société, normer les conduites, produire des effets sociaux. Elle est souvent appuyée sur une métaphysique dans laquelle elle trouve des justifications. Quelle soit bonne ou mauvaise par rapport à l'intérêt collectif, l'idéologie est toujours simplificatrice et se distingue de la science comme de la philosophie.
- L’idéologie a toujours plus ou moins un rôle de tromperie. Elle met souvent en avant un idéal valorisé pour cacher une pratique toute différente liée aux intérêts économiques ou politiques d'un groupe social. Un peuple peut adhérer à une idéologie contraire à ses intérêts. L'idéologie est toujours affectisée, elle est portée par l'émotion et s'accompagne souvent de violence pour s'imposer. En cela, l'idéologie est dangereuse, comme l'a bien montré l'histoire du XXe siècle au cours duquel les idéologies triomphantes ont conduit à des massacres de masse.
- Nous vivons dans un océan idéologique au sein duquel, selon les pays et les époques, des dominantes se créent. Il est du devoir du philosophe d'apporter une distance critique par rapport à l'idéologie du point de vue du contenu, mais aussi et surtout vis-à-vis de sa fonction de transformation leurrante de la réalité.
- Note : Le terme idéologie a été employé à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle pour désigner un courant philosophique d'inspiration sensualiste (Destutt de Tracy, Maine de Biran, Georges Cabanis) en un sens qui n'a rien à voir avec celui adopté ici. Cabanis prétendait promouvoir une connaissance de la formation des idées, d'où le nom idéologie.
Immanent - Immanence[modifier]
- L’étymologie latine immanere, qui signifie « demeurer en », fait bien comprendre le sens. Est immanent ce qui appartient à l’objet considéré. Une cause, un facteur, une caractéristique, s’ils sont immanents, ne sont ni extérieurs ni indépendants de ce que l’on considère. Ils en font partie intrinsèquement.
- En philosophie, l'immanence s'oppose à la transcendance. Pour l’immanentisme, le monde procède de lui-même, il est autonome, ce qui est l’inverse des doctrines transcendantes pour lesquelles le monde serait réglé par quelque chose d’autre que lui ou aurait été créé par une entité qui n'en ferait pas partie.
- Par exemple, la philosophie de Baruch de Spinoza est fondée sur une ontologie de l’immanence dans laquelle « Dieu » est intégré dans le monde ; il est la rationalité et le vouloir vivre qui animent les choses. Pour Arthur Schopenhauer, la « Volonté » est immanente au monde.
- Pour Emmanuel Kant, est immanent ce qui est situé dans les limites de l’expérience possible et transcendant ce qui est au-delà de toute expérience possible et, par là, demande des hypothèses métaphysiques.
- En termes contemporains, l'ontologie de l’immanence considère que le monde existe de lui-même, sans supposer d'intervention, force, cause, etc., extérieure au monde. L’immanence est rationnellement conséquente avec l’idée du monde comme totalité.
Information[modifier]
- Le terme d’information, dans le langage courant, signifie avoir une certaine connaissance ou un savoir quelconque sur le monde environnant, qu'il soit concret, relationnel ou social.
- Pour les formes plus élémentaires de vie, un indice peut être considéré comme une information sur l'environnement, s'il provoque une réaction à cet environnement ; cela va du chimiotactisme au réflexe. De manière plus sophistiquée, certains comportements peuvent être interprétés comme l'acquisition d'informations sur la localisation d'une source motivante (partenaire, nourriture) .
- La théorie dite "de l’information" du milieu du XXe siècle (Shannon, Wiener) renvoie au codage du signal, à sa transmission et, plus précisément, à leur théorisation statistique (voir L'information selon Shannon). Avec le computationnisme, fondé sur l'algèbre de Boole, l'information a pris un aspect double, liant le code et le signal. Le code est une suite d'éléments syntaxiques, de zéros et de uns, susceptibles d'être reproduits de diverses manières, mais, en général, il s'agit d'impulsions électriques de faible voltage.
- C'est à partir de là que s'est développée l'informatique que nous définirions comme la possibilité théorique et technique de manipuler des signaux correspondant à des symboles numériques, c'est-à-dire d'effectuer des calculs. Un ordinateur est un ensemble de signaux dirigés par des algorithmes dans un but préétabli.
- Un autre sens a été donné à information dans les débats scientifiques, qui est celui d'ordre ou d'ordonnancement présent dans le monde. La question de savoir si l'information peut renvoyer à la néguentropie reste ouverte. Le terme est ici ambigu, car les problèmes posés par les concepts dont il relève ne sont pas résolus.
- Pour certains, comme Rolf Landauer (1980), l'information peut être considérée comme une catégorie du réel. Après lui, certains physiciens considèrent que les conflits entre la physique classique et la physique quantique peuvent être résolus en supposant l'existence de l'information.
- En ce qui concerne l'homme, et quel que soit le média utilisé, l'information a généralement un contenu cognitif (une signification). En cela, elle se différencie du simple signal, ou de l'indice, ou du stimulus. Cette part cognitive et représentationnelle de l’information pour l'homme est passée sous silence, voire niée, par le courant naturaliste dominant.
- L'utilisation du même mot "information", pour signifier des concepts très différents, introduit une confusion. Cet usage indistinct est dû à une volonté d'unification qui paraît abusive. Lorsqu'on parle d'information, il convient de définir en quel sens précis le mot est employé. Il est en effet important de ne pas créer de malentendus, car cette notion a de plus en plus d'importance non seulement pour la physique et l'informatique, mais aussi pour la biologie et les sciences de l'homme.
Instrumentalisme[modifier]
- Nous parlons ici de l'instrumentalisme en épistémologie. Opposé à toute interprétation matérialiste et réaliste de la chimie et de la physique, Pierre Duhem* proposa en 1908 une conception que l'on qualifie "d'instrumentaliste", ce qui signifie purement opératoire et non réaliste. La science ne doit pas chercher à décrire la constitution du monde, mais proposer des théories concernant les phénomènes, théories qui permettent des prédictions. Cette position ressemble à celle du positivisme, mais Duhem l'accentue et ajoute que le but de la recherche est la simplicité, l'économie des moyens et la généralité d'application, indépendamment de l'adéquation avec le monde.
- L'instrumentalisme interdit complètement toute hypothèse ontologique sur la constitution du monde. Une théorie pour un instrumentaliste doit être simplement "empiriquement adéquate", il n'est pas nécessaire de la tenir pour vraie au sens de "en adéquation avec le réel". On s'en tient à la concordance entre les faits et la théorie sans se prononcer sur le réel en soi. Le but des théories scientifiques est uniquement d'offrir des prédictions valides, elles n'ont pas à être « vraies » ou « réalistes », mais seulement à être prédictives.
- Le terme "instrumentalisme" qui a été proposé par Pierre Duhem, vient du fait que les théories ne sont vues que comme des instruments. On dit parfois que la théorie est une "convention" "commode" pour expliquer les faits. La conception instrumentaliste reste d'actualité en épistémologie, car elle est suffisante et efficace.
- On peut lui préférer un réalisme ontologique prudent : si le réel existe, les sciences en indiquent probablement quelque chose sur lui. Karl Popper** défend le réalisme contre l'instrumentalisme dans Conjectures et réfutations. Même si les théories scientifiques évoluent pour se conformer à la réalité, la nouvelle théorie est malgré tout plus proche de la vérité que celle qu'elle remplace. On peut aussi soutenir qu'au travers des sciences, une approche du réel est possible.
- Pierre Duhem, Sauver les phénomènes. Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée. Sozein ta phainomena, Paris, Vrin, 2005.
- Karl Popper, Conjectures et réfutations. La croissance du savoir scientifique, Paris, Payot, 1985.
Kerygme[modifier]
- Ce mot de prime abord énigmatique est issu du grec ancien et signifie tant « proclamation » que « message ». Selon les définitions, ces deux approches se retrouvent. Pour le glossaire en ligne sur le site de la Conférence des évêques de France, le kérygme désigne « le contenu essentiel de la foi en Jésus-Christ annoncée et transmise aux non-croyants par les premiers chrétiens ».
- L’encyclopédie Universalis définit pour sa part ce mot comme « cette activité des disciples de Jésus qui consistait dans l’annonce de la présence vivante du Christ ressuscité, autrement dit dans la proclamation de l’Évangile ». Et l’encyclopédie de préciser que « le mot classique équivalent serait évangélisation ». Ainsi, le kérygme est « soit l’acte, soit le contenu ».
- Dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, parue en 2013 et qui peut être lue comme une annonce programmatique de son pontificat, le pape François insiste sur le kérygme, qu’il définit comme « la première annonce », c’est-à-dire « l’annonce principale, celle que l’on doit toujours écouter de nouveau de différentes façons et que l’on doit toujours annoncer de nouveau ». Plutôt que de définir de manière théorique cette fameuse annonce, le pape François donne les mots avec lesquels la proclamer : « Jésus-Christ t’aime, il a donné sa vie pour te sauver, et maintenant il est vivant à tes côtés chaque jour pour t’éclairer, pour te fortifier, pour te libérer. »
- « Le point central de l’annonce demeure toujours le même : le kérygme du Christ mort et ressuscité pour le salut du monde, le kérygme de l’amour de Dieu absolu et total pour tout homme et pour toute femme », écrivait, de son côté, Benoît XVI dans son message pour la Journée missionnaire mondiale 2012. « Ce kérygme a culminé dans l’envoi du Fils éternel et unique, le Seigneur Jésus qui ne dédaigna pas de prendre la pauvreté de notre nature humaine, l’aimant et la rachetant du péché et de la mort en s’offrant lui-même sur la croix. »
Mal[modifier]
- Dans le langage courant, on qualifie de mal ce que l’on réprouve, ce qui fait souffrir, et qui semble découler d’une intentionnalité.
- Le mal a de tous temps été interprété par la religion et pensé de façon métaphysique. Au IIIe siècle en Perse, les manichéens opposaient le bien et le mal. Dans la religion chrétienne, le mal a été personnifié par le diable (le Malin) et déclaré lié à l’imperfection de la créature humaine et au péché. On peut contester qu’il y ait un mal général, un mal ontologique, ayant une existence propre. C’est un présupposé métaphysique indémontrable. La métaphysique du mal cache une réalité, celle des actions néfastes des individus et des groupes sociaux envers les autres hommes.
- Pour Baruk Spinoza, on doit plutôt considérer ce qui est mauvais pour nous humains. Cette acception anthropocentrique est justifiée, car ce qui est mal concerne l’homme et il est désigné comme tel par l’homme. Le mal, dans une philosophie rationnelle et non métaphysique, se définit, dans le cadre d'une éthique humaniste, par l'irrespect des valeurs humaines (voir Humanité).
- Le mal désigne les conduites qui causent la mort, la souffrance, la misère, l’indignité, telles que le meurtre, la torture, les agressions diverses, l'exploitation, l'asservissement, le vol, le viol, l'humiliation, le harcèlement, etc. Faire le mal, c’est se conduire d’une façon qui dégrade la vie humaine. Le mal est intentionnel et imputable à une personne, ou à un groupe social, ou à un État, qui n’ignorent pas les conséquences de leurs actes.
- Un désastre non intentionnel, dû à l’environnement naturel, peut difficilement être qualifié de mal, même s’il cause des dommages aux hommes. Causer du tort et faire le mal sont des événements différents qui ne doivent pas être confondus. Le mal suppose une intentionnalité destructrice, mortifère.
- Cette définition a un côté positif : puisque le mal n'est pas un entité abstraite, mais vient des conduites humaines et sociales nocives, il peut être combattu et endigué par des règles et des institutions sociales ou politiques adaptées.
Matérialisme[modifier]
- Laissons de côté l'Antiquité, nous ferons référence au matérialisme moderne, apparu au XVIIIe siècle.
- Le terme matière gardant souvent sa connotation empirique originelle, il s'ensuit parfois une doctrine matérialiste triviale dans laquelle la matière "c'est ce que nos sensations et nos perceptions nous présentent, c'est, d'une manière générale, tout ce qui nous entoure" (Politzer G., Principes élémentaires de philosophie, Paris, Éditions sociales, 1961).
- Le matérialisme est dans ce cas une conception issue de l’empirisme spontané. Les choses étant constituées d'un matériau pouvant prendre diverses formes (selon l'opposition classique entre forme et matière), on en conclut qu'il s'agit de choses matérielles. Dans la vie courante, il est utile de connaître la matière dont est constitué un objet.
- Au XIXe siècle, Karl Marx a voulu ranger l’économie politique sous la bannière du matérialisme, en prenant en considération les conditions de vie concrètes des individus dans la société : leurs revenus, leurs rôles dans la production, leurs places dans la hiérarchie sociale, leurs intérêts socio-politiques. Le terme "matériel" désigne les biens et leur répartition, et l’usage empirique du terme matérialisme est étendu vers la sphère sociale.
- Le matérialisme a été souvent associé au naturalisme rationnel, qui suppose que le monde existe de manière immanente (sans cause ou origine externe et transcendante) et qu’il peut être connu. Il a finalement été une bannière ralliant ceux qui s’opposaient à l’irrationalisme et à l’idéalisme/spiritualisme. C’est une sorte de naturalisme qui s’ancre sur l’idée d'une substance matérielle. Mais, le naturalisme n'implique pas nécessairement l'idée d'une substance, c'est pourquoi il faut les distinguer.
- Le matérialisme est au fond une doctrine ontologique. Le cœur du matérialisme tient dans l’affirmation d’une substance unique ou fondatrice : la matière. L'ontologie matérialiste affirme qu'il y a un constituant unique du réel, nommé matière, qui serait homogène et perdurant. C'est une opinion indémontrable que les avancées de la science ne confirment pas. Affirmer une substance unique est un postulat métaphysique.
Matière[modifier]
- Au sens ordinaire, "matière" est la catégorie sous laquelle on range ce qui constitue les choses présentant une consistance et une résistance (le bois, l’acier, le marbre, etc.). Par extension, la physique considère, au niveau macroscopique, quatre états de la matière : solide, liquide, gazeux, plasmatique. Du point de vue ontologique (de l'être), la matière est une substance présentant des caractéristiques stables (elle est "étendue" pour Descartes, "dynamique" pour Diderot, etc.).
- Le problème vient du passage subreptice d'un sens à l'autre. La notion philosophique de matière résulte d’une extension de la notion concrète à la substance afin de lui donner une portée ontologique. Constatant l’existence de matériaux pouvant prendre diverses formes (opposition classique entre forme et matière) et avoir des caractéristiques, on en conclut à un matériau général. Le matériau ramené à sa généralité devient substance matérielle.
- On peut aussi définir la notion de matière comme la catégorie résultant de l'extension des qualités secondes (sensibles, empiriques et subjectives) aux qualités premières (intelligibles, ontologiques et objectives), ces dernières étant issues d'une sorte d'épuration métaphysique du matériau sensible. Ainsi, Newton écrit : "Dieu forma, au commencement, la matière de particules solides, pesantes, dures, impénétrables, mobiles..." (Optique, livre 3, question 31).
- Pour approcher l’idée de matière, on doit nécessairement se référer à John Locke pour qui toute chose se caractériserait par des qualités premières (étendue, mouvement, nombre, etc.) qui ont leur fondement dans la matière. Elles ont aussi des qualités secondes (solidité, couleurs, sons, saveurs, etc.) qui naissent dans l'esprit humain. La notion de matière est définie par Locke comme une « substance corporelle » ne relevant que des qualités premières.
- L'extension de la notion courante à usage empirique vers un usage ontologique ou métaphysique est problématique. Elle aboutit à désigner une substance dont l'existence est improuvable et qui entraîne vers des spéculations invérifiables. Le matérialisme radical, lorsqu'il déclare que le réel est constitué par une unique substance matérielle, affirme un principe ontologique invérifiable, ce qui constitue par conséquent une métaphysique.
- La matière est une notion vague généralement connotée de substantialisme. Il paraît préférable d'employer les termes de "composants physiques" et "systèmes physiques" lorsque l'on veut désigner ce dont s'occupent les physiciens, et celui de "matériau" lorsque l'on veut désigner ce qui constitue les objets ordinaires.
Mental[modifier]
- De manière relativement arbitraire, nous avons choisi le terme de mental pour désigner les représentations de tous types (images, sons, langage), le vécu (sentiments, états d’âme), des activités (croire, vouloir, espérer), en tant qu’ils sont conscients et perçus. Le mental a un caractère factuel, il est perçu empiriquement par chacun, sous forme du pensé ou de l’éprouvé.
- Ces aspects qui sont assez souvent qualifiés de subjectifs, constitueraient le monde intérieur, l’âme, ou bien l’esprit ou encore le psychisme. Lorsque le mental est assimilé à l’esprit, ce dernier a le statut ambigu de support-sujet du mental. La philosophie de l’esprit y place des qualia ou ressentis associés à des expériences perceptives, sensations corporelles (douleur, faim, plaisir, etc.) ainsi que des émotions, connaissables par intuition directe.
- Pour notre part, nous n’utilisons aucun de ces termes préférant celui de mental, tel que défini plus haut. Quant à celui de psychisme, nous lui réservons un autre emploi : désigner l’entité supposée produire tout cela (et aussi bien d’autres choses : voir la définition du psychisme). La distinction qui joue ici est celle entre empirique descriptible (le mental) et non empirique théorisable (le psychisme).
- Les aspects mentaux évoqués ont pour caractère principal d’être produits. Ils ont une existence transitoire et ne sont assignables à aucun lieu. Ce sont les résultats de l’activité psychique, activité avec laquelle ils ne doivent pas du tout être confondus. Le mental est généré pour sa plus grande part par l'activité psychique et, pour ce qui est de la pensée, par l'activité cognitive et représentationnelle.
- Les faits mentaux sont des faits d’un type particulier qui n’ont aucun privilège par rapport à d’autres faits. Ils donnent des indications limitées et assez peu fiables sur le fonctionnement psychique, ce qui, sans la réduire à néant, limite considérablement les possibilités de l’introspection. Lorsqu'ils manifestent une pensée rationnelle, ils prennent une tournure langagière et formalisée.
Mérisme[modifier]
- Le terme de mérisme est peu utilisé, car on parle plus volontiers de réductionnisme et de méthode analytique. Mérisme s'oppose à holisme et désigne une manière de penser le monde, ou certains de ses aspects, de manière clivante, atomistique, par éléments séparés. Nous définirons le mérisme uniquement dans le cadre de la philosophie des sciences et de la connaissance.
- C’est à Francis Bacon et à René Descartes que l’on doit l’avènement du principe méristique. Pour Bacon, la procédure scientifique consiste à « disséquer la nature » en éléments récurrents, à isoler des occurrences simples dans la complexité des faits.
- Pour Descartes, la méthode analytique consiste à « diviser chacune des difficultés » examinées « en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour mieux les résoudre ». Isaac Newton, une autre figure tutélaire du mérisme, écrivit en 1687 dans ses célèbres Principes mathématiques de la philosophie naturelle : « Le mouvement d’un tout est identique à la somme des mouvements des parties, c’est-à-dire que le changement de position d’un tout est identique à la somme des changements de position de ses parties. »
- Le principe méristique (inverse de celui du holisme) est fondé sur deux thèses :
- les relations entre parties d’une entité sont négligeables, elles n’affectent pas les propriétés de chacune d’elles, si bien qu’on peut les observer à l’état isolé
- les propriétés manifestées par une entité résultent directement de la combinaison des parties qui sont suffisantes pour déduire, par composition, les propriétés de l’entité
- Un ensemble composé est toujours réductible à la somme de ses parties, car le rôle constitutif de son organisation, de sa structure, définie comme l’ensemble de leurs relations, est négligeable.
- Le mérisme ou principe méristique est au fondement de la science moderne qui, depuis le XVIIe siècle, utilise sur le plan épistémologique l’analyse et, sur le plan ontologique, la réduction au plus simple. Il fonde la validité du postulat d’isolement de séries causales indépendantes qui admet que l'on peut isoler des séries causales autonomes et limitées à partir des conditions initiales (causalité dite "linéaire").
- Le mérisme est généralement lié à une métaphysique matérialiste et plus précisément sous la forme d’un substantialisme atomiste.
Métaphysique[modifier]
- Le terme grec est bien parlant. μ ε τ α τ α φ υ σ ι κ α ́ signifie «après les choses de la nature». On désigne par métaphysique les discours portant sur ce que serait l'être au-delà de la nature, sur l'être. L'intention n'est pas illégitime, ce sont les tournures fictives qu'elle a pris au fil des siècles et qui peuvent faire préférer, de nos jours, la perspective ontologique.
- Il est possible de distinguer trois types de métaphysiques, qui d'ailleurs se mélangent souvent, la métaphysique "fantastique", la métaphyique théorique "généralisante" et la métaphysique "subjectiviste".
- La métaphysique fantastique est la forme traditionnelle et la plus répandue, car elle fait partie des dogmes religieux qui connaissent, depuis les origines de l’humanité, un succès jamais démenti. Ses thèmes sont le surnaturel, le divin, l’âme, les esprits, la vie après la mort, etc. Ces idées sont connues par révélation ou croyance et peuvent parfois faire l'objet de développements rationnels. Elles participent aux grands mythes explicatifs de chaque culture.
- La métaphysique généralisante constitue une forme tout aussi ancienne qui concerne des thèmes vastes et généraux comme l’indéterminé, la forme, l’absolu, la matière, l’inconditionné, l’être en tant qu’être, l’infini, ou encore des thèmes nés de la juxtaposition des précédents comme l'ontologie de l'altérité, la dialectique du même et de l'autre. Il s’agit d'idées générales et abstraites qui sont attribuées au monde et connues a priori.
- La métaphysique subjectiviste consiste, en partant de notions ordinaires, à les remanier par une méditation personnelle pour en faire des idées abstraites concernant soi, l’autre, le sujet, la liberté, la mort. Ces idées sont connues par une intuition intellectuelle qui les pose d’évidence pour être justes et effectives.
- Le terme "métaphysique scientifique" est impropre, car la métaphysique se définit d'être au-delà de la physis et ses procédés ne sont pas scientifiques. Il faut utiliser les termes d'ontologie et de récit philosophique des sciences pour désigner les conceptions du monde générales issues de la science.
- Les critiques de la métaphysique ont été nombreuses à partir du XVIIIe siècle : Hume, Comte, Kant, le Cercle de Vienne. Le Cercle de Vienne la considère comme une connaissance dépourvue de sens, désignant par le terme de "sens" le lien à un référent existant dans le monde. L'argument principal de d'Emmanuel Kant, à ce jour non démenti, est la fausseté du jugement synthétique a priori concernant le monde en général. Selon la critique kantienne qui remanie l'approche dite "trancendantale", il est impossible d'inventer un savoir a priori sur le monde en soi, le réel, comme le prétend la métaphysique.
- On ne peut pas dire que la métaphysique soit insensée. Tout au contraire, la métaphysique fabrique du sens et c’est même ce qui motive son succès. Ce sens sert à enchanter le monde, à lutter contre l’angoisse devant l’absurdité et l’immensité (Blaise Pascal en donne un exemple), à se consoler des difficultés de la condition humaine (l’impuissance et l’ignorance, la souffrance et la mort). La métaphysique donne un sens illusoire, facteur d’ignorance et d’obscurcissement de la pensée. C'est une fiction, parfois abstraite (une fiction théorique), qui présente l'inconvénient de ne pas se présenter comme telle.
- À titre prospectif, on peut séparer dans la métaphysique les fictions théoriques des hypothèses et clarifications sur les postulats premiers, utiles à la connaissance (monde, existence, réel, réalité, temporalité, causalité, émergence, universaux, etc.). Ces derniers pourraient être rattachés à l'ontologie.
- Voir : Critique de la métaphysique
Méthode scientifique[modifier]
- Le terme de méthode appliqué à la science a deux acceptions. L'une très générale, par laquelle il désigne l'ensemble des procédés qui organisent la science : les grands principes, les formes théoriques (les manières de connaître, les façons de théoriser) et la pratique. L'autre acception, plus restreinte, concerne uniquement ce dernier aspect pratique. La méthode, en ce sens, c'est ce qui encadre l'expérience et la rend scientifique. La méthode guide les manières de procéder et l'usage des techniques. Le terme est intéressant, car il indique une procédure à suivre, une manière de faire.
- La pratique scientifique ou méthode au sens restreint ou encore pragmatique scientifique, est l’ensemble des procédés, y compris techniques, destinés à mettre en rapport la théorie et les faits. La pratique produit des faits présentant des caractéristiques qui les rendent digne de foi. Ces faits doivent être assurés, descriptibles et répétables (fiables), et ils doivent avoir un lien direct et démontré avec la théorie. Ils doivent être évaluables qualitativement ou mieux quantitativement (mesurables).
- L'expérience, pour être scientifique, doit être explicitée sans ambiguïté, ce qui la rend reproductible (sauf exception). C'est le but de la méthode. Les résultats sont par conséquent transmissibles et constatables par toute la communauté scientifique. Ceci implique un ensemble de moyens et des procédures mis en oeuvre de façon précise (méthodique).
- La finalité du procédé est de diriger l’expérience de façon à organiser une confrontation efficace et précise au réel. C’est le cœur de la scientificité que d’accepter cette confrontation. Elle viendra infirmer (réfuter) ou confirmer les théories. L’expérience spontanée y est inapte, car trop incertaine. Elle peut en effet être illusoire, car le manque de savoir-faire, les défromations subjectives conduisent à construire une réalité arrangée ou insuffisante. La pragmatique scientifique est faite pour éviter ces erreurs et surseoir aux insuffisances de l’expérience ordinaire.
- Au total, la pratique scientifique est une mise en œuvre réglée par une méthode. La pragmatique s’organise selon deux grands types de méthodes communément admis qui sont l’observation et l’expérimentation. En médecine, on utilise la clinique qui est une observation active, non expérimentale, mais encadrée par des procédures. La méthode est le moyen que se donne la science pour réussir dans son ambition de connaissance effective du réel. La méthode est l'un des piliers de la démarche scientifique.
Modèle[modifier]
- Dans le langage courant, on nomme modèle ce qui sert de référence, ce que l'on cherche à imiter, à reproduire, c'est la matrice, l'original.
- Dans le domaine scientifique, le sens est inversé : le modèle est ce qui représente l’original. Un modèle est utilisé pour répondre à des questions, il sert à la prédiction ou au calcul et, pour cela, il représente de manière analogique et simplifiée la réalité. Ce qui le caractérise et le différencie d’une théorie explicative, c'est sa capacité de reproduction-simulation de la réalité. Un modèle doit fonctionner, c'est-à-dire qu'en partant de l'état initial, après entrée des données, on doit pouvoir aboutir à un état final qui constitue une prévision plausible concernant la réalité.
- Les modèles ont d’abord été concrets. Ce sont des maquettes réalisées à une échelle différente, mais avec des qualités physiquement semblables à celles de ce qu’elles représentent. Chez les ingénieurs du 16ème siècle, le modèle concret (physique) permet une simulation, c’est-à-dire qu’il montre des effets et des conséquences.
- À partir de la fin du 19e siècle, la physique a produit des modèles formels, mathématiques, logiques et informatiques. Au 20e siècle, surtout après la seconde guerre mondiale, un grand essor de la formalisation s’est produit et une théorie mathématique des modèles a été avancée. La modélisation s’est étendue aux sciences étudiant des faits complexes, multifactoriels et enchevêtrés (biologie, météorologie). Le terme modèle a fini par désigner essentiellement les modèles formels.
- Le modèle est un objet théorique dont le comportement n’est pas toujours évident. Il possède une indépendance fonctionnelle qui en fait l'intérêt. Il permet ainsi une expérimentation conceptuelle qui remplace l’expérimentation empirique (mais cela comporte un risque d'erreur si le modèle est imparfait ou faux).
- Un modèle est toujours conçu selon des présupposés, en vue d'un objectif et dans un contexte théorique. Il s'inclut dans un paradigme dont dépendront ses qualités et ses insuffisances.
Monde[modifier]
- Après Emmanuel Kant, on peut considérer que le monde est une idée de la raison visant la totalité. Le monde ainsi défini dépasse les possibilités de la connaissance et il est difficile d’en donner une définition exacte et non contradictoire. C'est une idée régulatrice permettant de stabiliser la pensée. Elle est nécessaire pour désigner tout ce qui existe lorsqu'on ne peut, ou qu'on ne veut, préciser à quelle partie (du monde) on s'adresse. Il y a différentes manières d'aborder le monde : métaphysique, ontologique et empirique. Définir le monde comme totalité implique qu'il n'y ait pas autre chose comme un autre monde, car au-delà de tout, il n'y a rien. Si le monde est tout, il est unique.
- L'emploi du terme "monde" se doit d'être aussi prudent que son extension est grande. De la totalité, nous ne pouvons pas dire grand chose, si ce n'est qu'il est logique d'en faire partie. Mais, le monde n'est pas que la totalité, sinon le concept de totalité suffirait, il est la totalité de ce que nous supposons exister. Mais, dans ce cas, l'existence ne qualifie pas la totalité. Le groupe nominal « totalité de ce qui existe » désigne l'existence prise dans son ensemble. Il est facile de clarifier le débat et d'éviter les méprises en faisant intervenir d'autres concepts, ceux de réel et de réalité.
- Comment aborder cette totalité appelée le monde ? Si on ne tient pas fermement la distinction entre empirique (connu grâce à l'expérience) et en soi (qui est indépendant de nous), on entre dans des problèmes philosophiques sans intérêt et insolubles au sujet du monde, car on applique des raisonnements à des catégories au sein desquelles ils ne s'appliquent pas. Le monde, si l'on nomme ainsi ce qui existe, doit se concevoir des deux manières : soit quant à son être en soi (point de vue ontologique), soit quant à la réalité (point de vue empirique).
- Le réalisme affirme que le réel et la réalité existent, mais comme tout propos ontologique doit être prudent, c'est-à-dire modéré et minimal, car il a un caractère hypothétique. Ce que l’on appelle généralement la réalité naît de cette interaction entre l'homme et ce qui est en soi (le réel). Le concept de monde sert à regrouper ces deux aspects interdépendants que sont le réel et la réalité.
- La notion d'Univers est généralement utilisée pour désigner la partie du monde connue grâce aux sciences.
Naturalisme[modifier]
- Le naturalisme, en philosophie, considère que l'ensemble du monde est naturel, ce qui exclut la possibilité du surnaturel et d'interventions divines. Cette option implique un fonctionnement autonome de la nature, c'est-à-dire qu'il se produise sans dessein préétabli.
- Cette manière d'envisager le monde est née avec le XVIIe siècle et a eu des développements divers. On peut distinguer au moins deux naturalismes très différents : un naturalisme rationnel et un naturalisme magique. Pour ce dernier, la nature est une totalité vivante traversée de forces cachées.
- Le naturalisme rationnel considère que le monde est déterminé et exempt de surnaturel, si bien que la raison humaine sera progressivement susceptible de l’expliquer. La réalité suit des enchaînements réguliers et l’homme peut en découvrir les lois par la philosophie naturelle, devenue la science. Le naturalisme lutte contre la religion et la magie qui veulent peupler notre monde d'entités surnaturelles.
- Ces principes s'accompagnent généralement d'un athéisme et d'un rejet de la croyance en des forces inconnues et obscures. Pour le naturalisme, il n'y a pas "d'autre monde" ou "d'arrière-monde", mais un seul monde, le nôtre, la nature qui existe par elle-même et porte en elle les causes de ses transformations. Le naturalisme a tendance à nier la spécificité humaine, ainsi que la différenciation entre la socioculture et le monde environnant étranger à l'activité humaine (pour rassembler l'ensemble dans une même Nature).
- L'un des points litigieux de cette doctrine est la relation entre le monde comme totalité et la Nature. S'ils sont distincts, il y a un reste non naturel mystérieux, et s'ils sont identiques, l'utilité d'appeler le monde "Nature" n'est pas évidente. Le second point litigieux est la négation de ce que le terme de nature vient communément marquer, à savoir la distinction entre la socioculture humaine et l'environnement non modifié. Sur le plan empirique, distinguer ce qui est régit par un déterminisme éco-systémique et ce qui ressortit des lois et règles socioculturelles a un intérêt.
- Le tenants du naturalisme dans sa version rationnelle considèrent que la science est le meilleur moyen de connaître la nature et la seule méthode permettant un savoir assuré. Ils adoptent souvent un point de vue matérialiste.
Nature[modifier]
- Il y a un intérêt à distinguer entre l'usage métaphysique et l’usage pratique du terme de nature.
- Les métaphysiques de la nature considèrent une entité naturelle globale, ayant une sorte d'existence ontologique propre. Le problème théorique posé vient de la relation entre le Monde (comme totalité) et la Nature, qui conduit à des bizarreries. S'ils sont distincts, il y a dans le Monde un reste non naturel et mystérieux et, s'ils sont identiques, l'utilité d'appeler le Monde "Nature" est un parti pris discutable, car alors tout est nature et c'est le monde.
- La naturalisation généralisée du Monde, par le naturalisme, tend à gommer ou minimiser des différences fondamentales : entre la socio-techno-culture humaine et l'environnement vivant (non modifié et en équilibre), et entre le vivant et l'inerte (géologique, astronomique). Ces distinctions ont une portée pratique.
- Sur le plan empirique, distinguer ce qui est régit par un déterminisme écologique et ce qui est du ressort des lois et règles socioculturelles a un intérêt. Il est utile du point de vue pratique de désigner, pour le caractériser, l’environnement vivant, non modifié par l’homme, dans lequel les écosystèmes évoluent spontanément. Cette distinction admise par l'écologie scientifique considère les activités humaines comme exogènes, ce qui permet de caractériser leurs effets.
- Si le vivant et l'inerte sont identiquement naturels, cette appellation gomme une distinction essentielle. La biosphère (l'ensemble de la vie sur terre) se distingue de la sphère géologique et géophysique, car elles n'ont pas les mêmes dynamiques. La Terre peut exister comme astre mort, qui sera tout aussi naturel qu'un astre habité. D'un point de vue pratique, ce n'est pas la même chose.
- Il est utile de distinguer ce qui se passe en dehors des actions humaines (les écosystèmes vivant en équilibre), les activités humaines (culturelles, sociales, techniques, industrielles) et l'interaction entre les deux (l'action massive de ces dernières est noté par le terme récent d’anthropocène). Cette interaction est préoccupante au titre que la Terre, du point de vue du vivant, forme un système fini partiellement autonome, nommé la biosphère, qui est fragile et peut être modifié de manière irréversible et imprévisible. Par contre, la Terre en tant qu'astre géophysique ne sera pas affectée. Tout ne peut être englobé sous le même terme de Nature.
Niveau cognitivo-représentationnel[modifier]
- Les capacités de représentation et de cognition humaines sont, selon l'hypothèse réductionniste biologisante, générées directement par le niveau neurobiologique et selon l'hypothèse spiritualiste-idéaliste attribués à l'Esprit.
- Il existe une autre hypothèse, celle d'une forme d'existence, d'un niveau ontologique spécifique. Ce niveau se comprend dans le cadre de la théorie de l'émergence de niveaux d'organisation/intégration appliquée à l'homme. Dit très brièvement, l’émergence désigne la naissance d’un mode d’organisation/intégration qui se forme à partir du mode d’organisation de complexité inférieure.
- On peut supposer que le niveau cognitif et représentationnel émerge du neurobiologique par un degré supplémentaire de complexification permettant un saut qualitatif dans les propriétés. L'émergence permet d'expliquer comment il peut y avoir, à la fois une filiation avec le neurobiologique et une autonomie par rapport à ce dernier.
- Ce niveau, par sa dynamique propre, générerait l'ensemble des capacités cognitives et représentationnelles de l'homme.
- La thèse du niveau cognitivo-représentationnel est plausible au vu des connaissances actuelles, car il est abusif de prétendre que l’homme pense à l’aide de ses neurones. Supposer un mode d'organisation de degré supérieur au système nerveux, formant le niveau cognitif et représentationnel, c'est donner une origine plausible à la pensée et aux conduites intelligentes de l'homme tout en leur supposant une certaine autonomie.
Niveaux ontologiques[modifier]
- La théorie des niveaux d’intégration (Theory of integrative levels) a été proposée par les philosophes James K. Feibleman et Nicolaï Hartmann au milieu du XXe siècle et, presque simultanément (1942), par Werner Heisenberg. Cette vision du monde fut popularisée par Joseph Needham dans les années 60. En associant les idées d’Auguste Comte sur la classification des sciences et la theory of integrative levels, Joseph Needham a proposé une nouvelle classification des connaissances scientifiques. Il s'agit d'une conception ontologique, c'est-à-dire sur ce qui constitue le monde. Bien entendu, elle n'est pas exactement la même chose pour chacun de ces auteurs.
- Si l'on admet que le réel n'est pas homogène, on doit y distinguer différents modes d'être qui peuvent être nommés "niveaux". Ces modes d'être sont en nombre indéterminé et assez grand. Certains d'entre-eux peuvent être regroupés, du fait de caractères communs, et ces grands regroupements constituent une "région" qui se caractérise par des lois propres (d'où le nom de "régions nomologiques", terme proposé par Werner Heisenberg). On distingue généralement les régions du monde suivantes : physique, chimique, biologique, et de manière plus controversée cognitivo-représentationnelle et sociale. Dans cette acception, chaque mode d’existence se construit sur celui qui le précède, mais, en même temps, chaque domaine a des propriétés nouvelles et spécifiques (perspective émergentiste).
- Chaque région ainsi délimitée est vaste et comporte divers degrés de complexification, mais tout ce qui la compose a certains traits communs et peut être étudié selon une méthode commune. C'est un moment d'émergence particulier qui donne naissance à une telle région, car cette émergence fait apparaître toute une série d'entités et de phénomènes homogènes. Ce moment est difficile à situer, car la différence peut, au début, être faible.
- Le terme de "niveau" et celui de "région" présentent un inconvénient, ils sous-entendent une spatialité, une topologie. Niveau évoque des strates et régions, des zones géographiques. Or, ces topologies simples, sans être totalement aberrantes, sont inadéquates, car les modes d'existence sont enchevêtrés. Pour cette raison, les termes de mode d'existence ou forme d'organisation peuvent être préférables. Mode signifie une modalité spécifique d'existence qui n'implique pas de topologie particulière.
- Cette conception par niveaux s’oppose au réductionnisme, qui veut ramener toutes les régions au niveau inférieur (physique). Cependant, ce n'est pas une vision "organique" du monde qui mettrait l’accent sur sa fonctionnalité d’ensemble. Ce n'est pas non plus, en ce qui concerne le vivant, une forme du vitalisme, qui supposerait un principe indépendant et particulier. C'est seulement une vision pluraliste.
Notion[modifier]
- Le terme français notion dérive du latin notio et désigne un savoir élémentaire, imprécis sur un sujet quelconque.
- Une notion est un mot ou un énoncé apportant un savoir de base sur une chose, ou un événement, ou dans le cadre d'une discipline. Une notion est grossière, mais pas nécessairement fausse et elle peut être utile. Spontanément, la pensée utilise des notions qui ont pour but de représenter et comprendre rapidement et immédiatement la réalité afin de s’y orienter. Mais, cette utilisation rapide et immédiate ne s’accompagne pas d’un travail de distanciation et de réflexion sur la notion employée qui, dans certains cas, serait très utile, car la notion peut être insuffisante ou trompeuse.
- Les idées issues de l’activité de penser peuvent prendre des formes très diverses. Pour s’orienter dans cet immense paysage, il est intéressant d’utiliser l'opposition entre le concept de la notion. Par concept, on entend une idée rigoureuse, abstraite et précise, par contre, le terme de notion désigne plutôt une idée concrète, floue et mal définie. Il est intéressant d'utiliser et de préciser cette opposition pour mieux définir le terme de notion.
- La transformation d’une notion en concept demande une élaboration que l’on trouve dans la philosophie et les sciences. La transformation de notions ordinaires en concepts scientifiques a été étudiée par Gaston Bachelard qui parle d’obstacles à franchir. Pour penser scientifiquement, il faut rompre avec les notions ordinaires, trop immédiates, trop imaginaires, et dont l’extension par similitude est inconsidérée.
- Une pensée élaborée, philosophique ou scientifique, demande la transformation des notions de base, acquises spontanément et de manière non critique, en concepts précis et pertinents.
Objet de science[modifier]
- Le terme "d’objet" est trompeur, car il évoque les choses concrètes (de la vie ordinaire) et il impose implicitement l’opposition classique objet/sujet, deux significations qui sont des obstacles pour comprendre comment une science construit ses objets. L'objet de la connaissance scientifique n'est pas une chose empiriquement descriptible. C'est une construction de l'activité scientifique complexe et évolutive.
- C'est Gaston Bachelard qui a mis en évidence l’activité de construction propre à la démarche scientifique. La science, dit-il, « réalise ses objets sans jamais les trouver tout à fait, elle ne correspond pas à un monde à décrire, mais à un monde à construire » (La formation de l’esprit scientifique, Paris, Alcan, 1934). Ceci a été repris par Georges Canguilhem. « La nature n’est pas elle-même découpée et répartie en objets et phénomènes scientifiques. C’est la science qui constitue son objet » (Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 1968).
- Pour les sciences empiriques, les objets de recherche se dessinent dans un mouvement interactif entre le monde et l'activité de connaissance scientifique. Lors de la constitution d'une science, les objets de recherche n'apparaissent pas d'emblée, ils sont précédés par la désignation d’un référent (la partie de la réalité à laquelle s’adresse la science). Ce référent se transforme progressivement en objet avec l’affinement de la théorie et de la méthode. Cette transformation est le fruit d'une activité collective complexe que l'on nomme la recherche scientifique.
- La conception de l'objet que nous présentons ici est nommée "constructivisme épistémologique". Elle défend l'idée que la science construit ses objets d'étude. Cette conception inclut une vision historique et dynamique de la science, car elle considère que les objets sont sans cesse construits et reconstruits, qu'ils sont le fruit d'une activité constante. Réciproquement, cette activité vaste et complexe peut être subsumée et résumée dans un objet qui la synthétise et joue un rôle unificateur. Les objets sont des constructions internes à la connaissance qui invente les entités sur lesquelles elle travaille. D’une science à l’autre, il y a de grandes variations dans la manière de constituer des objets pertinents, eu égard à la partie du monde concernée.
- On peut distinguer l'objet d'une science qui est la synthèse permettant de la spécifier et les divers objets des recherches spécialisées dont le nombre est quasi infini. Donnons un exemple dans les sciences de l'homme. La linguistique peut être définie par l'étude de la capacité langagière de l'homme. Elle ne concerne pas les langues existantes, mais la capacité cognitive permettant d'utiliser des signes langagiers selon des règles syntaxiques et sémantiques. Cette capacité est le référent premier de la linguistique. Il a été désigné, au XXe siècle, par différenciation d'avec ceux de la philologie, de la grammaire, des études littéraires. Mais, on constate immédiatement que cette capacité désignée peut être l'objet de plusieurs types de connaissances qui vont chacune fabriquer un objet à leur mesure et selon leur méthode (la neurolinguistique, la psychologie cognitive, la grammaire générative, etc.).
Ontologie[modifier]
- Le mot ontologie vient du grec ontos qui signifie étant, et logos qui signifie discours. Il s'agit donc d'un discours sur ce qui est, ce qui existe, en général. Selon Willard Van Orman Quine, l'ontologie répond à la question : Qu'est-ce qui existe ? Nous nous en tiendrons à cette définition par opposition à d'autres très différentes ; nous l'assortirons d'un complément indispensable : les réponses demandent de la prudence et une attitude critique.
- L'ontologie concerne ce qui existe, mais on doit distinguer deux modes d'existence : - Une existence empirique, celle de la réalité factuelle (phénoménale), les faits empiriques produits par notre expérience. - Une existence en soi, celle que l'on suppose au-delà de notre expérience et dont les faits sont la manifestation. D'une manière générale, l’ontologie se prononce sur la nature et la distribution de ce qui existe dans le monde, autrement dit, elle concerne la désignation et de la réalité empirique et surtout la conceptualisation du réel en soi. L'ontologie vise plutôt ce second aspect, car la réalité est d'abord connue par les savoirs empiriques.
- Le premier mode d’existence (empirique) est relatif à notre expérience et le second mode d’existence (ontologique) est supposé par une conceptualisation à partir du premier, si bien qu'on ne peut légitimement se prononcer directement sur le réel en soi, puisqu'il ne nous apparaît que selon le mode d’existence factuel et empirique. Il faut donc nécessairement passer par l’intermédiaire des savoirs empiriques solides et vérifiés, c'est-à-dire scientifiques, pour connaître de manière pertinente ce qui existe indépendamment.
- On peut se forger une idée du réel, mais on ne peut affirmer que le réel soit conforme à cette idée. La démarche ontologique n'aboutit pas à un savoir apodictique. Une ontologie est toujours hypothétique et ne peut prétendre à la vérité, mais seulement à la vraisemblance. Elle se justifie par ses effets sur les connaissances auxquelles elle apporte un fondement explicite utile. Toute conception du réel est sujette à révisions avec l'avancée des connaissances empiriques.
- Bien que cela soit inhabituel, nous différencions l'ontologie de la métaphysique. En quittant l'appui empirique pour entrer dans une pensée spéculative il est facile de dériver. Pour cette raison, on doit distinguer une ontologie limitée, prudente, énoncée a posteriori, de la métaphysique. Cette dernière est formée par des jugements affirmatifs et a priori sur le réel, qui ne peuvent être vérifiés. Généralement, elle ne reconnaît pas son caractère conjectural et prétend à la vérité sans discussion. La métaphysique répond à des préoccupations philosophiques, mais surtout à des demandes magico-religieuses. Nous définirons la métaphysique comme une ontologie imprudente.
- Pour en savoir plus, voir l'article : Une ontologie pluraliste est-elle envisageable ?
Ordre - Organisation[modifier]
- Lorsque des éléments sont disposés de plusieurs manières différentiables les unes des autres, on parle d'ordre. Par exemple, la suite 1-2-3 diffère de la suite 3-2-1 et la suite d'objets : cube bleu - boule rouge - pyramide verte, diffère de la suite : pyramide verte - boule rouge - cube bleu. Ils ne sont pas disposés dans le même ordre. Par organisation, on désigne le fait que des éléments soient ordonnés et que cet ordonnancement soit de manière stable, ce qui rend les éléments interdépendants et interagissants. L'étude des organisations concerne les effets de cette liaison stable.
- Doit-on distinguer ordre et organisation ? Oui, car l'organisation a des effets non négligeables. Prenons l'exemple de quatre roues, je peux les mettre dans divers ordres et diverses dispositions dans l'espace. Si je les relie entre elles de manière stable et selon une disposition adéquate, j'aurai un chariot qui n'aura pas les mêmes propriétés que l'ensemble inorganisé des roues, quel que soit leur ordre.
- Avec l’étude du vivant, il apparaît au XVIIIe siècle que le concept d’organisation est applliqué au monde naturel. Aux XIXe et XXe siècles, son utilisation s’étend à divers domaines de la science, quoique avec difficultés, car le paradigme scientifique moderne impose de s’en remettre à des suites de causes et d’effets ou à des lois. Toutefois, l'étude du vivant a obligé à considérer les entités composites sans chercher à les dissocier. Ces entités sont des ensembles constitués de plusieurs éléments formant un tout indissociable (sauf à être détruit et perdre ses propriétés).
- Concevoir des organisations sous-entend une approche "holistique". On admet que la totalité saisie globalement a une existence propre et des propriétés ou fonctions qui n'existent que sous cette condition de complétude. L'entité a des propriétés particulières effectives, ce n'est pas une illusion due à une vision macroscopique trompeuse. Plutôt que de reprendre la définition scolastique (le tout est plus que la somme des parties), on peut dire que, selon le holisme, les ensembles organisés ont une existence autonome et des propriétés irréductibles.
- Tous les composants connus du monde, les particules, les atomes, les molécules, la cellule, les organes, les individus, s’assemblent selon une forme et un ordre définis : une organisation. Dans les sciences dures, l’organisation donne lieu à une mathématisation, et dans les autres, à une schématisation descriptive. Toutes les organisations ne sont pas du même type et il n’y a pas nécessairement des "lois universelles de l’organisation". Au contraire, c’est concomitamment à une « régionalisation » du monde que l’idée est intéressante. Selon la « région organisationnelle » considérée, le type d’organisation est différent.
- Cette universalité de l’organisation donne l’idée d’en faire un concept ontologique pour comprendre la constitution du réel qui ainsi échappe à la vision substantialiste et élémentariste. L'idée est que le réel n'est pas amorphe et continu, mais architecturé et que c'est cette architecture (structure) qui se manifeste dans les formes et propriétés empiriques étudiées par les sciences.
- L’utilisation du concept d'organisation pour comprendre le réel permet d’éviter la notion de substance. Il peut jouer un rôle d’encadrement de la connaissance scientifique en la posant comme connaissance des grands types d’organisations identifiables dans le monde. C’est une perspective ontologique dans laquelle l’accent est mis sur les relations, interactions, composition et dynamique entre entités constituantes.
Paradigme scientifique[modifier]
- Le terme de paradigme, avancé par Thomas Samuel Kuhn dans son livre La structure des révolutions scientifiques, concerne les sciences et correspond à un modèle qui s’impose pendant un temps donné. Le paradigme ne concerne pas que la théorie, il vise aussi les méthodes, la conception ontologique de base, les manières de voir. Un paradigme naît d’une découverte scientifique universellement reconnue qui, pour un temps, fournit à la communauté de chercheurs des problèmes type et des solutions adaptées.
- Le mot paradigme, qui donne l’idée d’un modèle à suivre, est bien adapté pour décrire ce qui se passe dans les sciences, car la force normative, quoique régulée par la rationalité, y est aussi importante qu’ailleurs. Un paradigme a une dimension collective qui produit des effets pratiques dans la conduite des recherches et dans la gestion institutionnelle de la science normale.
- Certains définissent même le paradigme comme « un système de croyances ». Dans toutes les disciplines, l’histoire nous montre une volonté de poursuivre et de répéter la méthodologie jugée valide. Les savoirs sont repris collectivement et institutionnellement selon une expression collective simplifiée, ce qui présente l’avantage d’une intégration simplificatrice transmissible, mais, par ailleurs et à certains moments, constitue un frein à l'avancée des recherches.
- Pour Thomas Kuhn, les changements de paradigme sont assez radicaux et il parle de "révolution scientifique". Les concepts changent, certaines des vérités admises ne le sont plus, les méthodes se modifient, les conceptions ontologiques sous-jacentes évoluent, le travail des étudiants et des chercheurs change et finalement, c'est une nouvelle manière de voir le monde qui apparaît. Il y a une incompatibilité ("incommensurabilité") entre les paradigmes.
- Le concept de paradigme a été précisé par Thomas Kuhn sept ans après la première édition de son ouvrage. Il a alors proposé un nouveau terme, celui de "matrice disciplinaire", pour dénommer ce qui fait l’objet d’une adhésion du groupe scientifique, alors que celui de paradigme désignerait plutôt les aspects exemplaires présents au sein de cette matrice.
- Il lui a paru souhaitable de dégager le concept de paradigme de celui de "communauté scientifique" dont le sens est sociologique. Ce que partage une communauté scientifique et qui explique la communication entre ses membres, c'est leur "matrice disciplinaire", dont les divers composants forment un tout.
- Il semble qu'actuellement le paradigme de la science moderne (analytique et réductionniste) soit progressivement remplacé, dans certains domaines, par une manière de voir différente. Depuis le milieu du XXe siècle, la manière d'envisager le monde sur un mode analytique et linéaire tend à être remplacée par une manière de voir globale, systémique, qui insiste sur les interactions, les structures, les équilibres. La compréhension causaliste linéaire du déterminisme évolue vers une conception plus souple admettant la récursivité et l'aléatoire.
Pensée[modifier]
- Ce que l'on nomme ordinairement "pensée" associe des processus cognitifs à diverses formes langagières. C'est cette association qui permet de produire des pensées manipulables et communicables. La pensée est dynamique, car les processus cognitifs et les formes langagières (verbales ou imagées) s'épaulent mutuellement dans le temps de formation de la pensée.
- Manier des formes syntaxiques vides de leur contenu n'est pas penser au sens plein du terme. Conceptualiser, imaginer, sans le formuler dans un langage n'est pas non plus vraiment penser, car ce qui se passe reste insaisissable.
- Il existe différents types de pensée selon les processus cognitifs engagés et les langages utilisés.
- La pensée peut être très formalisée (comme en logique ou en mathématique) ou très imagée (comme dans les rêves). En gros, le traitement des processus cognitifs par les différentes syntaxes langagières produit les divers types de pensées identifiables depuis la pensée rationnelle jusqu’à la pensée imaginative la plus débridée. Pour ce qui est de la pensée inconsciente, il vaut mieux utiliser le terme de processus cognitifs inconscients ou processus sémantiques inconscients, car la pensée est, lors de sa formation, rendue préconsciente ou consciente grâce aux processus langagiers utilisés.
- Voyons les principaux modes de pensée.
- La principale est probablement la pensée imaginative. Elle fournit les rêves nocturnes, les rêveries diurnes, les fantasmes, la poésie, et imprègne les autres pensées, y compris celles qui se veulent rationnelles (comme a pu le mettre en évidence Bachelard).
- En second lieu, nous placerons la pensée concrète et la pensée ordonnée. La pensée concrète permet de comprendre le monde environnant à partir de ses qualités sensibles. C’est elle qui donne, transmet les procédés opératoires, les manières de procéder, les stratégies pratiques. La pensée ordonnée classe et ordonne les aspects de l’environnement concret et social de l’homme. C’est ce qui a été nommé "pensée sauvage" par Lévi-Strauss ou "logique naturelle" par Jean-François Richard. Elle organise les pratiques sociales et ordonne le monde environnant, les conduites pratiques.
- Enfin, il existe la pensée rationnelle. C’est celle que l’on s’attend à trouver dans les sciences et la philosophie. Elle peut être formalisée par la logique classique (aristotélicienne) ou moderne, ou les mathématiques. Les raisonnements rationnels sont démonstratifs et peuvent être universellement reconnus comme vrais. La pensée rationnelle s'appuie sur une longue histoire tant en ce qui concerne ses contenus (concepts, problèmes) que pour la validité de ses raisonnements.
- La pensée ordinaire est souvent un mixte issu de l'utilisation, dans des proportions variables, des divers modes définis ci-dessus. La pensée ordinaire est floue et, si elle permet de vivre et de communiquer convenablement, elle aboutit rarement à une connaissance pertinente du monde.
- La pensée savante utilise des processus cognitifs rationnels selon un langage technique. Elle est mise en jeu au sein d'un ensemble épistémique précis historiquement déterminé (épistémè pour Michel Foucault, paradigme scientifique pour Thomas Kuhn).
Personnalité[modifier]
- Utiliser le concept de personnalité, c’est considérer un individu globalement selon un abord nécessairement complexe qui renvoie à un vaste réseau de déterminations enchevêtrées. L'individu intègre au fil de sa vie des influences diverses. Le concept vise à cerner la diversité et la permanence qui existent ensemble chez une personne, alors même que des changements l’affectent. L'unité et la spécificité de chacun renvoient à un autre concept, celui d'identité.
- La personnalité se traduit de manière factuelle par les attitudes de chacun, ses manières, ses conduites, son caractère, sa manière de penser, ses goûts, etc., c’est-à-dire une foule de traits propres à l'individu, ou qu’il partage avec d’autres, et qui se manifestent avec constance et régularité. On dit de l’individu humain, porteur des différentes caractéristiques énumérées ci-contre, qu'il "a une personnalité". Cette expression utilisant le verbe avoir est trompeuse, car la personnalité n’est pas une chose possédée par un individu. L'idée de personnalité suppose qu'une synthèse originale se forme pour chaque personne, ce qui lui donne des particularités permettant de la différencier des autres.
- Sur le plan ontologique, on peut considérer que ce qui fonde l’existence de l’homme se répartit entre des aspects biologiques, cognitifs et sociaux qui se cumulent, s’interpénètrent et se synthétisent en une forme particulière chez chaque individu humain, à quoi s’ajoute une dimension éthique.
- Du point de vue biologique, on parle d’identité d’espèce et, à l’intérieur de ce cadre, de la constitution propre à chaque individu. La constitution de chacun influe sur sa manière de réagir au sein de son environnement et face aux situations.
- Du point de vue cognitif, on évoque diverses capacités intellectuelles telles que l’intelligence, la mémoire, les connaissances, la capacité de jugement, etc., qui sont propres à chacun et qui varient d’une personne à l’autre.
- Du point de vue psychologique, le psychisme est une part importante de la personnalité qui s’exprime dans les conduites, le caractère et les symptômes de la personne. On distingue différentes formes d’organisation psychiques.
- Du point de vue culturel et social, on parle d’habitus, de personnalité de base, d’identité ethnique, etc. Ces traits, composant le versant social de la personnalité, sont façonnés par l’environnement socio-culturel. Ils diffèrent d’une culture à l’autre et sont communs aux individus d’une même culture.
- Du point de vue éthique, la personne renvoie à l’idée d’un individu humain pourvu d’une dignité et qui n’est donc pas réductible à ses caractéristiques, à son utilité ou à sa valeur. L'extension du concept de personnalité va au-delà de ce qui peut être théorisé par les disciplines scientifiques, il s'étend vers l'éthique.
- Aucun de ces aspects pris séparément ne résume la personnalité, car c'est seulement ensemble qu'ils définissent le concept.
Personne[modifier]
- On connaît l’origine latine du terme personne, persona, le masque utilisé par l’acteur pour jouer un personnage. Le terme a pris ensuite un sens juridique servant à désigner, en droit romain, celui qui a une existence civile et des droits. Puis, le stoïcisme a opposé le personnage de la vie publique à la personne qui a une intériorité et une vie « personnelle » lui permettant de pratiquer la sagesse stoïcienne, quel que soit son rôle social. Dans le vocabulaire moderne, le mot désigne l’individu humain conscient et raisonnable, responsable de ses actes.
- Sur le plan philosophique, on peut utiliser le terme de personne pour lier et coordonner deux aspects de l’homme, le premier, donné par un abord empirique, sa personnalité, et le second, qui concerne la dimension éthique et morale dont il est capable. La définition très large de John Locke est souvent citée : " ... un être pensant et intelligent, doué de raison, et de réflexion, et qui peut se considérer soi-même comme soi-même, une chose pensante en différents temps et lieux" (Essai sur l'entendement humain, II, chap. 11, § 9).
- Par personnalité, on désigne les traits propres à l'individu qui se manifestent avec constance et régularité (voir la définition de personnalité) amenant l’identité et les particularités de chacun. L’individu humain a, outre une personnalité, une capacité intellectuelle, cognitive et représentationnelle lui permettant de se reconnaître comme l’auteur de ses actes et de juger de leur pertinence eu égard à la loi commune et aux lois sociales. L'ensemble des deux le constitue en tant que personne.
- La capacité à assumer ses actions autorise "l’imputabilité", notion à la fois juridique et philosophique. Il s’agit d’attribuer une action ou une conduite à quelqu’un et de l’en rendre responsable. L’imputabilité impose une permanence de l’identité, une auto-attribution des conduites, un jugement. Ces aspects peuvent faire défaut si la personnalité et les capacités intellectuelles de l’individu sont, momentanément ou définitivement, déficientes, par exemple en cas de démence.
- Une personne est un humain responsable et pourvu d’une éthique. En termes kantiens, on dira que l'individu se donne une loi morale aboutissant à considérer l’humanité comme une fin, aussi bien dans sa personne que dans celle des autres. (Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs). John Locke fait pencher l'usage vers le juridique, en définissant la personne surtout par l'assujettissement à des lois et la responsabilité.
- Il faut ajouter que le respect de la personne est une acquis civilisationnel comme le signale Émile Durkheim : « ...la personne humaine est devenue la chose à laquelle la conscience sociale des peuples européens s’est attachée plus qu’à toute autre » (Détermination du fait moral).
- On peut finalement être tenté de faire de la « personne » le concept de la cohérence individuelle liant en chaque humain ses caractéristiques (sa personnalité) avec ses capacités éthiques et d'assentiment à la loi.
Philosophie[modifier]
- Plutôt que de répondre à la question classique, aussi vaste qu'ambiguë, "qu’est-ce que la philosophie ?", on peut se demander ce que pourrait devenir la philosophie si l’une des tendances qui l’habite depuis ses débuts, la recherche de l’adéquation entre la pensée et le monde, prenait le dessus. Ce devenir possible ferait de la philosophie une forme de connaissance.
- Ce qui distingue une réflexion philosophique d'une approche littéraire ou journalistique, c’est la méthodologie qui, à partir d'une ou plusieurs questions, élabore et pose un problème précis. Si le problème est pertinent, il guidera la réflexion et évitera l'enlisement dans des questionnements obscurs et sans solution.
- Mais ce n'est pas suffisant. Le philosophe doit aussi s'interroger sur sa façon de penser : philosopher demande de s'appuyer sur des données empiriques fiables et de tenir des raisonnements rationnels et partageables. Il doit aussi énoncer ses postulats de départ qui ont une part d'arbitraire, en particulier en ce qui concerne les présupposés ontologiques souvent masqués, mais déterminants.
- La complexité des problèmes philosophiques provoque des réponses différentes et parfois contradictoires. Des considérations justes et pertinentes peuvent s'opposer entre elles. Philosopher, c'est chercher un équilibre entre des considérations multiples (plus ou moins conciliables), afin de trouver une cohérence adaptée à la complexité de la réalité. Cet exercice intellectuel incertain aura un intérêt s'il explicite le monde de manière utile pour la connaissance et l'action.
- Le territoire de la philosophie s'étend partout où le besoin d'une pensée distanciée se fait sentir, une pensée de seconde intention, une pensée critique sur la connaissance et l'action. Le rôle du philosophe est aussi de donner du sens, de produire un récit, qui portera et guidera la vie humaine. Il le fera utilement en fournissant un contrepoint cohérent aux mythes, aux idéologies et religions qui nous assaillent, tout en promouvant une sagesse comme antidote aux passions humaines destructrices sans cesse à l'œuvre.
- Philosopher, c'est aussi se taire lorsque les questionnements sont trop flous, trop vastes, que l'on n’a aucune donnée empirique sérieuse, ou que le problème posé est absurde. L'abstention et le silence sont à ce titre éminemment philosophiques.
Psychisme[modifier]
- Le concept de psychisme, au sens moderne du terme, ne désigne ni l'âme, ni l'esprit. Il vient de la psychanalyse freudienne qui a tenté de trouver une détermination aux conduites humaines relationnelles et en particulier à leurs aspects pathologiques. Le psychisme, tout en intégrant le fonctionnement cognitif, y associe des aspects neurobiologiques (pulsionnels) et des influences sociales. C'est donc une entité complexe qui n'est pas homogène et, de ce fait, difficile à cerner.
- Si la clinique en psychopathologie permet d’établir des faits, la théorie cherche à en donner une explication rationnelle. Cette explication, dans le champ de la psychopathologie et de la psychanalyse, se synthétise en un modèle que l’on appelle généralement la "structure psychique".
- Partant de là, on peut reconstituer le faisceau d'hypothèses qui conduisent à une définition du psychisme :
- Il existe une entité complexe, repérable en chaque individu humain et elle génère les conduites, traits de caractère, types de relations, sentiments, symptômes, etc., décrits par la clinique.
- Cette entité évolue au fil de la vie individuelle et acquiert des contenus qui dépendent de facteurs relationnels, éducatifs, sociaux, et de facteurs biologiques et neurophysiologiques.
- Il est possible de construire un modèle théorique rationnel et cohérent de cette entité à partir des faits cliniques. Ce modèle a d’abord une valeur opératoire, celle d’expliquer la clinique en intégrant les différentes influences qui agissent sur l’individu humain.
- L'entité intègre, selon une dynamique conflictuelle, les influences hétérogènes qui s'exercent sur l'individu humain : influences relationnelles, culturelles et sociales, et enfin des facteurs biologiques.
- La constitution d’un modèle, c'est-à-dire la description dynamique qui a été métaphoriquement appelée «appareil psychique», correspond à une branche de la psychanalyse appelée métapsychologie par Freud (1915). La pensée structuraliste a substitué le terme de structure à celui d’appareil et évincé le terme de système, pourtant tout aussi intéressant.
- Le psychisme participe très largement de ce qu'on nomme la personnalité.
Qualités premières et qualités secondes[modifier]
- On trouve l'opposition entre qualités premières et secondes chez René Descartes. Elle a ensuite été reprise par John Locke et Gottfried Wilhelm Leibniz. C'est une tentative pour asseoir la connaissance scientifique sur une base solide et quantifiable, celle des "qualités premières".
- Les Principes de la philosophie (Descartes, 1644) donnent une définition de cette opposition : "Nous saurons que la nature de la matière, ou du corps pris en général ne consiste point en ce qu'il est une chose dure ou pesante, ou colorée, ou qui touche nos sens de quelque autre façon, mais seulement en ce qu'elle est une substance étendue en longueur, largeur et profondeur." (Descartes, Principes de la philosophie, II, Paragraphe 4).
- Chez René Descartes, il y a plusieurs versions concernant les qualités secondes. Dans les Sixièmes Réponses, il énonce que "les couleurs, les odeurs, les saveurs, et autres qualités semblables" ne sont "rien d'autre que des sentiments et n'ont aucune existence hormis de ma pensée". Mais, dans les Principes, on note qu'elles pourraient être dans la "configuration des corps" qui auraient ainsi le pourvoir de causer dans l'esprit une idée de qualité seconde.
- Pour John Locke, la relation entre nos idées et les corps est conçue subtilement. Une idée a une cause externe à nous, mais nous ne savons rien de l'essence de cette cause externe. En ce qui concerne le sensible et les qualités secondes, nos idées s’accordent avec la réalité des choses, car "elles sont en nous les effets des pouvoirs attachés aux choses extérieures, établis par l'auteur de notre être pour produire en nous telles ou telles sensations, ce sont en nous des idées réelles par où nous distinguons les qualités qui sont réellement dans les choses mêmes" (1690, Essai sur l'entendement humain, II, XXX, §2).
- Pour les qualités premières, qui sont des idées obtenues par abstraction, elles ont bien un rapport avec les corps, car il est impossible de penser un corps sans qualité première. Les qualités premières sont, selon John Locke, la solidité, l'étendue, la figure, le mouvement, le repos, et le nombre. Locke ne modifie donc pas la distinction de Descartes, mais il la place dans un contexte empirique : connaître est le résultat d'un processus d'abstraction des données issues de l'expérience.
- L'inconvénient de cette opposition, c'est qu'elle a induit une tendance à évincer de l'étude scientifique la partie du monde correspondant aux qualités secondes. Le réel a été assimilé aux qualités premières, c'est-à-dire à l'organisation physique du monde. La science moderne a longtemps mis de côté ce qui correspond aux qualités secondes, si bien que l'étude du vivant, de la société, de l'homme, ont été retardées.
Rationalité - Rationalisme[modifier]
- La rationalité concerne la pensée lorsqu'elle utilise des concepts clairement définis et procède d'un enchaînement démonstratif, c'est-à-dire dont l'aboutissement est nécessaire si l'on applique des règles de logique. Les postulats qui guident le raisonnement doivent être admis par la communauté savante (par exemple, concernant la Terre, sera considéré comme rationnel un raisonnement partant du postulat qu'elle est grossièrement sphérique et non pas plate). D'une époque à l'autre, les postulats admis ne sont pas les mêmes et la rationalité varie en ce qui concerne ses contenus.
- "Rationalités" au pluriel ne signifie pas qu'il y aurait des variantes de la rationalité, ce qui conduirait à un relativisme contraire à la définition, mais qu'elle est mise en œuvre dans des champs du savoir différents. Elle prend, par conséquent, des formes et des cheminements différents qui varient selon les postulats de départ, les buts visés et les concepts employés. Les postulats et modes de raisonnement que l'on peut estimer rationnels ne sont pas les mêmes en biologie, en psychologie ou en économie et, dans chaque discipline, ils varient au cours de leurs évolutions. Le terme de rationalité mis au pluriel indique les diverses formes possibles de la rationalité selon les domaines et les époques.
- "Rationalisme" désigne l’application de la rationalité en philosophie, mais pas seulement. Gaston Bachelard définit le rationalisme par une systématisation du propos, un idéal d’économie dans l’explication et par l'interdiction de recourir à des principes extérieurs au système que l'on veut expliquer (La Philosophie du non, Paris, Presses Universitaires de France, 1975, p. 59). On qualifie par exemple de philosophies rationalistes, le cartésianisme ou le kantisme.
- Un problème a surgit avec la tendance doctrinaire qui habite l’homme. Le rationalisme peut prendre un côté fermé qui va parfois jusqu’au délire (dans ce cas, on parle de rationalisme morbide). Un raisonnement partant d’un postulat étroit et conduit selon une logique rigide procède d'un rationalisme excessif qui ne répond pas à l'équilibre exigé par la rationalité. Le rationalisme excessif aboutit à une pensée fermée, inaccessible aux contre-arguments, qui pousse la logique jusqu’au bout … de la fausseté. Ce rationalisme fermé prétend s'imposer, exercer une action normative, ce qui le démarque de la rationalité. Cette dernière sous-entend un débat et un accord possible selon le raisonnement entre les hommes et non pas une adhésion croyante ou une fermeture du raisonnement sur lui-même. Le rationalisme est une caricature de la rationalité.
- Le terme de "rationalisme" occasionne des malentendus, car il est employé, selon le contexte, dans le sens de rationalité ouverte ou dans le sens très péjoratif d'une pensée rigide et appauvrie, voire délirante (rationalisme morbide).
- Voir aussi la définition de rationnel.
Rationnel[modifier]
- Le terme rationnel sera défini ici par rapport aux manières de penser. On cherchera à établir ce qu'est une pensée rationnelle. Même dans ce cadre restreint, la notion correspond à quelque chose d’un peu flou. On peut dire que la pensée devient rationnelle lorsqu'elle prend une forme qui associe plusieurs aspects complémentaires et en équilibre :
- Les concepts utilisés sont clairement définis et sont cohérents entre eux.
- Les enchaînements sont démonstratif, c'est-à-dire conformes à des règles logiques.
- Les concepts sont adaptés au problème (ils ne sont pas hétéroclites, fantaisistes ou importés d'autres domaines sans précaution).
- Les postulats qui guident le raisonnement sont admis par la communauté savante au moment du raisonnement. D'une époque à l'autre, les postulats admis ne sont pas les mêmes. Par exemple on ne peut considérer comme rationnel un propos qui part du principe selon lequel le monde serait composé de quatre élément (l'air, l'eau, la terre et le feu), ou que la Terre est au centre de l'univers.
- Dans le cadre de la rationalité, un raisonnement est universellement communicable et potentiellement reproductible et peut être démenti par toute personne capable intellectuellement (s'il contient des failles ou des erreurs). Il est donc partageable, ou réfutable, sans arbitraire, au vu de sa qualité et des postulats de base.
- Un raisonnement rationnel n’est pas conduit selon une juxtaposition de propositions enchaînées par glissements stylistiques. Il n'utilise pas d'argument d'autorité, ni de ruse rhétorique. Il ne s’appuie pas sur des formes anachroniques du savoir, ni évoque des causes occultes ou magiques.
- Un raisonnement rationnel dépasse la simple logique par sa richesse et sa souplesse : il fait intervenir des correctifs et des inflexions qui introduisent successivement de nouvelles données permettant le cheminement vers une conclusion. La pensée rationnelle concerne généralement des problèmes complexes à traiter en vue d'une fin, si bien que le raisonnement s’appuie toujours sur un savoir préalable et vise un but. Le résultat dépend de la qualité de ce savoir et demande des choix par rapport au but.
Réalisme[modifier]
- Le réalisme en philosophie est une notion qui peut prendre des significations diverses selon la manière dont on l’emploie. Au sens ordinaire du terme, un énoncé est dit réaliste s'il a un référent, s'il a trait à quelque chose qui existe réellement. Dans son sens ontologique général, le terme de réalisme implique une existence assurée du monde.
- Plus précisément, une attitude réaliste consiste à porter un jugement d’existence et d’autonomie sur un référent quelconque. Mais, selon le référent en question, les conséquences seront variables et même contraires.
- L’assertion peut porter sur les phénomènes (les faits). C’est l’attitude des empiristes qui considèrent que la réalité factuelle existe de manière autonome. Nous le qualifierons de réalisme empirique. Il dérive du réalisme spontané qui, dans la vie courante, fait considérer que les choses qui nous entourent existent.
- L’affirmation peut porter sur ce qui sous-tend les choses et les faits, le réel. C'est le réalisme ontologique qui admet une existence indépendante du réel (distinct de la réalité factuelle), c'est-à-dire de la constitution du monde.
- Si ce réel est considéré comme une substance, plusieurs possibilités s’offrent selon que la substance considérée est de nature matérielle ou spirituelle. Dans le premier cas, le réalisme donne la doctrine matérialiste. Dans le second cas, on parle d'idéalisme dont le modèle-type est l'idéalisme platonicien (voir la définition de idéalisme et réalisme).
- Si l’assertion réaliste porte sur les lois scientifiques, dans ce cas, les lois sont considérées comme ayant une existence indépendante de la science et du savant. Une variante est constituée par le causalisme qui considère qu’il y a une structure causale du monde.
- Si l'on admet la distinction entre réel et réalité, une position nuancée doit être adoptée. Les faits existent en interaction avec nous. Les sciences construisent des faits par l'observation et l'expérimentation, ils sont relatifs à l'expérience qui les fait naître. On doit adopter à leur égard un réalisme relatif. Le savoir scientifique augmente progressivement en qualité et en quantité. Cependant, la résistance et la persistance qu'ils manifestent vient de ce qui les sous-tend : le réel indépendant.
- L'affirmation de l’existence du monde et, plus précisément, d'un réel indépendant de l’homme, constitue le cœur du réalisme ontologique. En un second sens, pratique, réaliste veut dire reconnaître les contraintes de la réalité et ne pas se bercer d'illusions.
Réalité[modifier]
- On nomme généralement "réalité" l'environnement tel qu'il nous est donné par l'expérience spontanée. La réalité se manifeste au travers de diverses qualités sensibles, ainsi que par la résistance qu'elle oppose à nos actions. Cette réalité-environnement apparaît grâce à notre expérience. L’expérience permet de construire des faits et de les rassembler en une multitude de choses que nous attribuons à la réalité.
- L’homme a une relation interactive avec son environnement qui constitue l'expérience. Elle se construit progressivement pour chaque individu et selon une évolution historique pour chaque culture. Au sein de certaines cultures, cette expérience prend une tournure méthodique et positive que l'on appelle scientifique. Nous en verrons l'importance pour la réalité.
- Il existe plusieurs attitudes vis-à-vis de la réalité. La première attitude, la plus spontanée, suggère que les choses perçues existent, là, devant nous, tout simplement. Il s'ensuit un réalisme qui considère que les choses que nous percevons existent telles que nous les percevons (à quelques pièges du sensible près).
- On peut avoir une attitude réflexive plus sophistiquée qui prend en compte l'expérience. Si on analyse la situation globalement, on s'aperçoit que les choses existent, au moins en partie, grâce à l'expérience que nous en avons. Sans notre perception et son organisation conceptuelle (notre expérience), la réalité n'existerait pas pour nous. Cette attitude est nommée constructivisme, car elle qui ramène la réalité à l'expérience qui la produit.
- Dans la perspective constructiviste, si on regarde les formes d'expériences existantes, on peut en trouver au moins deux, l'expérience ordinaire et l'expérience scientifique. L'expérience ordinaire est spontanée et immédiate, l’expérience scientifique est méthodique et médiatisée par des techniques. À partir de cette distinction entre types d'expériences, on peut distinguer deux types de réalités, la réalité ordinaire et la réalité scientifique.
- La réalité ordinaire est constituée par des choses, des événements, des personnes, des situations. Elle est très particulière, car, outre sa limitation, elle est imprégnée de subjectivité. L'imagination, les croyances, l'intérêt, falsifient la réalité ordinaire qui prend une tournure déformée et trompeuse dont on doit tenir compte. La réalité dans les sciences est constituée par des faits construits selon une expérience méthodique.
- La réalité se donne par l'expérience, et, par conséquent, son adéquation au réel dépend de la qualité de l'expérience. La manière scientifique de saisir la réalité présente des garanties d'adéquation au réel. Bien qu'elles ne fournissent qu'une connaissance partielle et toujours en évolution de la réalité, les sciences en donnent une vision bien plus large et plus assurée que l'expérience ordinaire.
Récit[modifier]
- On a qualifié de "grand récit" une narration portant sur l'homme, la société et le monde en général si elle est largement partagée au sein d'une culture. Les mythes traditionnels, qui nous parlent des origines du monde, de son devenir, de la place de l’homme, sont des fictions, car leur référent est douteux. Ces mythes entraînent une adhésion croyante qu’il est généralement difficile de remettre en cause.
- La philosophie peut proposer des récits qui diffèrent des mythes : des « récits philosophiques ». Comme le mythe traditionnel, un tel récit donnera du sens au monde, mais il ne sera pas gouverné par l’imaginaire ou par des structures narratives qui en détermineraient le contenu.
- Appuyé sur les connaissances scientifiques reconnues qui lui assurent un référent solide, il offre une synthèse cohérente et partageable qui fait sens. Le récit philosophique donne forme aux événements connus de l'Univers dans une histoire neutre, sans téléologie ni mystère métaphysique. Il propose des récits cohérents et réalistes, éventuellement porteurs d'une éthique, et ainsi participe à la culture dont l'homme et la société ont besoin.
- Les sciences proposent des conceptions du monde qui dépassent leur champ propre, des récits scientifiques. Il faut distinguer les récits internes à la science et les récits externes largement divulgués. Les premiers, constate Thomas Kuhn, s'intègrent aux paradigmes de la science. Ils soutiennent et orientent la recherche scientifique, lui donnent une place sociale et culturelle, cimentent le groupe des chercheurs.
- Les seconds sont une vulgarisation de la science, ou mieux, une transformation philosophique du savoir scientifique. Ils s'intègrent aux récits philosophiques dont nous venons de parler. Un tel récit philosophico-scientifique donne du sens au monde de façon rationnelle. Il donne une conception du monde et situe la place de l'homme en s'appuyant sur le savoir scientifique de son époque.
- Au sein des cultures, il y a des relations conflictuelles récurrentes entre les récits philosophiques issus des sciences et les récits traditionnels idéologiques, mythiques et religieux. L’affaire Galilée en est un exemple caractéristique. Galilée ne s'est pas contenté de proposer une hypothèse théorique en latin, il a publié un récit cosmologique en langue vulgaire contredisant la bible.
Réductionnisme - physicalisme[modifier]
- Le réductionnisme comporte deux aspects, la manière de connaître (enjeu épistémologique) et ce qui existe dans le monde (enjeu ontologique).
- Selon la doctrine réductionniste, la bonne manière de connaître est analytique. Il convient de décomposer le domaine de recherche en autant de parcelles que possible, jusqu'aux plus élémentaires. Cette décomposition permettra la meilleure explication. Il s’y associe un présupposé ontologique : le complexe peut se ramener au simple qui constitue vraiment le monde. Aller vers l’élémentaire, c’est aller vers le réel, vers ce qui existe vraiment et fondamentalement. Le réductionnisme s'appuie sur la métaphysique matérialiste pour laquelle le monde est constitué d'une unique substance, la matière. Sur le plan de l’organisation des connaissances scientifiques, le projet réductionniste a l’ambition de ramener les sciences humaines à la biologie, la biologie à la chimie, et la chimie à la physique.
- Le réductionnisme aboutit au physicalisme. L'un et l'autre se sont imposés à partir du Discours de la Méthode de Descartes. Il a été repris par Newton qui estime que les « puissances actives, attraction et répulsion qui règlent le cours des astres et la chute des corps » sont valables pour la combustion, la fermentation, le magnétisme, etc.… Au milieu du XIXe siècle, on le retrouve en biologie. Helmholtz et Brücke, physiologistes de renom, veulent établir « qu’aucune autre force que les forces physico-chimiques courantes ne sont en action dans l’organisme ». Pour Einstein, les lois générales de la physique permettront de construire « la théorie de tous les phénomènes de la nature, y compris ceux de la vie ». Selon la thèse physicaliste, le monde est uniquement constitué par ce que décrit la physique.
- L’inconvénient de la méthode analytique, utilisée sans mesure, c’est qu’elle ne permet pas de comprendre les ensembles organisés. Par cette méthode, le complexe est démembré et les phénomènes qui viennent des entités composites sont négligés. Les connaissances qui prétendraient rendre compte de ces entités et de leurs propriétés sont rejetées, car elles ne se conforment pas à la bonne manière de procéder. Elles ne sont acceptables qu'à titre provisoire. Quant au principe d’une réduction ontologique aboutissant au physicalisme, c'est un postulat posé a priori et indémontrable. L'évolution des sciences est en faveur d'une pluralité ontologique.
- En résumé, on peut distinguer deux aspects du réductionnisme :
- Un réductionnisme épistémologique qui est un principe de méthode. Il est parfaitement légitime et a montré sa fécondité. Il choisit le plus fort degré de simplicité pour résoudre un problème. Sa généralisation, par contre, est abusive. Elle suppose que l'on aura une explication complète du monde à partir de la physique.
- Un réductionnisme ontologique, pour lequel tout niveau d'organisation supérieur est le résultat, sans aucun ajout ni différence, de la composition additive ou causale des éléments du niveau inférieur et ainsi de suite jusqu'au dernier, le plus élémentaire (celui des particules élémentaires). Ce dernier niveau constituerait véritablement le réel.
Réel[modifier]
- Le réel est un concept ontologique qui désigne ce qui existe en dehors et indépendamment de nous. Il se définit par rapport à celui de réalité empirique, qui, lui, désigne ce qui existe pour nous grâce à notre expérience. Selon la thèse constructiviste, la réalité naît d'une interaction entre nous et le monde, interaction constitutive de l’expérience.
- Supprimons par la pensée toute interaction avec le monde, il ne restera aucune réalité. Mais, il serait abusif d'en conclure que le monde ait disparu et que rien n'existe. La réalité doit, par conséquent, être différenciée de ce qui existe en soi. Ce qui existe en soi, indépendamment de nous, peut être nommé "réel". Le réel est la forme d'existence relativement stable et structurée que l'on suppose déterminer la réalité.
- Le terme "réel" a l'avantage d'insister sur l'idée d'une existence effective et incontestable (réelle). La réalité est marquée par le réel, car elle résiste et nous ne pouvons la construire arbitrairement. Réalité et réel ne sont pas dissociables, ils sont les deux faces du monde. La conception qui se dégage de ces affirmations est un réalisme ontologique associé à un constructivisme empirique.
- La manière scientifique de saisir la réalité présente des garanties d'adéquation au réel et c'est donc à elle qu'il faut se référer si on s'intéresse au réel et que l'on cherche à s'en faire une idée. On constate une diversité des domaines scientifiques et l'histoire nous montre une évolution des sciences qui investissent des champs de plus en plus diversifiés.
- La diversité des sciences et des champs de la réalité auxquels elles s'intéressent laisse supposer une diversité du réel qui façonne ces champs. À partir de là, on peut supposer qu'il y a une pluralité du réel. S’il faut donner un nom à ces formes distinctives du réel, on peut les appeler des champs du réel ou des modes d'existence.
- Toute conception du réel doit rester prudente, car l'accès au réel est indirect et passe par la connaissance de la réalité.
Référent[modifier]
- Désigner un référent et le préciser consiste à saisir un aspect du monde et à porter un jugement positif et assuré sur son existence.
- Une expression comme « l’érable qui est dans mon jardin » a pour référent l’arbre planté dans mon jardin, dont l’existence est attestée empiriquement. Une expression sans référent est une fiction. « Le cerisier qui est dans mon jardin » n’a pas de référent, car l’arbre planté dans mon jardin est un érable. C’est une fiction.
- Le problème est rendu difficile quand on s’éloigne du concret. Le référent d’une expression comme le président de la République n’est pas seulement la personne concrète que je peux voir ou toucher, mais a trait à une fonction au sein d’une organisation politique. Le président de l’Empire romain est une expression sans référent, car rien de tel n’existe.
- Au départ, chaque science empirique identifie un référent sur lequel portera sa recherche. Par exemple, identifier les cellules vivantes a permis à une nouvelle science, la cytologie, de voir le jour. Deux remarques s’imposent au sujet de ce référent : avant qu’on le sache, il y avait des cellules, mais il n’y pas toujours eu des cellules (les premières cellules sont apparues il y a environ 450 millions d’années). Il est important de savoir si une notion, qu’elle soit concrète ou abstraite, a, ou n’a pas, ou a eu, un référent.
- Le concept de référent permet de poser la question : ce qui est désigné par un énoncé existe-t-il sous une forme quelconque (concrète ou abstraite) qui soit attestée empiriquement et démontrable rationnellement ? Les fantômes, les anges, Dieu, le Père Noël, Barbe Bleue, la métempsychose, l’Un, n’ont pas de référent. Pourtant, de nombreuses personnes y croient.
- Le concept de référent permet de distinguer les fictions et les propos réalistes en obligeant à se prononcer (empiriquement et rationnellement) sur l’existence de ce qui est désigné. Il permet une définition de la croyance comme fiction à laquelle on attribue (faussement) un référent. Un énoncé réaliste au sens ordinaire du terme, a un référent, il a trait à quelque chose qui existe réellement.
Référent d’une science[modifier]
- Les disciplines scientifiques naissent grâce à la mise au point d’un accès empirique à une partie du monde. Elles désignent ainsi le référent premier auquel elles vont s’intéresser. C’est un préalable à la construction de la discipline. Cette première étape de simple désignation (désignation de quelque chose dont on va s'occuper selon la méthode scientifique appropriée) est déjà complexe.
- Désigner un référent pertinent et relativement précis est le premier pas de toute aventure scientifique et permet à une nouvelle discipline de naître. Cette démarche consiste à saisir divers aspects de la réalité ayant une cohérence et une stabilité suffisantes, ce qui se produit à un moment de l’évolution des idées et des techniques.
- Donnons quelques deux exemples dans le domaine biologique, celui de l'histologie et celui de la cytologie.
- L’histologie devient possible après que Bichat, vers 1800, ait désigné un nouveau référent, les "tissus", qu’il a individualisés pratiquement et théoriquement. Il a produit une découpe et désigné quelque chose de nouveau dans la réalité. Après cette première désignation, d’autres chercheurs peuvent remettre en œuvre le concept et l'expérience et travailler sur les tissus dans les organismes vivants. Au fil du temps, les concepts et les pratiques vont s'affiner, se préciser, constituant les objets relativement définis et stables qui caractérisent l'histologie. Dans le même domaine, un autre référent a été désigné, vers 1879, par Théodor Schwann, la cellule constitutive des tissus et commune à tous les vivants à partir d'observations microscopiques et de comparaisons entre les divers tissus animaux et végétaux. Une autre discipline scientifique s'est individualisée : la cytologie.
- Quelle leçon tirer de ces exemples ? Une combinaison de considérations empiriques et théoriques permet, à un moment donné de l'évolution de la connaissance, de désigner dans le monde quelque chose qui peut être étudié. Bien vite, le référent se transforme en objet de science (au sens constructiviste du terme) par combinaison d'une méthode et d'une théorisation le concernant.
- Le référent est une partie (un aspect) du monde qui a été identifiée (partie stable et constante à notre échelle) grâce à des faits empiriques mis en évidence par un embryon de méthode et une avancée conceptuelle.
- Si le référent a été correctement identifié, il fait le lien au cours des évolutions théoriques et éventuellement entre les paradigmes successifs de la discipline qui s'en s’occupe (c'est la conception dite "externaliste" soutenue par Hilary Putnam, 1975). On peut soutenir un certain "externalisme" en philosophie des sciences. Toutefois, l'externalisme doit être tempéré pour deux raisons : - les faits sont relatifs à l'expérience et le réalisme spontané est une illusion - le référent amorce la construction de l'objet qui est sans cesse reconstruit par l'activité scientifique.
Réflexivité[modifier]
- Par « réflexif », on entend le retour de la pensée vers elle-même. C’est l’un des apports les plus importants de la philosophie que d’avoir montré l’intérêt de se retourner vers la pensée pour l’interroger, afin d’en distinguer les différentes formes et contenus, afin d'en juger la pertinence. La réflexivité désigne plus précisément le fait d’appliquer cette analyse à sa propre pensée ou à sa propre doctrine.
- Du point de vue de la connaissance empirique, la réflexivité ne concerne pas que la pensée, mais aussi la méthode au sens pratique. Il s'agit d'interroger les conditions de production de la connaissance, de prendre en compte le rôle du processus de connaissance dans le résultat. Le but est d'en comprendre l'impact et de corriger les errements qui lui sont inhérents. Voyons quelques cas où une réflexivité doit être introduite dans la méthode.
- Le premier exemple et le plus simple est ce qui a été nommé "l'équation personnelle" des astronomes. On s'est aperçu que certains utilisateurs de lunette astronomique commettaient systématiquement une faible erreur, toujours la même, dans leurs observations. C'est par un retour réflexif (en observant l'observateur) qu'on s'en est aperçu et qu'on a pu corriger les données.
- En médecine, on s'est aperçu que les résultats concernant l'efficacité des médicaments ne viennent pas seulement de la molécule, mais de la façon dont elle était donnée. La valorisation du médicament, le recueil des résultats influent. On en est arrivé à la méthode dite "en double aveugle" pour corriger les diverses influences humaines. La méthode d'étude influence les résultats et il faut faire retour sur la méthode pour la corriger.
- Le problème redouble dans les sciences de l’homme et de la société, car la discipline et le chercheur en sciences humaines et sociales sont eux-mêmes des produits humains socialisés, d’où une inéluctable influence réciproque entre l’étude et son objet. Le problème épistémologique est aigu du fait de l’identité entre explanans et explanandum. Pour pallier ce problème, il faut une réflexivité développée qui ne concerne pas seulement la méthode, mais toute la discipline.
- On peut distinguer divers plans sur lesquels un retour réflexif est indispensable en ce qui concerne les sciences humaines et sociales.
- On doit s’interroger sur l’objet même de la recherche. Le paradigme du chercheur détermine l’objet de recherche. Par exemple, le totémisme est-il un objet de recherche pertinent en anthropologie ou une vision occidentale inadaptée ?
- On doit évaluer l’influence directe sur la réalité et les modifications apportées par son étude. L’interaction du chercheur (ou du praticien) produit ou exclut certains faits. La réflexivité permet d’en tenir compte dans la théorie et dans la pratique, qu'il faut adapter, faute de quoi une partie du domaine d'étude sera soit faussée, soit inaccessible. Par exemple, le psychologue qui refoule ou dénie certains problèmes ne peut pas les étudier.
- La réalité est toujours en partie construite (voir la définition de la réalité) et par conséquent de qualité variable. Lorsque la réalité concernée est humaine, le problème épistémologique est aigu : il y a une identité partielle et une influence réciproque entre explanans et explanandum. La réflexivité explicite cette identité et cette influence et propose des moyens pour améliorer la connaissance.
Représentation[modifier]
- L’étymologie latine repræsentare signifie rendre présent. Elle ne suffit pas à expliciter le terme, car représenter produit une présence particulière, qui tient lieu d'autre chose, qui se substitue à un original. En son sens premier, représenter c’est présenter en remplacement d’autre chose.
- Sur le plan cognitif, la représentation permet de redoubler sous une forme symbolique divers types de données, en particulier en utilisant les divers langages dont l'homme dispose.
- Ceci demande une capacité cognitive particulière et spécifique dite représentationnelle, qui joue un rôle décisif pour la pensée humaine et pour la cognition en général. Elle permet de dédoubler, de différer, de réverbérer et de lier des données entre elles. C’est ce qui donne ce que Jean Piaget nomme la « fonction symbolique », qui est d’une singulière importance, car l’homme vit dans un univers représentatif. La capacité représentationelle de l'homme produit des faits symboliques, non concrets, mais qui existent dans la réalité empirique et qui ont une effectivité.
- Cette capacité fonctionnelle joue sur divers plans de la cognition. Elle est particulièrement déterminante pour le langage. Les langages (verbal, imagé, musical, gestuel) ne pourraient être mis en œuvre sans cette fonction, car ils ont pour fondement de relier des formes signifiantes plus ou moins complexes à des signifiés divers (perceptions, notions, concepts) plus ou moins sophistiqués.
- La capacité de représentation est générée par le niveau cognitif, que nous nommons chez l'homme, au vu de l'importance majeure de la représentation, « niveau cognitivo-représentationnel ».
Science[modifier]
- La science est une activité de connaissance authentique du monde. Cette première indication départage la science d'autres activités qui ont d'autres finalités, telles que légiférer, normer, enjoliver le monde, donner de l'espoir. Pour qu'il y ait science, il faut qu'il y ait une volonté individuelle et collective de connaître vraiment le monde tel qu'il est.
- Le qualificatif "scientifique" a trait à la qualité de la connaissance. Pour le mériter, une connaissance doit répondre à des critères de rigueur, d'objectivité, de véracité et d'universalité. La science vise à constituer une connaissance vraie et efficace et, pour atteindre ce but, elle se soumet à des contraintes spéciales et difficiles à mettre en oeuvre. Ces contraintes sont de deux types : la validité interne (démonstration, cohérence, rationalité) et la vérification empirique (l'établissement d'un rapport vérifié à la réalité). La manière de réaliser ces exigences varie d'une science à l'autre, mais au minimum la science accepte 1/ de raisonner clairement et rationnellement et 2/ de se confronter et se conformer à la réalité.
- La science moderne s'est forgée à partir du XVIIe siècle et se poursuit de nos jours tout en évoluant. Le degré d'axiomatisation et de mathématisation est variable d'une science à l'autre, de même que la manière de se référer aux faits. Il y a toutefois deux critères indispensables : la conceptualisation doit être rationnelle et transmissible, la relation à la réalité doit être précise et fiable pour permettre un jugement empirique. La plupart des sciences utilisent la procédure hypothético-déductive.
- Juger empiriquement la théorie impose une pratique. Il faut constituer expérimentalement ou par observation contrôlée des faits et y confronter la théorie. Ce rapport aux faits est vu de diverses manières selon les doctrines : vérification (conception classique), réfutation (conception de Karl Popper), concordance (conception parfois nommée "sémantique").
- On peut analyser une connaissance scientifique selon quatre concepts qui définissent son socle épistémique : son référent, son objet, sa manière de connaître, sa méthode pratique. Le référent est le point de départ d'une science, la partie du monde abordée grâce à une méthode nouvelle et pertinente. L'objet constitue le cœur de la recherche, il est construit et même reconstruit plusieurs fois au cours des évolutions scientifiques. Un même référent peut donner lieu à plusieurs objets de recherche. La manière de connaître correspond à l'adoption d'un type de théorisation (les théories varient selon leurs formes et leur degré de formalisation). La méthode (la manière pratique de conduire l’expérience, les techniques employées) doit s’adapter au champ considéré afin de relier efficacement la théorie et les faits.
- La connaissance scientifique aboutit à un savoir qui présente des garanties d'adéquation au monde ; ce n'est pas une fiction, ni un mythe, ni de la métaphysique, ni de l'idéologie. Le savoir obtenu par les sciences évolue sans cesse et de manière discontinue (Thomas Kuhn parle d'une évolution discontinue, par "révolutions scientifiques"). C'est une responsabilité philosophique majeure que de défendre le statut spécifique de la connaissance scientifique et du savoir qu'elle produit. Le savoir scientifique ne peut pas être mis à égalité avec l'opinion et la croyance, car il résulte d'un effort soutenu d'adéquation au monde.
Sens[modifier]
- Pour ce qui est du "sens des mots", il paraît préférable d’utiliser le concept de signification, car le terme de sens a une acception bien plus large qui dépasse cet usage sémiotique. La signification d’un énoncé bien formulé est relativement univoque alors que le sens est vaste, pluriel, et concerne des domaines étrangers au langage.
- Par exemple, le sens donné à la vie humaine suppose un déroulement, une histoire ou un projet. Il demande une réflexion qui peut être longue. On n’est plus dans l’ordre langagier, mais dans celui de la culture, du symbolique, voire de la métaphysique. Trouver le sens d’une attitude, d’un propos, demande toujours une interprétation qui peut être tout à fait fausse, ce qui ouvre la porte aux malentendus. Le sens d’une œuvre d’art renvoie à une pluralité interprétative et à un contexte à la fois personnel, culturel et historique.
- Les sens, d'un point de vue pratique, désigne une direction, ce qui transposé dans le domaine des attitudes humaines correspond aux intentions qui déterminent un but ou la finalité de l'action.
- Le sens s’oppose au non-sens, au vide, à l’absurde qui sont des facteurs de désillusion, de tristesse, de dépression. Le sens n'est pas neutre du point de vue affectif. Toute société propose des mythes, des légendes, des grands récits, des idéologies qui véhiculent du sens et qui sont fortement investis du point de vue émotionnel. La plupart des personnes poursuivent divers buts qui ont un sens pour elles.
- Le sens utile à guider la vie humaine est à inventer. Il n’y pas de télescope qui permettrait de trouver du sens en le pointant vers le ciel des Idéalités ou vers le point oméga d'un supposé horizon téléologique. La philosophie, à côté de son rôle de connaissance, a aussi pour rôle de proposer des récits qui donnent un sens à la vie humaine. Ils se doivent d’être rationnels et ancrés sur des savoirs solides, ce qui les rend différents des idéologies et des religions. La philosophie est aussi pourvoyeuse de sens.
Signification[modifier]
- La signification est en rapport avec les signes, elle a trait aux effets produits par les langages humains qui peuvent être verbaux, musicaux, imagés, gestuels.
- La théorie linguistique du signe chez Ferdinand de Saussure distingue le signifiant (la forme concrète du mot), le référent (la chose désignée) et le signifié qui correspond à la signification. Mais, la signification ne se limite pas au signe pris isolément. Les mots s’agençant en énoncés, on parle aussi de la signification d’une proposition, d’une phrase ou d’un énoncé complexe. La discipline qui cherche à spécifier les significations de toutes les phrases d’une langue est appelée la sémantique, quant à la sémiotique, elle se donne comme la théorie générale des signes et de leur articulation avec les significations.
- Le concept de signification a un double aspect, il désigne à la fois le processus qui lie un énoncé langagier à des contenus cognitifs et représentationnels et ces contenus eux-mêmes. Les capacités cognitives sollicitées sont nombreuses et variées : la signification d’un énoncé concerne aussi bien un concept, un raisonnement que des souvenirs personnels, des aspects culturels ou une chose concrète. Plusieurs de ces aspects peuvent être mis en jeu simultanément, ce qui donne une complexité à la signification. Penser produit une suite de significations qui se spécifient en idées.
- Admettre une signification veut dire que l’on ne s’en tient pas aux aspects concrets du langage (les signifiants, les syntagmes, la syntaxe). On suppose que ces aspects mettent en jeu autre chose de l’ordre du cognitivo-représentationnel.
- Admettre une signification autonome s’oppose à une pure pragmatique du langage qui le réduit à son usage. Notre définition de la signification est contradictoire avec la théorie énoncée par Ludwig Wittgenstein dans le Tractatus Logico-Philosophicus. Il suggère qu'une proposition significative décrit un état de fait et se réduit à cela. Ultérieurement, il introduira les « jeux de langage » comme médiation entre langage et réalité, mais il persiste à mettre de côté l'activité cognitive et représentationnelle associée à l'activité langagière.
- Le mot « sens » est actuellement employé comme synonyme de signification, mais comme il renvoie aussi à des aspects plus larges, comme le sens d’une action, le sens donné à la vie humaine, l’absurdité par absence de sens, etc., il paraît préférable de le réserver à cet usage élargit.
Socle épistémique[modifier]
- Le concept de socle épistémique permet d'identifier un ensemble de traits permettant de caractériser, à une époque donnée, une connaissance scientifique. C'est une manière de décrire le paradigme sur lequel elle repose. Concernant un domaine scientifique, on peut le caractériser par :
- les grands principes qui le guident
- la conception ontologique de base
- le référent et l'objet de la connaissance
- la gnoséologie (la manière de connaître, les choix théoriques)
- la méthode organisant l'expérience
- le récit qui en découle
- Voyons-les successivement.
- Les grands principes sont des idées qui conditionnent la démarche de connaissance, comme le déterminisme, l'absence d'interventions surnaturelles, l'idée de causalité, la rationalité et sa forme logique, etc.
- L'ontologie exprime les présupposés concernant le réel. Les présupposés ontologiques sont premiers, au sens où ils influent sur l'ensemble, mais ils sont souvent transmis implicitement comme des évidences.
- Le référent est le point de départ d'une connaissance scientifique. C'est la partie de la réalité abordée grâce à une méthode nouvelle et pertinente. Le référent est un ensemble de faits empiriquement attestés grâce à une conception nouvelle dont la communauté scientifique admet la pertinence.
- Il se transforme en objet de science lorsque la connaissance se développe lors des activités de recherche. L'objet constitue le cœur de la recherche et sa spécificité. Gaston Bachelard considère à juste titre que l'objet d'une science est construit (et même reconstruit plusieurs fois au cours des évolutions scientifiques). Un même référent peut donner lieu à plusieurs objets de recherche au fil du temps.
- Les principes gnoséologiques règlent le raisonnement et guident la manière de théoriser. Ils indiquent si l’on doit penser de manière causale ou légaliste, de manière analytique ou synthétique, si l’on doit utiliser la logique ou les mathématiques, etc. Ils sont plus généraux que les lois scientifiques, leur formalisation et les procédés heuristiques reconnus dont ils contribuent à guider l'élaboration. Puis, vient la description du type de théorie au sens précis et rigoureux du terme (les théories varient selon leur forme et leur degré de formalisation).
- La méthode (au sens empirique) concerne l'ensemble des pratiques. Il s'agit des procédures et des techniques qui encadrent l’expérience et produisent les faits scientifiques. Les procédures ont pour but de donner une objectivité aux faits. Dans l'idéal, la méthode fait surgir des faits assurés, collectivement contrôlables, potentiellement reproductibles et les relie de manière univoque à la théorie de façon à pouvoir la tester empiriquement. La méthode ou pragmatique se définit par l'ensemble des pratiques régulées qui font l'objet d'un apprentissage au sein de la communauté scientifique. Elle concerne la mise au point de dispositifs et protocoles expérimentaux, mais aussi des apprentissages perceptifs, gestuels et techniques.
- Les sciences contribuent à un récit philosophique, une conception cohérente du monde, qui les dépasse sans pour autant être métaphysiques. Cette synthèse découle des connaissances, mais, en même temps, fait retour pour les unifier. Cela correspond à ce que Thomas Kuhn a identifié comme "la conception et les croyances sur le monde" présentes dans un champ disciplinaire.
Structuralisme[modifier]
- Le structuralisme cherche à repérer une forme organisée, une "structure", présente derrière les faits et leurs variations. Les disciplines structuralistes produisent, en suivant ce principe, un modèle explicatif synthétique à partir des faits et de leurs transformations dynamiques. L'étude des transformations est une manière de mettre en évidence l'invariance de la structure.
- Passé ce principe qui fait l’objet d’un accord général, les conceptions du structuralisme sont bien différentes, et les doctrines s'en réclamant parfois fumeuses. Le degré de formalisation jugé indispensable, le mode d’existence de l’organisation étudiée et son pouvoir de genèse sont conçus de manières diverses et ont été sujets à d’âpres controverses. La structure est tantôt considérée comme un schéma théorique (position formaliste et instrumentaliste), tantôt comme un être véritable (position réaliste).
- Sur le plan de la méthode, le structuralisme veut saisir, derrière la diversité phénoménale, un arrière-plan fondateur qui serait la structure. L'ontologie de la structure (réalisme structural) pose un problème, car la structure est d'abord un modèle théorique. L’affirmation réaliste selon laquelle la structure serait le fondement réel est trop abrupte. D'une manière plus nuancée, on peut supposer que les structures mises en évidence donnent une idée du réel, ce qui laisse supposer qu'il soit organisé.
- Dans les années 1950/60, le structuralisme à subi l'influence de la linguistique. L’importance primordiale donnée au logico-linguistique par le structuralisme appliqué aux sciences humaines paraît, a posteriori, sans fondement. La mise en avant de la syntaxe et du signifiant, qui viennent d’une inspiration linguistique et computationniste, ressemble bien à un effet de mode. Ramener l’humain à une combinatoire, évincer la signification par le jeu des signifiants, a été un dogme admis sans démonstration. L’idée que l’une des structures déterminantes pour l’homme serait la « structure du symbolique » parait infondée.
- Bien qu'il en soit proche, le structuralisme a ignoré la pensée qui s'est déclarée systémique, car le structuralisme s'est plutôt dirigé vers la recherche de l'ordre, de rapports fixes, de l’invariance. Cependant, la distinction théorique entre structure et système est parfois impossible.
- (Voir aussi systémique).
Substance[modifier]
- Le terme "substance" nomme la stabilité et la persistance de ce qui existe par opposition aux "phénomènes" qui sont changeants. On peut dire aussi, avec Descartes et Spinoza, que la substance est le support permanent des attributs, qualités ou accidents. La métaphysique traditionnelle suppose une ou plusieurs substances.
- Le concept conjugue plusieurs idées :
- 1/ Le terme est souvent employé pour désigner des constituants concrets (bois, marbre, etc.) qui peuvent prendre diverses formes (opposition classique entre forme et matière). Cette origine empirique n'est pas anodine, car elle constitue une matrice pour le concept.
- 2/ Par extension de cet usage, le substantialisme métaphysique suppose une entité permanente, la substance, comme support de toute chose qui existe par elle-même et ne dépend de rien. C’est une hypothèse métaphysique sur le fondement du monde.
- 3/ A contrario, Kant définit la substance comme l’idée a priori de la permanence du réel dans le temps. Il en fait une catégorie de la pensée sans prétention réaliste. C’est une définition acceptable, mais qui se confond avec le jugement d’existence référé à la temporalité : pour comprendre le monde, nous devons penser que quelque chose dure dans le temps.
- Dans les emplois effectifs du terme, on constate souvent un mélange des trois idées avec une prépondérance de l’une ou l’autre selon le cas.
- Comme chacun le sait, le dogme du dualisme des substances s’est installé avec Descartes. Outre Dieu, substance parfaite, le monde se composerait de deux substances : l'une matérielle étendue et l'autre spirituelle ou esprit. L'homme connaîtrait la substance étendue par l’intermédiaire de la substance spirituelle qui constitue son esprit.
- Le monisme matérialiste suppose une seule substance, la matière. La matière est définie par Locke comme une « substance corporelle » ne relevant que des qualités premières. Force est de constater que la physique n’a pas mis en évidence ce constituant fondateur et que, dans les autres sciences, le terme donne l’idée d’un matériau, par exemple la « matière minérale » ou la « matière vivante ». Jacques Monod a dû rappeler (Leçon inaugurale, Collège de France, 1967) que cette dernière n’existait pas.
- La notion de substance étant source de difficultés et de confusions, il paraît préférable de l’éviter pour qualifier ce qui existe de manière permanente. Décréter le réel substantiel est inutile et source de confusion, car il faut ensuite savoir ce qu'est la substance et combien il y en a, ce qui conduit à des spéculations métaphysiques.
- Pour en savoir plus, voir l'article : L'idée de substance.
Sujet[modifier]
- Le sujet est devenu la notion à tout faire de la psychologie, de la psychanalyse, de la morale, de l’éthique, de la politique, du droit, de la linguistique et même de la critique littéraire. Il est le nom moderne d'une entité floue combinant la personne, l’individu, l’ego, le moi, le Je, tantôt origine du discours, de la pensée, tantôt fruit de l’inconscient et effet de la structure. Parmi les diverses locutions fréquemment employées, nous avons le sujet humain, le sujet de droit, le sujet automate, le sujet collectif, le sujet de la science, le sujet de la psychanalyse, le sujet social, etc.
- La modernité s’est construite sur l'idée que l'homme est un sujet souverain, mais, par ailleurs, elle n’a cessé de démontrer la vanité d’une telle prétention en mettant en évidence les multiples déterminations, biologiques, psychologiques, sociales, économiques, épistémiques, dont il dépend et qu’il méconnaît.
- En philosophie, le sujet, à l'origine substance ou substrat, chose porteuse d’accident, est devenu agent et en particulier l’agent de la pensée rationnelle. On désigne ainsi le supposé point de source de la pensée, l'origine de l'autonomie consciente, de la souveraineté et de la liberté individuelle, voire l’agent unique des actes, le pilote virtuel de l’individu autonome. La problématique du sujet est également venue se greffer sur une théorie de la connaissance, opposant sujet et objet, ce qui implique que le sujet ne puisse être en même temps son objet. Le sujet serait l'origine de la connaissance, le pilote autonome la dirigeant vers la réalité extérieure objectivable, dont il ne ferait pas partie. Mais, la subjectivité étant trompeuse, il faudrait aller vers l’objectivité.
- Pour Descartes, il est évident qu'en l’homme, c'est un "je" ou un "moi" qui pense. Par là, se dessine un mouvement d’appropriation de l’esprit-substance, le "sujet" participant de cette substance et la résumant. La pensée, considérée comme certaine, est attribuée à un sujet unifié et individué (je-moi) et l'un et l'autre sont substances.
- Selon Emmanuel Kant, le sujet contient la conscience intellectuelle d'être et il constitue l'unité synthétique originaire de l'aperception, condition transcendantale de la pensée et de l'expérience. Il ne peut être saisi empiriquement, puisque c'est le point de source premier, la condition de la pensée et de l'expérience. Le sujet n'a pas de contenu et il est toujours identique à lui-même. La connaissance empirique de l'homme concerne nécessairement autre chose que le sujet. Il est exprimé aussi bien par je, il ou ça. « Par ce "Je", ou cet "Il" ou ce "Cela" (la chose) qui pense, rien d’autre n’est représenté qu’un sujet transcendantal des pensées = x, que nous connaissons seulement par les pensées qui sont ses prédicats » (Critique de la raison pure, Paris, PUF, 1985, p. 281).
- Une définition unifiée du sujet est impossible, car le terme cumule trop de sens différents et contradictoires. C'est pourquoi il paraît sage de laisser le terme de "sujet" aux doctrines qui s'en réclament avec précision (cartésianisme, kantisme) et d'utiliser le terme de "personne" pour désigner l'humain (voir Personne et Personnalité) ou encore celui d'agent en ce qui concerne les individus poursuivant une activité orientée par une finalité précise.
Système[modifier]
- Les systèmes sont des constructions théoriques, des modèles que l’homme se fait de la réalité. Appliqués à un champ de la réalité, ils constituent ainsi un objet de la connaissance qui est alors qualifiée de systémique (comme la biologie systémique). Ils ont pour particularité de considérer l'ensemble des interactions existantes et non des chaînes causales isolées. Cette manière de penser s'oppose à la méthodologie analytique et réductionniste habituellement appliquée dans les sciences.
- Une théorisation systémique tient compte de l'ensemble des interactions entre les facteurs intervenant dans un objet d'étude. Elle les hiérarchise et les articule entre eux en tenant compte de la finalité de l'ensemble. Si possible, elle en propose un modèle formalisé sous forme d'un système d'équations.
- Ludvig von Bertalanffy a soutenu l'idée que l'on pourrait trouver des lois communes à tous les systèmes, indépendamment du domaine scientifique concerné. Dans la période 1950-1980, la « systémologie générale » devint un projet collectif avec une société savante internationale qui lui est attachée.
- La question ontologique posée par les systèmes (parfois nommés structures) est celle de savoir s'il y correspond une organisation présente objectivement dans le monde. Dans cette perspective, on peut, soit considérer que le réel possède une puissance organisatrice, soit que la réalité se structure dans des ensembles interactifs formant des totalités indissociables.
- Si le monde présente une organisation (en général ou en particulier dans certains champs de la réalité), alors la façon la plus intéressante et prometteuse de l'étudier, c'est d'utiliser des modèles systémiques.
Systémique[modifier]
- La pensée systémique associe divers concepts : celui d'ensembles d'éléments interdépendants à ceux de complexité, d’auto-organisation, d’interactivité.
- Le principe en est le suivant. Soit un ensemble et ses composants, la pensée systémique considérera que :
- L'ensemble possède des propriétés qui proviennent de l'assemblage lui-même. Il s'ensuit trois conséquences. S'il se défait, les propriétés disparaîtront. Si l'organisation change, les propriétés changeront (bien que les constituants soient les mêmes). L'ensemble ne doit pas être décomposé, car alors il perd ses propriétés.
- Certaines des propriétés des composants sont attribuables aux relations qu’ils entretiennent avec les autres au sein de l'ensemble. Elles ne peuvent donc être connues si on les sépare de l'entité.
- L'ensemble peut et doit être considéré pour lui-même, indépendamment de ses constituants. Il a une existence autonome.
- La pensée systémique s'oppose à la pensée analytique qui atomise en éléments simples et recherche des séries causales indépendantes. Dans ce cas, un ensemble constitué est considéré comme un agrégat : les propriétés des éléments sont indépendantes (intrinsèques) et celles de l'ensemble résultent de la composition des parties.
- Les théories de type structural et systémique essayent de rendre compte des différents ensembles organisés présents dans le monde sans les dissocier. Le principe est d'abord épistémologique (la bonne manière est de considérer des ensembles et de les modéliser en systèmes) et parfois ontologique (ces ensembles correspondent à une organisation du réel qui existe effectivement).
- La pensée systémique peut être employée dans presque tous les domaines de la connaissance.
- Appliquée à la science elle-même, la pensée systémique considère le savoir comme un tout. Cette doctrine a été défendue par Pierre Duhem, sous le nom de holisme. Pour cet auteur, ce n'est jamais un énoncé scientifique isolé, mais le corps tout entier de la science qui affronte le verdict de l'expérience.
- Thomas Kuhn a défendu l'idée qu'il n'y a pas de conception isolée dans les sciences. Cette manière de voir a pour conséquence de mettre en évidence des discontinuités entre systèmes épistémiques, car deux ensembles différents et homogènes ont peu de chance d'être compatibles. Il y aurait une incompatibilité (incommensurabilité) entre deux systèmes épistémiques.
- (voir aussi structuralisme et holisme)
Transcendantal[modifier]
- La philosophie scolastique admettait l’existence de concepts premiers s’appliquant à la réalité en général. La chose remonte au moins à Avicenne qui avait expliqué au début de sa Métaphysique que toute connaissance simple repose sur certains concepts premiers et indéfinissables qui sont spontanément et toujours antérieurement présents dans l’intellect, et qui fonctionnent ainsi comme des formes ou conditions a priori de la connaissance. De tels concepts sont appelés au Moyen Âge des « transcendantaux », car ils transcendent tout genre déterminé et s’appliquent indifféremment à tout : leur universalité en fait des conditions de possibilité de la connaissance de toute réalité. C’est selon ce principe d’une connaissance a priori des propriétés universelles de l’être en général que s'est construite la métaphysique médiévale des transcendantaux.
- Emmanuel Kant a modifié l'usage du terme transcendantal. Ce qui était purement a priori, c’est-à-dire ce qui était sans origine, doit être, selon lui, ramené à ses « conditions de possibilité », et c’est précisément cela qui doit être qualifié de « transcendantal ». La philosophie transcendantale ramène l’a priori à la capacité de connaître qui est à son origine. Transcendantal qualifie alors la connaissance qui fait retour sur la connaissance a priori. C'est le procédé qui consiste à "chercher dans l'entendement seul, comme dans leur pays de naissance, et analyser l'usage pur en général de l'entendement. C'est là, en effet, l'objet spécial d'une philosophie transcendantale" (Critique de la raison pure, Paris, PUF, 1967, p. 86.).
- Le terme de transcendantal caractéristique de la philosophie kantienne est un effort pour interroger les éléments premiers de la pensée qui permettent la construction des objets sur lesquels portera secondairement la réflexion. Pour l'idéalisme transcendantal, tout objet de connaissance est déterminé par notre faculté de connaître. C'est d'abord une théorie de la connaissance.
- En conséquence, pour Kant, une connaissance a priori ne doit pas être nommée transcendantale. Seule celle par laquelle nous connaissons comment certaines représentations (intuitions ou concepts) sont appliquées ou sont possibles uniquement a priori le mérite. Autrement dit, la différence du transcendantal et de l’empirique n’appartient qu’à la critique des connaissances et ne concerne pas la relation de ces connaissances à leur objet.
- Le changement de sens n'est pas anodin, car Emmanuel Kant désapprouvait l'usage direct des concepts a priori, usage métaphysique prétendant à la connaissance du réel en soi et encore bien plus s'il s'agit de partir d'objets donnés par l'expérience (a posteriori).
- De nos jours, le terme « transcendantal » est employé de plusieurs manières. Il désigne la démarche réflexive qui cherche les conditions de possibilité de la connaissance dans les structures a priori du cognitif. En un autre sens, transcendantal désigne les structures cognitives elles-mêmes et, tout particulièrement, les concepts et les catégories qui rendent l’expérience possible. En un sens ontologique, transcendantal veut dire que le fondement des capacités cognitives est irréductible à une autre forme du réel.
- En résumé, transcendantal qualifie spécifiquement la réflexion qui ne porte pas directement sur les objets, mais sur les conditions de possibilité de la connaissance. C’est une pensée réflexive sur la pensée et les conditions de sa pertinence... ou de son fourvoiement. C’est une des tâches essentielles de la philosophie moderne.
Vérisimilitude[modifier]
- La science répond à une volonté de savoir "vraiment" selon des théories démontrables en adéquation avec la réalité. Mais, on ne peut, comme dans les circonstances ordinaires, trancher entre le vrai et le faux. Dans les sciences, le savoir sur le monde est complexe (il ne se ramène pas à une proposition) et il évolue, si bien qu'il est préférable de le considérer de manière dynamique.
- Plutôt que vrai et vérité, on utilise le terme de "vérisimilitude" (du latin verisimilitudo) qui signifie proche de la vérité. Le terme relativise le rapport du savoir à la vérité sans nier ou négliger la question de la vérité, ce qui mènerait vers un scepticisme. La vérisimilitude est un terme utilisé en épistémologie pour caractériser le savoir scientifique.
- C'est Gottfried Wilhelm Leibniz qui, dans les Nouveaux essais sur l'entendement humain, donne à ce terme un contenu épistémologique en lui faisant désigner l'écart séparant les raisons démonstratives certaines et les propositions simplement vraisemblables (Nouveaux essais sur l'entendement humain, Paris, Bellarmin-Vrin, 2006, p.315-316).
- Henri Poincaré a une notion épistémologique de la vérité selon laquelle seules les propositions décidables possèdent une valeur de vérité. Les conventions, comme les axiomes géométriques, n'ont pas de valeur de vérité : ils ne sont ni vrais ni faux, mais plus ou moins commodes. Toutefois, Poincaré tient le degré de commodité, c'est-à-dire d'unité et de simplicité d'une théorie, pour une indication de sa vérisimilitude ou proximité de la vérité.
- Le terme a surtout été utilisée par Karl Popper pour noter que, si les savoirs scientifiques sont seulement hypothétiques et conjecturaux, ils ne visent pas moins à une certaine vérité. Il relie la vérisimilitude (verisimilitude en anglais) à son principe de réfutabilité de la manière suivante : au fur et à mesure qu'une théorie scientifique réfutable résiste à la réfutation, son degré de vérisimilitude augmente. Les tentatives d'invalidations non concluantes d’une théorie augmentent son degré de vérisimilitude.
- Pour Popper, si une théorie scientifique ne peut jamais être absolument vraie, son objectivité, c’est-à-dire son adéquation avec la réalité, est de plus en plus forte. Il récuse le scepticisme relativiste et croit possible de se rapprocher de la vérité sous forme d'une objectivité croissante. Dans cette optique, nous définirons la vérisimilitude comme l'adéquation progressive du savoir scientifique aux référents qu'il se donne et, en dernière intention, comme une approche du réel.
Vocabulaire philosophique[modifier]
- Le plus simple des vocabulaires engage toujours des présupposés philosophiques massifs. Celui présenté ici se fonde sur l'idée que la pensée rationnelle associe des processus cognitifs réglés au langage verbal et produit ainsi des concepts que nous tenterons de définir.
- Ce Vocabulaire propose des explications sur la signification habituelle des termes, puis les définit de telle sorte que toutes les définitions s'accordent entre elles dans le cadre d'une philosophie rationnelle et réaliste. Il ajuste les extensions des concepts les unes aux autres, afin d'éviter les chevauchements et les contradictions. Ce qui en résulte n'est pas un dictionnaire répertoriant les diverses acceptions existantes, mais un Vocabulaire particulier et sélectif.
- Dans les courants et remous de la pensée collective, il n’est pas souhaitable de se laisser porter par les incohérences et contradictions à l’œuvre, mais il n’est pas non plus possible de ramer à contre-courant et de créer un idiolecte privé, un néo-langage ésotérique. Il reste comme solution de reprendre les concepts existants et de spécifier, parmi les divers sens dont ils sont porteurs, celui qui sera employé à l’exclusion de certains autres. Dans "la grande loterie de la génétique conceptuelle" (Alain De Libera), des choix s'imposent.
- L’intelligence conceptuelle et le langage s’entremêlent sans cesse, mais ne jouent pas le même jeu. La formulation de la première ne pouvant aller sans le second, leurs interactions produisent des errances et des impasses. Mais surtout, la pensée est appuyée sur une sourde histoire qui amène à l'étiage de notre actualité des concepts embrouillés, surchargés de sens divers et contradictoires, issus et repris par des écoles de pensée divergentes. Les notions philosophiques sont lourdes de "raisons irraisonnées" (Gaston Bachelard).
- Le Vocabulaire de Philosophie, science et société tente de présenter des définitions simples et univoques. Comme ce n'est pas toujours possible, car certains mots sont lourdement connotés et font implicitement référence à des arrière-plans conceptuels douteux, les définitions aboutissent parfois à suggérer d'éviter une notion sujette à une polysémie inextricable ou à la référer à un auteur et à un cadre précis.
- Des choix relativement arbitraires ont dû être effectués. Par exemple, la différenciation entre ontologie et métaphysique ne vient pas de leurs objets propres originaires, mais du devenir et des disputes les concernant qui ont rendu le terme ontologie plus apte, que celui de métaphysique, à désigner une interrogation rationnelle sur les fondements du monde.
- Le but du Vocabulaire est d’apporter une base explicite pour un échange sans trop de malentendus.
- Pour la liste complète des concepts définis, voir : Vocabulaire philosophique
- Pour ceux qui veulent des définitions plurielles, voir :
- La philosophie de A à Z, Paris, Hatier, 1999.
- Grand dictionnaire de la philosophie, sous la dir. de Michel Blay, Paris, Larousse, 2012.
- Lalande A. Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 2010.
Vrai - Vérité[modifier]
- La vérité est une affirmation à laquelle on accorde à juste titre un crédit, car elle est appuyée sur une démonstration probante, à la fois rationnelle et empirique. La question du vrai se pose différemment selon les circonstances : elle n’est pas la même au quotidien, dans le domaine politique et religieux, pour le savoir philosophique ou la connaissance scientifique.
- Au quotidien, une proposition concernant un fait concret peut, grâce à l’expérience ordinaire, être déclarée vraie ou fausse. Il suffit de constater le fait allégué pour juger de la vérité. Une proposition psychologique est moins facilement vérifiable, mais par un effort d’analyse réflexive on peut se rapprocher du vrai. Le vrai est l'adéquation aux faits. Le mensonge nie ou travestit les faits.
- Dans le domaine politique, le "dire vrai" ou parrêsia concerne le discours public ou le dialogue interindividuel. Ce "dire vrai" s'oppose à la tromperie idéologique, au dogme ou au discours mensonger. Dans ces cas, le jugement sur la vérité de la proposition demande un savoir suffisant sur ce qui est affirmé et la détection des ruses rhétoriques du locuteur. Là aussi, le mensonge nie ou travestit les faits, mais sa détection est plus difficile.
- Dans le domaine des savoirs complexes et abstraits, la vérité a d’autres conditions. Deux conceptions s’opposent :
- Certains la considèrent comme l’adéquation de la pensée à l’Intellect universel (les idéalités platoniciennes) ou l'Intellect divin (conception scolastique). Les Idées seraient autonomes-immanentes, toujours déjà-là et se dévoileraient par la pensée. La vérité n'a pas d'histoire et s'obtient par accès aux Idées éternelles. Cette définition est métaphysique.
- D'autres considèrent que la vérité est une adéquation entre la pensée et le monde obtenue par une démonstration qui se fait sur le plan théorique et s’appuie sur un savoir empirique valide. En ce sens, la vérité est partageable par tout humain possédant les capacités intellectuelles et le savoir suffisants. Cette définition est rationnelle.
- Il existe des cas particuliers. Certaines propositions sont inaccessibles à la vérification, parce que leur sens est flou, paradoxal, ou qu'elles participent d'une dimension fictive ou métaphysique. "L'actuel roi de France est chauve", exemple donné par Bertrand Russell, n’est ni vrai ni faux, car l'actuel roi de France n'existe pas, si bien que l'énoncé ne peut être validé, ni de manière démonstrative, ni empiriquement. Il en est de même des croyances religieuses et idéologiques. Les donner pour vraies est une imposture, elles ne sont pas du domaine du vérifiable (voir alètheia).
- Entrer dans le domaine du vérifiable est crucial pour la science et la philosophie, car une proposition invérifiable peut être remplacée indifféremment par toute autre ; elle rentre dans la catégorie des fictions ou des opinions. Par contraste, la possibilité de démonstration rend la proposition partageable par tous (universalisable) et éventuellement contestable, comme fausse ou insuffisante.
- Dans les sciences, la vérité demande des conditions démonstratives strictes : théoriques (rationalité, formalisme), empiriques (utilisation d'une méthode empirique appropriée) et l’inscription du problème dans un paradigme épistémique admissible. Même avec ces conditions drastiques, la relativité eu égard aux possibilités de la connaissance tend à faire parler de vérisimilitude plutôt que de vérité.